Paris se réveilla le 9 Thermidor, ignorant qu'il s'endormirait dans une autre époque. L'air, dès le matin, était lourd et électrisé. À la Convention, où affluaient les députés, régnait une tension fébrile et mauvaise. Tous attendaient le discours de Robespierre, un discours qui, comme on le murmurait dans les couloirs, devait être le prologue d'une nouvelle vague d'exécutions, la plus sanglante de toutes.
Julien était froid et maître de lui, comme une lame de guillotine. Il avait envoyé plusieurs officiers qui ne lui étaient pas entièrement dévoués pour des missions absurdes à l'autre bout de la ville, dégageant ainsi le terrain. Dans un couloir faiblement éclairé des Tuileries, il croisa un instant le député Tallien. La remise de la chemise contenant les documents fut rapide, presque imperceptible.
« Est-ce que ça marchera ? » siffla Tallien, le visage blême de peur.
« C'est votre seule chance », répondit Julien avant de se fondre dans l'ombre.
Adeline était enfermée dans son réduit. Elle ne pouvait ni travailler, ni rester assise. Elle arpentait la pièce, prêtant l'oreille aux bruits venant de la rue. Au début, ce n'était que le bourdonnement habituel de la ville qui s'éveillait, mais ensuite, le grondement croissant de la foule lui parvint, suivi du son angoissant et fréquent du tocsin. Tout avait commencé. Elle serra dans sa main la poignée froide du poignard. S'il ne revenait pas, si le plan échouait, elle ne se laisserait pas prendre vivante.
Les événements de la Convention lui parvenaient par bribes, comme des nouvelles d'un lointain champ de bataille. À travers le mur, elle entendait des gardes essoufflés faire irruption dans le cabinet de Julien.
« On ne laisse pas Robespierre parler ! » criait l'un. « Tallien brandit un poignard et jure de poignarder le nouveau tyran ! »
Plus tard, un nouveau messager, la voix brisée par l'excitation.
« La Convention vote ! Ils crient : "À bas le tyran !"... C'est voté ! Robespierre, Saint-Just, Couthon, tous en état d'arrestation ! »
Le son du tocsin devenait de plus en plus fort. C'était la Commune de Paris, fidèle à Robespierre, qui appelait le peuple aux armes. La ville était au bord de la guerre civile.
La porte de son réduit s'ouvrit brusquement. Sur le seuil se tenait Julien. Il était sans uniforme, en simple chemise, les cheveux en désordre.
« Ça a marché », expira-t-il. « Il est arrêté. »
Mais il ne lui laissa pas une seconde de joie ou de soulagement.
« Ce n'est pas fini. Ses partisans se rassemblent à l'Hôtel de Ville. Il y aura un massacre cette nuit. Nous devons partir. Tout de suite. »
Il lui jeta sur la paillasse un baluchon contenant des vêtements grossiers de sans-culotte.
« Change-toi. Vite. Et coupe-toi les cheveux. »
Pendant qu'elle se changeait, les mains tremblantes, il détruisait sans pitié toute trace de leur présence. Il jetait dans le brasero ses esquisses, des bouts de papier, des journaux... Le dernier à être jeté au feu fut le portrait tant malmené de la reine. La toile s'enflamma, et un instant, le visage de Marie-Antoinette se tordit en une grimace de feu, un dernier adieu.
Adeline s'approcha de lui. Les cheveux coupés court, vêtue d'un pantalon et d'une chemise informes, le visage délibérément sali de suie. De la comtesse de Valois, il ne restait rien.
Il la regarda longuement, le regard empli de douleur et de détermination.
« Allons-y », dit-il en lui prenant fermement la main. « Il est temps de disparaître. »
Ils sortirent de la pièce non pas comme un capitaine et une comtesse, mais comme deux fantômes anonymes, perdus dans la foule, et descendirent par l'escalier de service dans un Paris en proie au chaos et à la fureur.