Chapitre 16 : Le calme avant...

Notre meilleure chance d'arriver à destination était d'éviter les routes. Évidemment, ça rallongerait considérablement notre temps de trajet. Mais c'était ça ou se faire attraper. Vanessa ne pesta pas, comme depuis le début, elle se contenta de porter sa fille et de marcher devant nous. Angela s'était endormie et heureusement, Ether avait pensé à apporter de quoi grignoter. Ce n'était sûrement pas moi qui y aurait pensé.
Nous marchions depuis un peu plus de deux jours. Comme j'étais beaucoup trop reconnaissable et qu'il était risqué pour Vanessa de se montrer, Ether était descendue à une station service acheter de quoi manger et autres objets qu'elle jugeait nécessaires. En revenant, elle m'avait informée que j'étais recherchée pour agression, meurtre et kidnapping. Mon visage passait aux informations accompagné de ceux de Vanessa et Angela, les victimes de ma « perversité ». Je m'y attendais, et surtout, j'avais l'habitude de ce genre d'accusations qu'on me servait généreusement depuis presque un an. Cela n'empêcha pas Vanessa de se confondre en excuses, même si je lui avais expliqué qu'au bout du compte, la tuer n'aurait rien changé puisque j'avais été aperçue sur les lieux. Ether me lança des regards désolés.
À mi-chemin, elle me dit d'un ton bourru :
— Je suis désolée.
— Pour quoi ?
— Pour tout ça. Tu t'en sors toujours très bien toute seule, et pour la deuxième fois, je te cause des ennuis. Tu as encore cédé à mon caprice et voilà ta récompense. Te retrouver paumée avec une prime sur la tête.
— L'autoflagellation ne t'amènera nulle part, lui dis-je. Et je suis responsable de mes actes. De toute évidence ta détermination était plus forte que la mienne (Je lui lançai un regard.) C'est une qualité.
Nous avançâmes encore un peu.
— Je sais que tu es agacée, déclara Ether. Fatiguée. Et que tu m'en veux.
— Agacée, non. Fatiguée, un peu. Mais je ne t'en veux pas. (Je la regardai.) Vraiment.
— Tu ne m'as pas adressé la parole ces deux derniers jours.
Je secouai la tête.
   —Tu n'es pas venue non plus.
Elle rit.
         — Je sais que tu n'es pas très bavarde mais je ne sais pas, (Elle haussa les épaules.) Je croyais que tu étais en colère.
         — Tu avais peur que je te repousse ? demandai-je.
         Elle fourra les mains dans les poches de la veste que je lui avais donnée.
         — Je crois bien.
Je regardai le chemin qui s'étendait devant moi.
         — Même si je ne suis pas très amicale, je ne t'aurais pas ignorée, finis-je par dire après un moment. Si j'avais été mécontente, ça n'aurait fait qu'attiser les tensions.
         — C'est très spirituel comme façon de penser, répondit-elle.
         — Logique, plutôt.
         Nous marchâmes dans le silence pendant quelques mètres avant qu'Ether n'ouvre à nouveau la bouche.
         — Je suis aussi désolée de t'avoir fait mal.
         Elle jeta un coup d'œil à mon avant bras.
         — Deux fois.
       — Cesse de t'excuser, lui dis-je. Ce n'est pas grave. Et puis dans les deux cas, c'est moi qui ai commencé.
         — Non, c'est—
         — Quand tu as insisté pour me raccompagner en voiture, commençai-je. J'étais de mauvaise humeur. D'abord parce que je le suis très souvent et puis ce jour là, tout était assez...
         — Dingue ? tenta-t-elle.
         Je hochai la tête.
         — ...Et je n'ai rien fait pour arranger les choses compléta-t-elle. J'aurais dû te dire dès de départ qui j'étais.
         — Je te l'ai déjà dit la dernière fois : Si tu l'avais fait je ne t'aurais pas suivie.
         Elle secoua la tête.
         — Mais j'aurais pu essayer de te convaincre. Sans oublier que ce n'était pas correct de me rapprocher de Jane. Tu avais toutes les raisons du monde d'être en colère.
         Je ne répondis rien et me contentai de l'observer du coin de l'oeil. Après un moment d'hésitation, je me lançai.
        En parlant de Jane, j'étais toujours partie du principe qu'Ether avait délibérément croisé sa route. Mais en la voyant de cette façon, silencieuse et perdue dans ses pensées à avancer sans tenir compte des ordres ni des conséquences qu'elle serait contraire d'assumer si Heesadrul en venait à la retrouver, je me dis qu'elle était peut-être plus que la petite fille à papa qu'elle donnait l'impression d'être. Même si je ne savais rien d'elle, douter alors que nous étions coincées ensemble n'arrangerait rien. Surtout pas avec Vanessa qui ne cessait de lui jeter d'amers coups d'oeil depuis notre départ. Je ne savais toujours pas pourquoi, mais pour être honnête, même si je m'efforçais de prétendre ne pas vouloir connaître le fin mot de l'histoire, il fallait avouer que j'éprouvais une certaine curiosité.
         J'enfonçai mes mains dans mes poches et tentai de reprendre la discussion.
         — Par pur hasard, commençai-je. Jane et toi, vous ne vous seriez pas rencontrées avant de recevoir l'ordre de ton père ?
        Elle me regarda, perplexe.
        — Jane m'a raconté... pour le Séquoia.
         Elle s'éclaircit la gorge, mal à l'aise. En se massant la nuque, elle soupira.
        — Oui c'était... une journée de folie. Discuter avec elle m'a aidé. Elle est très... à l'écoute. Ça me fait toujours bien. Tu sais, c'est agréable de ne pas se sentir jugé en permanence. Et Jane est le genre de personne avec qui tu ne te pose même pas la question. Parfois je me demande même si elle a quelqu'un d'aussi ouvert avec qui se confier aussi librement.
         — De ce qu'elle m'a dit, elle t'avait, toi.
         Nos regards se croisèrent brièvement et elle esquissa un sourire à la fois reconnaissant et dubitatif.
         — Pas sûr. Son opinion de moi changerait si elle apprenait que j'avais laissé sa soeur se faire harceler dans café sans réagir.
         Je haussai un sourcil.
         — Quoi ? fit-elle.
Intrépide.
        — Tu venais de faire sortir une tueuse au lourd tableau de chasse, lui dis-je. Je ne vois pas ce qu'il y aurait eu à défendre.
        — C'est vrai mais tu—
        —... Ne me connais pas, la coupai-je. Et même si c'était le cas, ne fais pas de l'image que tu as de moi une généralité. Tous les tueurs à gage ne sont pas comme moi (Je la regardai.) Et lorsque tu m'as rencontrée, tu n'avais aucune façon de savoir quel genre de personne j'étais. Tu n'aurais pas dû me proposer de monter dans ta voiture aussi spontanément.
       Elle émit un drôle de son. Lorsque je tournai la tête vers elle et que nos yeux se croisèrent, elle éclata de rire.
        — Tu parles comme ma mère, dit-elle. Vous vous seriez tellement bien entendues.
        Elle mit ses mains derrière son dos et leva la tête vers le ciel.
        — Ta mère ?
         Elle hocha la tête.
      — Elle était très gentille mais aussi très terre- à-terre. Très peu sociable aussi, même si elle faisait des efforts. En revanche, elle avait un magnifique rire. Je l'entendais rarement parce qu'elle ne se laissait pas souvent aller (Elle se tourna vers moi, le regard pétillant.) Mais lorsqu'elle s'y mettait, c'était pour de vrai. Un chant de sirène.
         — Avec quel degré d'exagération ?
         — Aucun ! ricana-t-elle. Sa bonté transparaissait dans son rire.
        Son regard se perdit dans le vide et progressivement, son sourire quitta son visage. Comme elle gardait le silence, je fis l'effort de poursuivre :
        — Mon père aussi est décédé, lui dis-je. Mais tu as dû rencontrer ma mère.
        Elle fit une grimace qu'elle s'empressa de dissimuler mais j'esquissai tout de même un sourire.
        — Elle est très... atypique.
        — Atypique ?
        Est-ce que nous parlions toutes les deux d'une personne ?
        — Disons juste que je sais qui a déteint sur toi, plaisanta-t-elle.
        Étrangement, la plaisanterie ne m'atteint pas. Je n'irai pas jusqu'à dire que j'étais vexée. Mais entendre ça ne me faisait pas particulièrement plaisir.
        Ma mère était une femme remarquable. Forte, intelligente, humble et respectée. Elle avait toujours eu de lourdes attentes envers moi. Peut-être que Jane avait raison de dire qu'elle me voyait comme une extension d'elle-même. Mais ce n'était pas le cas. Je lui étais reconnaissante de m'avoir élevée, éduquée et appris ce que je savais, mais contrairement à ce qu'elle me donnait l'impression de penser, elle ne m'avait pas façonnée. Je n'étais pas elle, et je n'avais pas l'intention de le devenir. Elle était évidemment... mon modèle. Comme le serait quelqu'un qui dirige l'entièreté d'un gang avec poigne. Mais je n'aimais pas la façon qu'elle avait, elle et Jane ainsi que tout les autres, de penser que j'étais une autre version d'elle. Comme si... je n'existais pas vraiment.
        Je me doutais que Jane ne pensait pas que j'étais exactement comme ma mère. Mais peut-être pensait-elle que je n'avais, quelque part, pas de libre arbitre. Je ne sais pas.
        Mais pour Aleah, et considérant la dispute qu'elle avait eu avec Jane le jour de ma sortie de prison, elle y croyait encore dur comme fer.
        — Ouais, répondis-je. Sans doute.
        Elle m'observa du coin de l'oeil. Alors que j'avais l'impression qu'elle était sur le point d'ajouter quelque chose, Vanessa nous interpella.
         — Regardez ça, appela-t-elle.
        Nous nous approchâmes d'elle, debout devant un vieux marronnier.
        — À votre avis, demanda-t-elle en serrant sa fille. Qu'est-ce que c'est ?
         Je contournai le marronnier dont le tronc avait été écorcé pour former un message.
      


« Nous sommes partout, dans chaque coin de ce monde, et l'heure est venue pour nous de le reprendre. Nous connaissons vos secrets, vos faiblesses et nous n'hésiterons pas à les utiliser contre vous. Vous avez peut-être le pouvoir de courber la réalité, mais nous avons le pouvoir de courber les esprits. À présent, assumez les conséquences de vos actions. Nous vous purifierons. Nous ne serons pas vaincus. Nous sommes les marginaux et nous venons vers vous. »


        Ether se tourna vers moi.
        — « Les marginaux ? », répéta-t-elle. Tu sais qui c'est ?
        Je secouai la tête en inspectant les environs, silencieux, et progressivement obscurcis par le coucher de soleil.
        J'avais déjà rencontré un message similaire à Odium, dans un endroit semblable également. C'était un bois reculé que j'avais emprunté pour passer inaperçue, comme aujourd'hui. Ce n'était donc pas de simples squatteurs qui s'amusaient à effrayer les passants. Peut-être étaient-ils des terroristes ? Voulaient-ils renverser le régime ? Ou s'agissait-il des bannis de Glalona qui n'avaient pas eu le droit de rejoindre Odium ?
        — Jaïna ! cria Ether.
       Je me précipitai vers elle avant d'entendre Angela hurler à son tour.
        — Qu'est-ce qui se passe ? demandai-je en arrivant à sa hauteur.
        Elle me désigna quelque chose du menton.
        Vanessa porta sa fille et s'éloigna en lui murmurant des mots inaudibles à l'oreille.
        — Oh, lâchai-je.
        Un homme d'une quarantaine d'années était suspendu dans les airs par une corde autour du cou, le regard vide fixé au loin, le visage blême, au dessus d'une flaque de sang provenant d'une profonde entaille dans l'abdomen. Ses intestins pendaient et menaçaient de rejoindre le sang séché, à présent mêlé à la terre.
         Ether fut prise d'un haut le coeur et détourna le regard en portant la main à son ventre.
        — Qui a pu faire ça ?
        — Qui que ce soit, répondis-je. Ils sont partis depuis un moment.
        Le cadavre de l'homme dégageait une odeur de viande froide, synonyme de putréfaction. En y regardant de plus près, des vers et asticots se pressaient dans et sur sa chair. Sans compter ses cheveux qui étaient tombés et sa couleur violette livide. De vue, je dirais qu'il devait être mort depuis environ un mois. Qu'importe qui avait fait ça et où ils étaient à présent, de toute manière nous n'avions aucune raison de nous attarder ici.
        — Le soleil se couche, ne nous attardons pas ici.
        Je me détournai et croisai le regard de Vanessa qui m'observait d'une étrange façon. Elle soutins mon regard quelques instants avant de s'éloigner en direction du chemin.
        — Combien de temps il nous reste ? lui demandai-je après l'avoir rattrapée;
        — Si nous continuons à cette allure, répondis-t-elle en évitant de me regarder. Nous devrions arriver demain matin.
        — Reposons-nous quelques heures, proposa Ether.
        Je les regardai à tour de rôle et finis par acquiescer.
        — Trouvons un endroit.
        Nous campâmes dans un un immeuble délabré et abandonné au milieu d'autres ruines. La végétation avait repris le contrôle et la mousse donnait à cet endroit des airs de bâtisse post-apocalyptique. Mais même si cela n'avait rien de confortable, surtout pour Ether et Vanessa qui venaient d'un milieu aisé, c'était sécurisé. Elles étaient épuisées, et j'avoue que je ne l'aurais jamais admis, mais moi aussi.
        J'avais déjà fait le tour du bâtiment afin de m'assurer que nous ne courions aucun risque et j'avais même trouvé des fruits en conserve encore comestibles. Vanessa me remercia cordialement mais Angela ne fit aucun effort pour feindre de la sympathie à mon égard. Sa mère me murmura des excuses en voyant sa fille se cacher et je lui fis comprendre que ce n'était pas grave.
         Je sortis faire une seconde ronde et à mon retour, aperçus Ether en train d'observer le ciel depuis un balcon. Je leur avais bien dit, à Vanessa et à elle, de rester groupées, mais je pouvais comprendre qu'elle ne veuille pas forcément rester auprès de quelqu'un de si peu reconnaissant.
        Je montai jusqu'au cinquième étage et remarquai que les escaliers étaient dans un meilleur état que les murs qui les soutenaient.
        Ether dû m'entendre arriver car lorsque j'eus franchi la porte, elle se tourna vers moi.
       — Rien à signaler ? demanda-t-elle avec un sourire presque moqueur.
— Non, répondis-je en la rejoignant.
Elle étouffa un rire.
— Tu sais très bien que personne ne nous a suivi.
— Mieux vaut prévenir que guérir.
Je levai les yeux. Depuis l'immeuble abandonné, le paysage nocturne s'étendait à perte de vue. Tout était calme, comme si le monde entier était plongé dans un sommeil profond. Seuls les cris étouffés des animaux nocturnes venaient briser le silence environnant. La lune, trônait au centre du ciel, offrant sa lumière douce et pâle qui éclairait faiblement les alentours. Sa lumière révélait les détails de la ville endormie, des rues sombres et de ce qui restait de ces anciens bâtiments imposants. Nous pouvions presque entendre le souffle lent de la ville qui se reposait, comme si elle se préparait pour un autre jour. C'était un paysage magnifique, presque mystique, qui inspirait une sérénité salvatrice malgré la situation précaire dans laquelle nous nous trouvions.
Ether dut lire dans mes pensées parce qu'elle me dit :
— C'est sublime n'est-ce pas ? Tout est plus calme quand il n'y a personne.
— Mmh.
Nous gardâmes le silence jusqu'à ce qu'Ether se décide à le briser.
— Tu comptes me poser la question ou je dois te supplier ? demanda-t-elle en baissant légèrement les yeux.
Je n'avais pas besoin de demander de quelle question elle parlait : Il y en avait des milliers. N'importe laquelle ferait l'affaire.
— Si tu as des choses à raconter, répondis-je. Tu peux le faire.
— Je préfères que ce soit toi qui le demande.
Je tournai la tête vers elle en fronçant légèrement les sourcils.
— Pourquoi ?
— Il n'y a pas de mal à demander de l'attention de temps en temps, répondit-elle en haussant un sourcil.
Elle esquissa un sourire et je soupirai.
— Alors..., commençai-je. Pourquoi le Primedia en veut à ces deux là ?
Elle me jeta un drôle de regard.
— Quoi ?
Elle ouvrit la bouche puis la referma avant de se redresser pour me faire face.
  — C'est tout ? demanda-t-elle.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— C'est ta question ?
Je penchai la tête, incertaine.
— Oui. Elle ne te convient pas ?
Elle secoua la tête avec de se tourner vers l'appartement.
— Non, ce n'est pas ça. C'est juste que je m'attendais à une question plus...
— Intrusive ? suggérai-je.
Elle réfléchit au terme avant de faire la moue.
— Ce n'est pas intrusif si c'est moi qui t'incite à la poser, si ?
Elle essayait de gagner du temps, c'était évident. Même si la situation m'intriguait, j'étais déjà impliquée. Si elle ne voulait rien raconter pour l'instant, et bien soit. J'avais perdu l'obligation de savoir le fin mot de cette histoire au moment où je m'étais lancée dans cette escapade sur un coup de tête.
— Je ne t'oblige à rien, lui dis-je. Si tu ne te sens pas prête alors ne te force pas.
Elle garda le silence pendant un moment, comme si elle réfléchissait à la façon dont elle allait formuler sa réponse. Je la sentais s'agiter à côté de moi et j'avoue avoir été tentée de la presser tant ses gigotement me titillaient.
Après un moment, elle expira profondément.
— Glalona était un empire glorieux qui dominait les autres pays et civilisations, commença-t-elle lentement. Avec une économie florissante et une société hautement organisée, il était considéré comme... l'un des plus grands empires que le monde ait jamais connu. Les citoyens de Glalona étaient fiers de leur patrie et de leur appartenance à une nation puissante. (Elle me regarda) Mais l'empire a commencé à s'affaiblir. Ces mêmes citoyens aisés et orgueilleux se sont plaints des inégalités sociales, du manque de liberté et des abus de pouvoir de leurs dirigeants. Les mouvements de résistance ont commencé à se développer et à se propager à travers l'empire et finalement...
— Glalona a été renversé dans une révolution sanglante, complétai-je. Je suis au courant. Quel rapport avec ce qu'on est en train de faire ?
Elle se tritura les mains en baissant les yeux vers ses ongles.
— Malgré sa chute, Glalona est aujourd'hui connue dans l'histoire comme un empire autrefois puissant qui a finalement succombé à ses propres défauts et faiblesses. Les cicatrices de son déclin restent encore visibles aujourd'hui et rappellent à tous les conséquences de l'excès et l'abus de pouvoir. Est-ce que tu sais ce qui a pu le hisser au sommet ? Et comment une telle nation a pu se faire renverser de façon aussi... bancale ?
Je haussai les épaules.
— La corruption, le manque de ressources et la stagnation économique ?
Elle secoua la tête.
— La puissance militaire reste militaire quoi qu'il arrive. Et ce n'est sûrement pas ce qui pourrait détruire une nation pareille. Tu le vois bien avec Specter. Ce... pays se dégrade depuis un moment déjà. Le summum de sa gloire est déjà passé.
Il était vrai que Specter trainait dans la boue depuis des années. Même si les conflits restaient concentrés à Vagues, je savais qu'il en était de même ailleurs. Si l'enfer habitait la capitale, qu'en était-il du reste du pays ?
— Tous ces gens, friqués, heureux, snobs et orgueilleux, tu as eu l'impression qu'ils se souciaient de ce genre de choses à cette soirée dansante ? demanda-t-elle avec un regard moqueur avant de secouer la tête. Bien sûr que non. Ils sont persuadés qu'ils resteront bien au chaud dans leurs couettes en velour et que les succès continueront à leur être servis sur un plateau d'argent, pour toujours.
Je l'observai du coin de l'oeil et soupirai en tournant le dos au paysage, perdant mon regard dans l'appartement délabré, abandonné depuis des décennies.
— Rien de bien étonnant. Ce n'est pas comme si je m'étais attendue à autre chose de leur part.
— Il y a une raison à ça, dit-elle.
Je haussai un sourcil.
— Aussi inconscient et dénialiste que soit quelqu'un, il est difficile d'ignorer de tels conflits, expliqua-t-elle avant de se tourner vers moi. À moins d'être assuré.
Elle piqua ma curiosité.
— Tu penses qu'ils ont une solution pour cesser les révoltes ? demandai-je.
Elle hocha cyniquement la tête.
— La même que Glalona.
Je fronçai les sourcils et secouai la tête.
— Glalona est tombée.
— Parce qu'elle a été trompée. Et volée.
— Par qui ? Qu'est- ce qu'on lui a volé ?
Elle ouvrit la bouche et la referma plusieurs fois avant de répondre :
— Les reliques.
J'ouvris la bouche et la regardai fixement avant de plisser les yeux. C'était ça sa réponse ?
— Tu as dit toi-même que ce n'était que des histoires.
Elle détourna le regard.
— J'ai menti.
— Alors elles existent ?
Elle hocha la tête avant de se redresser.
— Il y a au total six reliques, expliqua-t-elle. Chacune d'elle a été créée par Dimiorgius. On appelle ça les « reliques sacrées » de façon désagréablement exagérée parce qu'on dit qu'elle renferment une partie de son pouvoir. Et... il est aussi dit que si elles sont assemblées...
  Elle s'arrêta soudainement.
— Quoi ?
— En fait, je n'en suis pas sûre. Je ne sais pas quelle force elles renferment une fois toutes amassées. Mais ce que je sais, c'est que Glalona les possédait toutes. Et c'était ça, sa force militaire. Et c'est ce qui lui a été dérobé. Et provoqué sa chute.
Je ne savais si ce genre de choses étaient enseigné dans les écoles particulières des nobles, mais c'était une sacrée histoire.
Même si j'avais du mal à croire que des objets puissent renfermer un pouvoir, je savais au moins qu'elle n'essayait pas de me duper. Et surtout...
— Les six reliques ont été partagées par les six nations d'aujourd'hui, et le Primedia tente de toutes les rassembler pour se hisser au sommet.
Elle me fit face et soutint mon regard. Et avec le plus grand sérieux, elle m'annonça :
— C'est moi. Je porte la relique de Specter.
... Cette histoire résolvait l'équation Ether.

 

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