Chapitre 26 : Le seigneur Dimiogíus

        Il était maigre et ses membres émaciés étaient tordus dans des angles improbables, comme s'ils avaient été brisés puis mal réparés Son corps d’une pâleur cadavérique, alors qu’il se déplaçait sur l’amas de débris, avait l’apparence d’un assemblage dépareillé de membres et de chair humaine. Il s’avança vers moi d’un pas pesant en tendant vers moi un doigt épais, ses yeux vitreux fixés sur moi avec une avidité insatiable. Au bord de l’hallucination, je vis que son autre bras, pâle et mince, se terminait par des ongles —lames acérées— rouge vif. 

        — Une goule, murmurai-je.

        La monstruosité avait toujours les yeux braqués sur moi, comme si elle attendait que je bouge pour mieux me déchiqueter. J’avais entendu dire que le plaisir était dans la chasse, pas dans la capture. Je ne pensais pas vivre cet aphorisme un jour. 

        J’avais suffisamment d’Afflux dans la main. Je bougeai imperceptiblement les doigts, et d’un coup sec, relevai le bras en faisant jaillir un rayon lumineux. Au même moment, le monstre bondit, son long bras prêt à me propulser dans les air comme un moustique. Mes flammes le touchèrent de plein fouet et il alla balayer les obstacles derrière lui en s’écrasant sur le mur qui tangua sous le choc.

        Comme s’il ne s’était rien passé, sans aucune égratignure, la goule se releva et fonça à nouveau  droit sur moi. Cette fois, j’envoyai une bourrasque d’air qui la fit à peine reculer. Très bien, cette chose était coriace. Malgré l’impact, elle en était sortie indemne. Sa peau devait donc être plus résistante qu’il n’y paraissait. Pour pouvoir la poignarder, je devais réussir à ramollir cette espèce de carapace qui la protégeait.

       Je tendis les bras devant moi. Je concentrai un élément different dans chaque bras et les dirigeai sur l’espèce de zombie qui me chargeait à nouveau, une expression sinistre, dévoilant ses dents pointues, sur le visage. 

      Mes flammes triplèrent de puissance et l’envahirent, mais elle continua d’avancer. J’augmentai mon Afflux et la puissance de chaque élément en agrandissant le champ d’attaque. Mes doigts se crispèrent. Une vague de chaleur monta en moi alors que je canalisais l'air et le feu, les fusionnant pour créer une flamme d'une intensité sans précédent. Mes muscles se raidirent sous la tension alors que mes veines palpitaient sous ma peau tendue. Je serrai la mâchoire à m’en faire mal, le regard rivé sur la silhouette sombre de la goule qui avançait inexorablement. Bientôt, je ne distinguais plus que la lumière éblouissante des flammes et l’odeur écœurante de peau cramée.

        Je maintins cette position pendant une trentaine de secondes, jusqu’à ce que je n’entende plus le grincement des griffes de cette chose sur le sol en pierre. Puis, je relâchai le tout, pantelante. La sueur perlait sur mon front. Je fis apparaître deux lames Huo en regardant la fumée se dissiper. 

        Lorsque l’écran de fumée eut disparu, je la vis, étendue au sol.

        La peau carbonisée par les flammes émettait de drôles de crépitements. Je tentai de lutter contre mon envie de m’en rapprocher alors que les bouts de peau brûlées semblaient se recoller les unes aux autres, cicatrisant lentement sous mes yeux incrédules. Les traces de feu qui avaient ravagé son corps semblaient s'estomper, comme si la goule absorbait la chaleur pour se régénérer. Ses membres se dépliaient progressivement, retrouvant une certaine rigidité, tandis que ses yeux vides me fixaient avec une intensité glaciale. C’était du délire, qu’est-ce que c’était que ce truc ?

        Alors qu’une lueur de crainte commençait à se faufiler à l’idée qu’aucune de mes attaques ne fasse effet, mon corps se raidit. Je plongeai au sol au moment où quelque chose se jetait sur moi à toute vitesse. J’esquivai de justesse. En levant les yeux, je vis qu’il s’agissait d’une autre goule, perchée sur le mur, celle qui avait entraîné l’homme dans les galeries. C’était bien ma veine. 

        Je baissai les yeux sur celle qui se trouvait au sol. Sa peau retrouvait peu à peu sa lividité. Je n’avais déjà obtenu aucun résultat avec une seule goule, alors deux ? 

        Mon regard se porta alors instinctivement sur le corps pendu au lustre juste au-dessus de moi. Je n’avais pas peur de la mort, mais j’avouais que celle-ci me déplaisait tout particulièrement.

        Je jetai un coup d’oeil à l’entrée qui menait aux galeries. Il y avait de grandes chances que je me perde, mais je serais toujours moins à découvert que là où je me trouvais en ce moment. Et puis, tant que les semer était une option, je la choisissais avec plaisir. Pas besoin de gaspiller plus d’Afflux inutilement.

        La goule devant moi bougea son bras. Sans plus de réflexion, mes jambes bougèrent d’elles-mêmes. Je m’enfonçai immédiatement dans les galeries obscures du temple, ignorant les bruits sinistres qui semblaient résonner dans les couloirs. Des cris gutturaux résonnaient derrière moi, m'indiquant que les goules étaient à ma poursuite. 

        Mon cœur battait la chamade, mes muscles tendus comme des cordes prêtes à rompre. Les murs semblaient se refermer autour de moi, me pressant dans un étau infernal. 

        Les galeries étaient plongées dans l’obscurité, seule la faible lueur de la lune qui filtrait avec difficulté à travers les fissures des murs luttaient pour éclairer les couloirs. Je plaquai mon corps derrière un pilier de pierre. 

        Mon souffle était anormalement court alors les courbatures commençaient à envahir mon corps. Je fermai les yeux et un bourdonnement raisonna dans mes oreilles. C’était bien le moment, ce foutu médoc avait bien calculé son coup avant d’arrêter de faire effet. Comment est-ce que j’étais  sensée me tirer d’ici ? Les tenir éloigner n’était pas un problème, mais si je continuais à les attaquer, je m’épuiserais bien plus vite que ces choses. 

       Après un moment de patience, le silence pesait lourdement autour de moi, mais je savais que les goules n'étaient pas loin. J’inspirai et sortis du pilier en éclairant assez le bout de mon doigt pour voir autour de moi.

        — Où est cette maudite sortie, grommelai-je en regardant autour de moi.

        Tout ce maudit temple était en ruines mais ils allaient me faire croire qu’il n’y avait aucun autre moyen de descendre ?

        Dans le couloir sombre, chaque pas résonnait comme un écho sinistre. La lueur vacillante de ma flamme projetait des ombres dansantes sur les murs de pierre, accentuant l'atmosphère oppressante qui régnait autour de moi. Les bruits sourds et menaçants des goules derrière moi raisonnaient au loin, mais je n’entendais personne d’autre. 

       Je me retournai brusquement lorsqu’un craquement à ma droite retentit. Je braquai la main sur ce que je croyais être une goule. 

        — Attends, attends, attends, je t’en prie, haleta une petite blonde, plus jeune que moi. Ne me tue pas ! 

        Je regardai derrière elle.

              — Où est le type qui était avec toi ?

         — Il n’y a que moi, murmura-t-elle en baissant les yeux. Tous les autres sont morts. Les monstres les ont tués.

        — Est-ce que tu connais un moyen de sortir d’ici ? lui demandai-je.

        Elle secoua la tête et ses yeux se remplirent de larmes.

        — OK…, soupirai-je. Ne restons pas là. Il faut continuer à avancer.

        Elle m’emboîtant le pas en me collant un peu trop à mon goût. Elle portait la même tenue que les autres membres du culte qui l’accompagnaient. Toute cette histoire pour un soit-disant objet divin.

        J’espérais sincèrement que les autres allaient bien. Lynx et Juniper n’auraient pas été de trop. Ou Aeden. Oui, Aeden ç’aurait été super.

        Avançant avec précaution dans l'obscurité, nous nous frayâmes un chemin à travers les dédales de couloirs. Chaque intersection ressemblant à la précédente dans un labyrinthe sans fin. Finalement, nous arrivâmes à un croisement, où plusieurs passages s'offraient à nous dans trois directions.

        — E-Et maintenant ? demanda la fille qui leva la tête vers moi.

        — C’est quoi ton nom ? 

        Elle cligna des yeux en frottant son bras.

        — Maghla…

        — Eh bien, Maghla. Je ne sais pas, répondis-je en reportant mon attention sur les couloirs.

        — Q-Quoi ? Mais… On doit partir d’ici ! lâcha-t-elle d’une voix suraiguë qui me fit grimacer. Je ne connais pas les plans de ces galeries !

        Je regardai derrière nous.

        — Baisse d’un ton, tu veux. Avant qu’on y reste.

        J’éclairai le plafond. Il n’y avait aucune ouverture par laquelle je pouvais faire passer Maghla. Et je n’étais pas bienveillante au point de faire un détour pour elle. J’avais une obligation : Rejoindre Ether. Et je n’allais pas faire de détours inutiles pour ça.

        Très bien… C’était précisément la mentalité à ne pas avoir.

        — Vous êtes venus récupérer la relique, non ? fis-je en me tournant vers elle. C’est en bas qu’elle se trouve. Je t’aiderai à monter à condition que tu me fasses descendre. Tu dois bien connaître ce temple un minimum.

        Elle écarquilla les yeux en resserrant son emprise sur son bras. Elle baissa les yeux en scrutant les environs.

        — Tu veux descendre en bas alors qu’il y a ces… cadavres ambulants ?

        — Ouais, lâchai-je. 

        Elle réfléchit à toute vitesse.

        — Si…Si tu nous fais sortir d’ici, je te conduirai à la sortie de secours, céda-t-elle. Les escaliers se sont tous effondrés et je ne sais pas où mènent les brèches, alors on ne peut pas—

        — Marché conclu, la coupai-je en prenant le chemin le plus à droite. Et tu ferais mieux de tenir parole. 

        Elle flancha alors que je la regardais par-dessus mon épaule.

        — Sinon je te donne à manger aux goules, conclus-je.

        

 

 

 

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        Dans les couloirs sombres, je voyais ma flamme s’agiter, il y avait donc un courant d’air devant nous; nous suivions le bon chemin. Tant mieux, parce qu’à présent, même mes blessures recommençaient à me lancer. Comme si on m’avait jeté un sort, tous les éléments étaient réunis pour causer ma perte. J’essuyai la sueur qui perlait sur mon front. Même le fait d’avoir ouvert mon manteau en pleines températures négatives n’arrangeait pas les choses.

        — Tu vas bien ? demanda Maghla à voix basse, agrippée à mon bras. Tu es blessée toi aussi ?

        — Aussi ? répétai-je en la regardant. 

       Elle frotta son bras gauche derrière son dos.

        — Tout à l’heure, quelqu’un a crié ton nom. Tu t’es faite attaquer ?

        Elle hocha timidement la tête.

        La lueur de la flamme faisait danser les ombres autour de nous.

        — Ça me fait un peu mal, mais ça va, avoua-t-elle doucement, comme si ça lui coûtait de l’admettre. Je m’en sors plutôt bien au vu des circonstances…

        Elle n’avait pas fini dépecée, c’était déjà ça, c’est vrai.

        Nous pas raisonnèrent sur le sol en pierre pendant plusieurs mètres. Et elle ne cessait de m’observer.

        — Quoi ? lâchai-je sans la regarder. 

        — Tu as dit que tu cherchais la relique, hésita-t-elle. Tu n’as pas l’air d’une Marginale. Qui t’es alors ?

        Je levai un sourcil en la dévisageant. Elle pencha la tête sur le côté, curieuse. J’étais plus surprise par le fait qu’elle ne me connaisse pas que celui de me prendre pour une "Marginale".

        — Quoi, vous n’avez pas la télévision dans votre secte ?

        —  On n’est pas une secte ! protesta-t-elle un peu trop fort à mon goût — Mon regard dut en dire long parce qu’elle flancha avant de baisser les yeux. Pardon… Mais, nous préférons le terme "Cabale". Et non, nous n’avons pas de télévision, marmonna-t-elle. Nous n’utilisons pas d’objets corrompus.

        Corrompus ? Comment pouvait-on corrompre un poste télé ?

        — Pourquoi ?

        — Nous… rejetons les objets modernes parce qu’ils sont les symboles de la corruption de notre monde. Ils nous détournent de la voie de la pureté et de la spiritualité, récita-t-elle, une lueur de dévotion dans les yeux. En vivant simplement et en nous détachant de ces artifices, on préserve notre connexion avec la nature et avec Dieu. Les technologies modernes sont des distractions, des tentations qui éloignent les âmes des véritables valeurs. Notre foi nous enseigne à nous méfier de ces artifices et à nous concentrer sur ce qui est essentiel pour notre salut spirituel.

        — Quand tu dis "Dieu" tu parles de…

        — Du Seigneur Dimiorgíus, oui, affirma-t-elle avec fierté, toute trace de peur à présent dissipée.

        Je battis des paupières en reportant mon attention sur les couloirs sombres. Me concentrer sur son charabia était une épreuve. Mais je devais en savoir plus sur ce groupe. Même si Cosmo en faisait partie à l’époque, je craignais que ses connaissances soient on ne peut plus obsolètes. Non pas que lui je ne lui aie jamais dit ça en face.

        — Puisque tu es une fidèle aussi dévouée, pourquoi est-ce que tu abandonnes ta "mission spirituelle" en laissant cette fameuse relique juste pour fuir les goules ? 

        Elle secoua vigoureusement la tête. Ses cheveux blonds dansant autour d’elle.

        — J-Je ne fuis pas, bégaya-t-elle en resserrant son emprise sur mon bras, comme si elle revenait sur Terre.

        Bah voyons.

        Elle prit une grande inspiration pendant que ma flamme s’agitait vers un autre sens. Nous empruntâmes le chemin de gauche. Vivement qu’on s’en aille.

        — M-Mon devoir est de protéger notre communauté des dangers qui pourraient découler de cette mission, dit-elle avec ce qui pourrait s’apparenter à de la conviction. Si ça signifie laisser la relique dans ce temple, alors soit. Je fais confiance à la volonté de Notre Père et à Sa sagesse pour me guider vers le bon chemin

        — Il t’a guidée vers des monstres cannibales, répliquai-je. Connu mieux comme Dieu.

        — Ce sont mes propres actions et mes propres péchés qui m’ont menée ici. Notre Père m’offre la grâce et la miséricorde, mais je dois aussi faire preuve de discernement et de sagesse dans mes choix. Accuser Notre Père de mes erreurs est une insulte à Sa grandeur et à Sa bonté infinie.

       Sa bonté infinie, carrément. J’étais face à un cas d’endoctrinement extrême. C’est vrai que je ne connaissais pas ce Dimiorgíus mais traiter la technologie d'apôtres de Satan me semblait un peu démesuré.

        — Dans ce cas, pourquoi ne pas rester ici expier tes fameux pêchés comme tes camarades au lieu de rester collée à moi ? demandai-je en levant un sourcil.

        — Parce que même si j'ai péché, même si j'ai commis des erreurs, je ne suis pas prête à abandonner tout espoir de rentrer, dit-elle avec force en serrant le poing de son bras blessé. Je crois en la rédemption et en la possibilité de me racheter et de faire de meilleurs choix à l’avenir. Et si je peux rendre la pareille à quelqu’un d’autre, alors je le ferai. On a tous besoin d'aide parfois, et je suis reconnaissante que tu sois là pour me tendre la main. Ensemble, on a une meilleure chance de survivre et de trouver la rédemption.

        — Je ne recherche pas la rédemption, la corrigeai-je en sentant une brise caresser mon visage; nous étions proches d’une sortie. Dommage, tu perds ton temps avec moi.

         Je m’arrêtai et plissai les yeux à la recherche d’une quelconque lumière. Je jetai un rapide coup d’œil aux environs : Je ne voyais rien. J’éteignis ma flemme et remarquai une faible lueur devant nous. 

        Je m’approchai d’une fente assez large pour y faire passer une personne. Le sol et le mur s’étaient effondrés mais les débris étaient suffisamment éloignés les uns des autres. Si nous descendions par là, nous pourrions arriver jusqu’à l’étage d’en dessous, je m’occuperai de dégager les décombres une fois au bout. Il suffisait juste de ne pas être claustrophobe. 

        — Je passe devant, annonçai-je en m’accroupissant. Reste près de moi et fais attention à là où tu mets les pieds. Garde le rythme.

        Au moment de me faufiler, Maghla m’attrapa la bras.

        — On a tous quelque chose à se faire pardonner, me dit-elle gravement. Et personne n'est condamné à une seule voie. On a tous le pouvoir de changer, de nous réinventer, de choisir un nouveau chemin. Je ne te connais peut-être pas et tu as peut-être un passé sombre, mais ça ne signifie pas que tu es condamnée à rester dans l'obscurité pour toujours.

        Nous nous regardâmes quelques instants avant qu’elle ne se décide à me lâcher. Elle recula pour me laisser de l’espace, la main sur son bras blessé. Je pris une profonde inspiration en secouant la tête. Secte de mes deux et leurs fichus discours spirituels.

        Je me faufilai avec difficulté entre les débris de pierres et regrettai immédiatement le Chili con carne de Chelsea. Je retirai mon manteau qui ne faisait que me faire suer encore plus et forçai le passage. Avant de complètement m’engouffrer, je lançai à Maghla :

        — On m’appelle Jaïna. Et je ne suis pas une "Marginale", je suis une tueuse à gage.

 

 

 

 

 

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        Notre descente nous prit presque une heure. J’entendais Maghla haleter derrière moi et je la comprenais. Je n’avais pas spécialement peur des lieux renfermés, mais je n’en pouvais plus. Entre la chaleur, ma transpiration, mon mal de tête et mon épaule ainsi que ma jambe qui me lançaient, j’avais songé à faire une pause un milliers de fois. Mais au bout d’un moment, lorsque nous sentîmes à nouveau la brise, Maghla se tut et je ne l’entendis plus. Elle s’était même mise à accélérer la cadence. 

        Lorsque nous arrivâmes à un cul de sac, je réussis à faire bouger la roche qui bloquait le chemin sans avoir recours à mon Afflux. Je me précipitai à l’extérieur en prenant une grande inspiration. Bon sang que ça faisait du bien. Je fus prise de frissons mais j’avais l’impression que ça calmait ma fièvre.

        Nous étions de retour au premier étage, mais je n’avais pas exploré cette partie du temple avec les autres. Nous devions être dans les quartiers résidentiels des prêtres et des moines.

        Derrière moi, Maghla tomba à genoux, à bout de souffle, les mains sur le sol terreux. Je m’accroupis face à elle.

        — On a réussi, lui dis-je. 

       Elle ne me répondit pas et se contenta de trembler, là, pantelante.

        Je regardai derrière moi. La lune brillait en face de nous et les nuages dansaient paisiblement. Il n’y avait pas à dire, c’était une belle nuit. Le genre de nuits dont les gens profitent, posés sur leurs terrasses à siroter un thé avec leur familles. Normales. Pas des gangsters, pas des politiciens, pas des tueurs. Juste leur famille.

       Je me retournai vers Maghla. L’espace d’un instant, je me mis à me demander quel âge elle pouvait avoir et ce qu’il s’était passé pour qu’elle finisse membre d’un mouvement religieux aussi extrémiste. Je fermai les yeux. Tout le monde était mort, si elle s’enfuyait, personne ne le saurait, si ?

        Je portai ma main à son front, elle était brûlante. En baissant les yeux vers son bras blessé, je vis que des lambeaux de chair pendaient autour d’un obscur trou béant. Ces choses avaient dû lui arracher l’avant bras et c’était en train de s’infecter. 

        Je me relevai et me tournai vers la lune lumineuse. Maghla m’imita finalement en déglutissant. 

        — Si tu passes par là, tu devrais avoir une vue dégagée sur le temple et te tirer d’ici en vitesse, annonçai-je en m’approchant du bord. C’est un peu haut mais il y a assez de supports pour t’aider. 

        — Quoi ? Mais je ne t’ai pas encore montré la sortie de secours, protesta-t-elle.

        — Tu voulais que je te fasse sortir, et c’est fait, répliquai-je. Va-t-en avant que je ne change d’avis.

        Elle secoua la tête, en fronçant les sourcils.

        — Tu m’as aidée et j’ai promis d’en faire de même. Je compte bien tenir parole.

        Je me frottai l’arête du nez en regrettant de plus en plus ma chambre.

        — Ce n’était pas toi qui tremblais et qui voulais à tout prix t’en aller parce que "je ne suis pas prête à abandonner tout espoir de rentrer" ? la citai-je.

        — J’ai aussi dit que je souhaitais saisir cette chance qui m’est accordée pour faire de meilleurs choix à l’avenir, protesta-t-elle en clignant des yeux, comme si elle luttait pour rester concentrée. Peut-être que j'étais effrayée, mais je refuse de laisser la peur dicter mes actions. On est confrontées à une situation difficile, mais la force de caractère ne se mesure pas à l'absence de peur, mais à la capacité de faire face malgré elle.

        Je levai les yeux au ciel en massant ma nuque brûlante. Maghla s’efforçait de me regarder méchamment mais elle n’y arriva pas très bien. Je louais quand même son effort.

      — Très bien, concédai-je en frottant mon épaule dans une grimace. Inutile de me réciter un autre passage de votre Bible.

       — Des textes sacrés.

        — Quoi ?

        — On a les textes sacrés de Notre Père, corrigea-t-elle. Pas la Bible.

        Super. Ils en avaient vraiment.

 

      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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