Des carves à bec jaunes la regardaient à travers les carreaux. Le jour était déjà levé, comment avait-elle pu dormir autant, dans cette tour branlante – elle l'avait constaté la veille au soir alors que le vent faisait rage – ? L'air était glacial. Elle vit posés sur une chaise un vêtement de nuit et un châle qu'elle n'avait pas remarqués la veille. Elle s'enroula dans ce dernier, se frotta les joues à l'eau glacée, et descendit aux cuisines. L'atmosphère y était paisible, incomparable avec le branle-bas de la veille au soir. On lui servit l'infusion de fèves grillées, boisson traditionnelle de Kaalun, puis, voyant une cuisinière héler une domestique pour qu'elle en porte une tasse chaude au Prince Evan, proposa d'y aller elle-même.
Le Prince n'avait pas bougé d'un cheveu depuis la veille, son regard lui-même restait immobile, et fixait le même point imaginaire, au loin. Dormait-il, parfois ? La veille, elle lui avait enduit les mains, les poignets et le visage de pommade pour atténuer ses crevasses – mais qu'avaient bien pu faire les médecins auparavant ? aucun de ses malades n'étaient dans un tel état – , et lui avait passé le dos aux huiles tièdes, sans oser le déplacer. Il n'avait pas dit un mot, ni plainte ni remerciement. Là encore il restait muet, ne daignant pas même la regarder.
« Voici votre infusion. »
Comme il ne fit pas mine de bouger, elle la déposa sur le meuble de chevet et étudia ses poignets. Il y avait un léger mieux. Mais sa morgue et son attitude ne l'encourageaient pas à prendre soin de lui, et quand elle lui passa à nouveau ses pommades, il resta aussi immobile que la pierre. Elle n'avait pas de temps à perdre avec ce jeune prince méprisant. Elle acheva ses soins en vitesse, abandonna la tasse où elle l'avait posée et quitta la chambre avec humeur.
Elle se rendit à l'Intendance. Au regard que lui jeta l'Intendante, assise droite comme un i devant une liasse de paperasses, et sèche comme un fruit oublié, Olga réalisa qu'elle avait dormi dans sa robe, et laissé à ses cheveux la même allure qu'au réveil. Et bien, la vieille carne devrait s'y faire après tout... Mais elle n'eut pas le temps de dire un mot qu'elle fut réprimandée comme une enfant, et on lui demanda de revenir une fois présentable. C'est ainsi qu'Olga prit l'habitude de visiter Lotte aux bains, parfois, et d'y enfiler un nouvel habit. Mais plus jamais quiconque ne toucherait à ses cheveux, se jura-t-elle. Échevelée mais vêtue de velours parme, elle retourna à l'Intendance, bien décidée à ne plus s'en laisser compter. Si, devant la douceur de Lotte sa voix restait coincée dans sa gorge, peu habituée à de telles attentions, elle retrouva aisément la parole devant l'Intendante :
« On m'a promis un lieu pour mes remèdes et un dispensaire. Je suis prête. »
L'Intendante l'observa une seconde au dessus de ses lunettes en demi-lunes, et se leva sans un mot en lissant le col de s blouse pourtant impeccable. Elles prirent la direction de la tour des Écrits, passèrent devant la petite porte de fer, et empruntèrent un couloir si bas que la femme dut se courber légèrement. Elle poussa une porte.
« On a porté votre... équipement ici. Vous avez du bois, des lampes à huile, une citerne d'eau claire que l'on vous renouvellera tous les jours. Il faudra nous signaler ce dont vous aurez besoin et nous ferons le nécessaire. Vous savez où me trouver. Nous ignorons si les appareils ici peuvent vous être utiles, faites-en ce que bon vous semble. »
Mais Olga n'entendait plus, ni la voix cassante comme du verre pilé, ni le fâcheux tic de l'intendante à ne jamais dire je mais nous, comme si son corps abritait une communauté entière. Elle ignora tout cela, fascinée par les lieux, qu'elle adopta instantanément. L'atelier était tout en hauteur, mais une myriade de paniers suspendus remplissaient l'espace. Sur les nombreux plans de travail de diverses hauteurs, des ustensiles complexes et inconnus semblaient supplier qu'on leur redonne vie. Globes de verre, tuyaux de cuivre, tubes cristallins, mèches noires de graisse, clapets métalliques, à quoi avaient bien pu servir ces machines curieuses ? Les trois fenêtres crasses, à travers lesquelles une lumière filtrait tant bien que mal en soulignant chaque grain de poussière, étaient placées très haut, bien au-delà d'une hauteur d'homme.
Olga se retourna vers l'Intendante, les yeux brillants :
« Il me faut des linges, un seau et des brosses, des bocaux aussi, en quantité. Des bouteilles vides, de la cire, un coupe-papier, des mortiers, des fioles si vous en avez, euh... Du suif, mais j'en demanderai en cuisine. Ah, une chaudière de cuivre aussi, quelque chose où je puisse faire bouillir de l'eau, une balance, des cruches, une râpe et... de la ficelle. »
Puis, devant l'air interloqué de l'Intendante, elle ajouta :
« Ou de l'encre et un rouleau, et quelqu'un qui sache écrire. »
La pièce fut lavée à grandes eaux. Elle prit soin d'entreposer délicatement les intrigants appareils de cuivre et de verre soufflé dans un placard en hauteur, se promettant de découvrir leurs fonctions quand elle en aurait l'occasion. L'Intendante lui envoya un secrétaire, qui nota ses besoins, et lui fournit quelques informations supplémentaires. Le laboratoire accueillit longtemps les hommes de science du royaume, chacun se consacrant à sa marotte : recherche d'un nouvel alliage métallique, observation des astres ou expérimentations botaniques. Avec le temps, le lieu était peu à peu tombé en désuétude, mais c'est Katel qui en signa l'arrêt, condamnant au feu d'inoffensifs biologistes.
Les lieux étaient désormais propres, mais la tâche énorme. Il lui fallait attendre qu'on lui porte le matériel, mais ensuite, par où commencer ? Refaire des onguents, en quantité ? Elle devait préparer des teintures-mères aussi, et le procédé était long, autant s'y mettre de suite... Et les macérats, elle avait la place d'en faire en quantité. Quoique avec le Sang bleu, les pommades restaient la priorité... Malgré son impatience et son habituelle efficacité, elle se trouva tétanisée par l'ampleur de ce qui l'attendait. Et elle n'avait pas encore de dispensaire à gérer.
« Il me faudra de l'aide. Dites à l'Intendante que j'ai besoin de quelqu'un.
– Je ne suis pas sûr que...
– Dites-lui. Ou j'abandonne votre prince de malheur. »
Elle aperçut accrochée à la porte une antique cape de croûte de cuir, doublée de laine bouillie et raidie par le temps. Elle s'en couvrit et quitta le château, pieds et tête nus.
Cette scène dans la cuisine est d’une gaîté bienvenue dans cette histoire où la maladie prend une grande place. Les lieux et les personnages sont merveilleusement bien décrits. Et notre Olga, elle n’a pas l’air très à l’aise dans un aussi grand groupe. On voit que le roi la considère comme une domestique plutôt que comme une personne qui possède la connaissance et la sagesse d’une guérisseuse.
Olga prend le manque de réaction du prince pour du mépris. À sa place, je me serais dit qu’il était peut-être en pleine dépression, parce que dans son état, il y a de quoi. La suite nous le dira sans doute.
L’atelier a l’air intéressant. Elle va peut-être découvrir une utilité à certains instruments et leur donner une nouvelle vie. Quant à l’intendante, elle ne se prend pas pour la queue d’une poire.
Coquilles et remarques :
— Olga avant même qu'elle n'y eut posé le pied [qu’elle n’y eût posé ; subjonctif plus-que-parfait]
— On eut dit, bien qu'en plus gai, une peinture [On eût dit ; conditionnel deuxième forme, c’est-à-dire un subjonctif plus-que-parfait employé comme un conditionnel]
— De part et d'autres de son nez grotesque [De part et d'autre]
— Ah, Ma Dame, vous voici ! [ma Dame ; valable pour tout le chapitre]
— elle n'est donc pas muette ta rebouteuse ! [Virgule après « muette ».]
— je préférerais avoir des chou-fleurs [choux-fleurs]
— qui rôtissaient lentement au dessus des feux [au-dessus]
— directement à la cruche, en se tâchant la chemise [se tachant ; sans accent circonflexe]
— On eut dit que son ventre [On eût dit ; conditionnel deuxième forme, voir plus haut]
— et trois douzaine de gardes [douzaines]
— dans ce château si taiseux [« taiseux » s’emploie pour les personnes et les animaux ; pas pour un lieu]
.
— pour qu'elle en porte une tasse chaude au Prince Evan, proposa d'y aller elle-même [elle proposa ; il faut remettre le sujet]
— son regard lui-même restait immobile, et fixait le même point [la virgule est de trop]
— pour atténuer ses crevasses – mais qu'avaient bien pu faire les médecins auparavant ? aucun de ses malades n'étaient dans un tel état – [n’était / ce passage entre tirets, bien trop long, fait perdre le fil. J’enlèverais les tirets et je placerais cette phrase après « sans oser le déplacer », avec une majuscule à « Aucun ».]
— Olga réalisa qu'elle avait dormi dans sa robe, et laissé à ses cheveux [Olga s’aperçut, se rendit compte ; « réalisa » est un anglicisme / la virgule et de trop]
— Et bien, la vieille carne [Eh bien]
— C'est ainsi qu'Olga prit l'habitude de visiter Lotte aux bains [de rendre visite à Lotte]
— bien décidée à ne plus s'en laisser compter [conter ; comme « raconter »]
— Si, devant la douceur de Lotte sa voix restait coincée [il faut mettre « devant la douceur de Lotte » entre deux virgules]
— l'observa une seconde au dessus de ses lunettes (…) en lissant le col de s blouse pourtant impeccable [au-dessus / sa blouse]
— à ne jamais dire je mais nous [dire « je » mais « nous »]
— se promettant de découvrir leurs fonctions [Je mettrais « leur fonction » au singulier]
— Le laboratoire accueillit longtemps les hommes de science du royaume [avait longtemps accueilli ; il faut marquer l’antériorité]
— autant s'y mettre de suite… [tout de suite]
— Elle aperçut accrochée à la porte une antique cape [il faudrait mettre « accrochée à la porte » entre deux virgules]
— Elle s'en couvrit et quitta le château, pieds et tête nus.[Je propose « tête et pieds nus ».]
Bon, il va bien se passer quelque chose avec ce prince ! Quelque chose qui retienne Olga auprès de lui. Il doit bien avoir de l'intérêt quand même.
Mes quelques remarques habituelles :
" – elle l'avait constaté la veille au soir alors que le vent faisait rage – ?" Je crois qu'il faut supprimer le tiret, quand l'apparté est en fin de phrase
"Elle vit posés sur une chaise un vêtement de nuit et un châle qu'elle n'avait pas remarqués la veille. " : j'ajouterais des virgules après "vit" et "chaise", pour une meilleure lisibilité
"Le laboratoire accueillit longtemps les hommes de science du royaume," : il y a un problème de concordance des temps, il me semble : "Le laboratoire AVAIT accueilli..." non ?
Je file lire la suite !
Evan, oui, il est quand même intéressant, mais j'avoue que je ne sais pas quoi en faire ? J'le tue, j'le tue pas ?
Une petite faute de frappe :
"en lissant le col de s blouse pourtant impeccable" : sa blouse<br />