Calé au fond d’une chaise, les bras croisés sur ma poitrine, je patiente avec Tim et Luna le retour de Louis qui est parti se renseigner sur l’état d’Anna. Alors que je me reposais dans ma tente après une nouvelle nuit blanche, Isis a subitement débarqué pour m’annoncer le malaise de ma sœur. C’est en arrivant devant l’infirmerie que Louis m’a amené chez son chef pour que celui-ci m’informe de la situation. Depuis lors, nous attendons. Mon regard survole l’endroit où je me trouve et atterrit sur Luna qui marmonne dans un coin en se rongeant les ongles. Tim pour sa part consulte une carte de la zone entourant la base, mais je remarque à ses fréquents coups d’œil vers l’entrée qu’il est loin d’être calme. Les tissus de la tente s’écartent brusquement et Louis pénètre dans le lieu. Mon cœur manque un battement quand je découvre l’air grave qu’il aborde. Luna se relève d’un bond.
- Alors ? s’exclame-t-elle.
- Anna est hors de danger, nous apprend-il.
La tension s’allège instantanément, toutefois nous constatons vite que Louis est loin d’en avoir fini. Celui-ci poursuit :
- En revanche, elle a besoin de beaucoup de repos.
- Tu sais à quoi ce malaise est dû ? s’enquiert Tim.
- Le Projet combiné à du surmenage selon Tiphaine. Elle est furieuse contre toi. Ce n’est la première fois qu’Anna se trouve au bord de l’épuisement. Tu lui en demandes toujours beaucoup trop.
Le ton de reproche qu’il emploie suffit à faire comprendre qu’il partage l’avis du médecin du camp.
- Je sais, se contente de lui répondre son chef, las. Et j’en paye désormais les conséquences. Combien de temps, il lui faudra pour récupérer ?
- Une bonne semaine, si pas plus.
- Tim, sans Anna pour mener l’attaque demain, on a vraiment un gros problème, intervient Luna. On est trop avancé dans les préparatifs, impossible de retarder l’opération.
Ce dernier ne réagit pas, le regard perdu dans le vide.
- Tim, tu as entendu ce que je viens de te dire, insiste sa nièce après un long silence. Et cette fois-ci avec Orso qui est allé à la rencontre de nos alliés, on ne peut pas compter sur lui pour s’en occuper.
L’irritation apparait sur les traits de son interlocuteur.
- Tais-toi un peu. Je sais tout ça. Laisse-moi un instant pour trouver une solution.
Une certaine fébrilité me gagne. Il se pourrait que vu la situation, on accède finalement à ma demande. Je me lève à mon tour et me rapproche. Le regard de Tim se pose sur moi.
- Je t’avertis tout de suite, Hans. C’est non.
Mes espoirs retombent au plus bas en entendant sa remarque.
- Je suis pourtant l’un des plus qualifiés pour cette expédition, marmonné-je.
- Peut-être, mais Gleb a été catégorique. Pas de mission tant qu’il n’a pas trouvé ce que ce Vincent Kuntz t’a injecté.
Peu de temps après ma visite au camp secondaire, Gleb nous a fait parvenir les analyses de ma prise de sang. Le moins que l’on puisse dire c’est que loin de me donner des réponses, son diagnostic m’a rendu plus perplexe qu’autre chose. Il ne fait aucun doute que ce que Vincent m’a injecté a un lien avec mon état. Reste à savoir à quoi cela est dû.
- Tu pourrais faire une exception cette fois-ci, insisté-je. Ma dernière crise commence à dater.
Je me tourne vers Luna et Louis en espérant avoir leur soutien, toutefois en croisant leur regard dur je comprends que je ne dois rien attendre d’eux.
- Ma réponse est non, tranche Tim. Et elle le restera.
- Ne le prend pas mal, rajoute Louis, hésitant. Mais tu ne sembles pas très en forme ces derniers temps.
L’amertume me gagne et pourtant, j’aurais beau le nier, je ne peux que lui donner raison. Lors de ma toilette matinale, j’ai bien vu mon reflet dans l’eau. Les joues creuses, le teint blafard et les yeux cernés de noir, j’ai l’air plus mort que vif. Désormais, la maladie a bel et bien déposé son empreinte sur moi. Je peux encore m’estimer heureux de ne pas endurer les malformations. Chaque jour, c’est avec une rigueur obsessionnelle la peur au ventre que j’inspecte les moindres parcelles de ma peau dans l’espoir de ne rien découvrir. Jusqu’à aujourd’hui, cela fut le cas, malheureusement, il se peut que ce ne soit qu’un sursis. Contrarié par la remarque du rebelle, je ne réponds rien et me détourne de lui pour reporter mon attention sur Tim qui semble avoir eu une idée.
- Louis, je te prie par avance de m’excuser, mais c’est toi qui prendras la place d’Anna.
Bien que déçu par la décision, je ne peux qu’approuver ce choix. Louis ne cesse d’affirmer qu’il préfère être un suiveur, je trouve pourtant qu’il a toutes les qualités pour diriger. De nature calme, il sait analyser et agir vite en cas de problèmes. La seule chose qui le différencie de Tim, c’est qu’il est trop gentil. Louis finit par s’avancer après un moment de réflexion.
- Si c’est ce que tu souhaites, je la remplacerai. Toutefois, il nous manquera alors une personne si nous voulons garder le groupe de trente. Cela dit, il ne devrait pas être trop difficile de trouver quelqu’un.
Son supérieur se tait un instant avant de proposer :
- Et pourquoi ne pas demander à Isis ?
- Hors de question ! m’exclamé-je aussitôt en cœur avec Luna.
Nous sommes fusillés du regard.
- Ça suffit vous deux ! On en a déjà parlé. Isis n’est plus une enfant. De plus, elle nous a amplement montré ses aptitudes et qualités depuis son arrivée.
- Peut-être, mais elle ne connait rien à la réalité du terrain, le contré-je.
- Et elle commence à peine à maitriser correctement les bases du corps à corps, rajoute la sœur d’Elena. C’est beaucoup trop tôt.
- Tu es dur, intervient Louis. Elle a largement dépassé le niveau en combat de certains d’entre nous. Cette fille apprend vite et bien. N’est-ce pas toi d’ailleurs, Hans, qui se félicite de ses progrès.
- En effet, mais c’est loin d’être suffisant.
- Je comprends que vous vous sentez responsable d’elle soupire Tim. Cependant, dès l’instant où elle nous a rejoints, elle a accepté les risques.
Il détourne ses yeux de nous pour revenir à son autre interlocuteur.
- Qu’est-ce que tu en penses, Louis ?
- Je n’y vois aucun inconvénient, reconnait son subordonné. Je suis certain qu’elle nous sera d’une grande aide. Après, avant d’arrêter une quelconque décision, nous devrions lui demander son avis. Je rejoins quelque peu Hans. Elle n’a jamais pris part à ce type de mission et pourrait perdre ses moyens.
- Exactement, approuvé-je vivement. Elle doit encore prendre de l’assurance avant d’endosser ce…
- Néanmoins, me coupe Louis. La surprotéger n’est pas la chose à faire. Si vous passez votre temps à la tenir à l’écart du danger, elle risque de ne pas prête le jour où elle se retrouvera face à l’ennemi. Voilà ce que je te propose Tim. Si elle accepte, elle restera avec Yvan pour monter la garde en attendant le retour du groupe d’infiltrés. Cela lui permettra de se familiariser à ce type d’expédition sans être trop exposé.
Son supérieur hoche la tête.
- Va me la chercher, Louis. Plus vite ce point sera réglé, mieux ce sera.
L’instant d’après, nous nous retrouvons à nouveau au nombre de trois sous la tente. C’est Luna qui brise le silence en première.
- C’est de la folie, Tim. Souviens-toi des pertes de la dernière fois. Des personnes, beaucoup plus expérimentées qu’elle, n’en sont pas revenues. Ce n’est pas une balade que nous organisons, mais un raid contre des militaires d’élite.
- Je persiste à penser que c’est trop tôt, déclaré-je en soutien à la jeune femme. Même si elle ne sera pas au cœur de l’action, son rôle n’en est pas moins crucial. Savoir se battre ne fait pas tout.
- Pratiquement tout le monde dans ce camp a connu sa situation, soulève-t-il. Par ailleurs vu qu’elle n’est pas contaminée par le Projet, elle représente un atout non négligeable pour nous.
- C’est une erreur, Tim, affirme Luna catégorique.
- Laissez-moi mettre les choses au clair vous deux, déclare notre interlocuteur après un énième soupire. Isis n’est pas la dette que vous devez avoir vis-à-vis d’Elena.
Je m’apprête à riposter, mais il me prend de vitesse :
- Je ne remets pas la sincérité de votre inquiétude pour elle en cause, néanmoins cette surprotection n’est pas anodine. Je ne vous blâme pas, toutefois, je vous conseille d’arrêter d’être à ce point égoïste. Si Isis mérite d’être épargnée, tous ici doivent l’être. Andy était bien plus jeune quand il a fait sa première expédition. Madeleine et Sandro sont beaucoup moins doués qu’elle pour se défendre, mais cela n’en fait pas moins des combattants d’exception. Je vous le répète, Isis, a décidé de son plein gré d’adhérer à notre cause. La confronter le plus tôt à la réalité du terrain est la meilleure chose à faire. Faites-lui un peu plus confiance. À vous entendre, elle est déjà morte. Il n’y a pas pire comme mauvais présage.
Luna ouvre la bouche pour riposter, mais d’un geste je lui fais comprendre que c’est inutile. Je croise les prunelles marron de notre supérieur. Il sait qu’il a raison et me met au défi de le démentir. Ce serait faire l’autruche que d’affirmer que je ne fais pas ça pour Elena. Seulement, il m’est impossible d’oublier à quel point, ma compagne voulait que son aide de camp survive à tout ça et puis je dois avouer que durant ses deux mois passés dans le camp rebelle, j’ai fini par m’attacher à elle. Je devrais me sentir honteux de privilégier la vie d’Isis au détriment des autres rebelles, cependant, voilà, je refuse de perdre une personne à qui je tiens. À côté de cette vérité, il y a autre chose qui m’inquiète. Je connais Isis et sa témérité. Tim aura beau dire qu’elle ne sera pas en première ligne, cela ne m’étonnerait pas que la jeune fille n’en fasse qu’à sa tête si elle se laisse envahir par ses sentiments. Je me tourne vers Luna. Il n’y a qu’à elle que je peux demander ça. Toutefois, avant que je ne puisse ouvrir la bouche, les pans de l’entrée s’écartent à nouveau. Louis pénètre dans la pièce suivie de près par Isis quelque peu inquiète. Tim se redresse le sourire aux lèvres.
- Approche, Isis. J’ai une proposition à te faire.
Son interlocutrice obéit en silence. Son attention se pose sur moi et un sourire un peu crispé apparait sur son visage. L’instant d’après, elle est focalisée sur le chef rebelle qui s’est placé à ses côtés.
- Je serais direct, annonce-t-il tout de go. Nous avons besoin d’une personne supplémentaire pour le raid de demain. Veux-tu te joindre à eux ?
Pendant de longues secondes, Isis, le teint soudain pâle, le contemple en silence, complètement perdue. À l’évidence, elle doit se demander si elle n’a pas rêvé ce que l’on vient de lui proposer.
- Moi, participer au raid de demain, finit-elle par bafouiller.
Luna et moi échangeons un regard entendu. C’est bien ce qu’on disait, c’est trop tôt. Rien que l’idée la terrifie. Tim ne semble pas remarquer son trouble et insiste :
- Tu ne veux pas ?
- Mais pourquoi moi ? demande-t-elle dans un couinement.
- Nous estimons que tu as toutes les qualités requises. Tes derniers progrès avec Anna et Hans nous ont convaincus que tu avais désormais ta place dans ce genre de mission.
Isis se tourne vers moi comme si elle espérait un assentiment de ma part. Me doutant que ma contrariété d’être ainsi utilisé pour le persuader s’entende dans ma voix, je me contente d’un hochement de tête. Je suis contre d’envoyer la jeune fille là-bas, mais ce serait insultant pour elle que de rejeter ses efforts. À mon grand désarroi, elle semble reprendre du poil de la bête et revient vers Tim.
- Si vous m’en croyez capable, j’accepte.
Le sourire du chef s’élargit.
- C’est super de te l’entendre dire !
- Quel sera mon rôle ?
- Étant donné qu’il s’agit de ta première expédition, tu resteras avec le groupe d’Yvan pour monter la garde pendant que les deux autres escouades menées par Luna et Louis s’introduiront dans la base.
L’enthousiasme de son interlocutrice semble retomber quelque peu.
- Je n’irais donc pas à l’intérieur ?
- Pas cette fois-ci, non. Crois-moi, ce sera déjà suffisamment éprouvant comme ça. Autre question ?
Elle secoue sa tête de droite à gauche.
- Très bien ! Dans ce cas, Luna va t’expliquer le plan.
La sœur d’Elena s’avance à son tour.
- Attends-moi dehors, Isis. Je dois encore deux mots à Tim, déclare-t-elle les dents serrées.
Après un ultime salut, la jeune fille tourne les talons et sort de la tente. Luna se campe devant son chef.
- Je vais te faire confiance, encore une fois, mais retiens bien une chose, Tim, c’est la dernière fois que tu me forces la main de cette manière.
Celui-ci ouvre la bouche pour répondre, toutefois sa nièce souhaitant avoir le mot de la fin fait volte-face. Avant qu’elle n’atteigne l’extérieur, je m’empresse de la rattraper.
- Je te la confie, murmuré-je.
Je croise ses pupilles.
- Tu peux compter sur moi.
Puis sans un regard en arrière, elle nous quitte.
"cependant, voilà, je refuse de perdre à une personne à qui je tiens. " il y a un petit "à" en trop, non ?
"- Je te le confie, murmuré-je." Il parle d'Isis ? Si c'est le cas, c'est la, non ? Sinon il parlait du fait qu'il confiait Tim à Luna ? J'avoue, ça m'a perdu.
Sinon, nous allons enfin pouvoir voir Isis faire ces preuves. J'espère que tout ira bien pour elle. Mais j'ai peur que la mission ne se déroule pas comme prévu. Je comprends aussi pourquoi ils mettent Hans de côté, mais je comprends aussi la frustration de Hans à ce sujet. C'est dur de se sentir plutôt comme un poids que comme une aide.
Je suis contente de voir que ce chapitre fonctionne. J'espère que la suite continuera à te plaire. En tout cas, merci de ton soutien pour cette histoire ! :-D