Chapitre 3

Par Pamiel

 

Ce n’était qu’un anti-douleur. 

Passé sa déception première, Loup avait enseveli Helvet sous les questions. Comment le préparait-on ? Quels effets bénéfiques pouvait-on en attendre ? Pour quelle durée ? Au lieu de répondre, la marchande avait poussé le jeune mage hors de la chambre, dans le couloir chuchotant. 

« Tu sembles rétabli, avait-elle remarqué avec le sourire. Patiente ici pendant que je travaille. »

Et elle avait refermé la porte. 

Adossé contre le mur, Loup notait ses observations dans son grimort. Ronger son frein ne le dérangeait pas vraiment. Il avait appris à canaliser son angoisse en petites tâches utiles, et la fébrilité ressemblait beaucoup à une énième forme d’anxiété. Faire des listes point par point l’apaisait.

Mettre la main sur l’élixir préparé avec la mysée ne représentait pas seulement une raison de plus de chercher à s’allier aux Sorboristes. L’objectif possédait un écho intime pour Loup, une volonté personnelle de s’emparer de ce savoir. En fonction de son efficacité curative, Florian pourrait peut-être s’en servir. Quitter son statut d’apprenti greffier qui ne lui allait pas. Voyager.

La pression de cette idée se superposa à la petite fille aux lésions dans son esprit. Impossible de l’en écarter. Elle devait en pâtir chaque nuit, trop atteinte pour respirer à nouveau la mer un jour. Elle délogerait cette chambre à son dernier souffle. Ils tisseraient de sa couette un linceul. Comment pouvait-elle sourire si grand ? Et pire, pourquoi l’avait-elle réconforté ?

La culpabilité lui remonta au cœur. Face à ce qu’elle vivait, son malaise frisait le ridicule. Côtoyer des malades, ceux qui n’affrontaient la fin qu’au temps du silence, la nuit à l’Institut, avait toujours exacerbé son sentiment de décalage. Il les écoutait supplier, enfant. Se demandant pourquoi il souhaitait s’arrêter alors qu’eux désiraient vivre.

Aujourd’hui, une promesse le soudait à l’existence.

Tu rumines encore, mon prince ?

Loup étira un sourire. Sous son rapport, une phrase venait de se matérialiser.  Florian ! Il relut les mots en imaginant le ton railleur de son ami. Sans s’en rendre compte, il avait gribouillé un cercle dans la marge, tic récurrent de ses crises d’angoisse. Florian le taquinait souvent à ce sujet ; il ajouta d’ailleurs quelque chose, les lettres se traçant au rythme de sa main, par-delà la fragile étoffe du monde. 

Espèce de truffe.

Loup se retint d’éclater de rire. Il jeta un coup d’œil autour de lui, puis répliqua.

Je ne vois pas de quoi tu parles. Tu n’es pas censé te tenir loin du grimort au rubis, depuis hier ?

Et perdre l’occasion extraordinaire de t’entendre râler ? Je n’allais pas manquer ça.

Comment tu fais pour éviter le professeur Rhael ?

Allez arrête, tu peux l’appeler oncle Jath maintenant. Ça lui fera plaisir.

Jamais de la vie !

Pour te répondre, mon père me surveille de près. Mais je me suis faufilé par les combles pour atterrir dans son bureau. Les vieux du Magistère me croient encore à la bibliothèque.

La plume de Loup vacilla un instant au-dessus du papier. Son cœur tangua, entre l’excitation de parler à Flo et son inquiétude. Ils se contactaient pour la troisième fois depuis son départ. Celle de la nuit dernière avait alerté le Magistère sur les agissements illégaux de Florian, à cause d’une crise violente de croquine. Les pages gardaient encore les traces de son sang. 

Ce qui n’empêchait pas ce dernier de recommencer et, pire, d’ignorer les dangers pour sa santé de flirter avec la magie.

Tu as tant besoin que cela de tromper l’ennui ?

Remarque prudente. Loup exprimait son désaveu sans le juger, évitant si possible de le braquer.

Tu n’imagines même pas. Comment ça s’est passé, sinon, avec ta Sorboriste ?

Loup abandonna avec un soupir. Oh tu sais, c’est formidable. J’utilise mon pouvoir pour lui rendre service et je termine dans un dispensaire, à moitié évanoui. Le talent à l’état pur.

Flo garda le silence une seconde avant de formuler sa réponse.

T’es stable ?

J’ai connu pire. 

Ce n’était pas peu dire. Un jour, Loup avait tenté de faire pousser une forêt dans la salle de classe d’un vieux professeur insupportable. Florian, son complice, avait répandu le terreau et l’eau tandis que Loup semait les graines de son méfait, prises à la ferme de sa famille, sur le parquet lisse. Ils riaient jusqu’au moment où le jeune mage s’était mis à convulser sur le sol.

Je dois me reprendre. Impossible que cette mission me file entre les doigts. 

Hm, elle finira par t’écouter. Tu es capable de convaincre n’importe qui du bien-fondé de tes intentions.

La formulation fit sourire Loup. Ce dernier souvenir n’était pas leur seul crime à l’Académie des mages. Nombre d’instructeurs avaient été rendus fous par leur duo inséparable, alors qu’ils renversaient les encriers, lâchaient des lézards sur les tables de travail et escaladaient les toits vertigineux. À leurs premières classes, ils avaient échangés leurs places et leurs noms par plaisanterie. 

Seul le cours du père adoptif de Florian, le professeur Rhael, ménageait un peu de calme aux autres enseignants. Parce que le mentor de Loup lui inspirait tant d’admiration que Florian n’osait pas déranger.

Alors… Il y a une petite fille qui a la croquine, dans la chambre où l’on t’a amené ?

Les chuchotements du couloir se perdirent dans un rétrécissement de secondes. Le jeune mage n’osait plus bouger. Flo lisait toujours ses rapports, avant de détourner l’usage des grimorts pour leurs échanges personnels. Cette fois-ci n’était pas différente. Loup se pinça les lèvres. La page resta un instant statique puis, lentement, d’autres caractères apparurent à sa surface.

Quelle amplitude ?

La plume de Loup se jeta sans réfléchir.

Au-delà du vivable. Dévorée.

Le silence envahit à nouveau le papier. Il ferma les yeux. Son cœur regrettait déjà d’avoir abordé le sujet. Pourquoi ne pouvait-il s’empêcher de communiquer sa détresse à Flo ? Son ami portait déjà le poids de sa propre malagie, il n’avait pas besoin d’entendre la gravité des symptômes d’une autre. Quand il releva les paupières, son renard avait laissé un mot pour lui au bord de la feuille. Le jeune garçon sut qu’il marquait la fin de la conversation.

Que la Lune veille sur elle. Et ta douceur aussi. 

Tous les sentiments contenus dans cette phrase firent frissonner Loup. Il contempla son grimort avec une étrange émotion dans la gorge. La porte du cabinet s’ouvrit à cet instant. 

« Tu fais quoi ? »

Helvet émergea de la chambre où elle s’était enfermée avec le guérisseur et la fillette. Loup essuya rapidement son visage avec la manche de sa veste.

« J’informe mes supérieurs de la situation, mentit-il. Le livre retransmet mes messages. C’est instantané. 

— Tu peux envoyer un mot à qui tu veux ? »

L’intérêt sur le visage de la jeune femme surprit Loup.

« Non. Mon diamant est relié au deuxième grimort que nous possédons, frappé d’un rubis. Il faut ensorceler les joyaux pour qu’ils servent aux échanges. »

Loup remarqua alors la fiole à l’aspect fragile qu’elle tenait serrée contre sa poitrine. Les volutes blanches de la potion figuraient les pétales blancs de mysée. Impossible de douter de sa provenance. 

Helvet remarqua sa convoitise.

« Nous avons réussi à extraire l’essence des fleurs. Viens, je vais te montrer ce que ton don peut offrir. »

Elle s’engagea dans le couloir la tête haute. Loup la succéda avec réserve. Il ne tenait pas particulièrement à s’enfoncer dans les dédales du lieu, par anticipation de ses mauvais souvenirs. Son regard vagabonda sur la multitude de portes. Ne pas penser à ce qu’elles renfermaient. Ne pas penser. Au bout de la galerie, Helvet franchit une arche voilée. Loup s’y glissa le cœur lourd après elle.

Le long de la salle, une succession de paravents dissimulaient des lits propres et des visages souffrants. La Sorboriste fonça parmi eux, vers une couchette proche de la baie vitrée. Loup traîna en arrière, s’efforçant de ne pas fixer les malades et se laissant porter jusqu’aux fenêtres par le parfum salé. La mer scintillait à l’horizon. 

Helvet s’était assise près d’une femme à qui il manquait la moitié d’une épaule. Son sourire illustrait la tendresse. Ses rares cheveux noirs s’écoulaient autour d’elle telle une rivière presque asséchée.

« C’est lui ? demanda-t-elle, ses mains entremêlées à celles de la marchande.

— Oui. En personne pour toi, Ma. Le garçon qui tourne autour de notre bateau depuis trois semaines !

— Il est exactement comme tu l’as décrit. Viens, approche, jeune loup. Je suis Saoun Luma, précédente Sorboriste du Maga. Ma fille a pris mon relais il y a maintenant quelques lunes.

— Seulement le temps de ta convalescence.

— As-tu passé un contrat ? continua Saoun en l’ignorant. Helvet veillera à honorer sa part du marché, tu peux lui faire confiance.

— Nous n’avons encore rien signé, Ma. »

Helvet porta la potion à son regard. La vision de la fiole entre ses mains fit pousser une exclamation à Saoun.

« De l’élixir de mysée, chuchota sa fille. 

— Par quel miracle ?

— Le sien. »

Loup broya la lanière de son sac. Son cœur s’emballa dans sa poitrine. La mère d’Helvet le fixa et les sentiments conflictuels de honte et de vive empathie qu’il ressentait en présence des malades se réveillèrent. Il baissa les yeux et entrevit la tendresse de la marchande envers sa parente ; elle lui caressa le dos de la main.

« Il est capable de faire fleurir, Ma. Tu vas pouvoir savourer une cuillère de plus cette lune. »

Elle la borda en remontant sur son visage le drap léger. La douceur de ce geste troubla Loup un instant ; il se détourna, mais vit Helvet approcher l’élixir de sa bouche. 

« Tout le monde va avoir cette chance, rajouta-t-elle. »

Un mouvement en périphérie de son regard attira Loup. La couverture avait glissé sur la hanche de l’aïeule. Le jeune mage contempla les affres de la disparie, se fit violence pour ne pas reculer. Helvet versa une goutte de potion sur la langue sèche de sa mère. Saoun but avec lenteur, puis poussa un long soupir et se rallongea.

Helvet la contempla avant de murmurer : 

« C’est l’unique soulagement qui existe au monde pour elle. »

Le visage de Loup se tendit. Il resta muet tandis que la force de ses sentiments lui chavirait l’âme. Florian. Avec une pousse de mysée et la recette de cet élixir, il pourrait soulager son ami. Lui permettre de fermer les yeux. De ne plus subir chaque nuit l’assaut de la douleur.

« La mysée permet aux crises de diminuer. J’ai gardé l’espoir de revoir ma mère marcher, reprendre la barre et la boutique, car notre bateau lui appartient. »

Le cœur de Loup se déchira ; il n’osa lui dire qu’à ce stade, sa mère ne verrait plus jamais la mer. Elle le savait forcément. Oserait-il lui proposer un marché, un échange dont les termes lui frôlaient les lèvres ? Helvet le fixa et se tut. Elle attendit.

« Il faut que je te parle de Florian. »

La marchande croisa les bras. Nous y étions. Elle se recomposa une expression et le froncement de ses sourcils renvoya Loup à la cale profonde du Maga

« Florian ? Ça m'a tout l’air d’être le nom d’un ami. Il me semblait que tu voulais, je cite, restaurer une alliance entre ta ville et les nôtres. En commençant par négocier un premier service, celui que j’ai choisi, ici.

— En effet. Ma mission consistait à... entrer en contact avec toi. Ouvrir des possibles et te laisser envisager ce qu’ils signifieraient pour nous tous. Peut-être même… conclure un accord avec l’ensemble des Sorboristes. »

Helvet haussa un sourcil.

« Pourquoi frapper à ma porte avec une raison pareille, petit ? Tu t’es engagé sur le mauvais navire. Je ne contrôle pas les opinions des miens et encore moins leur décision de pactiser avec un tiers.

— Car… »

Il se mordit la lèvre.

« Tu étais la plus accessible. »

La simplicité de sa réponse le surprit lui-même, mais il la savait vraie. 

L’intelligence de son professeur le frappa. Cette mission lui avait été confiée dans ce but. Jath désirait influencer Helvet depuis le départ, savoir si elle acceptait d’entrer en relation diplomatique avec eux, de devenir leur porte-parole auprès des siens. Et puisque Loup avait l’air plus jeune qu’elle, il devenait l’interlocuteur idéal pour l’amadouer.

Son mentor ne voulait pas qu’il amorce un contact puis rentre au Magistière comme un enfant bien sage. Il désirait qu’il mène la négociation pour lui.

Loup entendait parfaitement sa voix de velours le fustiger : 

« Qu’attends-tu pour prendre les rênes de ta vie, jeune loup ? » 

Oui, qu’attendait-il depuis trois semaines, à angoisser dans la chambre de son auberge en se croyant isolé ?

Étrangement, ce fut l’absence de bruit qui l’alerta. Il revint fixer son attention sur Helvet. La braise silencieuse allumée dans son regard émeraude le fit frissonner.

« C’est peut-être une illusion, gaora, mais je n’ai bizarrement pas envie de te contredire, cette fois. Je vais te conduire à ma tante. »

Elle lui sourit. Depuis le départ, elle ne cessait de le déstabiliser par son naturel bienveillant. Il n’y aurait pas d’autre occasion de reculer. Le garçon pouvait s’enfuir dès à présent, céder sa place à un mage plus compétent et plus expérimenté que lui, retourner à la tranquillité des murs de la bibliothèque. Le visage de Florian s’imposa à lui.

« Renoncer n’est pas une option. »

Helvet hocha la tête, satisfaite. Elle commença à se lever. Il allait s’écarter pour la laisser passer quand un scintillement attira son regard. 

À la fenêtre, une forme blanche envahissait l’horizon. Loup plissa les yeux. Des ailes s’esquissèrent les premières, leur pointe crochue éveillant en lui un sentiment d’urgence et de danger. La créature fusa vers les falaises à une vitesse irréelle. Avant que son rugissement féroce ne frappe les vagues, le jeune mage avait agrippé le bras du guérisseur. Sa voix aiguë saisit la salle entière à l’âme.

« FUYEZ ! »

Sans attendre de réaction, il souleva la mère d’Helvet dans ses bras – elle ne pesait rien, résultat de la croquine –, prit la main de la marchande et détala sans se retourner. Un deuxième grondement heurta le sol. Helvet cria quelque chose, mais ce fut inutile.

Une déflagration s’empara du mur, souffle ardent explosant les fenêtres et les lits. Une vague d’horreur s’empara des rares survivants. Loup fonça en ligne droite et émergea à l’air libre tel un lapin pris de folie.

Il se baissa d’instinct au moment où la bête jetait une ombre immense au-dessus d’eux. Nouveau rugissement. Cette fois, c’est une tour entière qui implosa. Des cris d’agonie suivirent l’atterrissage du monstre, sa lourde masse provoquant l’éboulement d’un pan entier du toit du palais. 

Pâle comme l’argent, la dragonne déploya ses deux ailes en croissant de lune et tendit son long cou vers les nuages. Elle ouvrit une gueule reptilienne où brûlait une fumée rougeâtre. Des pointes redoutables ondulèrent sur son dos.

« C’est quoi cette chose ? pesta Helvet en se redressant aussi vite qu’elle le pouvait.

— Une Wyverne, s’écria le jeune mage terrorisé. Attaque à vue. Impitoyable. Une espèce disparue !

— Elle m’a l’air bien vivante, cette saleté ! »

Loup puisa de la force dans le ton de sa voix. Ils portèrent Saoun ensemble sur le pont et s’éloignèrent des flammes. La foule fuyait. Des gens se bousculaient, pleuraient, se ruaient vers les quais du port. Leurs visages suintaient la peur et l’incompréhension. Dans la panique, Loup manqua perdre Helvet. Il la repéra au claquement de la voile du Maga. Helvet monta dans les cordages d’une seule impulsion, mais lui hésita.

« Tu veux nous abriter sur un bout de bois ? Elle crache le feu.

— Je n’ai aucune intention de me cacher, rétorqua la jeune femme avec hargne. Tu vas me dire quelle est sa faiblesse et je vais y retourner. Tuons ce machin ! Occupe-toi d’allonger ma mère dans la cabine.

— Je ne retourne pas là-bas. »

Sa voix avait perdu une octave. Il se tint immobile sur le plancher du navire, des souvenirs de brasier hantant sa mémoire. La marchande fit volte-face et fondit sur lui. Elle le saisit par les épaules, jucha son regard dans le sien et imprégna ses paroles de l’ardeur qu’engendre l’urgence.

« Petit, tu vas m’écouter. "Là-bas", ce sont les miens qui brûlent. Ma a eu la vie sauve grâce à toi. Je ne saurai jamais assez t’en remercier. Mais j’ai encore besoin de la force d’agir que tu m’as déjà montrée à deux reprises. Cherche-la dans tes tripes. Tu en es capable. Mets ma mère en bas, s’il te plaît. »

Elle le poussa dans le dos. Les bottes de Loup le portèrent d’elles-mêmes. Il descendit les escaliers de bois sans jeter un regard en arrière, ignora la cale plongée dans l’ombre, dépassa le comptoir et s’enfonça dans les profondeurs du bateau. Un rideau séparait la cuisine des quartiers personnels de la Sorboriste. Il le repoussa et pénétra dans la chambre. 

Parmi le désordre, Loup distingua un bureau, un lit et quelques coffres. Il déposa le corps endormi de Saoun sous le baldaquin. Elle remua à peine, si légère. Les images des nombreuses couchettes dévastées, des flammes léchant le bois et des cris arrachés du dispensaire s’imposèrent à lui. Au moins, aucun malade n’avait souffert, plongés dans le sommeil par l’élixir... 

La pensée de la petite fille enfermée dans la chambre au « sept » lui tordit les entrailles.

Il serra les dents. Entraîné par une volonté qui le dépassait, il pivota et remonta sur le pont. Helvet avait effectué un travail titanesque. De cordages en cordages, elle bondissait entre les mâts, ses chercheuses hululant derrière elle. La petite effraie s’empara serres ouvertes d’un sceau rempli d’eau. Loup resta un instant bouche bée sous la misaine. Puis il jeta un coup d’œil autour de lui, et la stupeur lui coupa le souffle.

Des dizaines, non, des vingtaines de bateaux aux voiles crépusculaires, le pont orné d’une figure de proue ailée, s’envolaient. Ils décollaient de l’eau comme des albatros à la lourdeur majestueuse. L’écume dégoulinait de leurs gréements. Tous brillaient de champignons bleutés sous la quille. Le jeune mage ne comprit que lorsque l’ordre d’Helvet retentit, impérieux.

« Mouillez les voiles ! »

La petite effraie poussa un cri strident en déversant le contenu de son sceau. Elle fut suivie par ses semblables, manœuvre parfaitement calibrée. Le tissu se gonfla, crissa, chanta : il ne fallut que quelques secondes pour que le navire tremble sur ses fondations et commence à s’élever. Il fut dans les airs en moins d’une respiration. 

Déjà, la trentaine de vaisseaux grinçait avec fureur. Loup eut la sensation qu’ils attendaient un signal. Au-dessus de la flotte, une ombre gigantesque investit alors le ciel et avala le soleil. Titan au milieu de ses sœurs, un trois-mâts d’apparence aussi vieux que le chêne se dévoila. Une femme âgée se tenait debout à son extrémité, un foulard d’or noué à son tricorne de cuir. Elle leva son sabre et le port entier se suspendit à son geste.

Le peuple la regarda avec un espoir rendu vif par la souffrance. Au-delà de l’enceinte principale, la Wyverne darda sur elle sa pupille fendue. L’armada flotta fébrilement entre le vent et les vagues.

« Sorboristes, préparez-vous à l’abordage ! Nous allons transformer cette bestiole en carpette et je m’en ferai des chausses pour dîner aux chandelles. Foi de Capitaine ! »

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louvemeraude
Posté le 02/01/2022
Bonjour Pamiel
Un chapitre qui nous éclaire un peu plus sur Loup et le fameux Florian.
Arrivée fracassante du dragon : Loup se révèle efficace !

Je noterais seulement que je ne rend pas compte des distances entre le lieu du dispensaire et les bateaux : ça a l'air assez proche mais je n'étais imaginé le dispensaire en haut d'une falaise.

quelques petites remarques de tournures et orthographe :
"trop atteinte pour respirer à nouveau la mer un jour"

trop atteinte pour respirer un jour à nouveau la mer ?

"Elle délogerait cette chambre à son dernier souffle." délogerait "de" cette chambre ?

"Des ailes s’esquissèrent les premières, leur pointe crochue"

leurs pointes crochues ?

A très vite dans ton univers
sifriane
Posté le 27/12/2021
Salut Pamiel,
Le mot qui me vient pour ce chapitre est pudeur.
Les histoires de Flo, la petite fille et Ma sont si tristes, pourtant tu restes toujours sur le fil, sans pathos, ni gêne du lecteur. C'est très bien écrit.
On n'a évidemment envie de lire la suite ;)
A bientôt
Pamiel
Posté le 28/12/2021
Salut Sifriane,
Merci beaucoup pour ton commentaire. ♥
Je suis heureuse que ces sentiments passent et vous atteignent de cette manière. La plus sincère possible. Merci !
Je te dis à bientôt, au détour des lignes.
Nanouchka
Posté le 13/12/2021
Bonjour Pamiel,

La fin de chapitre m'a fait rire, je me suis imaginée Loup marmonnant "non, alors, c'était pas le projet, c'est-à-dire que pas du tout, j'aimerais descendre". Et en même temps, totale fascination, parce que le combat va être épique.

Je suis une très grande fan des dragons, donc ça me chiffonne qu'on lui fasse du mal, mais j'entends bien que là c'est un dragon pas très gentil du tout.

Il se passe plein de choses, mais pas trop, encore dans cet équilibre délicat.

J'aime tellement la relation entre Loup et Florian... J'adore que tu la construises au présent, et pas tant par flashbacks. Qu'on sente en quelques phrases à quel point ils se comprennent et se soutiennent.

Et ce que ce chapitre pose plus que tout, c'est un certain niveau de loyauté à l'histoire plutôt qu'aux personnages, que tu vas être impitoyablement fidèle au cours des événements sans chercher à protéger ceux qu'on aime. Ce qui donne très envie de te suivre.

Un détail orthographique :
"Saoun bût avec lenteur, puis poussa un long soupir et se rallongea."
but
Pamiel
Posté le 16/12/2021
Que dire de plus que je n'ai pas déjà mentionné à ton commentaire précédent ?
Merci, Nanouchka - j'ai corrigé le détail orthographique que tu as repéré. Tu m'as faite rire d'ailleurs pour Loup - c'est exactement ça.
J'espère que la suite de l'histoire sera à la hauteur de tes attentes. Effectivement, je n'épargnerais rien à personne - sans que ça vire, à la Games of throne, à des morts gratuites. La plupart des morts violentes ont déjà eu lieu dans le passé des personnages.
Maintenant, c'est le deuil et une souffrance plus profonde qu'il faut affronter.
En tout cas, encore merci ; et à tout bientôt au détour des lignes.
Pamiel
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