Les enfants arrivèrent dans le parc. Il n’était pas très grand et ne disposait que de peu de bancs qui furent réquisitionnés par les enseignants. Les élèves durent s’asseoir sur un petit carré de pelouse ou sur les jeux d’une aire de récréation. Cela provoqua jalousies, disputes et interventions punitives des adultes qui réclamaient un moment de paix. Chacun avait pour mission de sortir son casse-croûte. On verrait plus tard pour les jeux si tout le monde avait mangé sagement. Un relatif silence se fit dans les rangs.
Aube, Max et Noémie s’installèrent à l’écart sous un vieux et gigantesque sapin. Plus un seul brin d’herbe ne poussait dans ce coin du parc piétiné. Plusieurs grands immeubles étalaient leurs ombres sur une nature triste, privée de soleil. Aube frissonna.
— Je n’entends pas la voix des arbres, observa-t-elle. D’habitude, je peux sentir la sève se déplacer lentement en rythme, comme un cœur qui bat. Ici, il n’y a presque rien. Tout est silencieux.
— Tu parles ! râla son frère.
Une voiture venait de klaxonner et de démarrer en faisant crisser ses pneus. Le parc était entouré par deux routes principales. Elles se croisaient à une de ses extrémités, dans un grand fracas de bruits de circulation.
— Il y a quelque chose de pas normal par ici, continua Aube.
— Oui, tu as raison, enchérit Noémie. Même les grands ont l’air bizarres. Ils n’ont pas encore essayé de venir nous provoquer.
— Il y a quelque chose dans l’air.
— Si ça pouvait arriver plus souvent, poursuivit Noémie.
— Vous n’entendez pas comme un bourdonnement ?
Noémie cessa de rire. Son amie vivait à nouveau une expérience dont elle était exclue. Max tendit l’oreille et hocha la tête.
— Oui, dit-il.
Noémie, dépitée, décida de croquer dans son sandwich. Au moins, elle pourrait se concentrer sur ses propres bruits de mastication. Aube se leva d’un bond. Ce qui effraya quelques oiseaux perchés dans les branches. Des pigeons, des pies et des corneilles s’éloignèrent en croassant. La fillette suivit leur vol du regard. Le nez en l’air, elle contourna l’arbre.
— Par ici, cria-t-elle. Voilà d’où vient le bruit.
Elle désigna un grand immeuble vitré. Celui-ci reflétait une pâle lumière blanche. Il était surmonté d’une énorme enseigne lumineuse composée de sept lettres rouges « GigaCom ».
— Gui-Ga-Con, essaya-t-elle de déchiffrer.
Son frère éclata de rire.
— GigaCom, précisa-t-il en se tenant le ventre. Tu n’as pas reconnu ? C’est la société de téléphone. Ne me dis pas que tu ne sais pas lire « GigaCom » !
— Je ne vois pas l’intérêt d’apprendre à lire des marques de téléphone, râla Aube.
— Mais c’est... tenta de dire Noémie la bouche pleine.
Elle sortit son téléphone de sa poche. Elle avala sa bouchée et termina sa phrase en observant le sandwich d’un côté et le mobile de l’autre.
— C’est le nom du réseau sur le mobile de maman.
— Tu es sure ?
Aube vérifia avec son amie les inscriptions sur l’écran du portable : les sept mêmes lettres. Et ces deux « g » trompeurs qui ne se prononçaient pas de la même manière.
- « Guiga » ! continuait de s’esclaffer Max. Aube, avec « i » et « e », « g » se prononce « j » comme dans « girafe » ou « génial ».
— Ça va ! On sait ! le coupa sèchement Aube.
— Alors si tu sais, pourquoi...
— Parce qu’il n’est pas écrit « GirafeCom » ou « GénialCom », l’interrompit à son tour Noémie qui venait à la rescousse de son amie.
— « GénialCom » ? De quoi tu parles ? s’embrouilla Max. Mais enfin vous ne comprenez pas ! GigaCom, c’est la société qui veut faire construire l’antenne sur la colline.
Soudain, les trois enfants se dévisagèrent en silence. L’ombre de la tour leur parut encore plus froide et plus pesante.
— C’est ça que je sens, expliqua Aube. Une sorte de menace.
— Des ondes, tu veux dire ? demanda Noémie.
— Je ne sais pas...
— Tu veux parler d’ondes de téléphone ? voulut savoir Max. Ce n’est pas possible. C’est un immeuble de bureaux. Pas une antenne. Il y a peut-être une antenne-relais sur le toit, mais c’est tout. Rien de spécial...
— Oui, il y a une antenne, précisa Aube. Mais ce n’est pas le plus grave. Je sens autre chose et je ne sais pas ce que c’est.
Ils plissaient les yeux pour observer le bâtiment. Mais ils étaient incapables d’apercevoir plus que les reflets de la lumière sur les vitres teintées. Impossible de rien voir à l’intérieur.
— Il faut faire quelque chose, proposa Aube. Il y a un truc de pas normal à l’intérieur. Je veux savoir ce que c’est et l’empêcher de détruire notre colline.
— C’est n’importe quoi ! commenta Max.
— Mais comment veux-tu rentrer là-dedans ? demanda Noémie aussi curieuse qu’impressionnée.
Aube réfléchit tout haut.
— On pourrait faire semblant de chercher des informations.
— Il y a peut-être un guichet pour les renseignements, ajouta son amie.
— C’est ça, se moqua Max. On entre et on demande gentiment où est le problème qui menace notre colline. S’il vous plaît ! Mais qu’est-ce que vous croyez ?
— Oh ! s’impatienta Noémie. Alors, comment on fait ?
Aube ne se sentait pas aidée.
— On peut demander à papa ! dit-elle.
— Lui demander quoi ? voulut savoir son frère.
— On peut lui demander comment entrer dans l’immeuble et empêcher la construction de l’antenne. Il peut trouver la cause du problème et la détruire.
Max regarda sa sœur comme si elle venait de lui annoncer qu’elle aimait la soupe aux légumes congelés de leur grand-mère.
— La détruire ? répéta-t-il. Tu veux demander à papa d’entrer chez GigaCom, de trouver une antenne mystérieuse et de la détruire ? Non, mais je rêve !
— Oh ! Ça va ! s’énerva-t-elle. On peut au moins essayer de lui demander des conseils.
— Parce que tu crois que papa aura le temps pour des bêtises pareilles ?
« Oui, il peut prendre le temps quand c’est important, tu le sais très bien » disaient les yeux noirs de Aube. Son frère se calma. Il reconnut qu’en cas de gros problème leur père pouvait répondre présent.
« Mais ça n’arrive pas souvent » ne put-il s’empêcher de penser en soupirant.
— Où est-ce qu’il travaille votre père ? demanda Noémie. Vous m’avez déjà dit que c’est en ville, non ?
Aube regarda tour à tour son amie puis son frère. Elle était un peu perdue. Elle ne savait pas où travaillait son père.
— Il n’a jamais voulu m’emmener, marmonna-t-elle.
« Mais toi, il t’a déjà montré », reprocha-t-elle silencieusement à son frère. « Tu l’as déjà accompagné. »
— Oui, répondit Max. Les potagers de son association ne sont pas très loin. Ils sont le long de la grande route qui quitte le centre-ville depuis l’immeuble de GigaCom.
— Mais il est tout prêt de la tour, constata Aube en montrant l’ombre du building.
— Oui, répondit Max.
— Il doit sentir les ondes, ajouta-t-elle. Toutes ces mauvaises vibrations qui se répandent jusqu’ici, elles doivent toucher ses légumes. Il faut les protéger.
— Ne t’inquiète pas. Papa sait se protéger.
— Comment ?
— Il a l’habitude, tu sais, dit-il.
— Alors il faut lui demander.
— Oui, reconnut Max. Tu as raison.
Il regarda autour de lui. Les autres enfants jouaient, criaient et se chamaillaient à présent sur la plaine de jeux. Sous la surveillance de leurs enseignants.
Les institutrices avaient rapidement rassemblé les élèves pour se diriger ensemble vers le cinéma. Ils patientaient maintenant tous dans le hall en attendant la séance. Les petits avaient été séparés des grands. Aube s’en réjouissait. Cela lui évitait les provocations des garçons qui l’avaient prise pour cible depuis ce matin. Mais en même temps, cela la frustrait. Les grands allaient voir une adaptation 3D de « Alice au Pays des Merveilles ». Avec dans le rôle du Chapelier Fou un acteur célèbre qu’elle adorait. Elle était certaine que ce film lui aurait plu. C’était l’histoire d’une jeune fille qui discute avec un lapin, après avoir plongé dans son terrier, et qui doit affronter une affreuse dame de pique et son armée. Voilà qui semblait passionnant !
À côté, le dessin animé qu’on réservait aux plus jeunes, les aventures d’un petit fantôme, lui paraissait bien pâle et ennuyant. Pourtant, dès les premières images, Aube sourit intérieurement. Les dessins de gentils fantômes transparents lui évoquèrent très vite les visions qu’elle partageait avec Éfflam. Elle revoyait ces mystérieux traits de lumière blanche. Bien installé dans un siège confortable, tout le monde semblait croire à cette histoire. Chacun acceptait de suivre les péripéties d’un petit bonhomme brillant. Cela rassura Aube. Peut-être qu’un jour, d’autres personnes écouteraient Éfflam et les esprits de la nature. Sans s’enfuir ni hausser les épaules en passant.
- D’habitude, je peux sentir la sève se déplacer lentement en rythme, comme un cœur qui bat. => Je me suis posé des questions sur ce "d'habitude", peut-être n'ai-je pas été assez attentive. Ca ne m'étonnerait pas qu'elle en soit capable, mais est-ce qu'il y a un passage qui le montre ?
A très bientôt
Merci de continuer t lecture et pour ton regard attentif (moi je sais de quoi Aube est capable mais j'oublie de le dire et de préparer ça pour mes lecteurs et lectrices).
A bientôt !
Je suis vraiment captivée par l'avancée de l'histoire et sans grande surprise j'ai hâte de découvrir la suite et espère sincèrement que le père d'Aube et Max leur viendra en aide!
Je n'avais pas eu le temps de publier dimanche, mais j'avais bien avancé sur un chapitre, alors aujourd'hui j'ai réussi à rattraper ça et en voilà deux d'un coup, ouf !
Ah le père de Aube va avoir un rôle plus important pour la suite, mais lequel ? ;-)
A très vite pour la suite !
A très vite mais prends le temps tout de même ;)