César Condé s’engagea dans un dédale de ruelle, s’éloignant de la gare de Naples. Des ouvriers de la ville s’affairaient à décorer les immeubles et les lampadaires, accrochant çà et là des affiches, banderoles et ballons. Napolitains et Napolitaines s’étaient déguisés, comme si le carnaval de Venise s’était invité dans la ville.
César ignorait à quoi rimait ce cirque, mais il n’avait pas le temps pour ça. Ayant rabattu son capuchon noir sur son visage, il devait faire profil bas jusqu’à atteindre le palais de Salvatelli. Là, il y serait en sécurité.
Il bouillonnait de rage. En l’espace de quelques jours, des détectives l’avaient traqué, humilié, blessé, et ils avaient vu son vrai visage. Il aurait peut-être dû faire profil bas, comme à son habitude. Mais, pour son dernier coup, il avait voulu la jouer grandiose. Et voilà qu’il se traînait, le bras blessé et l’ego ravagé, dans des ruelles pour ne pas se faire repéré.
Arrivé à un carrefour, il se figea en tombant nez à nez avec un homme costumé. Vêtu d’une tenue de carnaval aux différentes teintes de bleu, son visage était couvert d’un masque volto jolly turquoise, ses lèvres d’azur peintes dans un sourire figé.
- Reinard ? S’étonna César. C’est toi ?
- Vicaire ! S’exclama son interlocuteur. Mais que faîtes-vous ici ?
- Pourquoi ne serai-je pas ici ? S’agaça César. Bianca m’a demandé de venir. Il paraît que Salvatelli souhaite m’aider.
- Vous aider ? S’étrangla la voix de l’homme en bleu. Mais, Vicaire, Salvatelli souhaite votre mort ! Il a même organisé un carnaval d’une semaine en l’honneur de votre exécution ! Ces festivités saluent votre trépas.
- Ce... n’est pas possible, bafouilla le Vicaire. Non, Bianca m’a persuadée de venir ici, elle a dit que-
Il s’interrompu. Bianca s’était-elle trompée ? Salvatelli l’avait-il manipulé ? Ou bien avait-elle délibérément choisi de trahir son amant ?
- Je dois parler à Bianca, dit César. Où est-elle ? Je dois lui parler, tout de suite.
- Pardonnez-moi, Vicaire, mais cette idée est trop dangereuse. Madame Moretti est entourée des hommes de Salvatelli. Si vous l’approchez, le baron vous tombera dessus. Laissez-moi plutôt emmener Madame Moretti jusqu’à vous. J’ai rendez-vous avec elle après-demain, je pourrait vous-
- Dans deux jours ? S’emporta le Vicaire. Et que suis-je censé faire en attendant ? Me terrer dans des bordels pour échapper au baron ? Reinard, des policiers sont à ma poursuite, ils ont vu mon visage ! Je dois m’enfuir, et vite. Mais pas seul. Je dois emmener Bianca avec moi, alors dis moi où elle est !
Le masque bleu secoua la tête, recula de quelques pas.
- Je suis désolé, Vicaire, mais je ne peux pas voir Madame Moretti avant. Si vous voulez, vous pouvez vous réfugier chez Calliopée Gamal le temps nécessaire.
César grogna, mais hocha la tête. Ce n’est pas comme s’il avait le choix, de toute façon. Reinard De Neustrie était son meilleur allié pour l’heure, il devait lui faire confiance.
Nous étions installés dans le salon, réfléchissant à un plan d’action. Georges nous avait informé qu’Albin avait souhaité se retirer dans sa chambre, encore épuisé de ses aventures. Nous le laissâmes donc tranquille, tout occupé à peaufiner notre plan.
- Alors quoi ? Demanda Sharp. On prend le premier billet de train pour Naples ? Et ensuite ?
- On trouve le Vicaire, et on l’arrête, proposai-je.
- Tellement naïf, siffla mon rival.
- Qu’est-ce que tu proposes de mieux ? M’empourprai-je. Nous avons une ville, c’est tout. Nous pouvons aviser une fois là-bas. Isen, qu’est-ce que tu en penses ?
Gallant sursauta, tout affairé à ses propres pensées.
- Oui, dit-il. On va à Naples. On avisera là-bas.
Je fronçai les sourcils. A quoi pouvait-il bien penser d’aussi important pour ne même pas prendre la peine d’écouter notre plan d’action contre le Vicaire ?
Sharp soupira, sortit une cigarette de son veston.
- Dehors, lui ordonnai-je alors qu’il s’apprêtait à l’allumer.
Il me dévisagea, soupira une fois de plus, puis se leva pour sortir. Une fois débarrassé de lui, je me levai à mon tour, et vint rejoindre Gallant qui s’était adossé contre le manteau de la cheminée.
- Qu’y a-t-il ? Lui demandai-je simplement.
Il coula vers moi un regard sombre, et fit claquer sa langue.
- Thomas, chuchota-t-il alors que nous étions seuls. Si... si le Vicaire est protégé par la police... nous ne pourrons pas simplement le livrer aux autorités.
- Je ne suis pas sûr de comprendre ce que tu sous-entends, Isen. Ou alors je n’ai pas envie de comprendre. Est-ce que tu peux m’éclaircir ?
Il avait dû sentir le grondement dans ma voix, car il déglutit en secouant la tête, reprenant d’une voix encore plus basse :
- Nous devrons peut-être arrêter le Vicaire... autrement qu’en le mettant derrière les barreaux.
- Isen ! Criai-je.
Il sursauta une nouvelle fois, tandis que je m’approchai plus près de lui.
- Je t’interdis de me parler à nouveau de cette éventualité, le menaçai-je. Compris ?
Je n’aimais pas prendre cette posture agressive, mais je voulais tuer dans l’œuf l’idée d’un assassinat avant qu’elle ne germe réellement dans l’esprit de Gallant.
Ce dernier hocha lentement la tête, mais ne me répondit pas. J’ouvris la bouche pour lui redemander s’il avait bien compris, quand la voix agaçante de Sharp s’éleva derrière moi :
- Bon, je crois qu’il est temps de rejoindre nos voisins italiens. Le train va bientôt partir.