« Madame la Grande Experte, messieurs les conseillers, il est temps de commencer cette séance extraordinaire. Veuillez prendre place. »
Le conseil royal était de nouveau réuni. Non pas pour une de ces sessions hebdomadaires habituelles mais bien pour évoquer des événements plus graves. Des événements qui n’avaient échappé à aucun habitant de la capitale, puisque les mouvements de troupe en Nouvelle Orden et dans les Territoires de Sophie étaient à présent sur toutes les bouches. La guerre, même si physiquement loin, et donc peu concrète pour la population, alimentait déjà toutes les conversations, des plus raisonnées au plus farfelues.
Les principaux acteurs desdits événements étaient d’ailleurs aux abonnés absents. Sokratis, duc de Sofys, pourtant invité par Sa Majesté à se rendre à la capitale sur l’heure, n’avait point daigné obéir. Comme souvent, il avait préféré laisser un émissaire le représenter. Cet émissaire le représentait fort bien, au demeurant, puisqu’il n’hésitait à faire preuve d’un grand courage et à émettre des objections qui faisaient souvent enrager le souverain, au risque de son bien-être, si ce n’est de sa vie.
« Et si vous commenciez par nous dire ce qui vous traversait l'esprit lorsque vous avez décidé de compromettre le Traité de la Sixième, l'acte fondateur du royaume sur lequel vous prétendez régner en vous appuyant des institutions tel que le Parlement ? De quel droit avez-vous ignorer tous ceux qui auraient pu vous dire que votre décision n'était que pure folie ? De quel droit, Votre Majesté, avez-vous agi avec tant de précipitation ? Et vous, continua le Sofian en s'adressant aux conseillers, comment avez-vous pu soutenir un choix aussi invraisemblable ? »
Le seigneur nordian était également absent, ce qui n’était pourtant pas à son habitude. Daegan, plutôt connu pour son ambition, appréciait sa position à Isorialys et ne cachait pas qu’il convoitait toujours plus de responsabilités. Exceptionnellement, il avait envoyé un émissaire, comme son homologue sofian.
« Veuillez vous rasseoir, Sofian, avant que je ne perde patience.
— Ne suis-je donc pas libre d'exprimer mon désaccord, Votre Majesté ? Ne puis-je...
— C'en est assez. Ma patience a des limites, que vous et les autres représentants de votre duché ne vous lassez jamais d'outrepasser ! Non, vous n'êtes pas complètement libre de vous exprimer, vous comme tous les autres. Pas tant que je ne vous aurai pas donné la parole. »
Aaron avait haussé le ton. Il n'avait pas crié, mais sa voix grave s'était répercutée avec force sur les murs de la salle du conseil.
« Maintenant que le calme est revenu, commençons. Avant de passer au sujet qui occupera la plus grande partie de cette réunion, j'aimerais que Maël partage avec nous la vision élargie de son organisation.
— Votre Majesté, s’enquit l'espion à la suite du roi, puis-je parler librement ? »
La demande légitime de Maël étonna chacun des membres, car celui-ci réservait généralement son opinion pour sa seule personne, demeurant plutôt factuel. Le souverain confirma d'un signe de tête qu'il n'avait rien à craindre .
« Merci, Votre Majesté. Les yeux et les oreilles que j'emploie m'ont signalé des choses fort troublantes, madame et messieurs les conseillers.
— Nous sommes déjà au courant que la Sentinelle du Commencement se balade en toute liberté sur le Grand Continent, l'interrompit le Nordian. Ce n'est nouveau pour personne...
— Je ne parle pas du fait que les Sentinelles Rose et Solange ont passé du temps dans la capitale de votre duché sans la moindre inquiétude, mon Seigneur, ni du fait que vous ayez misérablement échoué à les intercepter. »
L’emploi du titre, pour ironiser et décrédibiliser un peu plus l’envoyé de Daegan fit rougir l’émissaire.
« Espèce de...
— Il suffit. Ravalez votre orgueil, monsieur, et laissez Maël terminer.
— Merci, Votre Majesté, reprit le scribe en s'inclinant légèrement devant Aaron. Je disais donc que mes hommes m'ont rapporté des faits inquiétants. Monsieur, dit-il en s'adressant spécifiquement au Sofian, vous parliez de paix mise en danger, mais votre maître n’a-t-il pas appelé es vassaux, en prévision d'un conflit ? N'avez-vous pas fait de même, monsieur ? ajouta Maël en se tournant vers le Nordian. Je ne comprends pas pourquoi des seigneurs ayant foi en leur dirigeant lèveraient une armée... ainsi ne causeraient-ils pas eux-mêmes les risques d’un conflit au-delà de leurs frontières...
— Messieurs, poursuivit Aaron, les paroles de Maël sont emplies de sagesse. Quelles craintes pourraient-donc entretenir vos seigneurs avec de tels actes ?
— Mon Roi, commença à répondre le Nordian. Je ne crois pas que nous soyons les seuls à ne pas aimer le fait que le duc de Sofys soit si... laxiste, en ce qui concerne les vieilles croyances. Nous savons tous qu'autrefois, les Sophians prospéraient mieux encore qu'ailleurs dans les Territoires de Sophie. Il est d’ailleurs de notoriété publique que leur sort est bien plus doux lorsqu’ils sont découverts par les soldats de ce vieux Sokratis. Si l’on devait nommer cela autrement que du laxisme, je dirais que c’est de la haute trahison !
« Notre confiance en notre voisin a failli lorsqu’il a anéanti le groupe de soldat chargé de surveiller mon côté du Mur Interdit. Notre territoire a alors été contraint préparé au pire. Je regrette maintenant ce que j'ai fait et espère que Sa Majesté me pardonnera.
— Vous mentez, s’insurgea le Sofian ! Comment osez-vous proférez de telles accusations !? Vous leviez des troupes bien avant que mon maître ne se sente menacé par vous-mêmes ! Les mouvements de troupe ont d’abord eu lieu chez vous, quoi que vous en disiez, dès les derniers événements que nous déplorons tous.
— Et quels seraient ces événements que vous déplorez, Sofian, répliqua le Nordian. Faites-vous là référence à l’exécution de la Gardienne de Temporys ? Méfiez-vous, monsieur, cette opinion n’est point majoritaire à cette table… »
Un bref silence suivit la menace du représentant de Daegan. Ladite menace n’était pas des moindres, notamment parce-qu’il avait raison. Il était certain d’être appuyé par les autres membres du conseil sur ce sujet très délicat. Il n’était plus à l’ordre du jour d’être du côté des Sophians, et soutenir une Sentinelle, qui qu’elle soit et peu importe le symbole qu’elle avait pu être… cela signifiait inévitablement se retrouver du mauvais côté du spectre politique.
— Votre manque de foi est blessante, messieurs, mais c’est votre jour de chance. Je suis d'humeur magnanime. Je souhaite que vous disloquiez vos troupes. Il est temps de mettre de côté les vieilles querelles.
— Et comment comptez-vous vous y prendre, Votre Majesté, après avoir détruit le symbole de notre alliance ? »
Le Roi ignora la pique. En claire position de force, il ne ressentit pas la nécessité d’y répondre.
— Oh mais c'est bien simple. Il est temps que vous rentriez dans vos duchés respectifs. Vous partirez sur l’heure transmettre à vos maîtres qu’ils ont trois jours pour cesser tout effort de mobilisation. Je veux également qu’à l’issue, ils viennent tous deux se présenter à la prochaine réunion du conseil pour s’expliquer. Autrement, je il sera de mon devoir de prendre des mesures fermes, et rapidement. Il serait regrettable d’en arriver à de telles extrémités, n’est-ce pas, messieurs ? »
Les deux émissaires se levèrent et répondirent silencieusement, en s’inclinant. Ils montraient ainsi tous deux leurs bonnes volontés à ce roi qui n’aurait, de toute façon, pas accepter d’autre issue à ce débat.
« Bien, bien. Allez, partez. Et ne traînez pas en chemin surtout. »
Congédiés, ils se dépêchèrent d’aller seller leurs chevaux.
« Maintenant que nous avons mis de côté les formalités administratives, je vous propose d'examiner le véritable objet de cette session : La succession de la Gardienne de Temporys. Je pense que vous serez tous d'accord pour que nous choisissions une personne plus adaptée, vis-à-vis de notre époque. »
Tous acquiescèrent.
En l’absence de toute voix discordante, ce n’était par ailleurs pas particulièrement étonnant.
« Je compte vous proposer une remplaçante. Vous serez ensuite libres d'exprimer votre opinion, même si je doute que ce soit véritable nécessaire.
— Nous vous écoutons, Votre Majesté, dit Daegan, impatient d'entendre le nom que le monarque comptait leur suggérer. »
Comme à son habitude, Aaron marqua un court temps de silence pour capter pleinement l'attention de son auditoire.
« Je propose ma fille, Volupté. Je crois qu'elle sera parfaite dans ce rôle. »