Comme pour tenter de cacher mon anxiété, je vérifie une nouvelle fois le contenu de ma besace. Deux gourdes, des barres de survie, une couverture, un pull supplémentaire, une corde, une boite de premiers soins, une boussole, lunette à vision nocturne et aussi, je pose ma main sur ma hanche, mon poignard. On a refusé de me donner une arme à feu. J’ignore de qui vient l’ordre, mais on a estimé que je n’étais pas encore complètement prête pour ce genre d’arme en mission.
- Isis, combien de fois vas-tu inspecter ce sac ? me reproche Andy. Tu as tout ce qu’il te faut !
Je lui lance un regard noir et réplique un peu sèchement :
- On ne sait jamais.
Il fait claquer sa langue de désapprobation.
- Et essaye de contrôler tes nerfs. Tu es une vraie bombe à retardement depuis ce matin.
Je me retiens de le rembarrer, car je n’ignore pas qu’il a raison. J’ai beau tenter de le cacher, je ne cesse de douter de mon rôle dans cette opération. Et si ma présence était une erreur ? Et si je faisais tout rater ? Comprenant qu’il vaut mieux ne pas insister et qu’il n’obtiendra rien de plus, mon ami me signale qu’il va rejoindre Millie en attendant l’arrivée de nos supérieurs. Seul un haussement d’épaules lui confirme que je l’ai entendu. L’instant d’après, il s’est éloigné. Après une énième vérification, je referme les cardons de mon bagage d’un geste brusque et me redresse. Mon regard embrasse le lieu où je me trouve. Les personnes choisies pour la mission patiente à l’orée de la forêt le début de l’expédition. C’est alors que je remarque Hans un peu en retrait qui semble chercher quelque chose préoccupé. Je m’empresse de le rejoindre pour m’enquérir de son problème. Ses traits se détendent quelque peu quand il m’aperçoit.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? m’inquiété-je.
- Rien de grave, je voulais te voir avant que vous ne partiez. Alors, prête ? me demande-t-il.
- Je crois bien, dis-je, avant d’avouer : mais je suis un peu stressée.
La compassion apparait sur son visage.
- Isis, si tu le désires, tu peux encore décider de rester ici.
Je me doute bien qu’il propose ça pour moi, mais une légère irritation me gagne. Ce n’est pas d’une échappatoire que j’ai besoin, même si, si je m’écoutais je partirais en courant pour me réfugier dans ma tente. Je serre mes poings pour ne pas flancher. J’en ai assez que l’on me voit comme faible.
- Luna m’a dit que tu étais contre que j’y aille, l’informé-je en ignorant sa suggestion.
- Ce n’est pas un secret et mon opinion reste la même.
- Je te préviens tout de suite, je ne changerai pas d’avis, déclaré-je d’un ton que j’espère assurer. N’essaye pas de m’en empêcher.
- Ce n’était pas mon intention.
La surprise me gagne, mais avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, il sort son propre poignard et me tend le manche. Je le fixe sans bien savoir où il veut en venir.
- Si cela ne tenait qu’à moi, tu ne prendrais aucun risque, m’annonce-t-il. Toutefois, j’ai réfléchi à ce qui était le mieux pour toi et j’ai compris que te soutenir représentait la meilleure des protections. Quand Tim m’a autorisé à en porter à nouveau, Anna m’a rendu les deux poignards qu’elle avait confisqués à Elena lors de notre fuite. C’est l’un d’eux. Prends-le. Je pense que sa propriétaire ne verrait pas d’inconvénient à ce que je te le transmette.
Mes yeux sautent plusieurs fois du présent à Hans ne sachant pas quoi répondre.
- Pourquoi ? couiné-je. Cela doit représenter tant pour toi.
Il secoue la tête.
- J’ai des souvenirs bien plus précieux et puis toi aussi tu es importante pour elle.
Une boule s’est formée au creux de ma gorge et c’est avec une attention différente que je contemple ce cadeau. Plutôt quelconque avec les initiales de l’armée gravées dessus, j’éprouve pourtant une certaine fascination quand je regarde le tranchant et le brillant de la lame. Mes doigts s’enroulent autour du manche et je porte la dague au-dessus de ma tête pour y faire refléter les rayons du soleil, m’éblouissant au passage. Je n’arrive pas à croire que je possède l’un des poignards de mon ancienne supérieure. Elle ne s’en séparait jamais. Je me mets à espérer que grâce à elle, je serai protégée. Je déglutis tandis que je m’empare de l’étui que mon interlocuteur me tend pour ranger ma nouvelle arme.
- Merci, Hans, réponds-je, la voix vacillante sous le coup de l’émotion. J’en prendrais grand soin.
- Sois prudente, c’est tout ce qui m’importe.
Le silence se fait soudain dans mon dos. Je pivote et remarque Luna et Louis qui se sont placés au centre de notre équipe.
- Si tout le monde est là, nous allons nous mettre en route, s’exclame la jeune femme. Que chacun se rassemble auprès du chef qui lui a été affecté.
Après ce bref ordre, Luna se tourne vers Louis avec qui elle échange rapidement. Je fais à nouveau face à Hans qui a les lèvres pincées.
- C’est l’heure, déclare-t-il comme une fatalité. Je ne veux aucune promesse, Isis, juste reviens saine et sauve.
- Très bien.
Louis nous avise du départ, toutefois, je ne bouge pas. C’est l’heure. Mes ongles s’enfoncent dans ma peau, alors que je tente de me redonner courage. Je suis terrifiée. Comme s’il sentait ma détresse, mon interlocuteur reprend la parole :
- Je suis certain qu’Elena serait fière de ce que tu es devenue.
S’il y a bien quelque chose auquel je ne m’étais pas attendue, c’était ça. Je relève la tête et croise les yeux de l’ancien colonel. Il ne m’en faut pas plus pour me ressaisir.
- Demain, elle sera là.
Je m’en veux de lui donner cet espoir, mais j’ai décidé de croire en Magda. Pour moi aussi, Elena est vivante. Hans me sourit tristement.
- Pas de promesse, mais merci.
Ses propos me brisent le cœur. Mon corps se meut à l’instinct et je le serre contre moi. Dans un premier temps, il ne réagit pas. Il finit tout de même par me rendre maladroitement mon étreinte en me tapant le dos. Je m’écarte, puis sans un mot, je tourne les talons et rejoins mon groupe.
Nous progressons dans le silence le plus total entre les arbres. C’est la première fois depuis mon arrivée que je m’éloigne autant du camp principal. Je jette un coup d’œil à mon voisin. Le regard sombre et la mâchoire contractée par la tension, Andy évolue à mes côtés. J’ignore dans combien de temps nous devons être proches des alentours de la base. Pour préparer au mieux l’attaque, Luna a estimé que la fin d’après-midi est la période la plus propice. Comme ça, nous aurons toute la latitude pour nous évaluer la situation où nous nous trouvons avant de lancer notre assaut. Pour ma part, je reste avec Yvan et quelques autres rebelles pour faire le guet quand les escouades de Luna et Louis pénétreront dans la section médicale. Bien entendu, s’il arrive à infiltrer l’endroit. N’étant pas concernée par cette tâche, la sœur d’Elena a préféré taire les détails pour ne pas trop m’embrouiller l’esprit avec trop d’informations. Lorsqu’elle et son groupe reviendront, je prendrais la relève avec mes coéquipiers pour m’occuper des victimes d’Assic que nous aurions réussi à tirer de là. Liam se chargera de couvrir nos arrières s’il y a le moindre problème avec les militaires de la base. Il n’y a plus qu’à espérer que tout se passe sans accro.
Après quatre heures de marches, nous débouchons dans une clairière dont l’un des flancs est en bas d’une montée. D’un geste, Luna envoie Sandro prévenir Yvan de notre présence ainsi que deux d’entre nous en éclaireur pour vérifier les alentours. Ceux-ci s’exécutent et grimpent en quelques enjambées la colline. Pour nous autres qui restons, elle nous fait signe d’approcher. Dans un même élan, nous l’encerclons.
- Dès qu’Alan et Ulric reviennent, chacun gagne son poste d’observation avec son binôme. Interdiction de parler, sauf exception et si l’un d’entre vous remarque quelque chose pouvant compromettre notre position, il siffle. Je vous rappelle les codes. Ennemi en approche, trois courts. Autre problème, deux longs. Mais je vous le répète, ceci n’est à utiliser qu’en extrême urgence. À une heure moins le quart, on se retrouve ici pour un dernier récapitulatif.
Nous hochons la tête. Nos deux éclaireurs reviennent rapidement et à notre grand soulagement nous confirment l’absence de menaces dans les environs. Sans un mot, nous nous dispersons. Andy a été désigné pour être mon partenaire pour cette partie de la mission. Connaissant le mieux les lieux, c’est lui qui nous guide dans ce dédale forestier pour finir par nous amener dans un trou peu profond dissimulé sous une toile recouverte d’un imposant feuillage. Il doit s’agir de l’une des nombreuses cachettes creusées par les rebelles dont m’a parlé Luna hier. Nous nous faufilons en dessous. Heureusement que je ne suis pas trop grande, car il y a juste l’espace pour nous deux et les sacs. Curieuse de découvrir la vue que nous avons d’ici, ma tête émerge du tapis de feuilles et je scrute les environs du regard. Andy sort des jumelles qu’il me tend. Je m’en empare et la place devant mes yeux. Mon cœur manque un battement quand je remarque la parcelle de couleur grise qui se distingue au loin entre les arbres. Pas besoin de réfléchir très longtemps pour comprendre qu’il s’agit de la base. Mon estomac se tord légèrement. Ce n’est qu’en voyant mon ancien lieu de travail que je saisis vraiment ce que nous nous apprêtons à faire. Et dire qu’Elena se trouve quelque part entre ses murs. Elle est si proche et pourtant des kilomètres semblent encore nous séparer. Je repense aux échanges que j’ai surpris hier entre Luna et sa mère. Mes lèvres se serrent l’une contre l’autre. J’espère qu’il n’est pas trop tard. Je me doute bien que cela ne doit pas aller pour elle, mais faites qu’elle soit vivante. C’est tout ce que je demande. Mon coéquipier me tire la manche m’arrachant ainsi à ma contemplation. Je disparais dans notre repaire. C’est à regret que je constate que la température a grimpé d’un cran et qu’une odeur pas forcément des plus agréable a déjà élu domicile. Andy a toujours eu tendance à transpirer beaucoup et aujourd’hui confirme la donne. Le moindre effort et il est en nage.
- On se relaye toutes les heures pour monter la garde pendant que l’autre se repose, murmure-t-il si bas que je dois me pencher pour l’entendre. Je prends le premier tour.
J’opine du chef et lui rends ses jumelles. Tandis qu’il s’établit à la place que j’occupais quelques instants plus tôt, je tente de m’installer le plus confortablement, après avoir tout de même dégagé une petite ouverture pour améliore l’aération de notre cachette. Les bras croisés, je me cale dans un coin. Il n’y a plus qu’à attendre.