Chapitre 4 : Des vacances bien mérité

À son réveil, Lady Oz remarqua tout d’abord qu’elle était dans sa tenue d’intérieur lumiros. La couleur de ses cheveux et de ses yeux avaient changé, sa coiffure également. Elle le sentit en déplaçant lentement sa main vers un chignon parfait duquel aucune mèche ne dépassait. La deuxième chose était qu’elle se trouvait dans une chambre, sur un grand lit en bambou, au-dessus d’un sol en tatamis. May gémit en mettant sa main sur son ventre. Elle avait des bandages partout, sa régénération commençait à peine à se mettre en route. Un rayon doré sortit de sa bouche  et entoura son corps en quelques minutes seulement. Elle était seule dans cette pièce lui rappelant la dimension. La décoration était sobre, et peu de meubles s’y trouvaient. 

Uniquement le nécessaire : une grande armoire, un paravent qui cachait la douche encastrée dans un mur à droite, un futon à deux places sur un matelas géant et une table de chevet avec une bougie. Quelques secondes plus tard, elle se redressa sans plus aucune douleur. Elle se plaça sur le bord du lit et toucha la soie dans laquelle elle s’était reposée. Délicatement, elle enleva les tissus sur sa peau et les déposa dans la bassine mise à sa disposition. May se leva et ouvrit la porte coulissante. Elle traversa plusieurs couloirs peu lumineux mais malgré tout chaleureux. Elle descendit un escalier et trouva les portes de l’annexe fermées. Elle vit de la lumière émanant de l’intérieur de la pièce, s’en approcha, et automatiquement le passage se libéra. Une vieille horloge sur sa gauche lui indiqua l’heure : huit heures pile du matin.

 

— Ah bah enfin ! s’écria Ora, en hauteur sur une échelle. J’ai trouvé ce satané bouquin !

— Je te l'avais bien dit... soupira Izumi en faisant sa toilette sur l’une des tables de l'annexe. Ah tiens, on dirait que notre héroïne du dimanche s’est réveillée.

— Mes salutations, Ora... Gardienne Izumi...

— Ça fait plaisir à entendre ! Ça me rappelle le bon vieux temps. J’étais à cette époque une femme pleine de charme, et les demoiselles tombaient toutes à mes pieds. J'arrivais à le faire sans filtre d’amour. Enfin, presque sans.

 

Izumi se mit à rire sous les yeux désapprobateurs d’Ora. Mais ceux de May était contents, et elle se retint de se joindre à la bonne humeur d’Izumi.

 

— Izumi ! 

 — Eh bah quoi ! Je pouvais bien m'amuser un peu pendant ma jeunesse. Ora m'appelait “ Gardienne Izumi “ autrefois, mais maintenant c’est juste Izumi… que le temps passe vite.

— Ne l’écoute pas, May. Approche, j’ai fait le petit-déjeuner.

— “ Tu ”, vraiment ? lâcha Izumi.

 

May s’assit sur une chaise et vit Izumi sauter sur le sol avec la grâce d’une danseuse étoile. 

May ajouta de la sauce soja sucrée sur son riz blanc tout en jetant des regard à Ora qui, fidèle à son habitude, n'arrêtait pas de travailler. Posés à côté de son thé chaud, des livres empilés les uns sur les autres. Ora tourna quelques pages, lut des paragraphes entiers et nota sur un carnet ce dont elle avait besoin de se rappeler. Elle ferma le premier ouvrage et tourna son regard vers l’autre. Pendant de longues minutes, un silence s'installa dans l’annexe. May pouvait apprécier la beauté de la pièce en toute tranquillité. Ora utilisa sa magie pour ranger les ouvrages à leur place, des cendres de phénix sortant d’une de ses mains et volant dans la pièce avant de se poser dans un coin. Puis elle but une longue gorgée et adressa de nouveau la parole à May en lumia.

 

— À vous maintenant, May.

— C’est pas trop tôt, chuchota Izumi, impatiente. 

— Je vais vous laisser du temps pour réfléchir à la proposition que je vais énoncer. Je vous propose de devenir ma première élève afin de développer davantage encore votre don.

— Ça donne envie, n'est-ce pas ? murmura Izumi.

— Grâce à moi, vous allez acquérir plus d’expérience qu’avec n’importe quel autre sensei. Ici, il y a tout le savoir de l’univers.

 

Ora prit un journal et le posa devant May en tapotant sur un certain article évoquant ce qui s’était passé la veille. La photographie en première page était plus parlante que le titre. Une image vaut mille mots.

 

— San Francisco aura besoin d’une superhéroïne pour veiller sur elle. “La femme aux cheveux bleus” va devoir apprendre les ficelles du métier.

— Attendez, ce que vous me proposez est… vraiment réalisable ? Je ne sais pas si je peux arriver à combattre Jeanne et Pedro toute seule…

— Je n’ai jamais dit de vous en prendre directement à eux… pas tout de suite, en tout cas.

— M’enfin tu l’as pas complètement précisé, ça, marmonna Izumi en se couchant sur les genoux de May. Laisse-la respirer après la soirée qu’elle a passée…

 

 — C’est toi qui dis ça, souffla Ora, exaspérée par l'attitude d’Izumi. Nous allons nous revoir très bientôt, May, et j’espère qu’à ce moment-là vous aurez pris une décision.

 

Ora ouvrit les grandes portes pour laisser May aller travailler à Le Paradis. Celle-ci retrouva facilement le chemin vers sa boutique. Des vêtements de rechange l’attendaient à l’étage, dans le placard de la chambre. Elle se changea, descendit les escaliers, puis passa le balai en musique. Elle avait mis la tenue six de sa garde-robe, qui comportait : un chapeau, un chemisier avec un nœud, une longue jupe, un petit sac, une paire de collants et des chaussures à petits talons. May déposa son couvre-chef sur le porte-manteau à côté de son sac, dans le bureau. Elle encaissa une cliente qui avait acheté deux produits-phares de Le Paradis : une sculpture en verre massif d'Alfredo Barbini, représentant un écureuil, et une ancienne caisse enregistreuse suédoise utilisée dans la première moitié des années 1900. Un Marine s’approcha du comptoir et expliqua qu’il cherchait un cadeau pour sa femme. May passa la journée entière à lui proposer des objets, mais aucun ne lui plaisait. Un lui tapa finalement dans l’œil, mais elle lui apprit que son chapeau n’était pas à vendre. 

Il fit un scandale, ce qui laissa May de marbre. Elle but des gorgées d’eau pendant qu’il attirait l’attention de tout le monde, puis posa enfin sa boisson et croisa les jambes sur son siège. 

 

— Monsieur, je ne m'excuserai sous aucun prétexte de ne pas vous vendre un chapeau qui M'APPARTIENT.

 

Le Marine sortit énervé de Le Paradis, sous le regard encore calme de May, soulagée que la situation n’ait pas empiré. May retourna à ses occupations jusqu'à sa pause. Pour une fois, elle eut envie de sortir et d’aller manger au Sushi Goemon Restaurant. Elle marcha de rue en rue avant d’arriver à destination. Après avoir pris une table, elle commanda rapidement son menu spécial, star du coin. Au moment du dessert, un homme la regarda finir ses nigiris sucrés. May se sentait mal à l’aise qu’on la fixe ainsi. Elle leva malgré tout la tête et remarqua que la personne qui l'observait depuis l’entrée était proche de Joyce, très proche d’elle. May sentit une nouvelle émotion monter en elle, la jalousie. 

Elle n’arrivait pas à supporter qu’on s'approche de son crush. Ses cœurs battaient fort, son sourire avait disparu et ses poings se fermèrent rapidement à la seule vue du jeune garçon, qui d’après elle n’était pas assez bien pour Joyce. Il était grand, brun et légèrement musclé. Son sourire aveuglait les femmes du restaurant, May étant l'exception. Ils s'approchèrent de May qui, bras croisés, commença à ressentir de plus en plus l’envie de courir. De partir loin de là où elle se trouvait pour ne plus voir ces deux-là ensemble. 

 

{Gardienne Izumi a raison. J’ai besoin de souffler un peu, de prendre des vacances. Seule ? Ce serait une première, mais pourquoi pas}

pensa May

 

— May, je te présente Charles, mon petit ami. Charles, voici ma meilleure amie et colocataire, May.

— Enchanté, May.

— De même... répondit May en regardant ailleurs.

 

{Je n’ai pas du tout confiance en toi, Charles}

pensa May en supportant littéralement la présence de l’intrus

 

May allait se lever quand Joyce lui demanda de rester un peu pour qu’elle fasse davantage connaissance avec Charles. Cette idée la dégoûtait plus que de s’occuper des ordures seule, avec ce parfum vraiment fort et parfois insupportable. Les yeux verts de Joyce la suppliaient presque. May finit par rester et écouta comment ils s’étaient rencontrés.

{C’est tellement cliché}

pensa May pendant le récit de Joyce

 

Même si May jugeait les lieux où Joyce et Charles n’avaient pas arrêté de se croiser durant tout le mois, elle oubliait qu’elle aimait les promenades sur la plage jusqu’au coucher du soleil. Scène clichée d’une romance à l’eau de rose. Toujours hétérosexuelle, en plus. Elle rêvait toujours de ce genre de moment avec Joyce. Mais ses rêves ne relevaient que du fantasme pour l’instant...ou pour toujours. 

Charles continua la phrase de Joyce, ce qui agaça fortement May. La cerise sur le gâteau : quand ils se mirent à parler en même temps. Là, May sentit son émotion négative s’intensifier. Elle se leva d’un coup, prétexta que sa pause était terminée, et ne se retourna pas quand Joyce l’appela. D’un côté elle l’était, mais d’un autre, May voulait prendre l’air, un air non-respiré par Charles. Près de l’océan, May contempla le Golden Gate Bridge en soupirant. Elle prit son téléphone et envoya un message à Joyce, mais celle-ci ne répondit pas au bout de trois minutes. Alors elle écrivit un message à Shannon en espérant qu’elle ne soit pas trop occupée. May lui raconta la vérité sur les cousins, le fait qu’ils voulaient s’emparer des pouvoirs des gardiennes pour contrôler la ville toute entière.

 

{Notre vie ensemble était bien avant son arrivée, n'est-ce pas, Joyce ?}

pensa May, sachant que Joyce aurait sans doute répondu le contraire, à présent 


 

Alors que May buvait son thé à la camomille à la fenêtre du salon, regardant les derniers rayons du soleil se coucher dans un ciel trop calme, elle sentit une vibration sous sa jupe vintage, sur sa cuisse droite. La boîte de messagerie de son téléphone privé avait reçu un message. Shannon lui apprit qu'un jeu concours assez spécial avait été lancé par les producteurs de la série Mystère à San Francisco. May hésita à accepter, puis, boostée par les encouragements de Shannon, changea vite d’avis.

 

— Le but du challenge est de se filmer en train de refaire une scène dans laquelle je joue, de monter la vidéo et de la poster sur les réseaux sociaux, expliqua Shannon au téléphone. La personne qui remportera le prix passera deux semaines en ma compagnie.

 

May posa sa tasse vide dans l’évier et se frotta les mains avec un petit sourire en coin. C’était ce qu’il lui fallait, un peu de distraction. En plus d’une importante décision à prendre, Joyce avait ramené un homme à la maison. Elle entendait le rire des tourtereaux depuis le salon. 

May s’approcha de la porte de la chambre de Joyce, posa une main dessus et prit un air déçu. Ce n’était pas ce qu’elle espérait. Bien sûr, May voulait que Joyce soit heureuse, mais c’était tellement trop tôt pour elle. May prit une grande respiration en fermant les yeux et expira en les ouvrant. Dans une chambre, au-dessus de Le Paradis, cachées dans un placard, des affaires offertes par Angela. Son cadeau d'emménagement à San Francisco. May avait toutes les clés en main pour promouvoir professionnellement sa boutique. Elle décida d’utiliser sa caméra professionnelle HXR-MC2500, son logiciel de montage PerfectPro, son pied avec sa perche et quelques projecteurs. Elle avait tout le matériel qui lui fallait, savait déjà où elle pourrait tourner et surtout quand. Elle décida de faire une nuit blanche pour faire en une journée ce qui, d’après le concours, devait être fait en cinq jours. Malgré la fatigue et le sommeil qui la gagnèrent parfois, May sut rester éveillée en se donnant des petites gifles sur les joues de temps à autre. Entre les changements de plans, les personnages à jouer, les tenues et la coiffure à changer, elle but, fit des micro-pauses et repensa avec exactitude au texte de chaque acteur durant la scène. Elle termina de monter la vidéo vers huit heures du matin sans avoir dormi une heure. 

May regarda le rendu plusieurs fois - cinq fois en tout - avant de programmer sa publication vers dix heures sur Light. Elle ouvrit Le Paradis après s'être douchée et changée. Elle se plaça comme toujours derrière le comptoir, attendant les premiers clients de la journée. La journée fut épuisante, May n‘arrêta pas de bâiller. Elle décida de ne plus penser au concours ni à Charles, à son amour non-partagé, mais uniquement à elle-même, le temps d’un week-end. Le lendemain, elle partit à l’aube pour regarder le lever du soleil. Prête à affronter les vagues dans sa combinaison de surf - sur sa planche vintage - ses sauts furent incroyables, l’océan un peu frais mais cela lui fit du bien. Les spots choisis la veille lui offraient une vue remarquable sur San Francisco. Après le surf, une balade en vélo dans toute la ville. Elle profita de la douce brise qui soufflait dans ses cheveux pour respirer et observer le paysage. Elle finit sa première journée dans un spa, au Suchada Thai Massage. Pour avoir la paix et éviter de repenser à Charles, May s’installa dans l'appartement en haut de Le Paradis. Il était normalement en location, mais les vacanciers qui louaient l’endroit ne restaient que deux jours à chaque fois. Soi-disant, les pièces étaient hantées. May croyait aux esprits, au paranormal, mais rien de bizarre ne se produisait en sa présence. Se trouvant seule, May changea d’apparence. 

Son apparence alien lui avait manqué. En robe de nuit lumiros, elle lut avant de s’endormir un bon paquet de livres, en lumia. Planquée en général dans le placard, derrière les vêtements, dans un espace plus grand à l'intérieur qu’à l’extérieur, elle passa sa deuxième journée de tranquillité enfermée à lire et à faire du yoga ; rideaux et stores baissés. Elle reprit son apparence humaine, rangea ses affaires et sortit tard de Le Paradis. May rentra chez elle totalement détendue. Elle se prépara du thé sans jeter un coup d’œil au salon où se trouvaient Joyce et Charles. Dos à ce couple débordant d’amour, May décida de faire la sourde oreille quand Charles était là. Elle se mit à méditer sur son lit, son casque vintage sur ses oreilles. À minuit, May s'arrêta et se leva pour préparer ses vêtements, puis se mit en pyjama rétro pour lire un livre. Avant la sonnerie de son réveil, elle ouvrit les yeux. Ils étaient mouillés. Elle s’assit et s'essuya les joues, sur lesquelles des larmes avaient glissé. Des bribes de rêves de cette nuit-là lui revinrent en mémoire. Elle avait rêvé de sa mère. Elle souffla et alla se préparer. May se rendit ensuite dans la cuisine où elle cuisina un petit-déjeuner québécois. Comme tout était propre, elle descendit les escaliers en tenant dans ses mains ses chaussures. Elle les mit devant la porte, avant de sortir. Elle commençait à s'éloigner quand elle sentit qu’on la regardait. Elle se retourna mais ne vit personne. Étrange, la sensation d'être observée était toujours là. 

Tous les jours, May n’arrivait pas à oublier ce regard sur elle. À Le Paradis, tout allait bien, les clients étaient tous aimables et gentils. Avant midi, à onze heures trente précises, elle reçut par mail la confirmation comme quoi elle avait gagné le concours. Sa participation était devenue virale, tout le monde voulait la suite des épisodes. Elle aperçut quelques minutes après une vidéo dans laquelle Shannon remerciait chaque personne qui avait tenté sa chance. Elle n’y croyait toujours pas, elle n’était pourtant pas actrice, ni comédienne de théâtre. Elle n’avait fait que recopier les scènes de l'épisode un, de la saison une. May partagea la nouvelle avec Sakura, qui l’invita au restaurant pour fêter ça. Sakura fut impressionnée quand elle vit la vidéo de son amie. May avait réussi à jouer des rôles masculins à l’écran, avec une pointe de facilité. C’était ce que pensait Sakura, et elle n’avait pas tort. 

 

— La prochaine fois, tu penseras à moi pour jouer l’homme devant une caméra, annonça Sakura.

— Ça ne te pose pas de problème ? demanda May.

— Hé, écoute... au cinéma, un rôle n’est qu’un rôle, peu importe de quel genre on est. Même si je suis trans, ça ne me dérangerait pas de jouer un homme. D’en être un à nouveau. Si c’est pour une scène, ça va, alors.

— D’accord, je penserai à toi si l’occasion se présente de nouveau.

— Super ! On va au Coqueta, c’est ça ?

 

Elles marchèrent dans Kirkman Street et prirent à gauche au niveau de la 19th Avenue. Des regards se tournaient vers elles, sur May surtout. On l’avait reconnue, la gagnante du concours. Elles dépassèrent Lincoln Way et Crossover Drive. Des yeux les fixèrent entre Anza Street et California Street. Aucune des deux n’avait fait ça pour attirer l’attention. Comme d'habitude, May s’était habillée de la tête aux pieds en vintage, et Sakura en style rock. Des hommes essayèrent d’obtenir leurs numéros. Sakura prit May par la taille, qui se laissa faire en plein Front Street, ce qui ne fonctionna pas. Ils étaient plus excités que jamais. Sakura lâcha May, s’avança près du petit groupe et les fixa longtemps avant de marcher violemment sur les pieds d’un des hommes. 

 

Celui-ci se mit en colère, voulut frapper cette demoiselle à la voix rauque, mais Sakura anticipa chacun de ses mouvements sans répliquer, seulement en les évitant. Il atterrit de lui-même dans une benne à ordures sous les rires moqueurs de ses amis. May et Sakura reprirent leur chemin et arrivèrent rapidement au Coqueta. Elles prirent une table avec une vue sublime sur les bateaux et le port. À leur retour à Le Paradis, des clients patientaient devant les portes, dans la rue. Elles se regardèrent et ouvrirent ensemble. Sakura salua May et repartit à son atelier le ventre bien rempli. May conseilla ses clients durant toute l'après-midi, jusqu'au soir. May arriva devant chez elle mais hésita à mettre sa clef dans la serrure. Elle ne voulait pas voir Charles tout près de Joyce, elle ne savait pas quoi faire. Devait-elle entrer ou aller en bord de plage ? L’idée était tentante, mais avec les cousins qui étaient sûrement dans les parages, ce n’était pas une bonne idée. Elle resta un moment main sur sa poitrine, l’autre sur son sac. May souffla un bon coup, puis prit le chemin vers la terrasse de jardin, en espérant que le couple n’était pas là. Elle monta ensuite les escaliers qui menaient à l’étage, ouvrit la porte et la referma derrière elle après avoir enlevé ses chaussures. En silence, May ouvrit les portes coulissantes séparant la pièce consacrée au linge au bureau commun. Heureusement, l’autre passage donnait sur sa chambre. 

May se changea et s’allongea sur son lit. Elle regarda le plafond, à la recherche de conseils. Son regard se posa sur la lumière émanant de l’extérieur de sa chambre. Les voix de l’autre côté obligèrent May à mettre ses mains sur ses oreilles. Elle se retourna, mit l’une de ses mains derrière son oreille et l’autre sur son ventre. Elle soupira, faillit lâcher une larme, mais se ressaisit au moment où Shannon lui téléphona. La destination, l'hôtel et les activités proposées lui avaient été communiqués. La seule chose demandée était de ne pas révéler le lieu des vacances sur les réseaux sociaux pendant tout le séjour, ce qui ne dérangeait pas May et ravit donc Shannon. May sortit de son havre de paix tout en restant en ligne avec Shannon. Elle sourit de nouveau aux paroles de son interlocutrice, mit fin à son appel sur un rire et finit tranquillement son thé debout, devant la fenêtre du salon. Le doux vent du soir mélangé au ciel sombre, illuminé par les lampadaires de la rue, apaisait May comme jamais elle ne l’avait été auparavant. Son moment de paix, à siroter sa boisson chaude, fut interrompu par Joyce.

 

— C’était qui au téléphone ? demanda Joyce, curieuse.

— Personne, mentit May. Tu es heureuse avec Charles ? interrogea May en regardant Joyce dans les yeux.

— Ça se voit tant que ça ! déclara Joyce en sautant de joie.

— Je suis contente pour toi, mentit une nouvelle fois May. J’ai sommeil, je vais me coucher, bonne nuit.

— Attends ! J’ai un truc à te demander, signala Joyce.

— Je t’écoute, Joyce. Fais vite alors, si je n’ai pas mes huit heures de sommeil consécutives, je peux être de mauvais poil. 

— Je sais, je sais... alors ton billet pour me suivre à New York pour aller voir patiner Tatiana... Tu peux le donner à Charles ? Pour qu’il me suive, tu comprends ? J’aimerais qu’il découvre mon métier, et ensuite ce sera le sien !

— C’est tout ? Bien sûr, fais-toi plaisir, lâcha froidement May. Je te le déposerai sur la table de la cuisine, ajouta-t-elle avant de claquer la porte au nez de Joyce.

 

Celle-ci resta dans l'incompréhension la plus totale. Jamais May ne s’était comportée de la sorte avec elle. Son sourire avait disparu, en plus. Quelque chose n’allait pas, mais Joyce ne savait pas ce que ça pouvait être. Joyce entra dans sa chambre et se faufila sous ses couvertures. 

De l’autre côté de la porte en bois, May s’était assise sur le sol, les bras croisés sur ses genoux. Elle pleurait, ses larmes glissaient sur ses joues. Elle essuya sa peau, mais d'autres gouttes tombèrent. May n’avait pas l’habitude de pleurer autant, de sangloter tout court. Elle regarda sa valise, pensa à ses quinze jours de repos, puis se leva et s'approcha d’un paquet de mouchoirs planqué dans son placard. Le lendemain, à l’aube, May déjeuna seule encore une fois. Elle finit de faire la vaisselle et partit se changer. Une fois prête, elle descendit avec ses bagages en silence. Elle prit le chemin de Le Paradis. Arrivée, elle afficha un message d'absence pour ses clients. Joyce se leva plus tard et s'étira comme un chat dans son lit. Charles n'était pas encore là, mais il allait arriver à destination très bientôt. Sa chevelure était en pagaille, comme si elle avait fait la fête toute la soirée. Elle sortit de sa chambre et n'aperçut pas, pour une fois, sur la table de la cuisine, le petit-déjeuner. Cela l’étonna, elle se frotta les yeux. Mais non, ce n'était pas une illusion, c’était la réalité. Joyce ouvrit le frigo et vit des étages remplis.


 

{ Qu’est-ce que j’ai bien pu faire à May pour qu’elle réagisse comme ça ? J’ai oublié de faire la vaisselle ? Le ménage dans le bureau ? Attends, je sais ! J’ai oublié de faire ma partie de la liste de courses ! }

pensa Joyce, faisant référence à la veille

 

Joyce dut se faire chauffer du café toute seule et prit un paquet de petits pains au lait. Après trois ans avec May, elle se rappelait avec honte ses agissements avant son arrivée. Premier repas de la journée, tout simple. Comme aujourd'hui, par exemple. Maison dans le désordre, et le garage, n’en parlons pas. Son placard était... comment dire, un vrai chantier. Pour trouver les bons vêtements, il lui fallait une heure le matin. La seule chose que Joyce vit : un mot sur la porte de sa chambre. May voulait prendre des vacances improvisées pour réfléchir à leur colocation. Elle arracha le mot, s’affala sur son lit, dans l’incompréhension la plus totale, et resta comme ça un moment. La sonnerie de l’entrée la fit sortir de ses pensées, elle courut jusqu’à la fenêtre du salon et vit Charles. 

 

 — Tu es prête ?

 

(1) Tous les Lumiros ont la capacité de se régénérer en cas de blessure légère ou grave. Passé un certain âge, les Lumiros se régénèrent de moins en moins, puis ils ne se régénèrent plus et meurent.

(2)  Clin d’œil aux seigneurs du temps provenant de la série Doctor Who. 

(3)  Ne jamais déranger une/un Lumiros qui se régénère. Elle/il doit se concentrer sur sa régénération. Peut devenir amnésique si on la/le dérange : en lui parlant, en l'appelant, en la/le voyant, en étant dans ses pensées.

(4) Les téléphones privés sont offerts aux Lumiros pour qu'ils communiquent entre eux, et pour que les Terriens ne les surveillent pas.

(5) Sur Terre 10, YouTube se nomme Light.

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