Chapitre 2 - P2

Yvanaël ne mit finalement guère plus de temps que le premier groupe de Sentinelles pour rejoindre Estcereel. Une semaine suffit. Lui aussi avait privilégié les transports maritimes, au détriment d'autres moyens que l'on aurait assurément pu jugés plus pratiques – notamment la magie de déplacement – pour atteindre la capitale de la magie.

Comme d’habitude lorsqu’ils se retrouvaient tous à la capitale contemporaine du monde magique, le point de ralliement était Chez Mélyandre, le bar le plus vieux de la ville. Pas aussi vieux que les Sentinelles elles-mêmes, puisque certaines l’avaient vu naître, mais suffisamment ancien pour rallumer la flamme de la nostalgie lorsqu’elles buvaient un verre de trop.

« Hey, vieille branche, comment vas-tu ? Où sont donc les autres ? Ils ne sont pas venus nous accueillir ?

— Yvanaël, soupira Rose de soulagement, quel bonheur de te revoir ! »

Le mot bonheur ne convenait pas pour exprimer la joie inquantifiable que ressentit Rose en retrouvant son compagnon de toujours. Né en 101 DS, elle l’avait quasiment toujours connu et il faisait partie de ces rares hommes qui réussissait à lui manquer terriblement à chaque fois qu’elle s’en éloignait.

« Haha, merci Rose, murmura-t-il en retour. C'est bon de te revoir, toi aussi. Tu sais que le monde n’a plus le même parfum lorsque tu n’es plus près de moi. Mais tu ne m'as pas répondu. Où sont donc les autres ? Nathaniel n'est-il pas là ?

— Non, il ne viendra pas, lâcha-t-elle amèrement, puis baissa la tête. Les autres nous attendent en ville, à l’endroit habituel. Solange avait la gorge sèche mais ne voulait pas y aller seul, peut-être pour feindre qu’il lui reste encore quelques manières après toutes ces années. Nous les rejoindrons dès que Annabelle, Gweny et Niven se seront décidés à débarquer. Elles arrivent ? Diane a-t-elle été difficile à débusquer ?

— Oui, oui, les autres vont descendre d’ici quelques instants. Elles discutaient avec le capitaine de je ne sais trop quoi. Après, Diane... Tu l'as connais. Pas moyen de mettre la main sur elle. Cette saltimbanque n'en fait toujours qu'à sa tête. Je ne vois vraiment pas ce que Sophie lui trouvait lorsqu’elle l’a choisie. Elle ne répond à son appel que lorsqu'elle en ressent l'envie ! On a vu mieux, en terme de fiabilité !

— Ne m'en parle pas...»

Rose relâcha un soupir qui exprimait un mélange d’exaspération et de lassitude. Diane avait toujours lutté pour conserver sa liberté, même après avoir rejoint l'ordre des Sentinelles. Elle errait de ville en ville, de village en village, autant que cela lui chantait, sans jamais vraiment servir celle à qui elle avait prêté serment. À moins que ce n'ait été sa façon de servir Sophie, mais personne n'y comprenait vraiment quoi que ce soit. Elle aurait tout de même pu prétendre qu'elle se préoccupait de ses frères et sœurs d'arme en les rejoignant pour la traditionnelle cérémonie de la bénédiction ! Enfin, celle-ci était plus que compromise à présent, cela n'avait donc aucune importance...

« Tu... Tu ne remarques rien, Yvanaël ?

— Non, que voudrais-tu que l'on voit de plus, jolie fleur ?

— Ne m'appelle pas comme ça, s'exclama Rose en rougissant. Le port a changé de place, j'en suis sûre. Et d'apparence. Il était différent, lorsque nous sommes arrivés avec Solange, Voyageuse et Solitaire.

— En quoi est-ce important ? Le sort d'illusion ne date pas d'hier. Ce qui est récent, en revanche, c'est que toi, tu nous caches des choses. Tu ne nous as toujours pas dit où Nathaniel se trouve...

— Ce n'est ni le moment, ni l'endroit pour en discuter, je te le répète ! N'insiste pas davantage, s’il te plaît ! Tu sauras tout Chez Mélyandre, c’est promis.

Yvanaël posa une main apaisante sur l’épaule gauche de sa très vieille amie et son renard vint lui caresser les jambes.

« Je suis certain que tu as d'excellentes raisons de te comporter ainsi, dit-il. Le temps des réponses viendra, inutile de les forcer à sortir prématurément. »

Rose fut obligée de constater que le poil blanc de Yuki restait encore et toujours le plus doux de toutes les bestioles dont elle avait pu toucher la fourrure, mais aussi que la sagesse d'Yvanaël prévalait inlassablement, même après toutes ces années passées à arpenter le Grand Continent, espionnant pour le compte des Sentinelles.

« Quel temps magnifique ! On n'a pas tous les jours cette chance, ici. Pourtant la météo ne fait pas partie de l'illusion, elle est bien réelle, celle-là... Vous y comprenez quelque chose vous ? »

La conversation de Rose et Yvanaël se termina sur cette note positive, lorsque Niven se permit de les interrompre avec une remarque fort utile sur les conditions météorologiques.

« Il n'y a rien à comprendre, Niven, ajouta gentiment Yvanaël. Cela signifie juste que personne ne s'est amusée à détraquer le temps. Enfin, maintenant que tu le dis, ça fait quand même plusieurs jours qu'on a du beau. Il faut en profiter. Admirons le soleil et ce ciel parsemé de tâches nuageuses tant que nous le pouvons, je dirais que c'est de bon augure.

— C'est facile à dire, commenta Gwendoline – que l'on surnommait surtout Gweny – et de nous envoyer ta poésie à la figure. Mais nous sommes immortelles, ce ne sont pas tes belles paroles qui me feront profiter d'un temps en tout point similaire à celui que j'ai déjà vécu des milliers de fois depuis ma naissance.

— Ne sois donc pas si amère, Gweny. Tu sais bien que ton immortalité ne durera pas éternellement. Nous ne sommes pas invulnérables. Nuance.

— Inutile de me le rappeler, grand-père. Je sais déjà tout ça.

— Allons, allons, Niven intervint. Ne nous disputons pas, maintenant ! Quels piètres exemples serions-nous si l'on faisait une scène sur le port ?

— Écoutons la voix de la raison, il est temps de se diriger vers un endroit plus calme pour discuter. »

Les Sentinelles se mirent ainsi d'accord. Elles prendraient la direction du centre, puis partageraient un verre du meilleur au milieu du chahut de Chez Mélyandre, la taverne la plus renommée du coin. Là-bas, il ferait un point de situation, et chacun raconterait son aventure.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez