Chapitre 4

Notes de l’auteur : Réécriture

- Tu en as mis du temps, Kelly. Je pensais sincèrement que cette information t'aurait fait venir plus vite.

Quand Yrsa avait fait sa révélation, Kelly l'avait entraînée malgré ses protestations à l'extérieur de la maison. Sans un mot, elle s'était faite comprendre. Elle n'avait aucune seconde à perdre et sous ses gestes fermes, la Totemaüs s’était transformée en un chat sibérien de taille humaine. Habituée, Kelly s'était dressée sur son dos et ses doigts avaient glissé sous son pelage. Comme guidée par son tempo, Yrsa avait calqué ses mouvements sur les siens et avait foncé en grands bonds vers le portillon. À la fois sinueux et étroit, le labyrinthe de buis ne les avait pas ralenties et Kelly s'était imposée dans la salle du trône. 

Deux minutes top chrono.

La remarque d’Abald l’aurait presque fait sourire. A la place, elle lui jeta un regard méprisant. Il ne le releva pas, bien assis bien droit sur son trône de grenat et de marbre. Tout chez lui lui déplaisait. De son caractère à sa posture en passant par son apparence. Pas qu’il soit laid, loin de là. Grand, yeux bleus perçant de Rêveurs, teint pâle, mâchoire bien tracée, barbe parfaitement rasée, majorité de cheveux gris parmi les bruns. Mais sa présence avait quelque chose de dérangeant, que ce soit dans ses froncements de sourcils désapprobateurs, dans ses coups d'œil glacials, dans sa posture irritée ou dans son visage tendu.

- Ça dépend, quand penses-tu que j’ai reçu l’information ? Je ne suis responsable que du temps que je mets pour arriver, les autres facteurs dépendent entièrement de toi. Une erreur dans ton précieux système, peut-être ?

Abald ne prit pas la peine de répondre. Kelly n'avait jamais montré une seule pointe de respect pour la hiérarchie en dix ans et pas une fois il ne s'en était plaint. Sûrement était-ce parce que c'était la seule chose qu'il aurait pu lui reprocher, et qu'elle était de tout manière trop téméraire pour arrêter.

- Je pensais que tu ne voulais pas perdre de temps, Abald, reprit-t-elle après quelques secondes sans paroles. Donne-les moi, tes infos sur l’Ukilibah, qu’on puisse passer à autre chose.

Les Capes postées dans la salle, toutes Orange clair brodées de blanc - la garde rapprochée d’Abald - discutaient de son comportement par regards incrédules. Un problème, peut-être ? 

- D'autres cherchent la pierre.

Frustrant, mais prévisible. Un flot de questions se déversait dans l'esprit de Kelly. Depuis combien de temps eux, la cherchaient-ils ? Que comptaient-ils en faire ? A côté de quoi était-elle passée ? Qu'aurait dû-t-elle faire pour avoir davantage d'avance ? Où n'avait-elle pas cherché ?

- Ils ont des pistes bien plus fondées que les nôtres, lui expliqua Abald en mettant fin à sa torture psychique. Yrsa les a rencontré personnellement, ils sont cinq. Un Maître des Rêves, un Meneur de Temps, un Technimage, et deux elfes, une Solaire et une Lunaire. Tu trouveras des informations en quantité sur eux dans le rapport. Ils ont fait leur dernière halte dans un Sialer du sud-ouest d’Ednete. Ils se dirigent actuellement vers N’Revac. Ils ont des chevaux, mais devront les abandonner lors de leur ascension dans les montagnes. Pour les rattraper, je te suggère de prendre un lion astral. Nous supposons aussi qu’ils puissent continuer vers Serulurb. Cela tombe plutôt bien, nous venons tout juste d’apprivoiser un rojeau.

Un rojeau et un lion astral. Ça n'étonnait même plus Kelly. Ça aurait dû. Ces deux-là étaient vénérés presque autant que Caleb. Si rares et puissants qu’il était moralement impossible de les voir comme des montures. Mais ils étaient pratiques. L’un comme l’autre pouvaient changer de taille à volonté, domptant les trois mètres ou se prosternant à dix centimètres. Et l’un comme l’autre possédait leurs terres, afin d’atteindre les sommets d’N’Revac, ou de survoler le désert de Serulurb. Pour cette raison, Kelly ne protesta pas.

- Les voyageurs sont-ils pistés ? se dépêcha-t-elle de demander.

- Yrsa s'en est personnellement chargée. D'autres Capes préparent ton équipement en ce moment même. Je te laisse y apporter les modifications nécessaires, et tu peux évidemment gérer les provisions. Yrsa a demandé un peu plus de temps pour finir son rapport, et te remettra une copie à la bibliothèque plus tard dans la soirée.

Kelly ferma les yeux, histoire d’emmagasiner au mieux les informations. Son cœur palpitait dans sa poitrine au rythme de tout ce qu’elle imaginait. Une piste s’ouvrait à elle, inconnue. Le chemin vers l’Ukilibah. Et d’autres le parcouraient, depuis sans doute moins longtemps qu’elle, mais déjà devant elle. 

Pas grave.

Kelly les devancerait, ou les éliminerait. Mais chaque chose en son temps. Il lui restait des préparations nécessaires au voyage. Vérifier l’équipement, l’ajuster, passer à l’arm …

- Tu peux disposer.

Abald l’interrompit dans ses pensées. Elle rouvrit les yeux, en profita pour lever le menton, condescendante, et puis s’en alla sans un regard en arrière, sans s’incliner, sans aucune autre forme de respect.

Demain à l’aube, Kelly partira. Cela lui laissait la fin de journée pour se préparer, et la nuit pour se reposer. Elle en aura besoin. Le voyage pourrait durer une dizaine de jours, et bien qu’il commençait en douceur avec les plaines infinies de Tshendir, il s’interrompait avec des centaines de montagnes. Froides, dangereuses, immenses. Kelly avait toujours pris soin de les éviter. 

Après quelques couloirs empruntés, Kelly put lire sur une fine plaque d’or “Salle de préparation” en une calligraphie élégante. Elle poussa le panneau de la porte et entra. La pièce était spacieuse et parfaitement ordonnée. Chaque armure, arme, invention, équipement avait une place logique. De quoi lui plaire. Tout était étiqueté et remis à sa place après utilisation. 

À l'intérieur de la pièce, plusieurs Capes Brunes s'activaient. Elles ne remarquèrent pas immédiatement la nouvelle arrivante, occupées par leur travail. Ça ne dura pas longtemps. Faut bien dire qu’on n'ignore pas longtemps une Cape Noire.

- Cape Terroc, nous euh… finissons les préparations. Avez-vous une requête spéciale ?

Grand, brun, le jeune homme - adolescent ? - qui venait de lui adresser la parole manquait pauvrement d’assurance. Il se mordait la joue, légèrement potelée, en attendant une réponse, et son regard esquivait constamment son interlocutrice. Kelly lui trouvait un petit air naïf. Ça lui était suffisant pour lui jeter un regard ironique. Elle eut presque pitié de lui. Une pitié moqueuse et jalouse. Si, petite, elle avait été comme lui, Abald aurait sûrement laissé tomber. Il n’aurait rien attendu d’elle. Tout comme Kelly n’attendait rien de la Cape qui se tenait face à elle. Elle n’en valait pas la peine.

- Donne-moi la liste de tout ce que vous avez déjà préparé pour moi.

- Tout de suite euh… Cape Terroc.

Il se dépêcha d’un pas maladroit de récupérer le bout de papier qui pendait au mur et le lui rapporta. Kelly n’attendit pas qu’il le lui tende pour le prendre et le lire. 

- Un sac interdimensionnel ?

- Euh, oui. C’est … un sac de ma propre création ? expliqua-t-il incertain. J’avais créé un prototype l’année passée, mais après plusieurs tests il n’était pas … euh, opérant, alors j’ai tenté autre chose, mais j’ai pas …

- Abrège.

- Ah, oui, euh. Il vous permet de stocker un nombre euh, illimité, ouais, illimité d’objets dans une dimension … parallèle ? et de les récupérer ensuite. 

Un Réaliste. L’équipement de l’Ordre des Capes empêchait de distinguer la plupart des différences raciales. Kelly l’avait d’abord prit pour un Technimage - habituellement, ce sont des Technimages qui s’occupaient d’inventer. Mais lui avait trouvé sa place dans une faction qui ne lui était pas réservée. Faut bien dire qu’il avait du talent. Les Réalistes capables de modifier l’espace-temps étaient des perles rares.

- Ouais euh, je précise rapidement mais la nourriture tout comme euh… les êtres vivants ne peuvent pas y rentrer. C’est à cause d’un processus de passage à euh … Ouais, bref. Tout ça pour dire qu’il y a un deuxième fond pour pouvoir euh... ouais, remédier à ce problème.

- Intelligent. Faudrait qu’Ales passe plus de temps avec toi.

- Hein ? Euh …

- Laisse tomber. J’ai checké la liste, c’est une bonne base. Retrouve dans les archives la liste de mon équipement de ma dernière mission, et ajoute la. Prends aussi des patchs et résistance au froid et au chaud. Si tu vois quelque chose de supplémentaire qui pourrait m’être utile, mets le dans l’autre dimension du sac, et dresse une liste. Je repasserai.

Le Réaliste sourit, un peu niais, ou un peu fier. 

- Oui, Cape Terroc.

 

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- Kelly ? Tu es rentrée ?

- Oui.

- Alors, de quelles informations parlait-elle ?

- D'autres cherchent la pierre.

- Et s'ils la trouvent avant toi ?

- Je devrais la leur reprendre.

- Tu pars quand ?

- Demain. À l'aube.

- Vers où ?

- N'Revac et peut-être Serulurb.

- Serulurb ? Mais, tu vas faire comment ? Tu sais très bi …

- Il faut dormir. Bonne nuit San.

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Un froid oppressant tiraillait les poumons de Kelly, les transperçant de l'intérieur. Pourtant, une chaleur étouffante alimentait ses rêves. Tout était flou, sombre ... et effrayamment silencieux. Aucun son ne lui parvenait, aucune parole ne sortait de ses lèvres agitées, même le souffle du vent ne se faisait pas ressentir. Mais y avait-il seulement du vent ? Rien ne venait lui caresser le visage. Le silence : insurmontable, incassable, invincible, puissant. Il lui donnait la chair de poule. Et puis, soudainement, un mouvement. S'ensuivit un rugissement qui déchira le ciel de nuit. Bientôt, une lueur vive agressa les nuages.

Un sursaut la parcourut et ses yeux se rouvrirent immédiatement. Lorsqu'elle recouvra la vue, elle fut surprise. Son regard ne se posa pas sur sa table de chevet, ni sur le plafond de sa chambre. Son regard glissait simplement sur une petite fille aux cheveux brun mat et aux yeux cuivrés torsadés d'acier. C'était elle. Ou plutôt, une imagination d'elle lorsqu'elle avait cinq ou six ans. Son père était assis sur le bord de son lit et partageait un de leurs nombreux moments de complicité. Aah, une belle époque. Tous deux riaient, jouaient. Vivaient.

Ça lui manquait. Les taquineries innocentes et la tendresse paternelle. Tout ce dont elle avait été privée pendant des années. C’était dur à regarder. Alors son attention dévia sur le décor. Kelly y aperçut la petite bibliothèque dans laquelle, plus jeune, elle rangeait soigneusement chaque livre après utilisation. Classés par taille et trié par couleur, son regard accrocha l’ancienne édition de “À la découverte d’Adama”. Elle reposait encore dans sa petite chaumière. C’était le dernier objet qui la rattachait à sa vie d’avant. À cette période-là, elle trouvait les livres beaucoup plus intéressants que les autres enfants. 

- Tu me racontes une histoire ? demanda la petite fille, ce qui força la plus grande à la regarder. Mais par pitié, pas celle de la création ... Tu me l'as déjà racontée des centaines de fois. En plus je peux la relire quand je veux. Je sais très bien comment ça va se finir. On sait tous comment Caleb a fait pour changer le monde et devenir le Dieu. Raconte-moi une. vraie. histoire. intéressante.

- Je ne sais pas, moi, réagit son père, penaud.

- De toute manière, tu sais jamais rien.

- Un peu de respect ! Je suis ton père et t…

- Et bien non, justement, tu n'es pas mon père. Tu n'avais pas encore remarqué ? Pour un Meneur de Temps, tu n'es vraiment pas à la page.

Kelly ne s'autorisa pas à sourire devant ce souvenir, bien que son coeur s'y prêtait. Elle et son père n'arrêtaient pas de se chamailler et sa mère était exaspérée par autant de gamineries de leur part. C'est d’ailleurs pourquoi la plupart étaient inventées juste pour la taquiner.

Devant la paisibilité de la scène, Kelly avança de quelques pas vers eux. Elle aurait tout donné pour être attirée dans cette dimension. Ça semblait si confortable. Si envieux. Une simple vie de famille complice. Pour certains, c'était un droit. Pour d'autres, un objectif de vie. Pour Kelly, du passé.

- Papa …

Il ne l'entendit pas. Ce n'était qu'un souvenir, pourquoi l'entendrait-il ?

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Le jour était loin de se lever, pourtant l'envie de sortir était irrésistible. Pourquoi ? Aucune idée. Une impression, un sentiment. Kelly se redressa pour abandonner sa grosse couverture et enfila ses bottes. Silencieusement, elle descendit les marches d'escaliers jusqu'à la porte close. Après une courte inspiration, elle l'ouvrit et sortit de la maison. Dehors, le froid la fit frissonner. Dans cette dimension sans nuages, les étoiles encombraient toujours la nuit sombre sans jamais s'éteindre.

Lentement, Kelly s’assit dans l’herbe sèche. C’était beau, le ciel. La nuit, il était vaste et vivant. Plein de planètes. Et vivant. Le jour, il était lumineux et vide. Un soleil. Et vide.

Vide de vie.

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JimCobrel
Posté le 07/09/2024
Excuse-moi, j'ai eu un soucis avec mon adresse Email, j'ai du supprimer et rééditer mon compte.
Ne te décourage pas, garder la cohérence est un défi pour tout écrivain. Quand tu es plongé dans l'écriture, il est facile de laisser échapper certains détails, ou de penser que ce qui est évident pour toi l'est aussi pour le lecteur. La construction d'un univers est un processus vivant, qui évolue à chaque relecture. Tu as déjà un style qui captive et immerge le lecteur, et c'est un atout majeur.

C'est un travail complexe qui demande du temps et du recul. Quelques incohérences ici et là ne suffiront pas à ternir ton œuvre. Je comprends ton besoin de remettre tout en question à chaque critique – je fais souvent la même chose. Mais au final, ce qui importe, c'est ce lien que nous avons avec notre histoire et nos personnages.

Ton histoire gagne en densité, et c'est normal que tu doives te concentrer davantage sur la description et l'analyse plutôt que sur l'action pure. Ce n'est pas un défaut, surtout dans ton genre de récit ; c'est même presque inévitable. Si tu apprécies Tolkien, tu connais déjà ce type de rythme plus lent et détaillé par moments. Certes, tu n'en es pas à décrire une poignée de porte pendant trois pages, mais il est essentiel d'intégrer un peu de lore à ton univers. Et tu y parviens plutôt bien en le diluant dans ton récit de manière fluide.
Sistergrune
Posté le 09/09/2024
Coucou Jim,

Pas de souci! Tant que tu as réussi à le récupérer, c'est le principal pour toi!

C'est effectivement une difficulté majeure à dépasser! J'ai beaucoup trop de mal à ce niveau là haha! Si mon style te plait, c'est un immense bonheur pour moi. J'ai mis énormément de temps à le développer, alors ça me fait toujours plaisir!

Sur ce point là, encore une fois, nous nous rejoignons. Mais grâce à toi et le point de vue récent d'une amie, j'ai compris que ces critiques n'étaient qu'un plus pour me faire grimper d'un échelon et que je m'en sortais déjà bien haha.

Merci beaucoup pour ce retour, et même si je n'ai pas encore eut la chance de découvrir par les romans l'univers de Tolkien, je m'imagine très bien le style d'écriture!

J'aurai moi-même une petite question! Ou plutôt une demande. J'aimerai beaucoup m'améliorer, et je pense que pouvoir demander un avis sur x ou y chose a quelqu'un est une pièce supplémentaire pour amener à perfectionner mon roman. Je me demandais donc si l'on pourrait continuer de parler via Discord, sur lequel je me présente sous le même
pseudo qu'ici !

Si ça ne t'arrange pas spécialement, et que tu veux justo venir pour parler, ça me va aussi !

À très vite !

Grunie
JimCobrel
Posté le 10/09/2024
Ok, pas de soucis, je t'ai rajouté. Je suis pas très vocal ou autre mais tu peux poser des questions sans soucis. Si je peux y répondre je le ferai. Dés que j'ai un peu de temps, je viens faire les retour plus complet comme promis.
Merci d'être passée sur mon histoire, tu ne dois pas te sentir obligée d'y aller, tu ne me dois rien.

à très vite
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