Une fois arrivés au commissariat, nous fûmes accompagnés au bureau de Jacques Barnet. Celui-ci se leva à notre entrée, nous serra la main, puis jeta un regard suspicieux à Red Sharp.
- Voici l’inspecteur Red Sharp, lui présentai-je. Il travaille à Londres, mais il est venu ici pour... nous prêter main-forte.
Heureusement, Jacques Barnet nous faisait assez confiance pour ne pas poser plus de questions. En quelques mots, Gallant lui fit part de notre plan de nous rendre à Naples afin d’y dénicher le Vicaire, et de lui parler de son larbin emprisonné.
Jacques Barnet émit quelques doutes mais ne posa toujours pas plus de questions. Il nous faisait réellement confiance.
Il nous emmena jusque devant une porte dans un couloir mal éclairé, et s’arrêta avant de l’ouvrir.
- Ecoutez, messieurs, dit-il. J’ai déjà essayé de parler à cet homme, mais il est resté silencieux. Il se contente de sourire de son air arrogant. Je pense qu’auprès de vous, il se dévoilera un peu plus. Nous avons appris certaines choses sur son identité. Il s’appelle Léon Châtel, il a 28 ans. Orphelin de père et mère, il a vécu une grande partie de sa jeunesse dans les rues. Il s’est mis à voler de l’argent à des passants, et à revendre des objets en toque à de riches touristes. C’est peut-être comme ça que le Vicaire l’a trouvé. Posez lui les bonnes questions, et souvenez-vous de toutes ces réponses, car je vous demanderai un compte-rendu précis. En temps normal, je ne devrais pas vous laissez entrer, d’autant que vous êtes trois... Mais, après tout, cette affaire n’a rien de normal, n’est-ce pas ?
Nous hochâmes la tête pour lui faire part de notre compréhension. Il ouvrit enfin la porte, et nous laissa entrer auprès du détenu.
Yeux bleus, Octave Leroy, Léon Châtel... Il était assis, les mains menottées sur une table en fer devant lui.
A notre entrée, il releva la tête, et nous offrit ce fameux sourire suffisant. En le voyant ainsi, les images du meurtre de la petite Margot me revinrent à l’esprit, et je sentis la colère m’échauffer.
A mon plus grand plaisir, je constatais qu’il avait le nez légèrement désaxé, un vilain hématome s’étendait sur sa joue droite, et son arcade sourcilière gauche portait une cicatrice récente, conséquences d’avoir provoquer la fureur de Gallant.
- Aïe, fit Sharp en portant un poing à ses lèvres. T’as une sale tête, mon vieux...
Cette remarque eut le mérite d’effacer le sourire arrogant. Léon fronça les sourcils, et retroussa les lèvres en un mauvais rictus.
- Je pensais bien t’avoir déjà vu quelque part, toi, pesta Léon. Maintenant, je me souviens : tu es le toutou de Saint-Cyr, non ?
- Vous connaissez Saint-Cyr ? Demandai-je en m’asseyant en face de lui.
Sharp se tint à ma gauche, tandis que Gallant resta debout à ma droite, les mains sur les hanches, son regard furieux posé sur le détenu.
- Je l’ai croisé à quelques reprises, répondit vaguement Léon.
- Est-ce pour lui que vous travaillez ?
- Je ne travaille pour personne d’autre que le Vicaire.
- Et lui, il travaille à son propre compte, c’est cela ?
- Hmmm oui, en quelque sorte.
- Depuis combien de temps travaillez-vous en sa compagnie ?
- Je sais plus trop. Des années, c’est certain. Il m’a recueilli quand j’étais qu’un criminel de bas étage qui arnaquait des touristes idiots.
- Pourquoi tu nous donnes ces informations ? Demanda Gallant.
Léon se pencha en avant.
- Vous savez, détective, je ne compte pas m’éterniser ici. Je vais bientôt sortir.
- Oh, vraiment ? Et comment comptes-tu t’y prendre ?
- Moi, je ne ferai rien. Je n’ai qu’à attendre que le Vicaire vienne me délivrer.
- Qu’est-ce qui te rend si sûr qu’il viendra t’aider ? Et comment y parviendrait-il ? Comment ton prince te ferait-il sortir de ce donjon ?
- Ah, ça, je ne peux pas vous le dire. Mais il viendra, soyez-en sûr.
- Parfait, renchérit Sharp. Nous devons justement lui parler. Ce sera plus simple s’il vient directement à nous.
- Pourquoi voulez-vous lui parler ? Demanda Léon en fronçant les sourcils.
- Ah, ça, je ne peux pas te le dire, se moqua Sharp.
- Et si c’est De Guise qui te trouve avant ? Menaça Gallant. Il te fera peut-être décapité, qui sait...
L’espace d’un instant, une crainte fugace passa sur le visage de Léon, mais il reprit aussitôt contenance.
- Le Vicaire me libérera bien avant que De Guise ne me trouve, affirma-t-il.
- Quel est le vrai nom du Vicaire ? Tentai-je.
- Je l’ignore, dit Léon en haussant les épaules. Et, même si je le savais, je ne vous le dirai pas. J’ai déjà eu l’immense honneur de voir son vrai visage, ça me suffi.
- Combien de personnes ont déjà vu son visage ?
- Je ne sais pas. Mais ils se comptent certainement sur les doigts de la main. Ecoutez, vous pouvez me poser toutes les questions que vous voudrez, mais cela ne servirait à rien. Je ne connais rien des plans du Vicaire, j’ignore où il se trouve, j’ignore son nom. Et même si je possédais toutes ces informations, je ne vous le dirai jamais.
- Alors pourquoi es-tu si certain qu’il viendra te libérer ?
- Parce que le Vicaire est l’homme le plus loyal que je connaisse. Il n’abandonne jamais un seul de ses hommes.
- Je suis prêt à parier que tu croupiras le restant de tes jours en prison, s’amusa Gallant en se penchant à son tour. Tout comme je suis prêt à parier qu’il ne viendra pas te délivrer. Nous possédons quelque chose qui éveillera son intérêt, bien plus que son imbécile de soldat qui s’est laissé avoir.
- Je ne me suis pas laissé avoir, s’empourpra Léon. J’ai fais diversion, afin que le Vicaire puisse s’enfuir en toute discrétion.
- Et Anne Prillé ? Sa mort, c’était pour faire diversion ?
- Non, elle, elle était censée être dans le coup. Elle devait nous aider à récupérer la Mésange. Mais, au dernier moment, elle a demandé une plus grande part du butin. Le Vicaire s’est quelque peu... énervé...
- C’est lui qui l’a tué ?
- Non, c’est moi. J’ai enroulé mon poing avec ma cravate, pour laisser le moins de trace possible. Je lui ai défoncé le crâne de toutes mes forces. La terreur sur son visage, la douleur qui lui tordait ses si jolies lèvres... C’était euphorisant. Comme lorsque j’ai tué votre gamine des rues.
Je vis Gallant serrer les poings. Le voyant aussi, Sharp s’interposa dans la conversation.
- Moi aussi, dit-il, je parie sur ton incarcération à perpétuité. Tu mourras en prison, l’ami, j’en suis certain.
- Nous verrons bien, répondit Léon en arborant à nouveau son sourire arrogant. Oui, seul le temps nous dira qui a raison...