Chapitre 3 - P2

Notes de l’auteur : (1) Il dort encore
(2) C’est normal. Tu dormirais encore, toi aussi.
(3) Au nom de la liberté !
(4) Sois patient, il va finir par se réveiller

Lorsque Nathan revint à lui, ses paupières fermées ne filtraient pas parfaitement la lumière solaire qui perçait les volets. Il hésitait à ouvrir les yeux. L’environnement ne lui serait de toute façon pas familier, et il n’avait pas non plus déterminé s’il devait craindre les deux étrangers qui discutaient et s’agitaient autour de lui.

« Es luz aviz… (1)

K’ab vizys. Co lizizyeb, cie yobbe. » (2)

Probablement pas. Il était là, après tout. Il n’était pas mort. Il aurait indéniablement dû l’être mais quelque chose qu’il n’aurait su expliquer lui avait sauvé la vie, aussi étrange que cela soit. Il ne remarqua aucune blessure sur son corps, seulement une épaisse et vilaine cicatrice balafrant le haut de son torse nu. Il n'avait donc pas rêvé.

Le couteau l'avait effectivement transpercé, ce n'était pas le fruit de son imagination ni d'une quelconque illusion due au brouillard de la Transition.

Cela signifiait-il que Rose elle-même, qui servait Sophie avec tant de dévotion, avait trahi les Sentinelles ? C'était invraisemblable...

Invraisemblable ! Il ne pouvait tout de même pas croire une chose pareille. Ses yeux l'avaient forcément trompé !

« Yo vit la sy sejazá ! » (3)

L’un des étrangers parla une nouvelle fois mais Nathan ne comprit pas un piètre mot de la phrase qu’il venait de dire.

Personne ne lui avait expliqué que l'on ne parlait pas la même langue sur chacun des continents.

Les continents... Rose lui avait bien parlé de continents. À moins que ce n'ait été Sarah. Mais sur lequel se trouvait-il à présent ? Plus important encore, comment y était-il parvenu alors qu'il se noyait, il n'y a que quelques heures de cela ?

« Bieb wyceav Vorgate, es dy miviz wyz ba zádáessaz. » (4)

Grâce à la voix plus aiguë de la personne qui répondit aux paroles précédemment prononcées, Nathan devina que le second étranger était en fait une étrangère. Cet indice quant aux deux individus l’encerclant ne l’avançait pas beaucoup mais l’information n’en était pas moins précieuse. Il avait peut-être affaire à un couple. Évidemment, cela ne lui disait pas comment il était arrivé ici ni pourquoi ils l’avaient recueilli mais, s’il avait raison, il ne pouvait pas lui vouloir de mal. Cela aurait été contre-productif de s’occuper de lui et de le tuer ensuite.

Rassuré pas ce raisonnement d’une logique implacable, Nathan décida de signaler à ses hôtes qu’il était réveillé, sans savoir vraiment comment se faire comprendre d’eux. Lorsqu’il souleva finalement ses paupières, un environnement improbable se révéla à lui. Il était couché sur un matelas de paille très douillet, d’une taille approximative de deux mètres sur deux mètres. Il se trouvait dans une petite maison, ou une grande cabane, en fonction de comment on souhaitait l’appeler. Les murs de planche semblaient solides, mais il n'aurait pas voulu être là si un génie avait soudain la brillante idée d’y mettre le feu.

Ses oreilles ne l'avaient pas trompé. Un homme et une femme, tous deux de stature robuste, évoluaient entre les quatre murs de leur lieu de vie – probablement commune, si son hypothèse était juste – comme s'ils en connaissaient les moindres recoins. Il étaient actuellement au fourneau, ce que Nathan pouvait d'ailleurs déjà sentir les yeux clos, puisque l'odeur de viande, nettement répandue dans la cabane, avait atteint ses narines.

Le dernier détail essentiel que Nathan releva le soulagea grandement. Ses hôtes avaient eu la décence de ne pas lui retirer le pantalon en jean usé qu'il portait depuis son brusque atterrissage dans le Bois du Passé. Comme il l'avait constaté à plusieurs reprises durant son aventure, les vêtements qu'il possédait n'étaient pas du tout idéal pour affronter les dangers de ce monde, puisqu'ils l'empêchaient de se mouvoir à sa guise. De plus, ils le rendaient visibles aux yeux des espions qui le recherchaient peut-être.

« Excusez-moi, commença-t-il en se levant. Bonjour... »

L'homme, qui avait l'air ennuyé quelques secondes plus tôt, cessa soudain de couper les légumes sur le plan de travail devant lui et se retourna vivement.

« Haha ! Kázea es b'ab zadaessáa ! Co yb do kázea ? »

Il montrait Nathan du doigt, un large sourire illuminant son visage, et tournait régulièrement la tête vers sa femme puis de nouveau vers son invité, comme s'il souhaitait s'assurer que ce dernier ne s'était pas effondré entre temps.

« Ioe iznyca q'ye do, répondit la femme. Pardonnez mon mari, jeune Isorian. Je m'appelle Torlysse, et voici Vorgate. Vous avez longtemps dormi... »

Torlysse l'examina comme si la réponse aux questions qu'elle n'avait pas formulées attendaient d'être découverte dans les traits incrédules de Nathan.

« Pardon. Mon Isorian est un peu... poussiéreux ? Est-ce le mot bon?

— Oui, bien sûr, confirma Nathan, incapable de juger le niveau linguistique de cette personne qui lui était encore inconnue en tout, sauf de nom. Oui, je vois ce que vous voulez dire.

— Bien. Je pratique pas beaucoup. Ici. Pas personne avec parler. C'est pas facile. Vorgate a pas parlé Isorian mais… je connais. J'appris, il y a des années. Vorgate a pas la temps d'apprendre. »

Son Isorian était légèrement confus mais elle restait facilement compréhensible. Elle ne s'exprimait pas très vite non plus mais son niveau de langue lui permettait tout de même de se faire comprendre sans trop chercher ses mots. Cela servirait grandement à Nathan car, si personne ne connaissait sa langue, survivre pourrait s'avérer compliqué...

Il fallait par conséquent qu'il encourage Torlysse. Elle était son seul espoir pour communiquer, en l'état actuel des choses. Il était donc essentiel d'alimenter sa confiance en elle, de sorte qu'elle n'hésite pas à faire des erreurs.

« Ton Isorian est très bon, ne t'inquiète pas ! J'ai saisi tout ce que tu as dit.

— Merci. C'est bien. Tu as la faim ?

— Oui, merci beaucoup ! Mais ... Avez-vous des vêtements ? »

Nathan essayait de formuler ses phrases aussi simplement que possible. La compréhension de son interlocutrice était primordiale, inutile de la perdre avec de la grammaire ou du vocabulaire compliqué. D'autant plus qu'elle faisait l'effort de s'adresser à lui en Isorian, alors qu'elle aurait pu persisté dans sa langue. Cela ne lui aurait d'ailleurs pas demandé autant d'efforts.

En guise de réponse, elle tourna les talons et dit quelques mots à son mari qui écoutait la conversation sans comprendre.

« Co yb lab dâcatav y soe wâcaz ?

Hmmm... »

— Vorgate va vous prêter, précisa Torlysse à Nathan en lui faisant de nouveau face. Ta taille, et sa taille, sont pas trop différentes. Alors, mangeons maintenant. »

Elle repartit donc à la cuisine et fit signe à Nathan de s'asseoir à la table, située au milieu de ladite pièce. La table n'était pas qu'un vulgaire ensemble de planches mal attachées les uns aux autres, mais plutôt un assemblage effectué par un professionnel. Le bois sur lequel reposait les assiettes était aussi solide que du chêne. Nathan se dit à lui même qu'une hache aurait eu des difficultés à entamer la dureté de ce monstre naturel.

« Je prépara du Sorible. J'espère que vous aime, c'est une plat très aimé ici.

— Oui, c'est parfait ! »

Ce n'était pas le moment de faire la fine bouche, mais il ne pouvait pas s'empêcher d'être inquiet en ce qui concernait le futur très proche de son assiette. Allait-elle contenir quelque chose de mangeable ?

Il s'avéra que oui. Le Sorible n'était pas particulièrement différent du Soreur que Rose lui avait imposé dès ses premiers jours sur le Grand Continent. Ce qui était étrange, c'est que la bête semblait même une évolution du premier. Étrange pour la simple raison que les Soreurs avaient une tête de sanglier pour un corps de cerf, tandis que le Sorible avait un corps de sanglier pour une tête de cerf. Torlysse avait accompagné ce morceau de viande par des haricots verts. Enfin un peu d’équilibre alimentaire dans ce monde de carnivores…

Nathan mangea sans faire d'histoire et ne se posa que peu de questions de biologie et de biodiversité. Il se savait mauvais dans l'un comme dans l'autre et ne s'aventurerait pas à dresser des observations ou des conclusions sur des choses qui le dépassaient. Il remplirait son estomac, ce serait amplement suffisant et bien plus satisfaisant. Le morceau de viande et les légumes fondirent sous sa langue, il en oublia donc rapidement ses inquiétudes inutiles.

Il venait juste de commencer son repas lorsque Vorgate revint avec de quoi le vêtir proprement.

Lorsqu'il se leva de sa chaise pour regarder ce qu'il allait probablement porter pendant les jours ou semaines à venir, un éclair de lucidité le frappa : Il ne s'était pas présenté !

Quel maladroit ! Vorgate et Torlysse l'avaient veillé pendant son sommeil, qui avait duré il ne savait combien de temps, et il remerciait leur générosité en étant distant... Quelle maladresse inexcusable !

« Je suis tellement désolé, s'excusa-t-il, je ne me suis pas présenté ! Je suis vraiment sincèrement désolé, répéta-t-il comme si le dire plusieurs fois atténuerait son manque de courtoisie. Je m'appelle Nathaniel, je me rends compte que j'aurais dû vous le dire dès mon réveil. Nathaniel ou Nathan, si c’est plus facile à prononcer pour vous. »

À force, le jeune homme ne savait presque plus trop s’il était plus juste de donner la version courte ou longue de son prénom. Sur terre, on l’avait toujours appelé Nathan, mais ici tout le monde semblait vouloir lui donner plus d’importance qu’il ne s’en accordait lui-même. Il aurait probablement dû ne donner que son diminutif et oublier tout ce qu’on lui avait dit au cours des dernières semaines.

— Nathanile ? C'est joli nom, mais pas facile de prononcer. Nathanile. Enchantée de te rencontrer, Nathanile, le dormeur. »

Cela devait en effet être difficile de saisir la nuance entre Nathaniel et Nathanile pour une oreille inavertie. Il ne s'offusqua donc pas de l'erreur qui n'avait qu'une importance que minime.

« k'ab dye xo'es y jayokiow lize.

— Vorgate dit vous avez beaucoup dormi. C'est vrai, une semaine ça fait qu'on veille vous tous les jours. »

Une semaine ? Par Sophie, mais comment avait-il pu dormir autant ? Il avait dû raté quantité d'événements en tant de temps... Incroyable... Vraiment incroyable...

« Je ne sais pas comment vous remercier, Vorgate, Torlysse. Je vous dois la vie...

— Tu ne t'inquiètes pas, Nathane. C'est normal. Eh, c’est vrai que Nathane est plus facile prononcé. Mon mari aurait pas laissé enfant se noyer dans l'océan. C'est une pas belle mort. Pas belle mort du tout... »

Le sujet ayant naturellement trouvé son chemin dans la conversation, Nathan pensa que c'était probablement le moment d'essayer d'obtenir quelques réponses quant à son arrivée sous ce toit.

— Mais où suis-je exactement ? Comment, et où m'avez-vous repêché, demanda-t-il en se tournant vers Vorgate.

— Asseyons-nous. Finissons manger, proposa Torlysse, une longue histoire se raconte pas avec un estomac vide. »

Difficile de s'opposer à un argument si convaincant, Nathan se garda de dire. Il suivit donc le mouvement et finit son repas. Ils lui laissèrent ensuite un peu d'intimité pour qu'il puisse essayer la chemise blanche en lin, le pantalon et les brodequins de cuir qu'on lui avait fournis. Ils se rassemblèrent ensuite tous les trois, encore autour de la table, pour que Torlysse lui conte ce que Vorgate lui avait certainement déjà raconté en le ramenant chez lui. Cela lui semblait évident, puisque n'importe quel individu sensé se serait posé des questions si son compagnon avait décidé d'héberger un inconnu. Un inconnu blessé, qui plus est.

« Prends la boisson chaude, Nathanile. C'est un infusion de menthe, peut-être tu connais ?

— Merci, c'est gentil.

— Bon... Alors maintenant je te raconte, on est confortable, c'est bien. J'espère que tu comprends après, pardon des erreurs.

— C'est pas grave, la rassura Nathan, prends ton temps.

— Bon. Vorgate m'a répété encore parce que je sais pas où commencer, avant. Maintenant ça va. Ici c'est Oasys, déclara-t-elle. Nous, on est des HoLii du Sud. Je dis du Sud parce que c'est important. Ici, c'est Continent Libre. La ville, c'est Oasys. D'accord ? »

Nathan acquiesça de la tête.

« Vorgate a trouvé toi sur Océan Chaud. L'équipage pourchassait navire du Grand Continent. Beaucoup de butin sur ses tas de planches. C'est ce que c'est pour nous. On n'aime pas leur façon de faire, alors les hommes HoLii pillent leurs bateaux. C'est richesse facile, mais c'est pas ça qui compte. On n'aime pas leur façon de faire.

« Bon... Alors ils étaient en chasse, puis ils approchaient la Transition. Les HoLii du Sud aiment pas la Transition. C'est pas notre domaine, les HoLii du Sud s'aventurent pas en dehors de leur domaine. Alors ils allaient arrêter d'être en chasse, quand la tempête a commencé. Là c'était pas simple pour demi-tour, alors ils ont continué avec espoir de pas passer la Transition. L'autre bateau, il était déjà dedans. Et puis il y a eu un truc fou qui s'est passé. Le brouillard a percé par un éclair. Un gros éclair. Vorgate avait jamais vu gros éclair comme ça avant. Jamais. Il a cru que c'était tout. Mais non. C'est pas terminé. Après y a eu la lumière, encore plus. Comme s'il y avait du feu sur un bateau. Du feu avec des ailes gigantesques. Alors Vorgate a peur, avant, mais il est aussi impressionné. Jamais vu. Il avait jamais vu ça, il m'a dit. Mais ça a intrigué, alors ils sont pas partis de suite. Ils ont attendu, et après plein de cris et de lumières étranges dans le sombre...

— L'obscurité, l'interrompit Nathan, ressentant le besoin de la corriger pour la première fois.

— Oui, merci. Dans l'obscurité, oui. Alors, après ça, il y a eu le calme encore. Le matin, ils allaient lever l'ancre, puis Vorgate a vu. Il a vu, tu flottais sur l'océan. Les autres voulaient pas, pas trop, parce que tu es Isorian, mais Vorgate a dit tu es un enfant. Et on abandonne pas les enfants. Pas Vorgate. Les enfants sont sacrés, oui. Des cadeaux de Solvys. On n'abandonne pas les enfants, répéta-t-elle... »

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