Le travail était terminé. Sur la table, à la faible lueur d'une bougie qui se consumait, reposaient des feuilles de papier. Pas de simples faux, mais une condamnation à mort. Le silence dans la pièce était épais, expectatif, comme le calme avant l'orage. Ils comprenaient tous deux que c'était peut-être leur dernière nuit sur cette terre. Le lendemain apporterait soit la liberté, soit l'échafaud.
Ils se tenaient proches, liés par le récent baiser. Il ne la lâchait pas, elle ne s'éloignait pas.
« Si… » commença-t-elle doucement, craignant de le dire à voix haute, « si nous réussissons, que se passera-t-il ensuite ? Que feras-tu, Julien ? »
Il la lâcha et s'approcha de la fenêtre, regardant les toits sombres et endormis de Paris.
« Je suis un traître », dit-il simplement, sans grandiloquence. « Pour Robespierre, pour ceux qui viendront après lui, pour la Révolution même que j'ai servie. Il n'y a pas de place pour moi dans la nouvelle France, quelle qu'elle soit. »
« Pour moi non plus », répondit-elle. « Mon nom est maudit. Ma maison est détruite. Je suis un fantôme. Nous devrons tous les deux disparaître. »
Cette conversation effaça définitivement tout ce qui les séparait. Ils étaient dans le même bateau, sans rames ni voile, au milieu d'un océan en furie, et ne pouvaient compter que l'un sur l'autre.
Il se tourna vers elle. Dans ses yeux dansait une tendresse si sombre et si amère qu'elle en eut le souffle coupé.
« Alors, disparaissons ensemble », murmura-t-il.
Il l'embrassa de nouveau. Mais ce baiser n'avait rien de commun avec les baisers furieux et désespérés du passé. Il contenait tout : l'amertume de leur destin, le fragile espoir du lendemain et la promesse silencieuse d'être ensemble jusqu'à la fin.
Cette nuit n'était pas celle de la passion, mais celle des adieux. Pas celle d'une bataille, mais celle d'un serment. Il délaça lentement, avec une précaution tremblante, sa robe simple. Elle l'aida de même, lentement, à retirer son uniforme, symbole du pouvoir qu'il s'apprêtait à trahir le lendemain. Leurs mouvements étaient lents, presque rituels.
Leur intimité sur sa paillasse étroite et dure fut silencieuse et profonde. Ils exploraient leurs corps non pas avec un désir affamé, mais avec une tendresse révérencieuse, comme s'ils essayaient de mémoriser chaque ligne, chaque cicatrice, chaque grain de beauté, pour emporter cette image avec eux dans l'éternité. Il murmurait son nom, son vrai nom, Adeline, comme une prière, comme une incantation contre la mort. Elle caressait ses cheveux, son visage, et voyait en lui non pas le capitaine-bourreau, mais simplement Julien, le garçon qui s'était perdu dans la forêt sanglante de l'histoire.
C'était leur serment muet de fidélité face à la guillotine. La reconnaissance que, malgré tout, ils avaient trouvé l'un en l'autre la seule patrie qui leur restait.
Ils s'endormirent dans les bras l'un de l'autre, et pour la première fois depuis de longues années, leur sommeil fut paisible, sans cauchemars.
L'aube fit irruption dans la pièce avec une lumière grise et impitoyable. Julien se réveilla le premier. Il la regarda longtemps, endormie sur son épaule, son visage vulnérable et apaisé. Elle n'était ni une comtesse, ni le « Rossignol », ni une ennemie. Elle était la femme qu'il aimait. Et à cette heure matinale, il comprit avec une clarté glaciale qu'il était prêt à mourir pour elle.
Ils se levèrent, et la tendresse de la nuit laissa place à la rigueur affairée des conspirateurs. Il lui donna un petit poignard acéré.
« S'ils m'attrapent, fuis. N'attends pas. Fuis et ne te retourne pas. »
Il prit sur la table la chemise contenant les faux documents. Sur le seuil, il s'arrêta et se retourna.
« Je reviendrai te chercher, Adeline. »
Ce n'était pas une promesse. C'était un serment.
Il partit. Elle resta seule dans la pièce vide et froide, serrant dans sa main l'acier froid du poignard. Il ne lui restait plus qu'à attendre.