Chapitre 25 : Je ne veux pas avoir à t'enterrer

Comme nous l’avions prévu la veille, nous devions rejoindre Cosmo et Cirrus en soirée. Chelsea me congédia chaleureusement et je remontai donc dans ma chambre pour le reste de l’après-midi. Il neigeait à gros flocons dehors et le vent hurlait depuis la veille. Heureusement qu’Ether et moi étions rentrées avant que la tempête n’arrive. La chambre était presque plongée dans l’obscurité. Je grimpai dans le lit et tirai les couvertures jusqu’à mon menton.

        J’avais laissé les rideaux ouverts, et la faible lueur du soleil pénétrait par tous les carreaux. Je me redressai et braquai le regard sur la fenêtre. Elle semblait glaciale et très fine, et de petites toiles de gel s’étaient formées sur certains carreaux, mais la couverture en fourrure me réchauffait les jambes. Je ne pouvais pas voir le jardin de la ferme, seule une ligne au loin qui pouvait être la cime des armes.

        Tandis que j’examinais les montagnes au loin, une ombre vola juste au-dessus en tournoyant dans le ciel obscur. Je lâchai un hoquet de surprise et observai cette silhouette aux ailes massives et à la longue queue sinueuse. L’espace d’un instant, le ciel fut illuminé quand un énorme jet de flammes perça l’obscurité.

        Je me redressai et me précipitai vers la fenêtre.

        Je retins mon souffle. Un dragon. Ils existaient donc.

        J’avais entendu dire que plein de créatures similaires vivaient hors des grandes villes. Mais avec la rupture des trêves entre les nations, les bandits et autres animaux sauvages qui vivaient dans les contrées lointaines, personne n’osait s’aventurer en dehors des villes. Moi-même, je ne passais que peu de temps à l’extérieur, étant donné que mon travail se faisait principalement en agglomération. Lorsque j’avais voyagé entre Odium et Specter, on m’avait toujours fourni une page de Chronotone* pour me déplacer.

        J’avais vu plein de petites bestioles hideuses dehors, les trolls étaient tout en haut de la liste. Çe ne m’avait pas surprise de tomber sur ce cadavre dans la forêt il y a quelques jours. J’étais aussi OK avec une secte de religieux effrayante. J’avais même accepté l’histoire des reliques et d’une cité abandonnée remplie de renégats. 

        Mais un dragon ? C’était une autre histoire. Qu’est-ce que mon voyage me réservait d’autre, des vampires et des loups-garous ?

 

 

 

        —  Putain, geint Cirrus. On se les gèle là, c’est quoi ce délire ?!

        Il était environ dix-huit heures et nous suivions Cosmo en frissonnant sur les hauteurs de Sumeru. Il avait neigé toute la journée, et à présent, la poudrière recouvrait tout l’environnement. 

          La beauté sombre et cristalline des lieux me subjuguait et le soleil couchant tâchait le monde neigeux d’époustouflantes teintes or et pêche. Mon souffle formait de petits nuages autour de mon visage. Le vent me pinçait la peau, et je me réchauffais avec mes bras, prise de frissons. Mes pieds commençaient déjà à geler dans la neige, et l’humidité s’infiltrait à travers le tissu de mes baskets. 

       — C’est vrai que le froid a frappé d’un coup, ces deux derniers jours, commenta Cosmo.

       — La dernière fois qu’il y a eu des délires de dérèglement climatique, ç’a fini en fin du monde.

        Cosmo leva les yeux au ciel.

        — Un mois de décembre dans le nord, à quoi tu t’attendais ? le charria-t-il.

        Ils continuèrent à débattre sur les températures et les climats hivernaux tandis que je me tournais vers Ether. En la regardant, je vis qu’elle ne s’en portait pas mieux. Je pouvais bien sûr me réchauffer puisque j’avais l’élément Huo, mais je détestais l’utiliser à tout va. Nous allions en plus combattre une armée de fanatiques, ça serait gaspiller mon Afflux. Mais en voyant Ether trembler, je soupirai et m’approchai d’elle.

       — Tu peux te réchauffer, lui dis-je en lui tendant ma main. 

        Elle la regarda, perplexe. Je pris sa main dans la mienne et elle frissonna en écarquillant les yeux.

        — C’est toi qui m’a donné l’idée, lâchai-je.

        Son cerveau semblait tourner au ralenti. Après quelques instants, elle percuta.

        — Ah, oui, sourit-elle. Tu en as de la chance. Tout ce que je peux faire, moi, c’est cramer les gens.

        J’esquissai un sourire. 

        — Ç’a ses avantages.

        — Hum, fit-elle. Seulement si c’est délibéré. 

        Cirrus s’arrêta au bord d’un genre de précipice et sortit des jumelles. Cosmo en profita pour se tourner vers nous et sortir deux choses de sous sa cape noire : Un petit sac en papier et un thermos. 

        Je le lui pris des mains pour m’emparer de ce petit bout de chaleur et inhalai l’odeur du café frais. Bon Dieu que ça faisait du bien.

        Je bus une gorgée et sentis enfin mes circuits se réactiver. 

        Je le donnai à Ether qui lâcha ma main avant de boire à son tour avec un soupir de soulagement. Elle me regarda.

        — Tu te sens mieux ? Par rapport à ces deux derniers jours, je veux dire. 

        Étrangement, je n’avais pas eu de symptômes depuis hier soir. Le médicament que j’avais pris devait faire effet, ou alors mon corps avait éliminé la toxine. J’avais une préférence pour la deuxième option.

        — Ça va mieux, lui répondis-je. C’était passager.

        Elle me dévisagea.

         — Tu en es sûre ? (Elle secoua la tête.) Tu devrais quand même prendre le temps de totalement récupérer. Et si tu fais un malaise ?

        Je haussai un sourcil en retenant un rire.

        — Quoi ? 

        — Non, rien, fis-je.

        Elle roula les yeux avec un sourire.

        — Allez, dis-moi ! Qu’est-ce que j’ai encore dit ? 

        — … Que j’allais faire un malaise.

        Je ne voulais pas jouer à la mystérieuse et j’avais répondu avec sincérité. J’étais convaincue que ma réponse était claire et répondait à sa question. Mais en voyant son expression impassible, les yeux légèrement plissés comme si elle essayait de comprendre la théorie des cordes, le regard perturbé, j’éclatai de rire.

         Je me ressaisis immédiatement et m’éclaircis la gorge. Je ne réussis pas à effacer mon sourire.

        — Je ne fais pas de malaises, expliquai-je.

        Elle leva les sourcils.

        — Jamais ?

        Je secouai la tête.

        — Jamais.

        — Alors que tu manies deux éléments ? insista-t-elle.

        Je hochai la tête. Elle réfléchit en se massant la nuque. Curieuse, elle se retourna vers moi.

        — Comme tu manies le feu, pourquoi tu ne te réchauffes pas ? 

        — Je ne sens rien, confiai-je. Comme quand je lance des jets de flammes. Sauf si je décide d’augmenter ma température corporelle.

        Elle réfléchit en refermant le thermos.

        — Se brûler à chaque fois ne serait pas pratique, j’imagine.

        — Et toi, demandai-je. Tu sens quelque chose ? 

        Elle secoua la tête. 

        — Je ne suis même pas censée pouvoir faire ça.

        —  Pourquoi ? 

        — Tu manies le Huo toi aussi ? demanda Cosmo en nous tendant le sac en papier rempli de viennoiseries.

        Je sortis un croissant à la confiture de mûre et croquai dedans.

        Ether secoua la tête.

        — Non c’est… La relique qui fait ça.

        Cosmo ouvrit la bouche, incrédule, et baissa les yeux sur son cou, là où le médaillon se trouvait, caché par son manteau camel.

        Il leva les index en l’examinant.

        — Tu portes un artefact, et il te donne des pouvoirs ?

        Elle me jeta un coup d’œil.

        — En quelques sortes. Mais il ne devrait pas.

        — Je te le fais pas dire, confirma-t-il. Il ne devrait vraiment pas. Je veux dire, les artefacts sont de l’énergie condensée, scellée dans un objet. Si tu arrives à l’utiliser…

        — …C’est que ça déconne, finit Cirrus qui baissait ses jumelles. La troupe de mauvais joueurs n’est toujours pas là. C’est chelou, non ? 

        Je fronçai les sourcils et m’avançai vers le bord. Il me tendit les jumelles.

        En dessous, se dressait un immense temple tout en pierre, avec des arches qui semblaient s’élever jusqu’aux étoiles. La neige recouvrait le sol et les pierres. Si les cathédrales du Moyen Âge faisaient deux fois leur taille actuelle et étaient à l’abandon dans des terres gelées pendant des siècles, c’est exactement à cela qu’elles ressembleraient. 

        Mais personne en vue. 

        — C’est bizarre, intervint Cosmo qui regardait sa tiare en fronçant les sourcils. Ils sont censés être tous là-bas.

        — Ah ouais ? fit Cirrus. Fais voir.

        Il prit la main de Cosmo et se pencha vers la tiare, Ether en fit de même. Ils froncèrent alors tous les deux les sourcils et relevèrent la tête avant de se pencher sur le bord. Ils se regardèrent.

        — Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Ether.

        — Ils ont une cape d’invisibilité ? fit Cirrus.

        — Ils ont laissé leur tiares ? hésita Cosmo.

        Je fis passer mon regard sur tout le long de la cathédrale avant de m’arrêter net. 

        — Ou alors, ils sont morts, déclarai-je.

        Ils se tournèrent vers moi et je tendis la paire de jumelles à Ether.

        — Près du clocher, lui dis-je.

        Un type était pendu, les boyaux au vent.

        — Oh, purée… C’est comme au port.

        Je regardai Cirrus et Cosmo.

        — Je pensais que c’était vous.

        — Quoi ? demanda Cosmo.

        Cirrus leva un sourcil puis percuta.

        — Attends, les pendus aux tripes à l’air c’était pas toi ?

        Je secouai la tête.

        Cosmo eut une expression horrifiée.

        — Il y avait des gens pendus les tripes à l’air et je n’ai pas vu ça ? Où est-ce que j’étais ? s’exclama-t-il en se tournant vers Cirrus.

        — Tu ne regardes jamais devant toi, je te l’ai toujours dit.

        Ether soupira lourdement. Je la comprenais. Qui que ce soit, il avait reproduit le même schéma. Et nous devions quand même descendre.

        

        — Faites attention, nous avertit Cirrus qui ouvrait la marche.

        Dans le temple, la lune s’infiltrait par les fenêtres en ogives ouvertes, et le plafond délabré qui s’étirait au-dessus de nos têtes faisait penser à la cage thoracique brisée d’un monstre de pierre. Des statues habillaient certaines alcôves, et les vastes colonnades étaient habillées de milliers de figures divines, de démons et d'animaux sacrés. Les inscriptions et les sculptures murales dépeignaient des scènes de la vie quotidienne, des batailles épiques, des rites religieux et des divinités que je ne reconnaissais pas. 

       — Où est-ce qu’on est ? demanda Ether dont le teint commençait à virer au vert. 

        Je haussai les épaules.

        — Je n’en ai pas la moindre idée.

        — Le temple d’Angkor Wat, répondit Cosmo dont la voix raisonna. Il est en état très avancé de ruines. Il pourrait s’effondrer à tout moment.

        — …Parfait, fit Cirrus qui avançait en suivant les directives de Cosmo.

        J’observais les alentours. Des stalactites pendaient de partout, cristaux scintillant d’argent. Des plantes épineuses mangeaient les murs, figées par le froid, mais l’effet était terrifiant et captivant à la fois. Je me tournai vers Ether.

        — Tu ne devrais pas avancer plus que ça, lui conseillai-je. Tu risques d’être malade.

        — Ça va aller. La relique est encore loin. (Elle chercha quelque chose du regard.) J’étais tombée beaucoup plus bas.

        Elle alla près de Cosmo et se pencha vers la tiare.

        — On va vers la bonne direction, annonça-t-elle. Mais il faut descendre. Je m’arrêterai si je n’en peux plus, ajouta-t-elle en me regardant.

        Cosmo acquiesça.

        — S’il faut descendre, redoublons de vigilance, nous dit Cirrus. À part le cadavre du clocher, on n’en a trouvé aucun autre. Ça veut dire qu’ils sont tous en dessous.

        — Je crois avoir vu des escaliers pas loin, intervint Cosmo.

  

       Nous le suivîmes jusqu’à un sanctuaire. Les escaliers étaient dissimulés derrière un mur épais, dont un immense support gisait à présent au sol. L’accès aux sous-sols devait être restreint et caché par ce qui était autrefois un passage secret. Cependant, à la manière du mur, les escaliers s’étaient effondrés. Je me penchai vers le bord à la recherche d’un moyen de descendre quand ma vue se brouilla. Le vertige me saisit alors que mes jambes flageolantes menaçaient de céder. Je reculai brusquement alors que mon coeur battait la chamade.

        — Ça va ? demanda Cirrus qui m’avait vue.

        Ether et Cosmo se retournèrent.

        — Tu recommences à te sentir mal ? s’inquiéta Ether en venant vers moi. C’est le poison ?

        Cosmo écarquilla les yeux et foudroya Cirrus du regard.

        — Comment ça le poison ? Tu ne lui as pas donné d’antidote ? 

        Cirrus blêmit.

        — Je—

        — Ce n’est pas le poison, le coupai-je en me massant les tempes. J’ai le mal de l’air.

        Ether se détendit et soupira.

        — Le mal de l’air… C’est vrai que tu as le mal de l’air.

        — Et je lui ai donné l’antidote, se défendit Cirrus. Pour qui tu me prends ? 

        — Vous pouvez descendre en rappel. On peut accrocher une corde autour de ce pilier, fis-je en désignant la colonne à quelques mètres de nous. Elle devrait tenir.

        — Devrait ? hésita Cosmo.

        — Elle a bien survécu à plusieurs siècles.

        — Si on la pète, on entrera dans l’histoire, lâcha Cirrus.

        — Quand même pas…

        J’ouvris mon sac et en sortis la corde que Jia Mei m’avait conseillée. Je fis le tour de la colonne et interceptai le regard inquiet d’Ether avant de me pencher et de faire un double nœud.

        — OK, ça devrait suffire, annonça Cosmo en tirant plusieurs coups sur la corde. Tu es sûre de vouloir qu’on passe devant ? On peut très bien rester et trouver un autre chemin.

        Je secouai la tête.

        Je ne pouvais pas dire qu’il n’y en avait probablement pas d’autre, pour les pousser à descendre sans moi. Ça aurait l’effet inverse. 

        — Il y a toujours d’autres passages. Et il vaut mieux se séparer pour couvrir plus de terrain. On ne sait pas ce qu’il y a en bas.

        Ether s’avança.

        — Raison de plus pour rester ensemble. Si une relique est conservée dans le sous-sol dissimulé d’un immense temple en ruines, elle sera sûrement bien gardé. Tu feras comment si tu te casses un os ? On n’a même pas de quoi communiquer.

        — Relax, Ethereal, intervint Cirrus en plaçant son bras autour de ses épaules. Elle n’est pas en sucre. Et elle en a connu d’autres, j’ai pas raison ? ajouta-t-il avec un clin d’œil à mon égard.

       Je jetai un coup d’œil qui gigotait, toujours peu convaincue. On n’avait jamais parlé du "Ethereal" je n’avais pas relevé lorsque Vanessa l’avait appelée ainsi, c’était… surprenant comme prénom.

        — C’est plutôt à toi de faire attention, répliquai-je. La dernière fois que tu t’es approchée trop près de cette relique, tu as morflé

        Elle grommela quelque chose d’inintelligible tandis que je hochai la tête à l’intention de Cosmo qui acquiesça.

        — Toi qui as voyagé avec elle, tu devrais savoir qu’elle peut se débrouiller, dit-il. Allez, on a besoin de toi. Faut y aller.

        Je mentirais si je disais que je ne m’inquiétais pas pour elle, alors j’étais touchée qu’elle le soit pour moi.  

        — Je m’en sortirais, lui dis-je alors que Cirrus s’apprêtait à suivre Cosmo.

        — À tout à l’heure Jay-Jay, pas de bêtises ! lança Cirrus.

       Je levai les yeux au ciel.

       Ether attendit qu’il descende avant de le suivre à contre cœur. J’attrapai la corde, au cas où.

       — Si tu ne le sens pas, rentre, lâcha-t-elle.

       — Bien sûr, répondis-je sans conviction.

       — Je ne veux pas avoir à t’enterrer.

       Ses yeux sondèrent les miens, et elle descendit. Lorsque je n’eus plus senti de pression sur la corde, je la relâchai.

        Je trouvais qu’elle dramatisait un peu. En quoi est-ce que ce que nous faisions aujourd’hui était-il plus risqué que nos anciennes aventures ? En plus, je ne me sentais plus aussi mal que la veille. Le médicament que j’avais pris était un concentré d’opium et de morphine semi-synthétique, il faisait très certainement encore effet. 

        "Cette fille est la mort, elle te tuera" Mon œil.

        Je regardai autour de moi, maintenant seule. J’espérais que tout se passe sans accrocs, je ne voulais pas que les craintes d’Ether soient avérées. Elle avait raison bien assez souvent comme ça.

        Je baissai les yeux vers l’ouverture qu’ils avaient empruntés et ma vision se troubla à nouveau.

        — OK…, murmurai-je. Pas par là.

        Par où est-ce que j’allais passer, moi ?

        Le temple était immense, il y avait certainement d’autres passages "secrets" ou, au moins, d’autres escaliers. Peut-être dans d’autres sanctuaires ou dissimulés dans des salles principales. À première vue, je dirais que le sous-sol servait aux prêtres et aux initiés pour des genres de cérémonies religieuses. 

        Le seul soucis était que le temple était gigantesque, j’espérais ne pas avoir à fouiller indéfiniment. Ça faisait des jours et des jours que je me la donnais au maximum, j’espérais, au moins cette fois, voir la lumière au bout du tunnel.

        Il faisait à présent nuit noire. À en juger par la lueur qui brillait plus bas, Ether, Cosmo et Cirrus avaient sûrement trouvé de quoi s’éclairer. Je ne savais pas si c’était une bonne idée que j’en fasse de même. Ça ne me rendrait que plus visible, que ce soit par le Culte, ou les types qui étaient en train de les massacrer.

        — Oh, et puis tant pis, fis-je en créant une sphère lumineuse.

       Je n’allais pas, en plus, me battre avec les murs.

       J’avançais au hasard, mes pieds foulant le sol irrégulier et craquelé. Les colonnes délabrées se dressaient comme des sentinelles déchues, leurs silhouettes sombres se détachant contre le ciel nocturne. 

        Le silence qui y régnait était presque palpable, seulement interrompu par le murmur du vent qui s'engouffrait entre les fissures des murs et les branches des arbres environnants. Ce qui était d’autant plus inquiétant compte tenu de la situation. Je savais que quelque chose finirait par me tomber dessus, j’attendais juste ce moment. Évidemment, j’adorerais que tout se passe comme sur des roulettes, mais mon expérience ne m’avait pas habituée à ça.

        Une fois, lorsque j’avais onze ans, j’étais allée me doucher au petit matin. Je m’étais retrouvée avec un chevreuil en plein milieu du couloir. 

        La fois où j’ai nagé dans la rivière pour la première fois, deux personnes se livraient à un ébat des plus hallucinants.

        Le jour où j’ai failli me faire ce qui ressemblait le plus à une amie, mon père est décédé.

        Maintenant que j’y repensais, je me demandais ce qu’elle était devenue, cette fille. Je n’avais pas beaucoup de souvenirs d’elle, mais elle ressemblait assez à Dreleia. Bavarde, imprévisible, beaucoup trop souvent hilare. Les enfants avaient-ils accès à l’ecstasy ? 

        Je crois qu’elle était rousse, c’était le seul trait qui me revenait en tête. J’espérais que sa vie avait pris un meilleur tournant que la mienne et, qu’au lieu de trainer dans la crasse et la poussière un Dimanche soir sous le froid, elle était dans son lit, devant la télévision. Qu’est-ce qu’elle me manquait, ma télévision…

        J’avançais dans les couloirs peu commodes du temple, à scruter les environs à la recherche d’un moyen descendre, lorsque je m’immobilisai. Un cri raisonna plus loin devant moi.

        — C’est pas vrai ! hurla quelqu’un.

        Un autre cri s’en suivit, et le silence régna. 

        Je me replongea dans l’obscurité en avançant prudemment. Au moins maintenant, j’étais fixée, je n’étais pas seule. J’espérais juste que, qui que ce soit, il était uniquement avec moi et pas en bas avec Ether et les autres. Je tournai à l’angle en enjambant ce qui ressemblait à une passerelle qui s’était décrochée du plafond. Des bâtonnets lumineux scintillaient devant moi, quelqu’un les avait allumés pour éclairer la pièce. Je balayai du regard ce qui ressemblait à une ancienne salle de stockage avant de remarquer un coulis terne ruisselant sur la pierre à mes pieds. Une désagréable mais familière odeur métallique pénétra mes narines. 

        Je levai les yeux et grimaçai.

        Une femme était empalée par la bouche à un crochet métallique, son corps suspendu dans les airs dans une posture macabre. Son visage était tordu par la douleur et ses yeux grands ouverts exprimaient une terreur indicible.

        Le métal scintillait sinistrement dans la faible lueur des lampes. Je ne voyais rien autour de moi, je ne me sentais même pas observée. Je fis tout de même circuler un maximum d’Afflux dans mes mains. Contrairement aux autres cadavres que j’avais vus, ses intestins étaient encore en place, et le corps était encore chaud. 

        Les crimes des tueurs en série suivent toujours un schéma bien défini, répétant systématiquement les mêmes modus operandi. C’est ce qui définit leur signature. Ce qui voulait dire que la personne qui avait fait ça allait revenir. Je n’étais pas là pour lui, alors je n’allais certainement pas camper ici. 

         Mais… S’il était seul et que je l’éliminais, alors ça nous ferait une menace en moins, et plus de liberté pour chercher dans les sous-sols.

        Je scrutai les environs. Avec cet endroit à la limite de l’effondrement, j’étais plus qu’à découvert. La pièce avait au moins neuf angles morts, sans compter les décombres. Il y avait donc de grandes chances pour que cette personne m’ait vue. Je ne savais pas s’il s’en prenait uniquement aux membres du culte, mais dans le doute, je devais partir du principe qu’il m’attaquerait aussi. Et si on suivait son mode opératoire, alors il me traquerait très certainement. Je le cueillerais à ce moment là.

        Au même moment, des bruits métalliques, des fracas et des cris raisonnèrent. Je me précipitai hors de la pièce et remarquai qu’ils provenaient de l’étage du dessus. Je suivis les hurlements jusqu’à ce qui devait être la salle de culte principale.

        — Y en a un autre ! On fout le camp, vite ! hurla une voix d’homme.

        — Maghla, attention ! 

        — Merde !

        Des scintillements électriques éclairèrent l’orée de la pièce.

        — C’est bon, je m’en occupe ! cria une femme.

        Un autre cri de douleur raisonna dans la temple. Des halètements étouffés, des coups de feux et ce qui ressemblait à… un grognement animal. 

        Je me faufilai entre deux piliers effondrés. Je vis plusieurs silhouettes, suspendues à des lustres, d’autres qui gisaient au sol. Trois autres personnes se tenaient au centre de la pièce, et deux autres un peu plus loin.

        — Mais qu’est-ce que tu fous, bordel ? Faut que tu—

       Une silhouette de femme se jeta sur lui. Dans un hurlement strident, il fut trainé sur la pierre froide du temple, laissant derrière lui des traces de sang sombres, avant de disparaître dans l’obscurité. 

        Au milieu du chaos, les deux personnes au centre de la pièce reculèrent en se tenant la main. Je me penchai un peu plus en plissant les yeux pour distinguer l’apparence de l’autre personne qui se tenait plus loin d’eux. 

        Je passai en dessous d’un tuyau de canalisation, mais en l’attrapant, celui-ci céda dans ma main.  Le bruit n’avait pas été assez fort pour qu’on m’entende, dissimulé par les hurlements environnants. Je contournai donc les gros amas d’obstacles pour avoir un meilleur angle de vue. Je me tenais près d’un genre de galerie, le mur qui la séparait de la salle de culte principale s’était érodé, c’était par là que l’autre type avait été entraîné. Je penchai la tête, et de là où j’étais, je vis les deux personnes reculer lentement avant de sprinter jusqu’à la fente du mur derrière eux, sans voir la personne qui leur faisait face un peu plus tôt. 

        Je fronçai les sourcils et me tortillai un peu plus. Mon regard balaya la pièce, mais je ne voyais rien, celle-ci avait l’air vide. Le contraste entre le brouhaha et le chaos d’il y a quelques minutes et le calme régnant à présent me donna la chair de poule. Je me redressai et passai devant les décombres derrières lesquelles je me cachais, en détaillant la pièce. 

        Ma curiosité me poussa à m'approcher davantage, contournant les débris avec prudence. C'est alors que j'entendis un son étrange, à mi-chemin entre un souffle guttural et un grondement bestial. Je me retournai brusquement, découvrant une silhouette à l'apparence semi humaine émerger des ténèbres. Mes membres se figèrent, mes yeux écarquillés fixant l'abomination qui se dressait devant moi. C'est à cet instant que je réalisai que ce temple recelait des horreurs bien plus sombres que ce que j'avais pu imaginer.

 

 

 

        

 

        

        

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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