Chapitre 3

Notes de l’auteur : Hello. Je dois vous présenter mes plus plates excuses... J'ai encore fauté et me suis absentée trop longtemps :/ Me voici enfin avec le chapitre 3. Peur celles et ceux qui suivaient la première version de l'histoire, sachez qu'il s'agit d'un chapitre inédit, avec des nouveaux personnages, des nouvelles péripéties, toussa toussa. J'en profite aussi pour dire que les archives ne sont pas là pour faire décoration ;) Un vrai détective les lirait avec attention. Je dis ça, je dis rien :P Bonne lecture !

Oscar possédait un don naturel : il était très observateur. Cela lui avait rendu service par le passé et l'aidait énormément dans les quelques affaires dont il s'occupait. Du duo qu'il formait avec Henri, il était définitivement le cérébral. La force brute, très peu pour lui. Non pas qu'il fût un couard. Non. Il n'avait simplement aucune affinité pour le combat. Il s'était une fois inscrit à un cours de boxe – sur les conseils "avisés" d'Henri qui pratiquait régulièrement – et avait fini avec une commotion cérébrale après cinq petites minutes. Résultats donc désastreux comme la plupart des conseils de son ami. Oscar était bien plus doué pour analyser les statistiques des sportifs, les conditions et l'environnement des combats et estimer les chances de victoire. Pour résumer, Henri aimait la boxe ; Oscar aimait parier sur Henri. De toute façon, puisqu'il était charpenté comme un fil de fer, Oscar n'avait aucune chance de briller par ses qualités sportives. Son cerveau demeurait incontestablement son meilleur atout.

Aussi, cette affaire de baignoire dans la salle de bain de Pénélope Fish l’obséda dès le moment précis où il distingua les paillettes au-dessous. Il y pensa durant tout le trajet du retour dans le coupé d’Henri. Il ne remarqua d’ailleurs pas les multiples tentatives de son ami pour engager la conversation ni son inquiétude suite aux révélations de Dame Silil concernant Prunelle. Oscar ne remarqua pas plus que le coupé s’arrêtait chez lui et qu’Henri le guidait à l’intérieur, particulièrement troublé. Les demandes d’Arsène concernant le dîner restèrent sans réponse, tout comme la proposition de prendre un café accompagné de quelques spéculoos. Finalement, il acquiesça, à demi conscient de ce qu’il faisait quand on lui proposa d’aller se reposer un peu. Il monta alors machinalement les marches le menant à sa chambre et ferma la porte derrière lui avant de s’étendre, pensif, sur son lit.

Cette situation perdura un temps, un certain temps même car quand il reprit contact avec la réalité, le soleil commençait à se coucher. Il constata qu’Arsène était entré pour lui déposer un dîner sommaire composé de tartines, auxquelles il n’avait évidemment pas touché.

Son obsession avait alors atteint son paroxysme et il fallait maintenant qu’il agisse en l’absence de quoi la curiosité le rendrait fou. Henri aurait certainement objecté que fou, il l’était déjà, mais là n’était pas la question !

— Il faudrait que j’y retourne pour en avoir le cœur net, murmura Oscar, toujours plongé dans ses pensées.

— Je doute que cela soit une bonne idée.

Oscar sursauta si fort qu’il eut l’impression de sortir de sa peau. Il fit un tour sur lui-même. Il n’y avait personne à part lui dans cette chambre. Lui et une paire d’yeux bleu paon qui le fixaient avec intérêt.

— Pour l’amour du ciel, Tinksdell, vous avez failli me faire mourir de peur !

Les deux yeux en suspension au pied du lit clignèrent des paupières.

— Et surtout, ne vous gênez pas. Je ne me souviens pas vous avoir invité à entrer, rouspéta Oscar.

— Invité ? Quelle idée saugrenue. Je ne suis pas un vampire, moi. Je n’ai pas besoin d’invitation.

Une flammèche bleutée apparut au bout d’une queue, qui elle-même se poursuivit alors en un corps noir, poilu et souple. Apparurent finalement quatre pattes, des oreilles pointues et une tête. Un chat. Un chat étrange était allongé sur le lit d’Oscar. Il était étrange car ses yeux pétillaient d’étoiles argentées et sa queue, bien que terminée par une flamme bleue, semblait incapable d’embraser quoi que ce soit. Et tout cela n’était tout de même pas très courant chez un chat.

La créature – Tinksdell – s’étira consciencieusement, un membre après l’autre, avant de s’asseoir sur son séant.

— Cinquante-quatre fois, dit-il d’un air dépité.

— Cinquante-quatre fois, quoi ?

— Le Bureau de Délivrance des Accès à la Profession d’Assistant de Sorciers a rejeté ma demande pour la cinquante-quatrième fois. Vous vous rendez compte ? Je suis un Cat Sidhe, je suis talentueux, studieux, responsable, fiable et modeste…

Oscar toussota, mais cela passa inaperçu.

— Et malgré tout, ces bureaucrates à la petite semaine refusent de m’accorder l’accès à la profession parce que je n’ai pas cette fichue tache blanche sur le plastron. Ils se moquent du monde, ce n’est pas possible ! C’est de la discrimination pure et simple. Le talent ne réside pas dans cette stupide tache, voyons.

— Faut-il vraiment que nous ayons encore cette conversation ?

— C’est vous, de Valbreuze, qui m’avez conseillé un recours.

— Oui, UN recours. J’ignorais que vous alliez l’introduire cinquante-trois autres fois. Cela la frise doucement le harcèlement à ce niveau.

— L’ennui avec ces gens, c’est qu’ils ne pourraient pas reconnaître un bon Cat Sidhe même s’ils n’avaient que lui sous le nez. Voilà le problème, continua Tinksdell sans prêter attention à Oscar.

— Pourquoi vous obstiner ? Vous avez un bon travail, vous avez un logement, de quoi vous nourrir. Cela pourrait être pire, tenta le jeune homme.

— Comment ? Je suis assistant dans une herboristerie dont la patronne ne verrait pas un ogre dans une chambre d’enfants tellement elle est bigleuse.

— Je ne vois pas en quoi c’est un problème, honnêtement.

— Elle me confond avec son chien, parfois.

— Soyez magnanime, c’est une vieille dame.

— Elle essaie d’éteindre ma queue. éteindre ma queue ! Cette vieille bique ne comprend pas que cela pourrait me tuer.

— Expliquez-lui au lieu de râler.

— Elle m’appelle Minou ! feula le Cat Sidhe. La flamme au bout de sa queue gronda et s’étendit telle une éruption volcanique.

Oscar pressait les lèvres si fort pour ne pas rire qu’elles étaient devenues blanches.

— Oh vous pouvez bien vous moquer. Les Cat Sidhes ne sont pas des herboristes. Depuis les temps immémoriaux, nous sommes les assistants des sorciers et des sorcières. Mais on me refuse cela simplement parce qu’il manque une tache blanche sur mon plastron. J’ai l’impression d’être le larbin dans une épicerie. Mon talent ne sert à rien, se lamenta la créature en disparaissant peu à peu.

Ne resta de lui que la flammèche bleutée qui avait recouvré sa taille initiale.

— Cela mis à part, je trouve toujours que c’est une très mauvaise idée, susurra le Cat Sidhe depuis l’invisibilité derrière laquelle il s’était dissimulé.

— De quoi parlez-vous ?

— Vous papotez quand vous réfléchissez. Vous ne vous en êtes jamais rendu compte ? C’est désolant… S’introduire chez les gens, même pour des raisons qui vous paraissent justifiées, cela se nomme une effraction de ce côté du Voile.

Oscar faillit lui signifier que c’était exactement ce qu’il venait de faire, mais il préféra garder le silence.

— Cela fait des heures que je suis là à vous écouter marmonner. Vous avez mentionné la sirène assassinée. Quelle triste affaire, tout de même. De nos jours, les gens manquent cruellement de savoir-vivre. Dire qu’on ne peut même plus prendre un bain tranquillement…

— Et si vous veniez aux faits ? dit Oscar dont le ton transpirait l’agacement.

— Quels faits ?

— Vous, les Cat Sidhes, vous êtes impossibles ! pesta Oscar en levant les bras au ciel. Pas moyen d’obtenir un raisonnement logique et chronologique avec vous.

— Ce qui est logique pour l’un, ne l’est pas nécessairement pour l’autre… Vous ne pouvez pas vous introduire à la Fabrique des Délices car premièrement, vous n’êtes pas invisibles et deuxièmement, vous n’êtes pas capable de passer au travers des murs. Deux qualités essentielles à votre projet.

— Vous, en revanche, c’est totalement dans vos cordes, dit Oscar avec un sourire en coin.

— Oui, en effet. C’est d’autant plus scandaleux qu’étant un maître en la matière, on me refuse obstinément cette carte d’accès à la profession !

— Merci, Tinksdell. Je savais que je pouvais compter sur vous !

— Que dites-vous là ? Je n’ai rien accepté.

— Pour un Cat Sidhe aussi talentueux que vous, ce n’est qu’une formalité. Alors que pour moi… dit Oscar d’un ton peiné.

— Vous avez bien raison.

La créature réapparut tout à fait. Une autre flamme bleue sembla alors embraser son dos, entre ses omoplates et une paire d’ailes se déroula en volutes de fumée noire. Elles battirent l’air furieusement jusqu’à décrocher Tinksdell du lit. Il vola doucement jusqu’à la porte de la chambre d’Oscar puis disparut dans un « pop » sonore.

Il se passa quelque secondes avant qu’une nouvelle détonation ne vienne troubler la quiétude des lieux. Oscar se retrouva alors nez à nez avec le Cat Sidhe qui l’observait d’une moue agacée.

— Alors, vous venez ? Je n’ai pas que cela à faire, moi.

— Votre cinquante-cinquième recours ?

— Précisément.

Nouveau « pop » et Oscar fonça vers la porte avant que Tinksdell ne change d’avis, mais non sans avoir agrippé sa sacoche au passage.

Il se trouve que les Cat Sidhes possèdent une faculté hors du commun. En effet, ils se meuvent à l’intérieur du Voile. En réalité, ils ne disparaissent pas vraiment. Ils atteignent une dimension parallèle aux deux côtés du Voile à laquelle eux seuls peuvent accéder.

Aussi, après avoir hélé un fiacre qui le déposa non loin de la Porte Rouge, Oscar se retrouva devant la Fabrique des Délices. Il aurait probablement été plus avisé de s’y rendre en pleine journée puisque la nuit attirait là-bas immanquablement son lot d’habitués. Or, suite au meurtre de Pénélope Fish, la police transvoile avait ordonné la fermeture momentanée de l’établissement. Et puis Oscar n’aurait pas pu attendre quelques heures de plus pour tenter de confirmer la théorie qui s’était peu à peu développée dans sa tête.

Tinskdell l’attendait sur le pas de la porte et le toisait d’un air supérieur. Sa queue enflammée caressait l’air avec oisiveté.

Précautionneux, Oscar fit un tour sur lui-même. Il n’y avait personne dans la rue et pourtant il sentait peser sur lui un millier de regards. La culpabilité certainement… Cette sensation paraissait sur le point de l’étouffer.

— Vous êtes très lent, se plaignit le Cat Sidhe.

Il se leva et marcha vers Oscar d’un pas pressé. Au moment où son pelage touchait le jeune homme, il se sentit aspiré avec force vers l’avant et tout devint noir. Il se retrouva alors à l’intérieur de la Fabrique des Délices s’en s’être rendu compte que Tinksdell l’y avait entraîné.

 L’obscurité s’étendait dans tout le couloir aux boudoirs. Les portes closes et le silence engendraient une ambiance étouffante à rendre un poisson rouge claustrophobe. Tinksdell trottina sans un bruit devant Oscar et les ténèbres l’engloutirent. Le jeune homme se mit aussi en mouvement. À pas feutrés, il glissa le long des murs, à l’affût du moindre bruit, mais tout était calme.

Les scellés barraient toujours l’accès des appartements de Pénélope Fish. Oscar les écarta légèrement afin de se glisser dans le petit salon. Il remarqua quelques cadres brisés sur le sol, mais il préféra se rendre directement à la salle de bain, là où le meurtre avait eu lieu d’après le Journal de Bruxelles. Tinksdell l’y attendait, sur son séant, la flamme bleue de sa queue projetant une lueur surnaturelle dans la pièce.

L’endroit où avait été découvert le cadavre de mademoiselle Fish était marqué par la forme de son corps dessinée grossièrement à la craie rouge. On voyait très nettement – et même si le policier qui en avait suivi la forme n’était clairement pas prêt à entrer à l’Académie des Beaux-Arts – la queue de poisson. Pénélope était donc décédée sous sa forme de sirène. La tête n’était pas bien définie. Ce qui s’expliquait certainement par le fait que l’assassin lui avait fracassé le crâne avec un gramophone.

Ce dernier gisait en miettes dans un recoin de la salle de bain. Seul le disque en métal avait survécu au choc. Si le pauvre bougre ne souffrant plus l’épouvantable voix de mademoiselle Simiane avait été pris d’un accès de folie passagère et avait assassiné Pénélope sous le coup de cette folie, Oscar, aurait pu trouver dans cet acte quelques circonstances atténuantes. Mais ce n’était probablement pas ce qui s’était passé. L’assassin devait être très fort, car en plus de la tête de la sirène, il avait également pulvérisé quelques carreaux du carrelage en projetant le gramophone.

Oscar porta alors son attention sur ce qui l’avait turlupiné toute la journée. Le carrelage possédait un aspect étrangement brillant sous la baignoire, comme si l’eau avait entraîné une substance autour des pieds en raison de l’incurvation du sol à cet endroit. Oscar s’agenouilla et passa doucement sa main sur la surface lisse et douce. En observant sa paume, il constata qu’elle était couverte d’une toute fine pellicule de paillettes dorées. C’était un détail qui aurait échappé à n’importe quel policier engoncé dans ses certitudes de fonctionnaire humain. Et davantage à Van Piperzeel qui avait contre Erret des griefs suffisants pour en faire un rejet violent au point de ne pas se former convenablement en la matière. Cependant, cela ne pouvait pas échapper à une personne comme Oscar qui connaissait Erret sur le bout des doigts.

— Pourquoi faut-il que nous ayons l’air de parfaits criminels ? s’enquit Tinksdell en observant les moindres faits et gestes d’Oscar.

Ce dernier farfouilla dans sa sacoche. Il en sortit une petite bouteille en verre.

— Parce que je ne veux pas que Van Piperzeel me tombe dessus ou qu’il comprenne que je m’intéresse un peu à cette affaire. Je n’ai pas non plus envie de donner à Dame Silil de faux espoirs ; je n’ai toujours pas décidé si je prenais l’affaire qu’elle me propose. Finalement, pour pouvoir me faire une idée claire de ce qui se trame ici, j’ai besoin de faire mes propres recherches. Sans attirer inutilement l’attention.

— Ôtez-moi d’un doute ; vous n’avez tout de même pas l’intention de conduire une enquête parallèle sur la mort de la sirène ?

Oscar ne répondit pas. Il enleva le bouchon en liège de son flacon et le remplit de poudre dorée à l’aide d’une petite spatule en bois. Il le rangea ensuite soigneusement dans son sac.

— Il faut qu’on s’en aille.

Alors qu’Oscar passait la porte séparant la salle de bain du petit salon, son attention fut attirée par une petite forme banche coincée entre la plinthe et le chambranle de la porte. Oscar s’accroupit et l’attrapa délicatement du pouce et de l’index. Il tira doucement pour ne pas l’abîmer. Il s’agissait d’une toute petite grue de papier, pas plus grande qu’une phalange. Il l’observa un moment, la faisant tournoyer entre ses doigts. Ce petit objet le rendait perplexe. Il n’imaginait pas Pénélope Fish adepte de l’origami… Un de ses clients peut-être ? Cependant, fichée dans cet interstice comme elle l’était, tête la première, on aurait dit que la grue essayait de fuir quelque chose. Or ce qu’Oscar avait en main, n’était qu’un bout de papier immobile. Le jeune homme haussa les épaules et fourra la grue dans sa poche ; il la « disséquerait » plus tard.

Soudain tout devint noir. Tinksdell s’était volatilisé. Oscar lâcha un juron à peine audible. Ces Cat Sidhes et leurs manies de faire exactement ce qu’on ne voudrait pas qu’ils fassent… Il allait devoir retrouver son chemin dans l’obscurité à présent.

À tâtons, Oscar se dirigea vers la sortie. Il aperçut alors une douce lueur qui filtrait par l’entrebâillement de la porte d’un boudoir créant un couteau de lumière aiguisé sur le mur d’en face. Des voix de femmes flottaient jusqu’à lui. La barbe, il ne manquait plus que ça ! S’il se faisait repérer, il aurait toutes les peines du monde à expliquer son effraction.

Il tenta de passer le plus discrètement possible et ses yeux accrochèrent la pancarte de bois clouée au battant : « forêt humide ». Il sentit le rouge lui monter aux joues et une fièvre anormale lui donna des bouffées de chaleur. À le voir ainsi, Henri serait certainement hilare.

— C’est peut-être affreux ce qui lui est arrivé, mais si vous voulez mon avis, bon débarras, lança une voix de l’autre côté de la porte.

— Euphrasie, c’est horrible de dire cela, répondit une personne au ton scandalisé.

Oscar comptait bien poursuivre vers la sortie quand une phrase provenant du boudoir l’arrêta net.

— Pourquoi ? Personne ne pouvait la supporter, la Pénélope. Pas même toi, c’est pour dire !

— Pénélope avait hélas des rêves hors de sa portée, dit une troisième voix.

— Tout le monde savait que ce Berthelier n’allait pas l’épouser. Elle s’est comportée comme une midinette à exposer tous les bijoux, les fourrures et vêtements qu’il lui offrait en nous faisant croire qu’il s’agissait de gages de futures fiançailles.

— Elle s’en était convaincue, Euphrasie. Elle ne le faisait pas exprès.

— Oh je t’en prie, Malwen ! Les rêves de grandeur de Pénélope lui ont grillé les écailles. De ce côté du Voile, ils disent que l’on récolte toujours ce que l’on sème.

— Moi je crois que c’est Prunelle qui a fait le coup.

— Pryphale ! Vous êtes impossibles toutes les deux aujourd’hui !

— Je ne vois pas ce qui te chope. Pénélope meurt et comme par hasard, Prunelle disparaît. Cela sonne comme un aveu à mes yeux.

— Et si nous laissions la police transvoile faire son travail, suggéra la dénommée Malwen.

— Ah, tu le penses aussi, s’exclama Euphrasie en ignorant Malwen superbement. Prunelle ne m’a jamais fait bonne impression. Toujours recluse dans son boudoir, préférant longer les murs et éviter toute discussion… ce n’est pas normal ce comportement quand on travaille ici.

— Euphrasie, toi-même tu ne travailles pas ici.

— Ce n’est pas le propos ! Je vous amène vos philtres de soin et de beauté. Je vois bien comment vous travaillez. Je n’ai jamais dû donner de philtre à cette Prunelle.

— Maintenant que tu le dis, je ne l’ai jamais vue en compagnie d’un client. Pas un seul depuis environ deux ans qu’elle est arrivée ici, lâcha Pryphale d’un ton songeur. Cet air taciturne et renfrogné en permanence, cela n’appâte certainement pas le client. Mais ce n’est pas pour cela que je crois que c’est elle qui a fait le coup.

— Raconte, l’encouragea Euphrasie d’un ton avide.

— Eh bien, Prunelle et Pénélope se querellaient sans cesse. Elles ne se supportaient pas ces deux-là. Les hurlements hystériques qu’on entendait parfois. De vraies harpies !

— Tu exagères un peu, Pryphale.

— Aucunement !

— En parlant de harpies, cela me fait penser, que je n’ai pas la moindre idée de ce qu’est vraiment cette Prunelle. Quelle créature est-elle ?

— Dame Silil ne nous l’a jamais dit, avoua Malwen. En même temps, Dame Silil ne nous dit jamais à quelle espèce appartient une nouvelle arrivante.

— Peut-être une sorcière, hasarda Pryphale. Cela pourrait expliquer la raison pour laquelle elle ne fait pas appel à tes services, Euphrasie.

— Si c’était une sorcière, je le saurais.

— Ce n’est pas une créature commune en tout cas ; elle n’a aucun attribut remarquable.

— Peut-être est-ce simplement une humaine, suggéra Malwen. Dame Silil a tellement bon cœur qu’elle pourrait avoir ouvert les portes de la Fabrique à une humaine.

— Peut-être…

Oscar voulut se pencher un peu plus vers l’embrasure de la porte afin de voir les visages des trois jeunes femmes. Il fit un pas léger en avant. Alors qu’il posait la pointe de son pied sur le plancher, celui-ci émit un effroyablement craquement tandis que la chaussure d’Oscar s’enfonçait de plusieurs centimètres. Il essaya retirer son pied de sa prison de bois, mais ne parvint qu’à l’enfoncer davantage jusqu’à sa cheville.

— Qu’est-ce que c’est ? s’écria Euphrasie.

— Je vais voir, répondit Malwen.

Le petit lémure de Boisclair sortit du trou et observa Oscar de ses yeux sombres.

— Aide-moi, murmura celui-ci.

La créature s’attaqua immédiatement au bois entourant la cheville du jeune homme et en un éclair, son pied était libéré. Le lémure lui bondit dessus et se faufila sous sa veste. Oscar s’échappa le plus silencieusement possible, mais au moment même où il mettait la main sur la poignée de la porte de sortie, celle du boudoir s’ouvrit sur une magnifique dryade. Oscar savait que leur beauté n’avait pas de limite. Cependant, il en fut tellement ému qu’il s’immobilisa. Sa peau possédait une légère teinte vert tendre. Ses cheveux sombres étaient savamment retenus par une tresses compliquée parsemée de feuilles de chêne. Dans ses yeux émeraude dansait la surprise.

— Malwen, qu’est-ce que c’est ? lança la voix de Pryphale depuis le boudoir.

Il y eut quelques secondes d’hésitation avant que celle-ci ne réponde d’une voix douce et chantante :

— C’est le lémure. Il a tellement rongé le parquet qu’il a cédé.

— Cette sale bête va finir par transformer cet endroit en gruyère. Pourquoi Silil ne s’en débarrasse donc pas ? bougonna Euphrasie.

Oscar et Malwen s’observèrent encore un moment jusqu’à ce que Tinksdell se manifeste dans « pop » enrubanné de fumée noire, fasse disparaître Oscar la seconde suivante et le largue tel un sac de patates sur son lit, dans sa maison de Saint Gilles, comme s’il n’avait jamais quitté les lieux. Le lémure émit un cri strident affolé et décampa à toute vitesse de la chambre d’Oscar. Il faudrait qu’il s’occupe de cela plus tard, mais avant…

— Vous pouviez m’emmener là-bas d’un bond ? demanda Oscar incrédule.

— évidemment, répondit Tinksdell d’un ton condescendant.

— Pourquoi ne pas l’avoir proposé avant de partir alors ?

— Quelle drôle de question. Vous ne me l’avez pas demandé. Vous êtes tellement bizarres, vous les humains.

Et il disparut ainsi sans demander son reste. Oscar continua d’observer l’endroit précis où Tinksdell s’était trouvé pendant de longues secondes, éberlué. Il ne manquait pas d’air celui-là ! Les Cat Sidhes étaient tellement secrets que les informations les concernant se comptaient sur les doigts de la main. On en apprenait tous les jours avec eux. Oscar se secoua ; du travail l’attendait à présent.

Le capharnaüm qui lui servait de bureau jouxtait sa chambre. Un vrai bazar. Sur les murs couraient des bibliothèques dont les planches pliaient sous le poids des livres, des documents, des bibelots tous plus étranges les uns que les autres. Çà et là, des piles de papiers s’élevaient vers le plafond dans un équilibre approximatif. Un bureau secrétaire à cylindre truffé de petits tiroirs – et accessoirement étouffé sous un bordel sans nom – occupait le mur droit de la pièce, flanqué, de part et d’autre, d’une carte de Bruxelles et d’une d’Erret.

Oscar se laissa choir lourdement sur un fauteuil de bureau qui avait connu des jours meilleurs et qui visiblement n’en connaîtrait plus de nombreux autres. Le bois émit un effroyable craquement et le jeune homme s’interrompit dans ses mouvements, comme dans l’attente d’une catastrophe… qui heureusement pour lui ne se produisit pas.

Il ouvrit sa besace et en sortit la petite fiole remplie de poudre dorée. Il évalua d’un œil scandalisé son propre dépotoir et se résolut à pousser sur le sol tous les papiers et dossiers qui encombraient son bureau.

Il farfouilla dans un tiroir pour en sortir son monoculaire. Il posa un petit tas de poussière dorée sur le plateau et observa attentivement à la lueur d’une bougie qu’il venait d’allumer et qui ne durerait plus des heures.

Au début, rien ne se passa. La poudre miroitait sous la flamme de la bougie. Oscar approcha alors une tige en fer rouillée… Et la poussière s’écarta, de plus en plus, afin d’éviter tout contact avec le fer. Tant et si bien qu’elle s’échappa du plateau du monoculaire.

— J’en étais sûr, murmura Oscar.

Il remit la poudre dans la bouteille et s’empara alors de la petite grue en papier dans la poche de sa veste. Après quelques minutes d’investigation, il déposa une planche en liège sur le bureau ainsi qu’une boite pleine d’aiguilles. Avec minutie, Oscar entreprit de déplier la grue, enfonçant une aiguille à chaque étape afin d’observer plus aisément son travail.  

Quand l’oiseau de papier fut complètement déplié, Oscar écarquilla les yeux en notant la présence d’un nom écrit en lettres rondes. La seconde d’après, le nom disparaissait dans un nuage de fumée pailletée.

Il allait avoir besoin d’un verre… ou peut-être bien de la bouteille tout entière.

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Jowie
Posté le 05/01/2020
Mais il est merveilleux ce chapitre 3, très bien mené du début à la fin, on ne s'ennuie pas un instant :)
Tout d'abord, j'aime beaucoup les créatures que l'on rencontre et celles qu'on recrois (ce lémure est adorable). Tinksdell le chat qui harcèle les bureaucrates est hilarant, j'aime beaucoup le fait qu'il ressemble à un chat ordinaire, tout en ayant des attributs physiques et des pouvoirs qui font rêver. Je ne sais pas pourquoi une tache blanche est aussi essentielle pour devenir assistant de sorcier, je comprends tout à fait sa frustration. Est-ce qu'on l'apprendra plus tard? J'ai l'impression qu'il y a comme une anecdote là-derrière ;)
Tu as décidément un don pour les dialogues entre les personnages; leurs échanges sont toujours vifs, taquins et très divertissants !
Tiens, on dirait que Pénélope et Prunelle n'étaient pas si appréciées que ça par leurs collègues... J'ai eu peur à la fin, quand la dryade a ouvert la porte! SI j'ai bien compris, elle ne voit Oscar que pendant 3 secondes, juste avant que celui-ci se volatilise? J'espère qu'elle ne l'a pas reconnu, sinon, elle va sûrement le dénoncer !
Oh, la fin en cliffhanger me donne tellement envie de lire la suite. Serai-ce le nom de Prunelle, qu'il a lu sur le papier ?

coquilles:
- évidemment, répondit Tinksdell -> majuscule à "évidemment"
ainsi qu'une boite -> boîte
Keina
Posté le 21/10/2019
Encore un chapitre qui se laisse lire tout seul, à la fois drôle, mystérieux et instructif ! Déjà, ce Cat Sidhe est un sacré phénomène. Côtoyer un chat normal, c'est déjà pas toujours de tout repos, mais alors, un Cat Sidhe, j'imagine même pas ! xD Son premier degré à toute épreuve est désopilant.
Ensuite, il y a la scène du crime, et la découverte des paillettes et de l'origami (ce qui fait donc sens avec la couverture, tiens !). Pour les paillettes, pour moi, si elles repoussent le fer, c'est que c'est quelque chose qu'utilisent les ensorceleurs pour éviter la soumission aux fers. Donc ce serait un/une ensorceleuse qui aurait fait le coup ? Mais j'aurais tendance à croire Dame Selil quand elle a dit qu'elle pensait Prunelle innocente. Peut-être que Prunelle a fui ses semblables, justement ?
Et puis il y a ce nom sur le papier, qu'on connaîtra au chapitre suivant, j'espère...
celineb84
Posté le 05/11/2019
Hello Keina,

Merci pour ta lecture <3

Je ne sais pas pourquoi, mais il y a toujours un chat dans mes histoires lol Je crois que leur comportement en général fait d'eux un excellent personnage dans un roman :D

Pour le reste, il va falloir lire (et patienter) pour avoir les réponses :D

Des bisous
Vous lisez