Chapitre 3 - P3

Alors que Leyla dormait encore, elle prit conscience qu’elle rêvait. Elle adorait ces rares occasions où elle pouvait prendre le contrôle de son rêve alors qu’elle émergeait progressivement du sommeil.

Son rêve avait une texture étrange de réalité, comme si ce n’était pas un rêve. Elle était au Rayon D’Soleil, le centre hippique où elle travaillait, seule, à l’accueil, au milieu du calme le plus absolu. Pas d’urgence à traiter, pas de client à satisfaire… et un espace infini pour travailler avec Commodore, son cheval.

Le paradis.

Jusqu’à ce que le téléphone fixe à sa droite, posé sur le bureau, ne se mette à émettre une musique de plus en plus insistante.

Leyla ne voulait pas répondre. Elle refusait de céder à cet élément perturbateur venant ruiner la tranquillité de son rêve.

Sauf que la musique ne s’arrêta pas. Elle se fit toujours plus insistante. Toujours plus présente. Remplissant peu à peu tout l’espace, redessinant les contours de son rêve…

C’est alors que Leyla reconnut la musique. Elle n’était pas seulement dans son rêve. Non, c’était son portable qui chantait, envahissant l’intégralité de son petit studio alors qu’il n’était que cinq heures du matin.

Mais que pouvait-on bien lui vouloir à une heure pareille !

Le téléphone cessa de sonner et une notification apparut sur l’écran encore verrouillé, annonçant un appel manqué. Leyla se dépêcha de rappeler le numéro en question. On ne sait jamais, c’était peut-être une urgence !

Tuuut… Tuuuuttt… Tuuuuttt…

La troisième sonnerie s’interrompit en plein milieu et la voix affolée de Séb, son collègue, se déchaîna dans ses oreilles mal réveillées.

« Leyla ! Dieu merci, tu m’as rappelé vite, je ne sais vraiment pas quoi faire ! Il faut absolument que tu viennes au Rayon D’Soleil, c’est grave la panique, je sais pas quoi faire ! Un tel truc m’est jamais arrivé, tu comprends ! J’étais là et… »

— Oh ! Oh ! Doucement Séb, doucement ! Il est à peine cinq heures du mat’, sois sympa tu veux ! Qu’est-ce qu’il se passe ? C’est quoi le problème ? »

Séb était un garçon plutôt stressé et avait une manière bien à lui de gérer les situations d’urgence. Si Leyla ne temporisait pas le jeu d’entrée, il ne se rendait pas immédiatement compte par lui-même qu’il déchargeait son angoisse sur les autres et que cela ne servait à rien, à part aggraver la situation. Cet aspect de sa personnalité ne le rendait pas moins compétent mais, des fois, Leyla aurait aimé qu’il prenne rapidement un peu plus de bouteille pour ne pas avoir à l’appeler à des heures aussi peu chrétiennes alors que c’était à lui de gérer l’astreinte comme un grand. Après tout, si on lui laissait une telle responsabilité, c’est qu’il était capable de s’en sortir. Il faudrait bien qu’il en prenne conscience un jour.

Elle devait admettre que cela faisait longtemps qu’il ne l’avait pas déranger non plus… Qui sait, il y avait peut-être un vrai problème ?

« Respire, Séb… Respire. Raconte-moi tout depuis le début. La nuit s’est mal passée ?

— Mais non, Leyla, c’est ça le pire. L’astreinte n’a jamais été aussi calme que cette semaine. C’est complètement dingue ce qui m’arrive, tu me croiras pas, j’en suis certain.

— Essaye toujours. »

La voix forte et paniquée de Séb céda sa place à un ton beaucoup plus bas, un peu plus élevé qu’un chuchotement mais tout juste. Comme s’il ne voulait être entendu de nul autre que sa collègue.

« Ben écoute, voilà. Je faisais mon tour de garde vers quatre heure, comme d’hab. Il se passait pas grand-chose d’ailleurs, comme les autres jours. Pis je suis arrivé au niveau de la stabu où y avait Pluie d’Étoiles.

— Comment ça « y avait », tu l’as déplacée ?

— Attends, attends ! J’y arrive ! Donne-moi une seconde !

— Désolée. Continue.

— Bon. Je te disais que je suis arrivé au niveau de sa stabu. Et là, déjà, y avait un truc qui clochait clairement. Elle était étrangement attentive, tu vois. Rien de si alarmant non plus à première vue mais j’étais curieux, alors je suis resté cinq, six minutes et je l’ai observée. Ses oreilles pointées vers l’avant, quelque chose l’interpelait mais impossible de savoir quoi. Pis elle a tourné ses yeux vers moi, elle s’est approchée. Nos regards se sont clairement croisés et j’ai eu la sensation qu’elle me disait merci. De quoi, je sais pas, mais je jurerais que je l’ai entendue dans ma tête, comme je t’entends me parler là maintenant. J’ai même pu la caresser, d’ailleurs. Elle avait l’air très heureuse mais je saurai pas te dire pourquoi. Je comprends rien à ce qui s’est passé.

— Bon, accouche Séb, il me reste pas beaucoup de temps pour me reposer si tu m’as appelé pour des conneries et je commence à me demander si c’est pas le cas !

— Mais c’est pas des conneries, Leyla ! Faut que tu me croies, on est dans la merde ! Pluie d’Étoiles, elle a disparu.

— Comment ça, elle a disparu ? Tu te fous de moi, là ?

— Ouais, nan, j’te jure, pouf, volatilisée, comme ça. D’une seconde à l’autre. Un instant elle était devant moi et je sentais la douceur de sa robe sous la paume de ma main pis… ben la seconde suivante... elle était plus là.

— Bouge pas. J’arrive. »

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