Chapitre 18 : Chili con copain

  Des coups à ma porte me réveillèrent en sursaut. Lorsque j’ouvris les yeux,  les rayons orangés du soleil éclairaient la chambre. Je me rendis alors compte que le soleil s’était couché et que j’avais passé toute la journée à dormir. Je grommelai en me frottant le visage, honteuse d’un tel relâchement alors que j’étais chez des inconnus. 

        Je demandai à la personne d’entrer en me levant du lit et fis face à Ether qui me dévisagea un instant en attardant son regard sur moi avant de cligner des yeux.

        — Je suis désolée, je ne voulais pas te réveiller, dit-elle. Je suis passée il y a quelques heures pour le déjeuner mais mais comme tu dormais je n’ai pas voulu te déranger. Je voulais m’assurer que tu allais bien.

        Elle avait parlé d’un ton neutre mais je voyais dans ses yeux une touche d’amusement. 

        Je détournai le regard en m’efforçant de ne pas montrer mon embarras.

        — Ouais, je voulais fermer les yeux un moment. Je ne m’attendais pas à dormir si longtemps.

        Elle secoua la tête.

        — Ce n’était pas un reproche. Tu as le droit de reposer, répondit-elle en s’adossant contre le mur. Alors, comment tu le sens ? Cet endroit je veux dire.

        — Je n’y ai pas réfléchi, avouai-je.

        Nous étions là depuis quelques heures seulement. J’avais eu l’intention de passer la situation en revue après notre arrivée mais malheureusement, mon corps n’avait pas suivi la cadence. 

        Je devais d’abord prendre la situation dans son ensemble pour analyser la complexité de notre condition mais il fallait avouer que je n’étais pas en mesure de le faire à l’heure actuelle. En fait, je ne le voulais pas.

        Je ne sais pas si ce relâchement était dû à une baisse d’adrénaline ou tout simplement au fait que d’une certaine façon, je pouvais me qualifier de quelqu’un de libre. Après tout, je n’étais plus incarcérée, j’avais rempli mon devoir en amenant Vanessa à destination —même si cela allait à l’encontre de mon objectif de base— et même si je comptais me rendre à Odium, à l’heure actuelle, aucune responsabilité ne m’incombait. Et c’était un poids qui ne m’avait pas été retiré depuis longtemps.

        Lorsque j’étais en prison, chaque instant de ma vie était dicté par un emploi du temps strict auquel je me pliais. Pendant mes heures de pause, je trouvais de quoi m’occuper méthodiquement. Et je ne pensais à rien. C’était agréable.

       Et en cet instant précis, je retrouvais cet… état de vacuité. Même si mes remords continuaient de me ronger, en l’état, je n’avais rien à faire. Je crois que c’était l’une des raison pour lesquelles je m’étais mise sur la touche. Je ne voulais plus être aux premières loges de ma propre vie. 

        Cependant, il fallait que je garde un semblant de motivation. Je me trouvais tout de même chez des hôtes dont je ne savais rien et, même s’ils semblaient sympathiques au premier abord, je savais mieux que quiconque qu’il ne fallait pas s’arrêter aux apparences. Je devais les garder à l’œil.

        — Mais restons sur nos gardes, lui conseillai-je. Jusqu’à ce qu’on soit sûres qu’ils ne représentent pas une menace.

        Elle hocha la tête et se tut.

        Tout en me demandant comment clore cette discussion, mon regard glissa sur ce qu’elle avait dans les bras. Elle suivit mon regard avant de se redresser.

        — Oh, excuse-moi. J’avais oublié de te donner ça, dit-elle en me tendant des vêtements. Jesca les a préparés pour toi. Comme nos affaires ont été mises à laver, elle nous donne de vieux vêtements dont elle n’a plus besoin. 

        En récupérant les habits, je me rendis compte qu’elle s’était effectivement changée. La robe de soirée haute coutures qu’elle trimballait depuis plusieurs jours avait été remplacée par une chemise verte, un jean slim et des baskets. Ce look ne lui ressemblait pas du tout mais je la trouvais étonnamment belle malgré des vêtements qui la mettaient si peu en valeur. En m’attardant sur les traits de son visage, je réalisai qu’elle était bien plus jolie que ce qu’il m’avait semblé. Est-ce que c’était parce que je me méfiais moins d’elle maintenant ?  Peut-être ou peut-être pas.

        Je regardai ce que Jesca m’avait donné : Un t-shirt à col tunisien bleu et un jean boyfriend noir.  Exactement ce qu’il me fallait.

       Je tendis les mains pour défaire ma serviette avant de faire passer le t-shirt au dessus de ma tête.

        — Combien de temps tu comptes rester ici, me demanda-t-elle alors que je fermais mon jean.

       — Je dois voir s’il y a un village ou un endroit où me ravitailler, répondis-je. Faire un plan des lieux et préparer mon départ. Une semaine devrait suffire.

       — Il y aurait apparemment une petite ville pas loin, expliqua-t-elle. Sumeru. Elle a été bâtie sur les ruines d’une ancienne citée alors elle n’est pas catégorisée. Sackarias et sa famille font leurs courses là-bas depuis toutes ces années. Je pense qu’on ne risque rien à y jeter un coup d’oeil.

        Je haussai les sourcils en faisant les lacets de la seule paire de bottines que j’avais.

        — Les informations n’y circulent pas ? demandai-je.

        Elle grimaça en se massant la nuque.

        — De ce que j’ai compris, c’est une ville de… renégats. Alors même s’ils sont aux faits des évènements…

        —… Ça ne leur importe pas, complétai-je en me redressant. Ça peut être une bonne idée.

 

 

        Ether aidait Jesca et Vanessa dans le jardin alors qu’Angela chahutait toute seule dans la cour. J’avais fait connaissance avec Chelsea, la femme de Sackarias et la mère de Jesca. Malgré son âge, elle possédait une élégance gracieuse et une allure sereine. Ses cheveux soyeux mêlant subtilement des nuances châtain et argent encadraient un visage marqué par le temps, mais tout comme son mari, illuminé par un sourire chaleureux et des yeux d'un bleu profond. Après m’être excusée de m’être imposée inopinément chez elle et d’avoir dormi si longtemps, je lui proposai d’aider pour le dîner qui, sans surprise, avait déjà été préparé. À la place, elle m’assigna à la pose des couverts. 

        Pendant que nous nous attelions à nos tâches respectives, Sackarias entra dans la pièce et posa un sac de fruits sur le plan de travail. Avec un sourire, il embrassa sa femme qui rougit en laissant tomber sa tête sur son épaule. Sackarias lui dit quelque chose qui la fit ricaner et il se tourna vers moi. Lorsque son regard croisa le mien je détournai les yeux en me rendant compte que je les dévisageais.

        — Désolé, nous sommes un vieux couple de retraités qui s’aime comme au premier jour, plaisant Sackarias. Nos démonstrations d’affection rebutent notre fille qui ne comprend pas tout ça. Elle n’est pas du genre romantique alors forcément, elle est dépassée

        — Elle n’a surtout pas jamais l’occasion de rencontrer qui que ce soit, intervient Chelsea.

     Sackarias leva les bras au ciel, scandalisé.   

        — Ce n’est pas moi qui l’en ai empêchée ! se défendit-il. C’est elle qui déteste sortir. Penses-tu qu’un gendre me déplairait ? Nous sommes ici depuis plus de 20 ans, elle devrait songer à sa vie future.

        — Ne lui mets pas la pression ! Et puis, avant de parler de mariage et de petit-copain,  ce qui me rendrait heureuse serait de la voir se faire des amis de son âge.

        — Elle en aurait si elle ne restait pas cloitrée ici, insista Sackarias.

        Tout en ayant leur conversation en bruit de fond, je continuai de dresser la table. J'ouvris le frigo à l’entrée de la pièce et en sortis la vinaigrette et des sauces. En refermant la porte je remarquai Jesca qui écoutait la conversation, une fois encore, dissimulée près du seuil de la porte. Lorsqu'elle me remarqua, elle se détourna sans plus de considération et disparut dans le couloir.

        — Les relations c’est important, lança Sackarias. Tiens regarde, qu’est-ce qu’aurait fait Vanessa si elle n’avait pas rencontré Jaïna ?

        Je manquai de faire tomber ce que j’avais entre les mains.

        — Et vous alors, m’interpela Chelsea qui souhaitait visiblement changer de sujet. Jolie comme vous êtes vous devez forcément avoir un petit copain. Il ne vous manque pas trop ?

        Je déposai les sauces et la vinaigrette sur la table et ramassai la salade que Chelsea venait de finir de préparer.

       — Non, je n’en ai pas.

        Ils me dévisagèrent comme si je m’étais bavée dessus.

        — Il y a un problème ?

      — Les jeunes de nos jours ! s’exclama Sackarias qui devait en voir de toutes les couleurs. De notre temps, on était aussi laids que des moufettes mais ce n’est pas ce qui nous a empêché de rencontrer notre moitié. Aujourd’hui, vous êtes tous magnifiques mais vous vous obstinez à vouloir mettre fin à l’espèce humaine.

        Chelsea le frappa avec la serviette qu’elle tenait entre ses mains. Elle ouvrit un placard et me tendit le sel et le poivre avec un sourire. 

        — Être beau ne veut pas forcément dire que nous désirons une relation, la corrigea-t-il. Laisse les enfants vivre leur vie.

        Sackarias l’ignora.

        — Des amoureux ou des prétendants alors? me demanda-t-il, le visage rempli d’espoir.

        Je secouai la tête et il claqua les mains contre ses cuisses, dépassé.

        — Non mais tu as vu ? lança-t-il à sa femme qui ricana. Les hommes sont aveugles. Quel âge avez-vous ?

        —… Vingt ans, répondis-je.

        — Oh ! Le même âge que Jesca ! s’enthousiasma Chelsea.

        Je haussai légèrement les sourcils. J’étais convaincue que Jesca était plus âgée que moi.

        — Vous faîtes plus âgée, commenta Sackarias.

        Bon.

        — Chéri ! 

        — Les jeunes de nos jours aiment faire plus âgés, non ? demanda-t-il en me regardant. Ce n’est pas vrai ?

        — Je suppose, répondis-je sans en avoir la moindre idée. Mais je ne m’en soucis personnellement pas.

        Chelsea hocha la tête.

        — Et vous avez bien raison. Vivez au jour le jour, ne précipitez pas les choses. Parce que vous savez, il y aura peu de lendemains.

        Elle pressa mon épaule avec un sourire et Sackarias rigola en me donnant une tape amicale. Il s'éloigne ensuite et appela les autres à table. Chelsea et moi finîmes de préparer la table avant que tout le monde ne nous rejoigne.

        Le dîner c’était bien passé. Au menu : Chili Con Carne avec pommes de terre en papillote. Je n’en avais jamais mangé auparavant et même si je n’avais pas d’élément de comparaison, je devais dire que Chelsea était bonne cuisinière. Comme il s’agissait d’un plat plutôt… aisé, je craignais de ne pas avoir de manière de table. Mais heureusement, tous mangèrent normalement. Je ne pus m’empêcher de jeter un coup d’oeil à Ether. Dans cette tenue de campagnarde, les cheveux encore humides dégringolant sur ses épaules, les coudes sur la table, jouant distraitement avec ses petits pois,  elle ne donnait absolument pas l’air d’une noble. Maintenant que j’y repensais, la raison pour laquelle je l’avais trouvée étonnamment belle plus tôt dans la soirée venait sans doute du fait qu’elle n’était pas maquillée. Toutes les filles avec qui j’avais vécu avaient, un jour où l’autre, succombé à la tentation. J’avais essayé, par curiosité. Une fois. Lorsque j’étais plus jeune. Le résultat n’avait pas dû me marquer puisque je n’avais pas récidivé. Je réalisais à présent que c’était la première fois que je voyais une fille ainsi, sans maquillage. Elle était évidemment belle quoiqu’il arrive. Mais j’étais surprise de voir que cela ne jouait aucun rôle là-dedans.

        Vanessa dit quelque chose qui déclencha son hilarité et mon regard fut captivé par la cavité qui se creusa à l’extrémité de sa lèvre. Je n’avais jamais remarqué sa fossette. 

        Jusqu'à présent, je ne faisais attention à elle que lorsque la situation l’exigeait. Nous discutions également uniquement de ce qui se produisait sur le moment. Parler des plans tordus d’Heesadrul et du Primedia. Combattre des trafiquants et des gardes. Tenter de survivre dans les rues. Évidemment, lorsque vous êtes dans ce genre de situation, cela ne laisse pas beaucoup de temps aux discussion personnelles et à la contemplation, mais quand même…

        Lorsque je détournai le regard, je tombai nez à nez sur les pupilles de Jesca qui me fixaient. Je ne sais pas depuis combien de temps elle m’observait ni pourquoi elle me donnait l’impression d’avoir mis la main sur quelque chose, mais elle jeta finalement un coup d’oeil à Ether avant de prendre une bouchée de pommes de terre, le regard distraitement posé sur son assiette.

 

       Lorsque le dîner fut terminé et la table débarrassée, tout le monde quitta la cuisine. Il ne restait plus que Chelsea et moi. Je m’apprêtais à sortir à mon tour lorsqu’elle m’interpella.

        — Ether m’a dit que vous comptiez vous rendre à Sumeru demain. (Elle me tendit une feuille soigneusement pliée.) Ce n’est pas un GPS mais c’est mieux que rien.

        Je la dépliai et vis qu’il s’agissait d’une carte. Une excellente carte. Les repères y étaient soigneusement annotés et même si elle se faisait vieille, elle était à jour et le papier très peu jauni. 

        — Merci, lui dis-je.

        Chelsea hésita à poursuivre. Mon regard insistant la fit tout de même parler.

        — Est-ce que ça vous dérangerait d’emmener Jesca avec vous ? me demanda-t-elle timidement. Ce n’est pas tous les jours qu’elle a l’occasion de voir des filles de son âge alors… je me dis que c’est une bonne occasion de lui faire voir du monde. Bien sûr, elle ne le fera pas si ce n’est pas indispensable, alors je lui demanderai de me faire quelques courses urgentes. Ça ne vous gêne pas ?

        Elle voulait réellement que sa fille s’intègre à la société. N’étant moi-même que très peu sociable, je ne comprenais pas l’urgence capitale de la situation. Si elle ne voulait pas sortir se faire d’amis et bien… C’était son problème et il n’y avait pas de mal à ça. Mais si Chelsea pensait comme Jane, qui ne cessait pas de me pousser à sortir et « m’éclater », alors elle ne lâcherait pas l’affaire. Et si Jesca était comme moi, alors cette sortie lui serait tout sauf agréable. Mais je devais bien ça à Sackarias et Chelsea qui nous accueillaient. Je compatissais tout de même à la situation, trop familière, de Jesca.

        — Non, répondis-je en secouant la tête. Elle peut venir. Nous n’y allons que pour faire du repérage alors ça ne risque rien. 

        Le visage de Chelsea s’illumina et elle me gratifia d’un grand sourire reconnaissant.

        — Merci, merci ! Pour ce qui est de la convaincre, je m’en charge, fit-elle, enjouée avant de baisser la voix. Vous avez toutes les deux passé une semaine difficile, alors ne pensez pas qu’aux obligations. Amusez-vous. Et, si ça peut profiter à ma fille, ça m’arrange.

        Elle ricana en me disant cela et j’acquiesçai.

        Bien que je n’avais pas la moindre idée de la façon de « s’amuser ».

 

 

 

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        Sumeru se trouvait à quarante-cinq minutes de marche de la ferme. Même si elle n’était pas bien loin et qu’on pouvait craindre d’être surpris par des malfrats, pour y arriver, il fallait traverser le reste de la forêt qui entourait la maison de Sackarias et gravir une petite montagne.

        Arrivées au sommet, je voyais s’étendre la cette ville construite sur les vestiges d'une cité ancienne. Les rayons du soleil illuminaient ses bâtiments, leur conférant une teinte dorée et mystique.

        Les ruines de l'ancienne cité qui formaient le socle de Sumeru me rappelaient les époques révolues et les récits légendaires qu’on me racontait lorsque j’étais enfant. Les structures ancestrales évoquaient un passé mystérieux, empreint de richesse et de savoirs oubliés.

        La ville moderne de Sumeru s'élevait majestueusement, mêlant l'architecture ancienne à des constructions plus contemporaines. Les ruelles sinueuses serpentaient entre les bâtiments, et les dômes élégants des palais et des temples se dressaient vers le ciel.

         La vue d'ensemble était surplombée par une grande tour, peut-être le centre névralgique de la ville, d'où l'on pouvait apercevoir toute la splendeur de ce lieu. Des drapeaux colorés flottaient au sommet de certains édifices, animant l'atmosphère avec des mouvements gracieux. 

        Au loin, un fleuve scintillait sous les rayons du soleil, serpentant à travers les terres et apportant une vie florissante à la région. Les jardins parsemés dans toute la ville ajoutaient une touche de fraîcheur et de beauté à ce panorama.

        Les rues étaient plus animées que ce à quoi je m’attendais. Peut-être pensais-je trouver une ville fantôme de laquelle ramperaient quelques tueurs en série, voleurs et trafiquants. Mais ce n’était absolument pas le cas. Contrairement à Vargues et Feargate, les capitales de Specter et Odium, les passants ne puaient pas l’arrogance, la complaisance et la richesse. Et contrairement à Ashes, ils n’avaient pas l’air désespérés, au fond du gouffre. Ce n’était pas quelque chose auquel j’étais habituée mais ils semblaient se suffire à eux-mêmes - sans être particulièrement aisés, juste contents d’être là où ils étaient, à marcher dans ces rues où personne n’essaierait de leur en faire baver.

        Ether s’arrêta devant un stand de ce qui devait être des antiquités. Elle observait une bague d’un métal obscur teinté de reflets pourpres au centre duquel brillait sûrement de l’Améthyste. En m’approchant, je remarquai des motifs celtiques s'étendant autour de la gemme et se fondant dans un tressage délicat le long de l’anneau. Je lui jetai un coup d’oeil en me demandant pourquoi elle éprouvait un tel intérêt pour les bijoux anciens. Je comprenais pour la relique qu’elle portait autour du cou, mais est-ce que c’était vraiment son truc ?

        Le vieux vendeur, qui surgissait du dessous du stand, fit son plus grand sourire commercial.

        — Bonjour, jeune demoiselle au regard aiguisé ! Vous avez là une pièce de collection : La Bague d’Amaranth. Une pièce de joaillerie légendaire, empreinte d'une histoire ancienne qui remonte à des temps oubliés. Elle est réputée pour son origine mystérieuse et ses pouvoirs envoûtants qui ont marqué le destin de tous ceux qui l'ont portée.

       Rien que ça…

        — Oh, c’est gentil, fit Ether en la reposant. Mais je ne faisais que regarder.

        Le vendeur secoua vigoureusement la tête avant de poser son regard sur le médaillon d’Ether. Ses pupilles pétillèrent. 

        — Voyez-vous,  reprit-il. Cette pierre précieuse est une Améthyste d'un violet profond, scintillante d'une lueur interne presque surnaturelle. À travers les siècles, on dit que la couleur de l'améthyste évolue en fonction des émotions et de l'état d'esprit de son porteur, devenant plus intense en période de joie et plus sombre en période de tristesse. Je pense qu’elle ferait une parfaite paire avec le sublime pendentif que vous portez là. Il s’agit d’un éclat lunaire, si je ne m’abuse ?

        Ether haussa les sourcils en tripotant son collier.

        — Euh, oui. Comment avez-vous—

        — On n’est pas là pour ça, la coupa Jesca qui était arrivée en trombe vers elle. On a des courses à faire et on ne risque pas de s’en sortir si tu t’émerveilles bêtement devant chaque charlatan que tu croises.

        Le vendeur fronça les sourcils et contourna son stand en virant à cent quatre-vingt degrés.

        — Dis donc espèce de petite garce—

        Ether se plaça entre eux précipitamment.

        — Désolée, fit-elle. Mais nous avons beaucoup de choses à faire aujourd’hui. Merci de m’avoir parlé de votre bague, elle est magnifique. Vous avez de merveilleux articles.

         Elle souriait et le vendeur se détendit avant de marmonner un juron à l’intention de Jesca qui semblait s’en soucier comme de ses premières couches.

        — Si vous me faîtes l’honneur de revenir — sans l’emmerdeuse — je vous ferai un prix.

        Jesca leva son majeur avant de se détourner et Ether le remercia poliment. 

         Je retins un soupir en emboitant le pas à Ether. En arrivant à sa hauteur, je lui jetai un regard.

        — C’était une très belle bague, lui dis-je alors que Jesca ouvrait la marche. Tu devrais l’acheter sur le chemin du retour.

        Ether ricana.

        — Avec quel argent ?

        — Oh, fis-je.

        Il était vrai que je n’avais pas prévu d’être en cavale et par conséquent, pas prévu de carte bancaire ou de porte feuille rempli. Sur le chemin jusque ici, Vanessa s’était chargée des courses. Il fallait dire que c’était la seule à avoir choisi de s’enfuir ce jour là.

        Ether souriait mais je fronçai les sourcils.

        — Ça risque de poser problème à l’avenir, lui dis-je. Il faut qu’on trouve un moyen de se faire de l’argent ou de récupérer celui qu’on a sur nos comptes. Être en cavale est déjà bien assez compliqué sans qu’on ait à s’ajouter le statut de clochardes.

        — Pour le moment, répondit-elle. On est des clochardes.

        Je pinçai les lèvres quelques instants.

        — Mais on habite chez Sackarias, fis-je remarquer.

        — Et on a pas de cloches, se moqua-t-elle. C’est vrai.

        — On pourra toujours s’en acheter.

        —… Avec quel argent ? demanda-t-elle.

        Ce fut à mon tour d’étouffer un rire. Je tentai de regagner mon impassibilité mais lorsque mon regard croisa celui d’Ether je ne pus retenir un sourire alors qu’elle éclatait de rire.

        En levant les yeux, je vis Jesca nous lancer un regard réprobateur par dessus son épaule.

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