Une douleur au crâne me réveille de la somnolence où j’étais plongée. Par réflexe, je porte ma main à mon front et grimace quand je touche la plaie encore fraîche. Bien que Vincent m’ait assurée que ce n’était pas préoccupant, je paye tout de même les conséquences de mes actes. Je ne regrette rien, mais j’ai pris cher. Loïs est vraiment une brute. Prudemment, je me couche sur mon épaule en tentant de ne pas raviver davantage mes maux de tête. Cela tourne légèrement, toutefois c’est toujours moins pire que tout à l’heure. Je ferme les yeux avant de les rouvrir aussitôt en sentant mon monde tanguer. Si seulement, j’avais un peu d’eau pour hydrater, cela irait tout de suite mieux. J’ai si soif. Malheureusement, je vais devoir me montrer patiente en attendant l’heure de la prise de mes médocs. Des perspectives peu réjouissantes en vérité. Une douleur émerge soudain dans le bas de mon ventre et je me recroqueville sur moi-même pour tenter de l’atténuer. Et voilà, il manquait plus que ça, pesté-je. Décidément, c’est trop demandé à mon corps de me laisser quelques heures de paix. Je masse mon ventre pour calmer les élancements. Ça doit être à cause des pilules dont on m’a gavé aujourd’hui. J’ai bien vu qu’on en avait rajouté deux en plus contrairement à la veille. Savoir que ces saletés me détruisent de l’intérieur sans que je ne puisse rien faire m’est d’autant plus insupportable. Je soupire face à ma triste situation. Je n’ai plus qu’à attendre que cela passe. C’est donc à moitié groggy que je laisse le temps filé. Alors que je commence enfin à sombrer, des échos de pas se font entendre dans le couloir. Croyant à mon imagination, je n’y prête pas attention. Impossible que ce soit déjà l’heure. Ma cellule est toujours plongée dans le noir pour le couvre-feu de nuit. Le bruit se rapproche et une clé est introduite dans la serrure de ma porte. Décidément, mon étourdissement doit me jouer des tours. Et pourtant, l’instant d’après, quelqu’un entre dans la pièce et referme délicatement derrière lui.
- Elena, m’appelle-t-on.
Au son de cette voix, je me paralyse sur le champ, incapable de respirer. L’angoisse s’empare de moi et je dois dénicher un effort surhumain pour ne pas remuer. Mais qu’est-ce que Tellin vient faire ici ? Alors que mon esprit me hurle de fuir, mon corps décide de faire le mort. Je ne bouge pas et m’escrime à paraitre inerte. Les secondes s’écoulent avant que le major ne déclare d’un ton calme :
- Je sais que tu es réveillée, Elena. Ta respiration est trop irrégulière.
Malgré sa remarque, je ne réagis pas. Je veux qu’il parte. Je n’ai rien à lui dire. Une lampe de poche est allumée et je devine au bruit qu’il fait qu’il se rapproche. Je sens désormais une présence particulièrement oppressante à mes côtés. Je ferme un peu plus les paupières comme si cela pouvait me rendre invisible. Qu’est-ce qu’il va faire de moi ? Ses doigts effleurent ma joue. La répulsion me gagne et je m’écarte tout en prenant garde à rester dos à lui. Je dois prendre sur moi pour ne pas pousser un râle quand les crampes dans mon ventre refluent.
- N’essaye pas de m’ignorer, murmure le major. J’ai à te parler.
- Moi pas, articulé-je difficilement. Va-t’en, Tellin.
- Je n’ai pas d’ordre à recevoir de toi.
- Je ne suis plus ta subordonnée et tu n’es plus mon chef. Je n’ai aucun compte à te rendre.
Il soupire.
- Comme si cela avait de l’importance avant ? raille-t-il. Tu ne t’es jamais souciée de mon grade. De toute façon, je ne partirais pas d’ici sans l’avoir décidé.
Toujours aussi insupportable à ce que je vois.
- Dans ce cas, sois bref et fiche-moi la paix.
Mes ongles s’enfoncent dans la couverture de mon lit à cause d’un nouvel élancement. Pourquoi faut-il qu’il débarque maintenant alors que je suis au plus mal ?
- Comment vont tes blessures ? me demande-t-il en ignorant ma remarque.
La haine que j’éprouve pour cet homme refait brutalement surface et je me retourne. Je retiens une grimace quand mon corps proteste. Mes yeux se posent sur le major. À la lueur de sa lampe de torche, son visage a pris une teinte lugubre, presque menaçante. Je réprime les frissons qui me parcourt. Je me refuse à paraitre faible devant lui.
- Écoute, Tellin, déclaré-je d’une voix étrangement grave. C’est par ta faute que je me retrouve à crever dans ce trou, alors ta pitié, elle peut aller se faire voir.
J’ignore comment j’arrive à garder mon calme et à ne pas cracher ma hargne contre lui. Probablement, car je sais que cela ne fera qu’empirer la douleur qui s’intensifie en moi. Tellin ne semble pas se formaliser de mon ton.
- Nous avions besoin de toi pour poursuivre nos recherches. Tu es bien mal placée pour me faire des reproches. Si tu étais restée bien sagement à ta place et si tu avais écouté mes avertissements, nous n’en serions pas là.
- Tes avertissements ? m’étranglé-je. De quel droit oses-tu m’accuser ? Je n’ai fait qu’aimer Hans. Et tu l’as assassiné !
- En lui racontant ce qu’il se passait dans la section médicale, tu savais quels étaient les risques de cette trahison. Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même.
- Non, Tellin ! Ce n’est pas parce qu’il a appris la vérité que tu l’as éliminé, simplement tu ne supportais que j’aie choisi un autre toi. De nous deux, tu es le plus hypocrite.
Une expression particulièrement sinistre assombrit ses traits avant qu’il ne se mette à rire d’une manière qui me glace le sang. Mon matelas devient humide sous mes fesses, mais je n’y prête pas attention. Paralysée, mes yeux sont rivés sur mon ancien supérieur, c’est le souffle court que j’appréhende la suite. Le fou rire de Tellin s’estompe peu à peu sans toutefois disparaitre complètement.
- Parce que tu crois que j’ai agi par jalousie ? Évite de te donner plus d’importance qu’il n’en est, déclare-t-il en se reprenant. Désolé de te décevoir, mais j’avais des ordres te concernant. T’amadouer, te posséder, ton père n’en avait rien à faire de la méthode. Il voulait simplement que je t’aie sous ma coupe pour mieux te surveiller et écarter les gêneurs potentiels.
Je le fixe comme si j’étais face à un inconnu. Qu’est-ce qu’il vient de dire ? Quels ordres ? Il se rapproche et m’empoigne le visage. Trop terrifiée, je ne réagis pas.
- Tu as raison, Elena. Il est plus que temps que nous cessons cette comédie. Tu te crois attrayante avec un quelconque charme.
Il m’embrasse avant de s’écarter aussitôt et de me lâcher, une grimace de dégoût tordant ses lèvres.
- Bien fade en vérité. Il est vrai que j’ai passé de bons moments avec toi. Il fallait bien que je combine l’utile à l’agréable, mais désormais tu n’es plus rien, juste un bétail comme un autre. J’ai eu un instant de faiblesse aujourd’hui en t’épargnant les tests. J’espère que tu en as bien profité, car avec ta petite crise de tout à l’heure, on va te le faire regretter. N’attends plus de traitement de faveur.
Je le contemple amorphe. Je n’ai jamais fait confiance à cet homme. Je le hais du plus profond de mon cœur, mais en entendant ses mots, je me sens humiliée et particulièrement sale. Je devrais hurler, l’insulter, lui sauter à la gorge pour s’être servi de moi d’une manière aussi perverse. Pourtant, malgré le choc que ses paroles m’ont fait, je demeure là, sans bouger, vidée de toute énergie. Tout ça n’était que comédie ? Une question s’impose soudainement dans mon esprit. Pourquoi est-ce que je n’ai pas laissé Hans l’abattre ? Peut-être parce que je croyais qu’en dépit de ses actes, il restait encore quelque chose à sauver chez Tellin ? Peut-être parce que je ne pouvais tout simplement pas accepter qu’il se soit servi de moi juste pour le plaisir ? Ce n’est que maintenant que je me rends compte que tout ça n’était qu’une stupide illusion et que cette connerie d’espérance m’a fait perdre ce que j’avais de plus précieux. La douleur palpite toujours au creux de mon ventre, mais semble désormais si lointaine. J’ignore quoi rétorquer.
- Pourquoi es-tu là alors ? demandé-je finalement dans un souffle.
La lueur dans son regard devient particulièrement inquiétante. Je regrette aussitôt d’avoir posé cette question dont la réponse n’annonce rien de bon. Il se penche vers moi. Je sens sa main s’appuyer sur ma cuisse et remonter lentement.
- Rien n’est gratuit, 66. susurre-t-il. Je t’ai sauvé la mise aujourd’hui. Sois reconnaissante et laisse-toi faire.
Comprenant où il veut en venir, mon estomac se contracte violemment. Un cri m’échappe, vite estomper par la paume de mon opposant qui se plaque sur mes lèvres. Impossible de le mordre cette fois-ci, il presse mes dents l’une contre l’autre avec une poigne de fer.
- Tiens-toi tranquille, m’intime-t-il. Et je te garantis que cela te plaira.
Je tente de me débattre, malheureusement pour moi il me maintient fermement. Je gémis. Je ne veux pas. Le visage de Hans m’apparait. Hans, sauve-moi. Soudain tout s’arrête et Tellin s’écarte de moi. Je recule pour me coller au mur pour mettre une distance entre nous. Le cœur cognant bruyamment dans ma poitrine. Je relève la tête pour observer le major, prête à me défendre. Qu’il ose m’attaquer une deuxième fois, il le payera. Pourtant loin de lancer un autre assaut, celui-ci contemple avec répulsion ses doigts couverts de sang. Ma gorge se serre quand je croise son regard.
- Je comprends mieux pourquoi tu étais aussi nerveuse ce matin. Décidément, tu réussis toujours à me gâcher le plaisir, lâche-t-il avec dédain en s’essuyant la main. Vous les femmes, vous…
Tellin s’arrête brusquement de parler et semble tout à coup particulièrement alerte. La seconde d’après, je perçois à mon tour des bruits étouffés. Impossible pour moi de dire combien ils sont, mais une chose est sûre, ce n’est pas normal. Personne, à part des détractés comme le major, ne déambule ici à cette heure. Qui cela peut bien être ? Une expression particulièrement dure apparait sur le visage de Tellin qui laisse échapper un juron. Une vérité s’impose d’un coup dans mon esprit. Et si c’étaient les rebelles ? Un optimisme inespéré me gagne atténuant quelque peu la scène d’épouvante que je viens de vivre. J’ai peut-être une chance de fuir cet endroit. Un seul problème. Tellin. Mes muscles se bandent prêts à passer à l’action. Mon crâne et mon ventre ont beau se tordent de douleurs, je les mets en sourdine. Une fois sortie, j’aurais tout le loisir de penser mes blessures. Mon ancien supérieur devant sentir une menace revient vers moi et dégaine son semi-automatique de sa poche. Il retire la sécurité et le pointe sur moi.
- Un geste, un mot, 66 et je tire.
La rage s’empare de moi et je me mets à trembler. Je sais qu’il n’hésitera pas. J’en ai déjà fait les frais. Sans me quitter du regard, il recule. Lorsqu’il touche la porte du dos, il pose sa main sur la poignée et l’abaisse prudemment. Il se décale pour faire une légère ouverture. Le bruit nous parvient plus distinctement, mais je note que les intrus ne se trouvent pas dans notre couloir. Tellin me tient toujours en joue. Mon esprit proteste. Je ne peux pas laisser passer une aubaine pareille. J’écarte les lèvres et je hurle. Mon cri meurt dans ma gorge quand un poing s’abat contre ma tempe. Mille étoiles surgissent dans mon champ de vision et je m’affaisse sur mon lit. Je ne l’entends plus que je vois Tellin sortir en trombe de la pièce et refermer derrière lui. Vacillante, je me redresse avant de m’effondrer aussitôt. Je n’y arriverai pas. L’alarme retentit comme un appel funeste et je comprends que mes chances de victoire viennent de s’écrouler. Un grondement lointain me parvient tandis que je sombre peu à peu dans les ténèbres.
J'espère que du côté de Elena, ça ira mieux par la suite. La pauvre en prends pour son grade...
Bon, du coup, j'ai hâte de lire la suite :D Sauveront ils Elena ? Qu'en sera-t-il de Tellin ? Et Rosie ? Et Vincent ? X) Tellement de question !
Je suis contente de voir que l'histoire continue à t'intriguer et à te plaire ! C'est frustrant de ne rien pouvoir dire, mais promis les réponses viendront :-)