Chapitre 16 : Isis

Par Zoju
Notes de l’auteur : Je me suis accorde une pose d'une semaine dans les publications, voici la suite ! J'espère qu'elle vous plaira. Bonne lecture ! Modifié le 15/02/21

Je suis en train de manger en compagnie de Madeleine et Millie quand Anna vient se camper en face de moi. Étant assise, je relève le menton pour croiser le regard azuré de mon vis-à-vis. Celle-ci nous salue le sourire aux lèvres avant de porter mon attention sur moi.

- Tim m’a demandé de te former, Isis. Ça te va, si on commence maintenant ? J’ai un moment de libre.

- Pas de problème ! m’empressé-je d’affirmer.

- Super ! s’exclame-t-elle en me donnant une vigoureuse claque dans le dos. Termine ton repas et rejoins-moi sur notre terrain d’entrainement d’ici dix minutes.

Après avoir salué, ma colocataire et son amie, la rebelle tourne les talons et s’éloigne sans rajouter quoi que ce soit. Je me dépêche d’engloutir ma ration avant de gagner le lieu de rendez-vous qui a été convenu. Je retrouve Anna qui patiente assise sur une souche d’arbre. Elle se redresse en me remarquant et en trois enjambées se place à mes côtés. Nous devons pratiquement faire la même taille, mais la sœur d’Hans en impose davantage par sa présence. Elle ressemble d’ailleurs beaucoup physiquement à ses deux frères. De Nikolaï, elle a le sourire et de Hans, les yeux.

- Si cela te va, je vais t’apprendre les bases du corps à corps. Je te ferai également passer un test pour connaitre tes aptitudes pour le tir. N’ayant pas beaucoup de munitions et d’armes à feu, nous préférons ne former que les plus prometteurs.

- Je n’ai jamais tiré, avoué-je.

Elena me laissait parfois l’observer, mais c’était extrêmement rare.

- Ne t’en préoccupe pas pour l’instant, on verra ça plus tard.

Anna passe son bras sous le mien et m’amène au centre de lieu.

- On va pouvoir commencer ! s’exclame-t-elle. Toutefois, avant je souhaiterai savoir, tu as des compétences en combat ?

- Elena me donnait des leçons quand elle avait le temps, lui appris-je.

La langue de la rebelle claque son palais.

- J’avais oublié que « La faucheuse » avait été ta supérieure, grimace-t-elle. Juste par curiosité, elle était comme avec toi ?

Sans que je prenne la peine d’y réfléchir, les mots sortent tous seuls.

- Bienveillante et protectrice.

J’aurais beau en vouloir à mon ancienne cheffe d’avoir tué Jan et les autres cobayes, je suis plus que sincère à cet instant précis. Anna me fixe un moment sans rien dire.

- Est-ce qu’elle s’en est prise à toi ? me demande-t-elle finalement.

Sa question me surprend.

- Jamais ! m’exclamé-je. C’est vrai, elle pouvait être un peu maladroite et parfois brusque, mais dès l’instant où je suis arrivée à la base, elle a tout fait pour me protéger.

Un sourire triste apparait sur les lèvres de mon interlocutrice.

- J’ai pu voir ça, murmure-t-elle.

- Comment ça ? m’étonné-je.

- Cela reste entre nous, mais avant que ta supérieure ne soit capturée par l’armée, celle-ci m’avait demandé que nous t’échangions avec elle pour que tu puisses sortir de la base.

- Elle a vraiment fait ça ? dis-je, surprise par les propos d’Anna.

La rebelle se contente d’opiner du menton. Mon cœur se serre douloureusement. Alors Elena ne m’avait pas oublié ? Elle était prête à se sacrifier pour tenir la promesse qu’elle m’avait faite ?

- Tu as accepté son marché ? m’enquis-je.

- Non, me répond sans hésiter mon interlocutrice. Je suis désolée, Isis, mais ta cheffe représentait beaucoup trop pour nous. Nous ne pouvions nous permettre de la perdre.

Je devrais être en colère ou même triste en d’entendant cela, mais étrangement cela n’est pas le cas. Anna a raison. Entre une haute gradée ennemie qui doit probablement avoir de nombreuses informations et une pauvre petite aide de camp qui n’y connait rien, la décision est vite prise. Moi-même si j’avais été à sa place, je ne me serais pas choisie. Et puis, je dois reconnaitre que je suis soulagée que cet échange n’ait jamais eu lieu. Comment, ma cheffe, croit-elle que j’aurais réagi en apprenant qu’elle s’est sacrifiée pour moi ? J’ai beau être touché par le fait qu’elle ne m’ait pas oublié, jamais je n’aurais pu accepter qu’elle fasse cela, quand bien même dans les jours qui ont suivi la mort de Jan, je n’avais qu’une envie, qu’elle crève. Toutefois, bornée comme elle est, elle aurait refusé de m’écouter. Un sentiment de tristesse émerge au fond de ma poitrine balayant le peu de colère qui était monté en moi. À toujours vouloir faire cavalier seul, elle ne se rend pas compte que les autres tiennent à elle et que son attitude nous fait plus mal qu’autre chose. J’en ai désormais la certitude, même si Elena est finalement retournée à la base et que cette idée m’est insupportable, je suis malgré tout contente que cela ne soit pas à cause de moi. Je reviens à mon interlocutrice qui patiente dans l’attente d’une réponse de ma part.

- Tu n’as pas à t’excuser, Anna, l’assuré-je. Je comprends parfaitement.

Elle pose sa main sur mon épaule.

- Crois-moi, Isis, ce n’était rien contre toi. Je ne compte pas te cacher que je n’aime pas ta cheffe et si l’enjeu n’avait pas été aussi important, j’aurai acceptés.

- Je te promets qu’il n’y a aucun problème, insisté-je.

Je sens une légère pression sur mon épaule.

- Me voilà rassuré.

Elle se détache de moi avant de s’exclamer :

- Trêve de bavardage ! Il est plus que temps de commencer cet entrainement. Surtout, ne te retiens pas et attaque-moi !

 

Il y a quelque chose d’étrange qui s’est passé pendant ma formation. Alors que j’enchainais les affrontements, les alentours de l’arène se sont progressivement remplis et désormais de nombreuses paires d’yeux m’observent me faire battre par Anna. Toutefois, au lieu de se moquer comme je le craignais, ils m’encouragent. J’esquive un coup de pied. Mon adversaire a un excellent niveau, malgré ça, je pense qu’elle ne ferait pas le poids contre Elena. Si les deux femmes ont un style de combat fort similaire, mon ancienne supérieure, contrairement à Anna, n’hésite pas. J’ignore si elle le fait exprès ou si c’est un défaut de sa part, mais la rebelle a tendance à souvent reculer. Tout en m’attaquant, elle me donne ses instructions. « Ta garde, Isis ! » « Ne baisse pas le regard ! » « Ne te déconcentre pas ! ». Elle part un de mes coups, avant de m’attraper le poignet de me balayer les jambes. Mes fesses se plaignent douloureusement quand elles atterrissent sur le sol. Couchée par terre et lasse de ces échecs successifs, je contemple le ciel. Mon opposante apparait dans mon champ de vision.

- Debout, Isis !

- On peut faire une pause ? demandé-je, haletante.

- Il va falloir que tu t’en durcisses, jeune fille, soupire mon interlocutrice. Crois-moi, nos ennemis ne t’épargneront pas si tu montres une quelconque fatigue.

- Allez, Anna ! ricane quelqu’un. Elle vient à peine d’arriver. Laisse-la un peu souffler.

Ma professeure porte son attention sur la personne qui l’a interpellée.

- Puisque tu le proposes si gentiment, Andy, pourquoi ne pas prendre sa place pendant que la miss se repose ?

- Pour recevoir une rouste de ta part ? Sans façon, merci. Tu es une vraie brute.

Je me redresse et mon regard se fixe sur le dénommé Andy. Avec sa voix plutôt gutturale, je m’attendais à ce qu’il ressemble à une sorte d’ourse, mais il est relativement chétif et semble avoir mon âge. Toutefois contrairement à beaucoup de rebelles, une impressionnante touffe de cheveux rousse lui recouvre le crâne. Il a bien essayé de la ramener en queue de cheval, mais de nombreuses mèches lui tombent de part et d’autre du visage. Il remarque que je l’observe et me sourit à pleine dent avant de revenir à Anna.

- Je passe mon tour, l’informe-t-il. Trouve-toi quelqu’un d’autre pour patienter.

- C’est bon pour cette fois ! s’esclaffe la jeune femme. Mais tu ne perds rien pour attendre, gamin ! Je te conseille d’être en forme pour ton prochain entrainement.

- C’est noté, vieille peau ! lui répond Andy sur le même ton.

La manière dont ils se parlent entre eux m’interpelle à nouveau. Ce n’est pas la première fois que je suis frappée par la familiarité que les rebelles emploient entre eux. Cela me change des militaires de la base et de leurs comportements mesurés. Toutefois, je dois reconnaitre que ce franc-parler m’avait manqué et malgré les paroles crues qui s’échangent, je peux sentir les liens forts qu’ils existent entre les différents rebelles.

- Et donc ? demande Anna pas le moins du monde révoltée par l’insulte d’Andy. Personne pour un petit combat ?

Personne ne répond. Elle fait un tour sur elle-même et réitère sa proposition.

- Si, moi, fait finalement une voix grave provenant du public.

Je me retourne et découvre, surprise, Hans parmi la foule. Je suis soulagée de le voir en meilleure forme que la veille. Toutefois, malgré le sourire en coin qu’il aborde, j’ai l’impression qu’il est quelque peu irrité. Il s’avance calmement pour se retrouver à nos côtés. Je constate que de nombreux visages autour de nous se sont fermés et qu’Anna ne sourit plus. Je n’ignore pas que l’ancienne fonction d’Hans ne plait pas à tout le monde, mais je regrette que l’on ne lui fasse pas davantage confiance. C’est un homme bien. Anna reprend la parole aussi bas que possible pour que seuls son frère et accessoirement moi puissions entendre :

- Je ne pense pas que cela soit une bonne idée, Hans.

- Et pourquoi ? Si tu t’inquiètes pour ma santé, je pourrais en dire autant pour toi, lui rétorque celui-ci.

- Ne fais pas l’innocent ! grogne sa sœur. Beaucoup de rebelles ne t’apprécient pas et tu crois que cela va aller mieux si tu montres tes capacités de combat.

- Et pourtant, il faudra bien que je cesse un jour de les cacher si je souhaite me battre à vos côtés.

Anna secoue la tête.

- Navré, Hans, mais je préfère éviter.

- Je pense au contraire que j’ai à y gagner et de toute façon il est trop tard maintenant. Si je recule, ils ne me prendront jamais au sérieux.

- Nous ne sommes pas à l’armée, Hans. Personne ici ne doit prouver quoi que ce soit, juste se battre et survivre. Même si nous avons choisi ce combat, ce n’est pas notre place et cela ne le sera jamais.

Son frère s’apprête à répliquer quand Andy s’exclame :

- Et alors, ce duel de fratrie, vous le faites ou pas ?

Je me retiens de sourire. Finalement, le choix semblait évident au public, malgré l’hostilité que certains dégageaient vis-à-vis de Hans. Celui-ci ne se prive d’ailleurs pas de sourire et lance un regard entendu à sa sœur qui ne se déride toujours pas. Elle finit par soupirer.

- Très bien, mais ne compte pas sur moi pour réparer les pots cassés.

- Tu sais, Anna. Depuis notre séparation, j’ai changé. Même si je reste ton frère, je ne suis plus le fragile gamin que tu as quitté. Moi aussi, j’en ai bavé pour arriver jusqu’ici.

- Pourtant en te voyant, j’ai parfois des doutes.

Alors que je me lève pour leur laisser la place, je perçois la dernière phrase qu’Hans glisse à son ainée avant leur combat.

- J’ai un compte à régler avec toi. Défoulons-nous, puis parlons-en en privé.

Anna ne dit rien et se contente de hocher la tête avec gravité. Les deux adversaires s’éloignent de quelques pas tout en se toisant du regard.

- Louis, tu fais l’arbitre ! s’exclame Anna.

- Ça marche ! lui répond le rebelle en s’avançant à son tour dans l’arène. Et pour les règles ?

- Les mêmes que d’habitude. Le gagnant est celui qui maitrise l’autre. Tous les coups sont permis, mais si l’un des deux combattants dépasse les limites, il est désigné perdant.

- Très bien. Des questions, Hans ?

- Aucune.

- Dans le cas, déclare Louis. Que le meilleur gagne.

 

C’est la première fois que je vois Hans se battre et on pourrait dire que je trouve ça fascinant. Je savais par Elena que l’ancien soldat excellait dans les armes à feu, mais j’ignorais tout de ses compétences en combat rapproché. Je ne doutais pas qu’il sache se défendre, mais je dois reconnaitre que je ne m’attendais pas à ça. On pourrait croire que parce que c’est un homme qu’il serait davantage brutal, mais ici, c’est tout le contraire. C’est d’ailleurs Anna qui des deux use le plus la force. Hans pour sa part est beaucoup plus vigilant et semble analyser constamment la situation, toutefois, loin de lui porter à préjudice, il utilise ses capacités pour frapper avec précision les points faibles de son adversaire. Il ne lui laisse aucun répit. Quant au public, si au début il scandait des encouragements et des paris, il se contente désormais d’observer comme moi avec le plus grand silence le duel qui se déroule sous nos yeux. Anna évite de peu une attaque de son frère qui visait ses jambes avant de fondre sur lui. Sans difficulté, Hans pare l’uppercut qu’il s’apprêtait à recevoir. Un tapotement sur l’épaule m’oblige à détourner mon attention du combat. Je suis surprise de trouver Andy à mes côtés. Il se penche légèrement en avant pour me demander :

- Qui va gagner selon toi ?

Je reporte mon regard sur les deux opposants qui continuent à s’échanger des coups.

- Aucune idée, avoué-je. Et toi, quel est ton avis ?

Mon interlocuteur cale ses mains derrière la nuque.

- J’aimerais bien désigner Anna, toutefois je dois reconnaitre que le déserteur se débrouille plutôt pas mal.

- Qui a le dessus ?

- Impossible à dire. Ils sont tous les deux très bons, quoique…

Il attrape son menton avec son pouce et son indexe et poursuit après un instant de réflexion :

- J’ignore d’où me vient ce sentiment, mais j'ai l'impression de voir un chat qui joue avec une souris.

Je souris en entendant sa comparaison.

- Et qui est le chat ?

- Le petit frère, m'annonce-t-il du tac au tac. Beaucoup plus vicieux que la grande sœur, il n’hésite pas à ruser pour arriver à ses fins.

- Hans n’est pas comme ça, dis-je.

Et pourtant, à l’instant où je prononce cette phrase, l’ancien militaire après une feinte fait tomber Anna au sol. Celle-ci jure. Hans ne lui laisse pas le temps de reprendre ses esprits qu’il la maitrise avec une facilité déconcertante. Andy me donne un coup de coude.

- Qu’est-ce que je te disais, un vrai comédien ?

Louis s’avance près des deux combattants.

- Je pense que l’on va s’arrêter là, dit-il.

Pour toute réponse, Anna tape deux fois du pied au sol.

- Je déclare donc Hans vainqueur par abandon.

Prudemment Hans relâche son adversaire qu’il maintenait contre lui. Anna se redresse vivement une certaine contrariété sur le visage. À l’évidence, elle ne doit pas digérer cette défaite. Son frère quant à lui ne cache pas sa joie. D’un bond, il se met debout. Toutefois, à peine s’est-il relevé que sa sœur lui balaye les pieds et il se retrouve à terre. Cela ne manque pas d’en faire rire plus d’un, dont Andy qui est resté à mes côtés.

- Anna ! aboie Hans, furieux.

- Un bon combattant est un combattant qui se prépare à toutes les éventualités, se contente de répliquer son aînée avec le plus grand des sérieux.

- Tu parles ! ricane Hans. Dis plutôt que tu es toujours aussi mauvaise perdante.

Son interlocutrice ne lui répond rien et lui tend sa main pour l’aider à se relever. Sans hésiter, son frère l’empoigne et se redresse.

- Ce n’est que partie remise, déclare la rebelle quand celui-ci est debout.

Hans s’accorde un sourire avant de retrouver une certaine gravité.

- Ce sera avec plaisir, mais une autre fois. N’oublie pas ce que je t’ai dit avant notre duel.

- Cela ne risque pas. Laisse-moi juste parler à Isis un instant.

Sur ces mots, elle tourne les talons et vient se camper devant moi.

- Ce sera tout pour aujourd’hui, Isis. On reprend demain même heure si cela te va. J’aurai voulu prolonger quelque peu, mais je dois avoir une discussion avec Hans. Désolée.

- Aucun problème, lui assuré-je. Fais ce que tu as à faire.

Un coin de sa lèvre monte vers le haut.

- Dans ce cas à demain, me dit-elle après un signe de la main.

Je l’observe s’éloigner et rejoindre son frère qui patiente près des tentes. Alors que je m’apprête à quitter les lieux, Andy se place devant moi.

- Dis, Isis, cela te tente un petit entraînement à deux ? Je dois avouer que je n’en avais aucune envie, mais en les regardant tous les deux à l’œuvre j’en ai eu des fourmis dans les jambes.

- Je crains de ne pas être une très bonne adversaire, grimacé-je.

- Aucun souci, je vais y aller mollo, alors ?

J’hésite un instant à refuser, mais en voyant son sourire, je finis par céder.

- Dans ce cas, ce sera avec plaisir !

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez