Les enfants avançaient le long des haies et des clôtures des jardins. Dans le sous-bois autour d’eux, progressait une petite troupe d’animaux aussi divers que discrets. Il fallait être très attentif pour remarquer ceux qui filaient au sol ou de branche en branche. Ils étaient habitués à se rendre invisibles aux yeux des humains. Les oiseaux quant à eux volaient haut, indifférents à ce qu’on les remarque ou non. Le ciel leur appartenait. Qui aurait pu se préoccuper de les voir se déplacer en bande ? Cela faisait partie de leurs habitudes et passait pour tout à fait naturel.
Pourtant, ils étaient tous attentifs et aux ordres d’une petite fille de huit ans. Aube s’arrêta bientôt au premier trou dans la haie qui entourait un jardin. La percée permettait une vue sur la belle pelouse entretenue jusqu’à la villa éclairée bien au milieu.
— Je m’occupe de celle-ci, décréta-t-elle. Je prends le geai, la fouine et une partie des petits rongeurs.
Noémie l’écoutait sans comprendre.
— Continue avec les autres animaux, ajouta-t-elle pour aider son amie.
« Ne t’inquiète pas pour elle. Je sais ce que nous avons à faire » la rassura Éfflam.
Et l’enfant-chat emmena Noémie explorer plus avant vers la maison suivante. Aube admirait le caractère fonceur et le courage de sa camarade. Cette belle confiance en elle et en la vie, elle le devait à l’amour de sa famille et à son enfance heureuse. Pourtant, Aube ne put s’empêcher de trembler pour Noémie en sentant toute l’inquiétude de son amie. Elle s’enfonçait en cachette vers une mission risquée et inconnue, avec un être-esprit et des animaux rebelles.
Quand ses complices eurent disparu, Aube se concentra sur sa cible. Le geai avait déjà choisi le meilleur poste d’observation.
« Je vois une petite ouverture ronde dans une porte à l’arrière de la maison. »
— Une chatière ! comprit Aube. Passez par là.
Aussitôt la fouine fila dans cette direction. Une demi-douzaine de musaraignes la suivirent à distance.
« Je ne passe pas. C’est bloqué. »
La fouine poussait de son fin museau le volet en plastique de la chatière qui résistait et lui barrait le passage. Les rongeurs avaient bifurqué et contournaient la maison à la recherche d’une autre entrée. Aube se concentra pour tenter de comprendre ce qui coinçait le mécanisme. Elle se souvint de l’expérience avec Éfflam qui lui avait permis de percevoir l’essence de la matière. Aidée à distance par les sens du petit animal qui se tenait pour elle devant la porte, elle sonda les vibrations du monde. Son esprit trouva la solution. Un aimant maintenait la chatière fermée. Aube percevait son champ magnétique avec lequel elle entra en résonance. C’était possible. En modulant les propres vibrations de son champ de volonté, elle obtint une légère modification de la puissance de l’aimant. Cela devrait suffire à le perturber.
— Fonce ! ordonna-t-elle à la fouine.
L’animal poussa à nouveau. Cette fois, le clapet céda pour lui permettre d’entrer et se referma derrière elle.
— Il y a un téléphone en train de charger dans la pièce où tu te trouves, précisa la petite fille. Et un autre dans la pièce juste au-dessus. Détruis les câbles, c’est le meilleur moyen de les empêcher de s’en servir.
L’animal obéit sans hésiter. Il avait accès en direct aux connaissances et aux informations de Aube. Il était ses yeux. Elle était son cerveau. Ensemble, ils ne formaient qu’un corps. La fillette en était folle de joie. Ça fonctionnait ! Un jeu d’enfant !
Aube, de plus en plus excitée, parvenait à suivre à présent les rongeurs qui avaient pénétré par un soupirail dans la cave.
— Attendez ! leur demanda-t-elle. Je cherche l’endroit par où le fil internet entre dans cette maison.
Aube accéda à la vision des lignes d’énergie que lui avait apprise Éfflam. Elle voyait les ondulations produites par les appareils à déconnecter. Elle pouvait remonter à leur source, suivre les impulsions électriques le long des câbles, comprendre l’installation et trouver son point faible, son arrivée, le fil qui sortait de terre, venant du trottoir.
— Je l’ai ! exulta-t-elle.
Elle donna des indications précises de lieu aux musaraignes.
— Coupez le plus profondément possible !
Les redoutables incisives entrèrent en action. Rien ne pouvait leur résister. Aube ressentit les ondes s’éteindre les unes après les autres. Celles du téléphone au rez-de-chaussée des œuvres de la fouine. Puis toutes les ondes radio et wi-fi de la maison sous les coups impitoyables de son armée de rongeurs. Elle se sentit soudain plus légère.
« Attention. Je perçois de l’agitation dans la maison. »
Le geai s’inquiétait. En effet, Aube pouvait sentir les occupants en mouvement.
— Hé ! Y a plus de télé ! cria quelqu’un.
— Et plus de connexion sur mon PC ! s’inquiéta un autre.
— Qu’est-ce que c’est encore que ça ?
Le brouhaha de ces pensées humaines soudain agitées parvint jusqu’à Aube.
— La cuisine ! cria-t-elle. Sors de la cuisine !
Aube venait de percevoir l’intention d’un adulte de pousser la porte de la pièce où la fouine était en train de sectionner l’alimentation du second chargeur.
— Ah ! hurla le père de famille. Qu’est-ce que c’est que cette horreur ?
La fouine, aussi surprise que lui, courut le long du mur. Dans sa fuite, elle précipita le téléphone portable sur le sol où il éclata. Elle fonça sur la chatière et s’écrasa le museau contre le volet en plastique. L’aimant le maintenait à nouveau fermement en place.
— Oh, pardon ! s’excusa Aube.
Elle avait oublié de conserver la perturbation du champ magnétique. Elle ne contrôlait pas tout. La fouine fila entre les pieds de l’homme.
— Par la porte devant toi !
Aube cherchait un accès vers la cave. Si la fouine parvenait à rejoindre les rongeurs, elle était sauvée. Ils pourraient s’échapper ensemble par le soupirail. La fouine se figea soudain. Devant elle, se dressait un gros matou imposant. Ils se jaugèrent un instant, lui les poils hérissés, elle le corps tendu en arc de cercle. Elle fit volte-face une seconde avant qu’il ne se précipite sur elle.
— Il y a une autre porte à droite !
La fouine, poursuivie par le chat en furie, fit irruption dans le salon. Toute la famille stupéfaite se mit à hurler et à s’agiter en tous sens.
— Le téléphone sans fil ! s’exclama Aube.
Elle avait senti la machine. Voilà qu’elle la localisait dans la pièce principale au milieu d’humains hystériques et d’une course-poursuite improbable entre un animal sauvage acrobate et un chat domestique rapide et puissant.
— Sur le meuble devant toi ! précisa-t-elle.
Aube gardait l’espoir de sortir la fouine de là tout en terminant la mission.
« Je voudrais t’y voir » grincha l’animal. « Ils ne me laisseront jamais le temps de couper ce câble-ci. »
— Saute ! ordonna Aube.
Instantanément l’animal comprit ce qui passait par la tête de la fillette. La fouine évita l’être humain qui était sur son chemin. Elle sauta d’un bond sur le meuble et marqua un temps d’arrêt pour s’assurer que le félin était encore capable de la rejoindre à cette hauteur. Le chat malgré sa panse remplie de pâtée n’avait rien perdu de sa superbe. D’un bond, il se retrouva sur le meuble bousculant tout sur son passage. Le téléphone sans fil valdingua et explosa en morceaux par terre au milieu des débris d’un vase, des pièces d’un échiquier et d’une pile éparpillée de papiers importants.
— Dans le mille ! exulta Aube.
Elle ressentit la fin des émissions de l’appareil ciblé, tandis qu’elle suivait la progression de la fouine. Celle-ci empruntait un passage le long d’un tuyau pour changer d’étage et descendre à la cave. Le chat, un peu sonné et surpris par les réactions hostiles et courroucées de ses maîtres, était incapable de la suivre. Hors d’état de nuire. Même si l’idée lui était venue de sortir pour tenter de couper leur retraite, cette fois Aube avait gardé son attention sur le champ magnétique de l’aimant. Tant qu’elle le déciderait, personne ne passerait par cette chatière. Ses petits compagnons revenaient déjà en courant vers elle à travers le beau gazon vert. Succès sur toute la ligne !
« Oh si seulement Éfflam pouvait voir ça ! » pensa-t-elle. « J’espère que ça va aussi pour eux. »
« Bravo, mes amis ! » résonna une voix familière dans sa tête.
« Éfflam ? Tu m’entends ? »
« Je n’en perds pas une miette ! »
« Comment ça va ? Je m’inquiète pour Noé. »
« Tout se déroule comme prévu » dit-il. « Mais je te laisse à tes pensées, j’ai besoin de toute ma présence ici. Rendez-vous au jardin suivant. »
« Bonne chance, Éfflam ! »
« La chance n’existe pas. Seul existe ce que quelqu’un a choisi de faire exister. »
Aube était abasourdie. Ils pouvaient communiquer par la pensée à distance. C’était extraordinaire ! Bien mieux que n’importe quel téléphone !
Ces derniers chapitres fonctionnent très bien.
La révolte est en marche. Je trouve ça bien de faire plus participer Noémie.
L'intrusion dans la maison est bien décrite, on n'imagine sans mal le chaos provoqué et la panique.
Ce qui me trouble un peu ce sont les pouvoirs conséquents d'Aube, ils semblent sans limite et se manifestent très rapidement, et pour le moment on n'a aucune explication.
A bientôt pour la suite:)
Encore merci à toi !
Je suis vraiment enchantée par ce chapitre! J'aime que le petit plan de sabotage ne se déroule pas tout à fait comme prévu. Qu'il y ait des hauts et des bas qui les poussent à devoir se surpasser pour parvenir à leur but!
Et la discussion avec Efflam à distance, oh je pense que ça va beaucoup les aider pour la suite!
Comme toujours, un très grand bravo!