En un instant fugace, le port, complètement déserté, fut plus calme qu’il ne l’avait jamais été. Ils n’y restaient plus que deux personnes. Une femme dont l’apparence trompeuse laissait paraître une jeunesse irréelle ; ainsi qu’un garçon aux traits de plus en plus fatigués. Un garçon dont la jeunesse perdait son innocence au fil des mésaventures.
Soulagée, Rose ne put s’empêcher de laisser s’exprimer ses émotions et, telle une mère soucieuse de l’état de santé de son enfant, se précipita vers Nathan. Elle l’étreignit longuement, sincèrement heureuse de le retrouver en vie après avoir été tout à fait convaincue qu’il fût mort.
« Bon sang, Nathan, tu n’as rien ! Mélyandre n’avait pas menti, c’est extraordinaire… Je suis tellement désolée ! Tellement désolée d’avoir échoué à te protéger... »
Nathan ne savait pas quoi répondre. Incapable de trouver les mots justes mais profondément soulagé lui aussi d’être de nouveau réunie avec sa protectrice, il lui rendit son étreinte. Parfois, les mots sont inutiles.
« Je suis si heureuse que tu n’aies rien, dit-elle la voix dominée par l’émotion, de chaudes larmes coulant sur ses joues. Mais nous ne pouvons pas traîner ici. Ils pourraient revenir plus nombreux, nous attarder ne serait pas prudent. »
Le silence dura encore quelques instants, chacun profitant de cette étreinte marquant des retrouvailles plus que bienvenus.
« Bon, allez, il est temps de partir ! Ressaisissons-nous. Tu n’as jamais utilisé la magie de déplacement, hein ? Tu vas voir, c’est très particulier la première fois mais… quand faut y aller, faut y aller, n’est-ce pas ?
— Euh, Rose… Tu peux attendre, juste une seconde. Il faudrait…
— Le temps presse Nathan, il ne faut pas que l’on reste ici, vraiment.
— Je sais. C’est juste que…
— Dis-moi donc ! De quoi as-tu peur, garçon ? »
C’est vrai. De quoi avait-il peur ? C’était juste si étrange de la retrouver si soudainement alors qu’il ne savait pas s’il la reverrait un jour, s’il n’allait pas se retrouver définitivement coincé sur ce continent dont il ignorait complètement la langue et les mœurs. Il éprouvait une grande joie et en même temps, il ne lui en était pas moins difficile d’effacer les doutes qu’il avait nourri durant son absence. Des doutes sournois qui l’avaient poussé à croire qu’elle aurait potentiellement essayé de le tuer alors que, depuis le début, elle était celle qui s’était le plus dévouée à le protéger.
« C’est juste que… Des gens m’ont accueilli ici. Je ne peux pas leur tourner le dos ainsi sans même les remercier de m’avoir soigné, offert un toit, nourri... Ce ne serait pas correct. Tu comprends ?
— Si je comprends !? Mais évidemment que je comprends, Nathan ! Il faut simplement que l’on s’active, c’est tout ! Montre-moi le chemin. »
Il n’estima pas nécessaire d’évoquer la conversation qu’il avait eu avec Hugues, le colosse qui s’était présenté à lui comme une ancienne Sentinelle. Ce dernier n’avait fait que semer davantage de doutes et de questions dans sa tête et il ne se sentait pas encore prêt à en parler. En dépit de son soulagement, Nathan se sentait toujours aussi perdu. Cette porte qu’il croyait fermée venait de se rouvrir brutalement et la lutte pour sa survie ainsi que son destin de Sentinelle s’imposaient de nouveau à lui.
Plus que perdu, il se sentait même volé. Dépouillé de sa liberté de choisir son avenir. Il aurait tant voulu avoir plus de temps pour se poser, pour réfléchir sans personne pour le presser ou l’influencer à prendre une décision plutôt qu’une autre.
Où es-tu ma bonne étoile ? S’occupe-t-il correctement de toi au Rayon D’Soleil en mon absence ? Ma chère Pluie d’Étoiles, j’aimerais tant te revoir, sentir ta robe sous mes doigts… Tout semble tellement plus facile lorsque tu es à mes côtés. Tu me manques tellement…
— Tu me manques aussi, mon petit Nathan…
« Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ?
— Euh, je n’ai rien dit, Nathan, répondit Rose, surprise par la question et l’arrêt soudain de son compagnon.
— J’aurais juré que…
— Quelqu’un t’a parlé ?
— Non… Enfin, oui, je ne sais pas trop. J’ai entendu quelque chose. Comme si on répondait à une de mes pensées.
— Oh… Je vois.
— Tu vois ? Qu’est-ce que tu vois de particulier ? »
Rose regarda le jeune homme avec un air amusé mais emplie de bienveillance.
« J’ai de la craie sur le nez ?
— Non, Nathan, c’est juste que… Tu vas me détester mais ça fait partie des choses que tu dois découvrir par toi-même. Si le phénomène que tu décris correspond à ce que je pense, tu ne tarderas pas à savoir de quoi il s’agit.
— Le phénomène ? Mais de quoi tu parles, Rose ?
— Tu le sauras très vite, je t’assure. Au point où tu en es, ça ne saurait tarder. On est encore loin de la maison de ce Tardys et de cette Frégate ?
— Torlysse et Vorgate, la corrigea-t-il gentiment. Non, non, on n’y est presque. Encore quelques minutes seulement. Par contre, Torlysse, c’est la femme, et Vorgate, c’est l’homme. Mais tu l’avais compris, j’en suis sûr… »
Ils avaient déjà bien marché mais ils leur restaient peut-être bien encore une heure.
« On ne pourrait pas utiliser la magie de déplacement pour finir le trajet ?
— Et signaler notre position ? Non, mieux vaut finir à pieds. Pour l’instant, nous sommes loin du point où nous avons eu notre altercation. Ils ne nous trouveront pas tant que l’on restera en mouvement, surtout si l’on continue à marcher vite. Nous l’utiliserons pour quitter le Continent Libre.
— Et où ira-t-on après ça ?
— À un endroit que tu ne connais pas, souligna-t-elle avec des yeux brillant de malice.
— Possible d’avoir plus de détails ?
— Il était prévu de se réunir à Estcereel avec les autres mais… disons qu’avec ce qu’il s’est passé, il y a eu un changement de plan. Les autres Sentinelles ont désormais quitté Estcereel et sont retournées à la Résidence, sur l’Île du Commencement. Elles nous y attendent. C’est un peu notre maison, si tu veux. C’est là-bas que la Bénédiction aura lieu. Et puis, en dehors de ça, nous y serons en sécurité. Il n’y a aucun danger à nous téléporter là-bas, personne n’oserait nous attaquer sur notre propre terrain.
— La Résidence… Ça claque comme nom… »
Au-delà de la beauté du terme, Nathan apprécia d’apprendre qu’il pourrait bientôt cesser de courir et de regarder autour de lui, comme une bête traquée.