Chapitre 3: Confidence au clair de lune

  L’arène commençait à se désemplir, tandis que Laria continuait à observer le magicien en retrait derrière le chef de la garde royale. Elle sentait ses cheveux courts chatouiller sa nuque au gré du vent. Ses yeux ne quittaient plus la silhouette argentée qu'elle voyait au loin. Le temps passait, et son regard bleu glacé continuait de l'observer. Le bruit de la foule se faisait de plus en plus lointain ; et bientôt il ne resta plus que la jeune femme ainsi que les quelques hauts dignitaires du royaume d’Aima. Elle pouvait en voir certains la toiser du regard, tandis que le jeune magicien continuait de parler sans lui prêter attention. Le ciel commençait à se teindre d'un rose tendre, le soleil déclinant dans le lointain. Le vent chaud de l'après-midi avait fait place à la brise froide du soir. Laria entendait les derniers chants des oiseaux, tandis que les nobles encore restants partaient petit à petit. Le magicien royal lui adressa enfin un regard. Il la scrutait de ses yeux d'ambre, pendant que le chef de la garde disparaissait derrière les rideaux rouges de la loge. Le vent souffla alors ; et il apparut à côté de Laria dans une grande bourrasque.

— Tu sais que tu as failli percer un trou dans mon beau visage à force de me regarder, dit-il en riant.

  La jeune fille s’empourpra, tandis qu’elle commençait à fixer le sol terreux. 

— Dé… désolée, répondit-elle la voix tremblante.

— Je disais ça pour rigoler. Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise. 

  Laria releva la tête, et elle vit dans ses yeux qu’il était sincère. Son visage s’était assombrit, alors qu’il mordillait le coin de ses lèvres.

— Est-ce que tu sais pourquoi ton pouvoir s’est emballé ?

— Je… je ne sais pas ce qu’il s’est passé, murmura-t-elle le souffle coupé.

  Le visage d'habitude si souriant du jeune homme avait fait place à un front plissé et des yeux empreints d’inquiétude.

— J'aimerais savoir quelques petites choses sur toi avant de te révéler ce que je sais.

— Tout ce que vous voulez monsieur, déclara Laria hésitante.

  Elle ne savait plus où devait commencer la réalité et s'arrêter le mensonge. Elle n'avait jamais manifesté de compétences magiques avant. Elle avait pourtant déjà été dans des situations bien plus dangereuses que celle-ci. Et si le magicien découvrait sa vraie nature. Elle devait se venger. C'était le but de son existence, sa raison de vivre. Elle ne pouvait pas mourir. Une voix la ramena à la réalité.

— Tu sais-je n'aime pas qu'on me dise monsieur. Je trouve que ça me vieillit. Appelle moi juste Karian.

— D'accord… Karian.

— Je m'appelle La… Lorens Carter. 

  L’homme la regarda alors droit dans les yeux et en esquissant un bref sourire, lui montra l'immense porte de l’arène.

— À mon avis mieux vaudrait parler dans un endroit calme, loin des oreilles indiscrètes.

— D'accord, répondit Laria dont les pas suivaient ceux de Karian sous la lumière blanche de la lune. 

  L'odeur enivrante de la nuit la submergeait, tandis que les maisons aux volets fermés défilaient devant ses yeux. Le village qui a fait place à la capitale impériale n'existait plus. Elle se rendait compte de ce changement à chaque fois qu'elle arpentait les rues. Son monde avait disparu et sur ses cendres un nouveau monde s'était créé. Un monde sans elle. Le magicien continuait de marcher dans l’allée centrale, où l'on pouvait apercevoir des rôdeurs. Les hululements morbides des oiseaux et la nuit sans étoiles qui avait enveloppé le monde lui rappelait ce jour macabre.

  Karian l'avait conduite jusqu'à la forêt et la vue de celle-ci avait suffi à faire frissonner Laria. C'était là qu'elle s'était coupée les ailes et qu'elle avait décidé de laisser derrière elle ses espoirs, pour ne laisser place qu'à la vengeance. Elle sentait son cœur se serrer dans sa poitrine, tandis que les arbres laissaient une ombre macabre sur le sol. Elle entendait les branches craquer sous ses pieds. Dans cette forêt, il n'y avait plus de chemin, plus personne. On avait nommé cet endroit la forêt des âmes et on disait que ceux qui gardaient des regrets de leur passage sur terre errait ici sans but éternellement. Laria se demandait si sa mère était là aussi. Si les gens de son village restaient prisonniers de leurs regrets dans cette forêt.

  À mesure qu'ils avançaient les ombres gagnaient du terrain et bientôt la douce lumière de la lune avait fait place à une obscurité presque totale. Karian fit alors apparaître une flamme dans sa main gauche. Elle dansait au gré du vent. Sa lumière laissait entrevoir les arbustes, tandis que sa chaleur réchauffait le cœur de Laria. Il lui semblait voir cacher dans les ombres les visages de ceux qu’elle aimait et qui l’avait quitté lors de cette nuit tragique. Peut-être était-ce son imagination ou les histoires sur cette forêt étaient vraies. Elle ne savait pas et ne voulait pas savoir. Le passé était sa prison et sa seule raison de rester encore en vie. C'était une cage qu'elle avait créé de toutes pièces. Elle aurait pu continuer sa vie, mais elle était incapable de tourner la page. Karian s'arrêta alors dans une petite clairière où le ciel nocturne était enfin visible. Un rocher entouré de mousse s’y trouvait. L’herbe était parsemée de fleurs bleues qui illuminaient la nuit. Le magicien éteignit sa flamme d’un mouvement rapide de la main en refermant sa paume.

— C'est beau, tu ne trouves pas ? On les appelle les fleurs de sang car elles ont commencé à fleurir après le massacre du village sur lequel est construit la capitale. Tu ne le savais peut-être pas mais avant un petit village était ici. Mais ce n'est pas le plus important, j'aimerais savoir si tu vis avec tes parents avant tout. Je sais que je change de sujet, mais c'est une histoire triste qui ne mérite pas d'être racontée.

— Pourquoi cette question ?

— D'accord, je vais être plus direct. Un de tes parents était-il un Elfe ?

  Laria ne savait quoi répondre. Pourquoi un Elfe ? Elle se savait fée. Et pourquoi seraient-ils un être magique et non juste humain ? Elle se cachait bien, et elle pouvait très bien être magicienne. Son pouvoir avait dégénéré, mais cela pouvait arriver à n'importe quel humain doté de magie.

— Je… je ne sais pas. Je ne comprends pas, répondit-elle à voix basse.

— Je vois, chuchota-t-il penseur. Je vais te révéler l'un des secrets les mieux gardés de la civilisation humaine. Un secret que seuls les magiciens et le roi connaissent, mais avant viens t'asseoir. Tu en auras besoin. 

  Laria sentait sa gorge se serrer et ravala sa salive rapidement, avant de venir s'asseoir près de Karian.

— Les humains ne possèdent pas de magie. Aucun d'entre eux ne peut lancer un sort…

— Mais alors vous êtes…

— Désolé je te coupe, mais écoute jusqu'au bout, rétorqua-t-il en se pinçant le bout des lèvres. Tu te demandes alors si je suis un être décrit dans les légendes. De ceux qui vivent loin des humains et qui sont bannis à jamais du royaume. Alors non, je ne le suis pas. Enfin, pas tout à fait. Je suis un sang-mêlé, né de l'union d'un Elfe et d'une humaine. Tous les magiciens sont comme moi. Nous sommes nés de l'union interdite de deux êtres qui n'auraient jamais dû s’aimer. Beaucoup d'entre nous meurent en bas âge, tués par des gens qui ne voient pas d’un bon œil notre existence. Mon père en apprenant que ma mère était enceinte n’est jamais plus allé la voir… Et celle-ci s’est suicidée de désespoir. Elle s’est pendue.

  Il semblait regarder le vide, tandis que Laria voyait une larme coulée le long de sa joue blanche. Il la balaya d'un revers de la main avant de continuer.

— J'ai réussi à survivre grâce à ma tante, mais je m'égare. Ce que je veux dire, c'est qu'il y a de grandes chances que tu sois un sang mêlé mi-elfe mi-humain. Ceux qui naissent avec un parent féérique meurent souvent très rapidement, tués par leur famille ou des villageois à cause de leurs ailes trop voyantes. À l’inverse ceux qui ont un parent elfique ont de petites oreilles pointues facilement camouflables… Regarde.

  Karian souleva ses cheveux aux reflets argentés, où deux petites oreilles légèrement pointues se cachaient.

— Donc tu n'as pas à avoir peur, et tu pourras passer les épreuves comme tout le monde. Si tu échoues, il y a toujours l'académie magique. Mais ce qui est sûr, c'est que maintenant tu ne peux plus échapper au contrôle impérial, dit-il en esquissant un sourire forcé sur le visage.

— Montre-moi tes oreilles, si elles sont pointues c'est que tu as une ascendance elfique, et si elles sont rondes comme les humains c'est que tu m’as sûrement caché une paire d'aile dans ton dos. Bien que plus petite que celle des fées de sang pur.

  Le magicien disait ça en riant, tandis que sa main touchait délicatement les cheveux courts de Laria où une oreille pointue se découvrit. Les questions continuaient de tourner dans la tête de la jeune fille. Elle est une fée. Elle le savait, mais alors pourquoi elle avait des oreilles d'Elfes. Elle avait toujours pensé que c'était normal. Et si elle était vraiment une sang-mêlé ? Toutes ses questions se bousculaient dans sa tête, mais elle prit finalement la parole.

— Les fées ont-elles aussi des oreilles pointues ?

  Karian la regarda alors d’un regard interrogateur.

— Non, elles n’en ont pas.

  Son monde semblait s’écroulé une nouvelle fois. Elle ne savait plus ce qu’elle devait croire. Elle ne se connaissait même pas. Elle serait mi-Elfe mi-fée. Sans le vouloir une larme coula le long de sa joue, tandis que Karian fit apparaître un mouchoir brodé d’or qu’il lui donna.

— Je pense que ça suffit pour ce soir, murmura-t-il. Je vais te raccompagner chez toi, et tu ne parleras à personne de cette conversation.

— Je  vais me débrouiller.

— Avant de partir, je suis obligé d'au moins te jeter un sort de silence. Je dois m'assurer que tu n'en parles à personne… Désolé.

  Une lumière blanche enveloppa alors Laria et des runes apparurent sur son poignet, tandis que les pétales de fleurs tourbillonnaient autour d’elle. Son cœur semblait s’alléger et elle sentit ses yeux se fermer petit à petit. Lorsqu'elle revint à elle, le magicien n'était plus là. Elle se trouvait devant l'arène, tandis que le soleil teintait le ciel d'une douce couleur orangée.

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Poissond'Argent
Posté le 25/07/2024
Rien à dire sur les trois premiers chapitres.
On va droit au but et la scène suit la progression de l'intrigue.
C'est plaisant.

Mais si je devais chipoter, certaines répliques ont trop d'expositions.

Et j'aurais éclaté de rire si Karian, après l'avoir amené dans la forêt où elle s'était couper les ailes, de nulle part:
- Tiens, en parlant de fée. J'ai trouvé ces ailes dans la forêt quand j'étais petit.
Et en mode Cendrillon, les ailes se réajustent à elle.
Amber Frosth
Posté le 25/07/2024
Merci de ton commentaire. J'espère que l'exposition ne t'a pas trop gêné. Malheureusement, pour le coup cela va être difficile de tout remodeler.
Sinon, pour la petite anecdote les fleurs de sang sont en réalité dû aux ailes de Laria. Même si c'est un peu crû dit comme ça, elles ont fini par servir d'engraiS. Cela explique la fluorescence des fleurs. C'était un détail que j'avais imaginé, mais étant donné qu'aucun personnage ne le sait je n'ai jamais pu parler de leur origine.
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