Les pavés brillent. Ils brillent sous la lune.
Mon souffle se déforme. Il se tend, il s’étire, petit fantôme de soie blanche. J’ai froid. Je tremble.
La lune se reflète dans ses pupilles. Noir. Blanc. Blanc sur noir. Le ciel est enfermé dans ses yeux. L’univers y brille, et je sens que tout explose.
Si le ciel avait une voix, il se tairait. Il se tairait… Alors peut-être en a-t-il une ?
Ses yeux pleurent. Je ne le vois pas ; je le sens dans mon cœur en charpie. Mais mon cœur me dit aussi que c’est dans l’oubli que je trouverai mon salut. L’oubli des autres. De mon passé.
Mon oubli, aussi.
Ses yeux pleurent, et je ne trouve pas les mots. Il n’y a rien à dire. Rien pour étouffer ses sanglots, rien pour sécher ses larmes tièdes. Je me tais. Comme le ciel. Il a raison.
Je sais ce qu’il veut. Bien sûr que je le sais. Mais mon retour ne l’aidera pas. Ma présence serait une erreur. Alors je fais un pas en arrière.
— Non !
Il s’avance. Il me supplie. Il s’écroule. Les pavés sous ses genoux maigres résonnent faiblement. Le son me fait mal. Il me heurte comme une lame aiguisée plantée dans mon ventre.
Je détourne la tête. Les larmes montent en moi, ma gorge se serre. Mais je refuse. Et je m’éloigne. Les seuls mots que je prononcerai seront des mots d’adieu.
— Dis lui que je ne reviendrai pas.
º • · .•. · • º
Alimë s’était redressé sur son lit, le regard perdu, errant le long de son passé. Ses doigts serraient le drap blanc de son lit, si fort qu’il semblait que ses os jailliraient bientôt au travers de sa peau pâle. Les larmes du garçon avaient imprimé deux lignes claires sur ses joues. Les traces d’un souvenir trop longtemps refoulé.
Reprenant son souffle, le garçon se leva en chancelant et s’approcha de la fenêtre-hublot, prenant garde de ne pas éveiller ses compagnons de chambre. Ses lèvres se serrèrent. Étaient-ils là, quelque part ? Leurs regards étaient-ils tournés dans sa direction ?
Pensaient-ils à lui ?
Alimë secoua fébrilement la tête. Ils avaient certainement eu tôt fait d’oublier un traître, un fils perdu, un frère lâche. Ils avaient depuis longtemps enterré le son de sa voix, la fréquence de ses respirations, les traits de son visage, la cadence de son pas. Sa vie était partie en fumée.
Il détourna la tête. Il avait soudain besoin d’être seul. Face à lui-même.
Et il savait où se rendre pour exaucer son souhait.
Silencieusement, il enfila quelques vêtements de plus, puis abaissa la poignée de la porte grise et s’extirpa de l’air épais qui avait envahi leur nuit de sommeil. Après avoir longé plusieurs longs couloirs, il pénétra les entrailles de la tour par une petite trappe verticale. Puis il progressa parmi les conduites et les engrenages, plongé dans une pénombre presque parfaite. De temps à autre, de la vapeur enveloppait ses jambes.
La première fois qu’il s’était aventuré dans ce décor tortueux, il s’était étonné de la présence d’eau. Dans les villes, toutes les conduites, tous les tuyaux étaient fabriqués dans des matériaux déformables, de façon à pouvoir faire le vide à l’intérieur, une fois l’eau desservie à l’endroit voulu. Cela évitait d’affaiblir la population à chaque verre d’eau. Ici cependant, ces mesures n’avaient pas été prises alors même qu’il se trouvait au second niveau de la tour. Il semblait que personne ne s’inquiétait des impacts de l’eau sur le corps des assistants. Alimë se demandait s’il en était de même au premier niveau, là où logeait le personnel supérieur.
Arrivé au bout d’une allée de métal, le garçon tourna vers la gauche afin de se diriger vers l’extérieur. Malgré la présence de vapeur, son pouvoir brouillait légèrement sa perception de l’espace, et Alimë devait être attentif afin de ne pas se perdre.
Enfin, il atteignit une petite porte, traversant le mur donnant vers l’extérieur. Il la déverrouilla à l’aide d’une manivelle noire et posa un premier pied sur la plateforme métallique noyée des lueurs lunaires. Aucun mur, aucune barrière ne le séparait plus du vide. L’air froid se saisit de son petit corps chétif, se joua de ses longs cheveux blonds, imprégna sa gorge d’une odeur de nuit et de sel. En bas, tout en bas, à quelques centaines de mètres de là, la mer grondait dans le clair de lune.
Alimë s’assit, le dos contre la tour, les genoux serrés sous son menton. Maintenant qu’il était sorti du corps de la bête, il savait qu’il aurait tôt fait d’avoir froid. Cependant, cette pensée n’empêcha pas son esprit de se tourner vers le lointain. Vers le néant des ténèbres nocturnes. Vers le souvenir de son départ. Le garçon n’était toujours pas sûr d’en comprendre les raisons, mais, à présent, il pouvait en saisir pleinement les conséquences.
Le jour où Seth lui avait proposé de se rallier à ses rangs, il avait quitté à jamais son village. Sa famille. Ses sourires. Ce jour-là, il lui avait dit oui. Il avait accepté sans hésiter. Parce qu’il voulait aider. Parce qu’il se sentait fort. Parce que c’était Seth. Aurait-il accepté, aujourd’hui, s’il le lui avait à nouveau proposé ? Certainement, oui. Mais il ne savait toujours pas pourquoi.
Seth lui avait promis que sa famille serait fière. Sa famille était-elle fière de lui ? Tout ce qu’il avait ressenti, c’était de la peur et de la tristesse. Ils avaient peur de le perdre, et pleuraient déjà sa disparition, ce jour-là. Eux aussi s’étaient demandé pourquoi. Eux aussi n’avaient pas su répondre.
Alimë n’avait rien dit à sa mère. Il était parti dans la nuit, sans rien dire.
Il aurait tout donné pour la revoir une dernière fois.
Il aurait tout fait pour lui adresser un dernier adieu.
Mais il était parti comme un voleur, comme si elle était la mère d’un enfant qui venait de disparaître, et qu’il était à peine né, lui, fruit de ses idées, de ses désirs, prêt à fuir dans les rues. Dans les bois. Dans une tour.
Non, pas une tour. Une prison.
À chaque fois qu’Alimë venait se percher en haut de sa plateforme de métal froid, il se sentait petit et seul, si petit et si seul, sur le dos de cet être de malheur, qu’il perdait ses convictions. Mais pourtant c’était tout ce qui lui restait. Depuis trois ans déjà, il marchait sur les pas de ses prédécesseurs, cherchant dans sa mission l’idéal dans lequel, tous les soirs, il se voyait vivre. Il croyait en Seth, il croyait en son travail.
Il y croirait toujours.
º • · .•. · • º
Lorsqu’il pénétra à nouveau dans sa chambre, Alimë avait retrouvé sa confiance et ses certitudes. Il s’allongea sur son matelas improvisé, à même le sol, conscient qu’il ne retrouverait pas le sommeil avant le soir suivant. Il fallait pourtant qu’il se repose s’il ne voulait pas que le docteur se pose des questions sur son état.
À côté du petit assistant, un livre gisait, mâchoire béante. Les yeux du garçon s’attardèrent sur les premières lignes. Elles décrivaient les capacités d’un ancien Aïdenon de secteur D, de classe moyenne, qui avait été étudié jusqu’à ce que mort s’en suive, une vingtaine d’années plus tôt. Depuis que ce détenu avait succombé aux traitements et analyses des spécialistes de la tour, ces derniers avaient mis à jour les normes de sécurité, limitant ainsi les risques qu’un tel évènement ne se reproduise. Malgré tout, l’on en avait appris long grâce au sacrifice de cet homme qui, aux yeux des scientifiques, n’était plus qu’une matricule : D5 – 27 – 02. Ce ne sont pas des hommes ou des femmes, mais des sujets, avait-on enseigné à Alimë lorsqu’il était encore nouveau à la tour, ce qui ne veut pas dire qu’il faut les considérer comme des objets, bien entendu. Vous avez le droit d’avoir de la peine pour eux, dans la mesure où cette sympathie n’entrave pas les avancées des expériences, mais n’oubliez jamais que ces sujets ont été des criminels et ont abusé de leurs capacités. S’ils sont enfermés, ils ne peuvent que s’en vouloir à eux-même.
Alimë doutait de ce que le docteur lui disait, mais qu’en savait-il de plus ? Tant qu’il ne pouvait rien affirmer, le doute restait, bien qu’il eût connaissance de la version en laquelle Seth croyait.
Alimë n’avait pas refermé l’œil lorsque les premiers rayons de soleil s’invitèrent dans la chambre et réveillèrent les autres endormis.
Tout était paisible.
Paisible ?
Du coup, le changement de type de narration alors qu'on reste avec le même personnage et la même focalisation (interne) me semble avoir assez peu de sens ou d'intérêt en termes d'apport scénaristique.
À la fin du chapitre précédent, j'ai pensé naturellement que changement de narration = changement de narrateur = changement de personnage. Et que le "je" était donc la voix de l'homme dans le tube, dans la cellule. Qu'on aurait son point de vue, sur ce qu'il ressentait, vivait, depuis sa prison ou comment il était arrivé, et que son destin s'entrecroiserait avec celui d'Alimë.
Donc à moins qu'Alimë et l'homme mystérieux soit la même personne, ce qui serait un sacré plot twist, je ne comprends pas ce que tu cherches à transmettre à travers ces changements de narrations qui, de base, ne sont pas conventionnels et ne sont pas considérés comme "réglementaires" dans la structure narrative d'une oeuvre. On choisit en général une narration en "je" ou à la 3e personne, et on s'y tient.
En outre, je trouve qu'il faudrait parfois expliciter certains passages, comme quand Alimë parle de sa famille, c'est parfois très abstraits ou pas très clair, voire un peu confus. Entretenir le mystère sur certains points quand cela est nécessaire pour le suspense c'est bien, mais il faut doser. On a évoqué Seth dans la chapitre précédent. Dans celui-ci, il aurait été intéressant de le développer davantage : nous donner une description physique (un ou deux traits particuliers), nous montrer une partie de son caractère à travers ses interactions passées avec Alimë, nous révéler son lien avec lui, comment ils se sont rencontrés, son rapport avec sa famille, ou la relation d'Alimë avec celle-ci, de façon plus détaillée et compréhensible.
Tu as une très belle plume, un style très poétique et contemplatif, ce qui se ressent surtout dans tes descriptions qui sont très immersives. En revanche, cela manque un peu de rythme au niveau de l'action et de la progression de l'histoire. Il faudrait arriver à doser et équilibrer entre moments un peu plus abstraits d'introspection, et des moments où il se passe vraiment quelque chose (dans le passé ou le présent d'Alïmé), des moments de tension et d'action un peu plus directs, même si ce sont des petits incidents de la vie quotidienne, mais qui pourraient révéler des choses plus inquiétantes sur la tour, la personnalité des gens qui y travaillent, l'autorité qui permet de contrôler les lieux, etc.
Je reviens ici sur la seconde partie de ton commentaire, la première ayant été longuement abordée dans mon commentaire précédent (voir chapitre 3).
“En outre, je trouve qu'il faudrait parfois expliciter certains passages, comme quand Alimë parle de sa famille, c'est parfois très abstraits ou pas très clair, voire un peu confus. Entretenir le mystère sur certains points quand cela est nécessaire pour le suspense c'est bien, mais il faut doser.“
>> J'avoue que c'est quelque chose que je craint souvent, d'avoir un rythme trop lent dans mon écriture, cette remarque pointe donc un détail très important à mes yeux. Je n'avais pas l'impression que les informations venaient trop lentement, et ai justement fait des efforts, jusqu'à présent, pour que chaque chapitre apporte son lot de détails.
Cependant, si tu penses que le rythme a de quoi être améliorer, je prends en note. J'ajouterai certainement des détails, mais je ne peux pas tout dévoiler non plus... En réalité, sa relation avec sa famille prend de l'importance plus tard. Quant à Seth, il est un peu plus détaillé dans les chapitres suivants.
Je veillerai donc à clarifier un peu les choses, tout en ne donnant pas toutes les réponses immédiatement.
Encore une fois, merci d'avoir pris le temps d'écrire un commentaire si complet ! J'espère que la suite sera plus limpide !^^
On voit arriver le thème de la famille dans la narration, cette notion jouera-t-elle un rôle clef plus tard ?
Pour l'instant, le quotidien se passe, un quotidien qui précise ce qu'on pouvait penser dans le chapitre précédent, à savoir un complexe de labo/prison dans lequel il se serait embarqué presque malgré lui. On dirait qu'il est à la fois soulagé est terrifié d'être là où il est, c'est très intéressant.
>> C'est cela, oui, tu as très bien compris son ressenti ! :)
“On dirait qu'il est à la fois soulagé est terrifié d'être là où il est, c'est très intéressant.”
>> C'est très vrai, tu en apprendras plus par la suite sur les raisons de ces sentiments contraires...