Le musée de la métallurgie était un lieu déprimant. Un animateur s’évertuait à raviver de glorieuses histoires anciennes. Il parlait d’une époque où la ville était une locomotive de la planète, pleine d’inventeurs qui allaient dominer le monde. Aube découvrait surtout de vieilles machines. Et de ces tonnes de tôles et de poutres métalliques, elle sentait s’échapper un froid glacial. Les roues à vapeur, les engrenages, les ponts roulants ne transportaient plus que de la poussière. Cela donnait une impression de tristesse, de rêves déçus. C’était le musée des restes d’une fête un peu excessive, des déchets abandonnés dans l’atmosphère. Il ne subsistait que de mauvaises vibrations. Les grondements d’une bête blessée. La menace d’une armée défaite attendant l’heure de prendre sa revanche.
Aube et Noémie s’étaient lassées des explications du guide. À l’écart, elles observaient avec curiosité la miniature d’un moteur à eau. Une pièce rare.
— Tu savais que ça existait ? s’étonna Aube.
— Non. Jamais entendu parler de ça.
— Tu imagines des voitures à eau !
L’appareil fonctionnait encore. Une petite locomotive avançait sur les rails d’un circuit.
— Alors les filles ? fit Loïc. On joue au petit train ? Ça serait bien pour vos poupées, non ?
— Fiche-nous la paix ! s’emporta Aube.
— Ah bon ! Et pourquoi ?
Elle sentit qu’il cherchait à la pousser à bout. Juste pour faire le malin devant ses copains.
— Parce que tu n’es même pas capable de comprendre le fonctionnement d’un moteur, s’emporta-t-elle.
— C’est ce que tu crois, madame-je-sais-tout ?
— C’est toi qui ferais mieux de jouer à la poupée. Ça, c’est peut-être à la portée de ton cerveau.
Aube était rouge de gêne et de colère. Son adversaire triomphait. Loïc s’était retourné vers les autres avec un sourire en coin qui signifiait : « Elle est folle ! Je vous l’avais dit. »
— Silence dans le fond ! intervint leur institutrice. Aube ! Venez ici ! Pourquoi faut-il toujours que vous dérangiez la classe ?
La petite fille avança vers le premier rang sous le regard de tous les enfants.
— Alors, dites-nous ! continua Madame Claire. Qu’expliquait monsieur ? Quel est le produit fabriqué par les usines qui font la fierté de notre région ?
Aube la regarda sans comprendre. Dans les pensées de l’institutrice, elle ne trouvait pas la bonne réponse. Elle n’entendait qu’un flot de réflexions rageuses sur le manque de respect des jeunes d’aujourd’hui. Ce qui agitait les autres élèves n’était pas plus utile. Même ceux qui avaient écouté ne savaient pas répondre. Ils étaient trop préoccupés par la crainte d’être interrogés à sa place. Certains se réjouissaient de la voir ainsi prise en défaut. Le groupe des grands jubilait. Loïc triomphait.
Tout cela effraya Aube. Les larmes lui vinrent aux yeux. Elle désespérait lorsqu’elle perçut les encouragements muets de Noémie. Son amie répétait en boucle dans son cœur : « L’acier ! C’est de l’acier ! Vas-y, Aube ! Donne-lui la bonne réponse. C’est de l’acier ! J’en suis sûre, c’est écrit sur le panneau derrière toi. C’est de... »
— L’acier ! s’écria Aube en regardant son amie.
— Oui. Bon, admit l’institutrice. Retournez à votre place et que je ne vous entende plus !
« Tu sais lire, toi ? » interrogea-t-elle mentalement sa complice. Mais Noémie lui souriait sans entendre ses pensées.
Arrivée près d’elle, Aube lui répéta sa question au creux de l’oreille.
— Non. Je ne sais pas, répondit l’autre en chuchotant.
— Mais alors, comment ?
— J’ai vu le mot sur le panneau, c’est tout. Maintenant, tais-toi ! On va encore se faire pincer !
Aube soupira. Il était temps qu’elle apprenne à son amie à communiquer en silence. Vivement qu’elles puissent papoter sans attirer l’attention de tous ces gens malintentionnés.