Chapitre 5 : New York

À l’aube, après avoir déjeuné en silence, May fit les dernières vérifications avant de partir. Elle reçut comme convenu la veille un message de Shannon : une mustang noire aux vitres teintées devrait arriver à l’heure indiquée dans le contrat. Elle s’arrêta devant la chambre de Joyce, soupira et descendit les escaliers menant à la porte d’entrée. Sur le chemin, elle se fit dépasser par une voiture, qui s’arrêta à côté d’elle. Le chauffeur de la mustang baissa sa vitre, et May vit un homme roux, aux yeux verts et aux taches de rousseur sur le nez. Il lui fit signe en touchant un bouton ouvrant l’arrière. Elle mit toute seule ses affaires dans le coffre, monta dans le véhicule et s’installa. L’homme l’emmena rapidement à l'aéroport. Arrivée dans le hall du bâtiment, May scruta autour d’elle à la recherche de Shannon. Pour ne gêner personne, elle se plaça loin des va-et-vient et, afin de passer le temps, sortit de son sac à dos son carnet sur lequel elle avait noté les musées à visiter et les ventes aux enchères. Heureusement, May avait pensé à tout. 

Dans sa valise, divisée en plusieurs cases comme dans une partie de Tetris, tout collait parfaitement. Rien n’avait été laissé au hasard. En haut, des vêtements et des sous-vêtements. Juste à côté, dans un sac, des chaussures fermées et ouvertes, plus des collants et des chaussettes bien rangés. En bas, une trousse à pharmacie avec tout le nécessaire, une boîte ancienne refermant sa plume, son encrier et son encre. Des enveloppes, des timbres et un petit sac où il y avait d’autres cabas. Et également, dans une petite valise, des jeux de société pour le voyage. Elle ne patienta pas longtemps avant de voir Shannon. Quand celle-ci marcha vers elle, May vit ses cernes sous ses grosses lunettes. Le monde des stars du petit écran n’était pas de tout repos, Shannon était épuisée par sa semaine de tournage. Elles marchèrent ensemble vers l'immense fenêtre qui donnait sur la piste d’où les avions décollaient et atterrissaient en permanence. May regarda le ciel baignant dans les premières lueurs du jour. Tout doucement, le soleil se mit en place. Ses rayons renforcèrent le sourire de la Lumiros, qui était très heureuse de partir en vacances. Shannon fit pareil pendant quelques minutes. Puis les deux passèrent ensuite de longues minutes dans un tunnel qui donnait devant leur avion. Elles montèrent l’escalier, se laissèrent guider vers leurs sièges et s’assirent l’une à côté de l’autre. 

Avant que les hôtesses de l'air ne rappellent à chaque passager les consignes de sécurité, May aperçut depuis son siège coté couloir, à travers le hublot, un autre appareil, celui de Joyce. Shannon ne bouchait pas la vue, au contraire, elle lisait un magazine people qui racontait des mensonges sur elle et son époux. De loin, May put voir Joyce à sa place, et Tatiana dans la rangée de devant, avec ses parents. À cause du monde qu’il y avait, elle crut pendant un court instant d’espoir que Charles n’avait pas pu venir. Elle imagina très vite dans son esprit les pires scénarios à son encontre. Mais, malheureusement pour May, Charles était là, bien vivant, en forme. Il était souriant, gentleman et patient. May demanda à Shannon de baisser le rideau, sans poser aucune question. Celle-ci obéit et reprit ensuite sa lecture en riant. Le trajet fut long, alors May et Shannon s’occupèrent comme elles le purent. Discussions à voix basse pour connaître davantage encore l’autre, pendant quinze minutes, des parties de hanafuda, de backgammon, de mancala, de gomoku, et pour finir de Mah-jong japonais. Cinq heures et quarante minutes plus tard, leur avion se posa enfin à l’aéroport international John F. Kennedy. Comme à San Francisco, une voiture les récupéra et les amena à leur hôtel, The Manhattan Club. Trente minutes dans une Ford Zephyr-Zodiac Mk IV, carrosserie noire. May reconnut rapidement la marque. 

Arrivées dans le hall, May et Shannon furent frappées par la décoration raffinée et dorée des lieux. Le directeur lui-même les mena vers une suite de luxe. La réservation était sous le nom de code “ Les deux anges ”. Dans leurs chambres, séparées par une porte coulissante, May et Shannon défirent leurs valises. Elles se douchèrent, changèrent de vêtements et sortirent dîner au Mastro's Steakhouse. Elles entrèrent dans le restaurant, choisirent une table à l’abri des regards et s’assirent sur des sièges près d’une splendide vue sur la rue d’où l’on pouvait voir la vie continuer de nuit dans la ville qui ne dormait jamais. Les fameux taxis jaunes qui roulaient, les vendeurs de hot-dogs avec leurs chariots mythiques. À quelques tables de la leur, une ravissante déesse attira l’attention de May, qui se perdit dans le cou visible de la charmante inconnue. Elle trouva cela étrange, car cela n’arrivait que quand Joyce était là. Et pourtant, là, elle flashait sur une autre. Une qui était son genre, le même genre que Joyce. À la peau claire, la chevelure dans les tons orangés lui faisant penser à un soleil en feu, sublimant tout son auditoire. Un style vestimentaire très éloigné du sien, la taille pas trop fine. Parfaite, en un mot. May sourit et déshabilla du regard son coup de cœur. Son béguin du jour avait l’air de ne pas être seule, elle discutait avec quelqu'un. Celle-ci s’amusait, faisait un peu de bruit en riant. Quand May reconnut l’homme qui l’accompagnait, elle faillit s’étouffer avec son cocktail. 

Maintenant, elle savait pourquoi ses cœurs avaient joué de la batterie à la puissance 1000 et pourquoi son esprit avait imaginé passer une nuit torride avec elle. C’était Joyce. Pourquoi May ne l’avait-elle pas reconnue plus tôt ? Elle portait, évidemment, la tenue numéro quatre de son dressing, l’une des tenues que May adorait. Avant de rencontrer Charles, Joyce avait prévu de venir ici avec May, et elle avait planifié des choses à voir et à goûter en une semaine. Ce restaurant en faisait partie, bien sûr.

 

{Moi et ma manie de préparer en avance des vacances, puis d’en parler ensuite…}

pensa May, se donnant une tape sur le front

 

Shannon posa son verra de vin vide et se resservit tout en continuant à parler de sa famille à May. Celle-ci se concentra de nouveau sur l’actrice avant qu’elle ne remarque son soudain problème émotionnel.

 

— Mon époux et moi avons une fille, Pauline. Elle travaille avec sa tante et sa grand-mère dans l’agence familiale. 

Elle n’a que dix-neuf ans, je sais. Mais elle a toujours adoré imiter les adultes... de cette famille, surtout.

— Il n’y pas de mal à ce qu’elle veuille suivre les traces de ses aînés.

— C’est vrai. Je le pense également. Elle m’a affirmé que ça lui plaisait réellement et qu’elle ne se forçait pas pour faire plaisir. Mais…

— Mais personne ne la croit vraiment, annonça May en finissant la phrase de Shannon.

— C’est ça… je suis fatiguée qu’on ose douter d’elle.

— Toute mère ressentirait ça, j’en suis sûre…

— On m’a dit que ça lui passerait, qu’elle hésitait sur son futur métier. Que c’était normal qu’elle n’arrive pas à choisir à son âge. Mais Pauline aime vraiment aider les gens à trouver l’habitat parfait pour eux. Si tu voyais son regard chaque fois qu’elle réussit à vendre une maison... ça illumine ma soirée.

— Je te crois, Shannon.

 

De l'entrée au dessert, elles se régalèrent. En portant son regard sur la salle encore pleine à craquer, May vit Joyce se rapprocher d’elle. 

 

{Ne panique pas... surtout, ne panique pas et réfléchis, réfléchis !}

pensa May, la main sur sa bouche

 

Un "gentleman" offrit à Shannon une boisson, qu’elle refusa plusieurs fois. Comme la journée n’était pas encore terminée, May eut une brillante idée. Elle en parla à Shannon, qui aima tout de suite l'initiative de son amie. Elles se rendirent donc, en évitant la table de Joyce, à Central Park. Dans le quartier de Manhattan, pas très loin de leur hôtel. Lors de leur promenade nocturne, May eut de nouveau faim, et Shannon rit discrètement. Direction Times Square, les écrans lumineux servant de lampadaires géants au-dessus de la rue. Dans la foule de New-Yorkais, May ne se sentit pas à l’aise. Voyant que celle-ci se mettait à l’écart, littéralement, Shannon lui proposa de changer d’endroit. Le Brooklyn Diner, par exemple. Un restaurant à la déco rétro qui collait bien avec May. La concernée se sentit tout de suite mieux. Shannon commanda des milkshakes et des cheesecakes, sous le regard apaisé de son amie. May avait juste une petite faim, ce qui rassura Shannon, en y pensant.

 

— Si tu as tout le temps faim, on va très vite se retrouver fauchées !

 

May sourit à la remarque de Shannon, qu’elle ne prit pas mal. Elle savait qu’elle avait un gros appétit, depuis toute petite. C’était le lot de tous les supersoniques Lumiros, d’avoir un gros appétit. Graisse brûlée + calories perdues = ventre affamé. Rien qu'en marchant, en plus. Shannon imagina ce que ça devait être quand May utilisait sa super-vitesse. Les efforts qu’elle faisait en courant, la faim qu’elle avait après, tout ça était sans doute énorme. Quand on parlait gospel, May avait toujours une oreille curieuse. À Harlem, un concert allait commencer. Shannon paya leurs billets et s’assit tout près de la scène, à quelques rangées des chanteuses. Toutes les chansons furent un plaisir, surtout la dernière, Oh Happy Days. May se retint de chanter les paroles qu’elle connaissait par cœur, comme le reste des titres musicaux qu’elle aimait beaucoup. À la fin, les applaudissements se mirent à pleuvoir par milliers et May ne se priva pas de montrer qu’elle avait vraiment apprécié cette soirée. En sortant de la salle, les sirènes des voitures de police retentissaient. May et Shannon se regardèrent, se demandant ce qui était arrivé. Mais la fatigue l’emporta. De retour dans leurs chambres, après un bâillement, elle se couchèrent avec des boules Quiès dans les oreilles. La rue était encore animée, et les bruits les empêchaient de bien dormir. À l’heure du petit-déjeuner, elles eurent la réponse à leur question de la veille. Dans le poste de télévision, plusieurs journalistes - sur plusieurs chaînes et angles de rue - annonçaient qu'un meurtre avait eu lieu. D’après eux, le corps de la victime avait été retrouvé vers deux heures trente du matin par un passant qui avait oublié son téléphone dans sa voiture. Shannon faillit en faire tomber sa fourchette et sa tranche de bacon grillé. May resta la bouche ouverte à se faire du sang d’encre pour Joyce. 

 

— Ç'aurait pu être Joyce, murmura May. Touchons du bois.

 

Ce qu’elle fit immédiatement, morte d'inquiétude. Elle en tremblait presque.

 

— Ou l’une de nous deux…

 

Les tranches de pain perdu recouvertes de beurre restaient là, dans son assiette, à attendre d'être mangées. Le thé refroidit pendant qu’elle essayait d’envoyer un message à Joyce sans montrer ne serait-ce qu’une once de peur pour elle. Ses pouces n’arrivaient pas à taper la moindre lettre. Pour un agent sur place, c'était signé Le Fantôme, un tueur en série bien connu du NCIS et du FBI. Dans les scènes enregistrées par les médias la veille, May reconnut Charles dans la foule, caché sous un sweat à capuche noire.

 

{C’est étrange, pourquoi était-il sur le lieu de la scène de crime

à cette heure-ci ?} pensa May

 

Son souffle s’était accéléré, ses cœurs également. Elle bondit d’un coup de son siège et alla respirer par la fenêtre du salon. À des étages du sol, May voulait tellement courir sur le côté de l’immeuble pour aller protéger Joyce. 

Shannon vit que tout cela l'inquiétait vraiment, alors pour lui changer les idées, elle l’attrapa par le bras et la poussa dans la salle de bains. 

 

— Et maintenant, on se prépare, jeune fille !

— Shannon...

— J’ai l’impression d’avoir parlé à ma fille.

 

Pendant les jours qui suivirent, Shannon laissa May choisir les lieux qu’elles allaient visiter. Elles se promenèrent dans le quartier de Manhattan et montèrent voir la vue depuis l’Empire State Building. Le paysage était à couper le souffle. Elles purent voir l’horizon, les bâtiments au loin et ceux d’en bas. Ils étaient tous minuscules par rapport à elles. Munies d’un téléobjectif, elles regardèrent chacune à leur tour la ville remplie de gratte-ciel. Sur leurs vélos, May et Shannon prirent un chemin, La High Line. Elles pédalèrent sur une ancienne voie ferrée servant autrefois au transport de marchandises. Loin des avenues, l’allée était aménagée pour le bien-être des New-Yorkais et des visiteurs. Petite pause pour boire du thé froid dans leur gourde, depuis un point-vue, sur une chaise longue. La végétation était sublime à regarder. 

Prochain arrêt, le musée Guggenheim, sa collection d’art contemporain et ses expositions photos. Elles parcoururent le musée en suivant une rampe descendante et circulaire pour une meilleure visite chronologique des œuvres exposées, d’après l'architecte. À Greenwich Village, Shannon reconnut des anciens collègues et les nomma devant May. Elle passèrent dans Brooklyn en traversant le Brooklyn Bridge, cheveux au vent et sourire aux lèvres. Pendant qu’elles buvaient tranquillement, pied à terre, May prit des clichés sur le pont et devant le vieux carrousel, le Jane’s Carousel. Elle fit quelques passes au terrain de basket du parc et gagna un match contre des joueurs assez doués et prometteurs. La deuxième semaine commençait déjà, les jours avaient filé très vite. May voulut faire ses achats de souvenirs aussitôt, puisque des salons de vente aux enchères se déroulaient également en ville. Shannon n’y vit aucun problème, elle voulait vraiment découvrir une partie du métier de son amie. Chez Christie's, de treize heures vingt à dix-sept heures quarante, May put acheter des objets faciles à transporter. Des pièces africaines entourées de papier-bulle, emballées dans un petit carton sur place par ses soins. Tout comme au Swann Galleries, le jour d’après, elle fit l'acquisition d’anciennes statuettes hawaïennes, de colliers d’époque et de vieilles bagues. Le troisième jour, elle termina avec une collection d'anciens jeux divers et variés. 

Shannon l’avait vue brandir son panneau plus vite que les autres, se concentrer avec un air très sérieux qu'elle n’avait pas l’habitude de voir chez elle. Dans la voiture privée, à l'arrière, May compta - carton sur les genoux - le nombre d’objets qu’elle avait à présent. Au total, en plus de ceux acquis les jours précédents : vingt-cinq. Sans compter ceux achetés pour son plaisir personnel. Ce n’était pas beaucoup, mais elle s’en contentait. Avec les photos prises sur son Polaroïd d’époque qui donnait l’impression de voir le monde actuel avec les yeux d’hier, c’était comme un retour dans le passé sans changer de temps. Tout cela resterait moins de sept mois dans les rayons de Le Paradis, les habitués craqueraient vite. Dans le salon de leur suite, May - télé allumée - nota sur un petit carnet ses achats pour la boutique. Un nom parvint jusqu'à ses oreilles et attira son regard vers l’écran. Les journalistes se trouvaient déjà devant la patinoire City Ice Pavilion, là où Tatiana, soutenue par Joyce et ses parents, devrait se produire sur la glace pour gagner sa place pour la troisième partie du tournoi mondial se déroulant à Paris.

 

{C’est vrai que c’est ce soir, l’heure de vérité}

pensa May, attristée de ne pouvoir soutenir Joyce en étant à ses côtés

 

Les spectateurs commençaient à peine à s'installer dans les gradins, devant les objectifs des caméras présentes. Le jury venait tout juste d’arriver dans la salle, derrière eux. Charles s’assit et attendit avec impatience le début de la compétition. Les tons des lumières s'assombrirent et laissèrent place aux projecteurs, qui firent briller sur la glace chaque participante. La musique se lança, les pas aussi, avec une légèreté qui ressemblait à celle d’une plume tombant de haut. Les mouvements gracieux de Tatiana retinrent l’attention du public. Ses figures étonnèrent toute l'assemblée. Heureusement que May était bien assise, car le spectacle était d’une beauté sans précédent. La vitesse d’enchaînement scotcha ses concurrentes, ainsi que le jury. Son regard, son sourire, touchèrent au plus profond des cœurs ses nombreux fans. Elle tournoya sur elle-même, telle une famille de papillons en plein envol brillant de mille feux dans le ciel. Elle continua à danser avec une douceur extrême dans chacun de ses déplacements, puis passa brutalement au centre du sol gelé. Le marron de ses yeux entra en collision avec sa coiffure, qui se défit à cause du vent créé par ses pas. La surprise la submergea, mais pas longtemps. Elle dut improviser pour faire croire que tout était prévu. Sous l’étonnement de Joyce, Tatiana joua avec ses mèches, caressa sa tête et montra plus de joie, de pep’s dans ses patins. 

Elle s’amusa, ne pensa plus aux regard posés sur elle - ses parents - et se concentra uniquement sur les applaudissements. Tout en souriant fièrement, ils lui envoyèrent des mots d’amour. Des milliers d'admirateurs semblaient être tombés amoureux d’elle. Son nom, juste son nom prononcé par toutes les voix, en cœur, la poussa à faire des choses dont elle ne se serait jamais crue capable. Sa tenue noire de patineuse attirait les rayons des lumières, qui illuminaient les étoiles blanches sur son torse. Elle termina en beauté avec ses mouvements favoris. Tatiana eut le plaisir de bouger ses hanches, de lever les bras et de se secouer comme un cocotier, la tête et le reste du corps suivant. Les gens qui la regardaient commencèrent aussi à remuer, comme s’ils étaient tous en boîte de nuit. Essoufflée en prenant la pose, la jeune patineuse regarda autour d’elle. Elle avait vraiment marqué les esprits, ce soir. May n’en revenait toujours pas. Shannon arrêta de danser dans le salon. Au centre, sous les lumières aveuglantes, Tatiana reçut un tonnerre d'applaudissements. Elle vit sur l’écran ses points, qui dépassaient tous ceux apparus avant. Elle sortit du cercle froid et s'approcha de son coach. Le jury finit par délibérer au bout de dix minutes et annonça les cinq participantes qui avaient réussi l’épreuve.

 

— J’ai réussi ! Joyce, j’ai réussi, annonça Tatiana en pleurant.

— Bravo, Tatiana. Va voir tes parents, maintenant, répondit Joyce en pensant aux siens.

 

Devant l’écran, May était certes heureuse pour Tatiana, la protégée de Joyce, mais elle avait mal à ses cœurs. Elle prétendit être fatiguée et alla se coucher. Shannon la regarda. En tant que mère, elle savait bien que quelque chose n’allait pas. Elle le sentait. Pour la réconforter, enfin essayer de le faire, Shannon banda les yeux de May avec un foulard et l’emmena à Broadway le jour d’après. De jour comme de nuit, l’avenue marquait les esprits. Même à six cents ans pour May, son âge alien. Son âge “ humain ”, lui, était de trente-cinq ans. Seul celui qu’elle avait en tant que “ Terrienne “ apparaissait sur sa carte d’identité ; pour tout extraterrestre qui se respecte, en tout cas. Dans ce lieu magique et incontournable qu’est New York, Shannon choisit les meilleures choses à voir, les plus connues : une comédie musicale sur la Reine des neiges, un film d’animation très apprécié des Lumiros. Et pas que d’eux, d’ailleurs. Après une heure de plaisir, une autre au Broadway Comedy Club. Des humoristes passaient les uns après les autres pour faire rire une foule qui en avait besoin, surtout May. 

Elle rit tout le long, sous le regard d’une mère satisfaite de son plan pour lui redonner le sourire. Pour clore en beauté, le New York Transit Museum se révéla être l’endroit parfait. Les anciennes rames de métro et les chaises en rotin tissé ramenèrent May dans sa boutique en un instant. L’appétit qu’avait May était incroyable. Shannon l’avait découvert assez rapidement. Pour rajouter de la bonne humeur et de la chaleur à cette journée déjà bien remplie, l’actrice emmena May dans une pizzeria, la Patsy’s Pizzeria sur la 1st Avenue, à Spanih Harlem.

 

— Cowabunga !

— Bouyakasha !

 

May et Shannon, après avoir prononcé ces mots, trinquèrent avec leurs parts de pizza dans les mains, en souriant. Une méga-pizza à l'hawaïenne pour May, et une quatre fromages pour Shannon. Même si on la regardait étrangement, May était bien contente de manger sa pizza favorite en très bonne compagnie. 

Le dernier ananas fut croqué avec une telle envie que les hommes et femmes présents oublièrent même qu’ils avaient commandé quelque chose. Un petit vent froid du matin rappela à May que l'automne approchait à grands pas. La nature changeait, elle aussi. Les feuilles tombaient petit à petit, les allées étaient recouvertes d’un manteau qui rappelait une toile de maître. Elle dégusta un thé chaud dans un café, en face de son hôtel. Shannon rendit visiter à quelques connaissances dans le quartier pour prendre de leurs nouvelles. May l’attendit en sirotant sa boisson et en lisant un roman à peine ajouté à sa collection personnelle. Avant de commencer un autre chapitre, elle leva la tête et regarda la rue. C'était ses derniers jours ici, à New York, dans la ville où certains comics avaient élu domicile. Elle soupira, continua sa lecture et sourit face à ces puissants mots. Le temps autour d’elle passait en général très rapidement, mais là, May aurait aimé qu’il se fige, rien que pour elle. Juste pour que cela dure plus longtemps, pour profiter encore plus de cette ville qui avait vu naître beaucoup de Lumiros sans le savoir. Quand elle vit Shannon revenir, elle ferma son livre de poche.

 

— Alors, comment vont-elles toutes ?

— Bien. Heureusement, d’ailleurs. Certaines étaient à l’autre bout de la ville au moment des faits et d’autres n’étaient pas encore sur le chemin du retour.

— C’est rassurant. Je suis désolée pour hier, Shannon.

— Il ne faut pas, j'aurais sans doute pensé la même chose pour Jim. C’est l’homme de ma vie, mon mari, l’autre partie d’un cœur que nous partageons. Cette Joyce à de la chance de t’avoir, May.

— …

— Tout va bien ?

— Elle est hétéro… et en couple.

— Oh.

— Oui…

— Un amour non partagé, je vois...

 

Lors des deux jours restants, May et Shannon en profitèrent pour visiter la Statue de la Liberté, faire un tour au-dessus de la ville en avion et prendre quelques photos-souvenirs ensemble devant des lieux fantastiques. May avait fait une liste de choses à faire avant de partir :

 

N°1 : Faire sa valise la veille

N°2 : Bien se préparer le matin

N°3 : Ranger la suite de luxe pour éviter du travail

supplémentaire à la femme de ménage

N°4 : Prendre toutes les valises en main et descendre vite

N°5 : Attendre le taxi au lieu donné par message

et monter dedans, direction l'aéroport

N°6 : Passer les portes d’embarquement et prendre place dans l’avion

 

Et voilà, le programme prévu par May avait été parfaitement exécuté. Elles étaient arrivées cinq minutes en avance devant l'hôtesse. C’était reparti pour des parties de jeux endiablées... et perdues d’avance pour Shannon. Mais bonne perdante, elle en redemandait toujours. Arrivées à destination, elles furent trempées à cause de lourdes gouttes d’eau tombant d’un ciel nuageux. Elles se regardèrent en riant un bon coup. La pluie, la fameuse pluie fraîche de SF qui disait : bon retour à San Francisco, May, bon retour chez toi. Une heure plus tard, Joyce et Charles étaient aussi de retour.

 

(1) Cowabunga et Bouyakasha sont des cris de guerre des tortue ninja.

 

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Dauphins
Posté le 03/02/2022
Malgré les fautes, j'ai bien aimé lire chaque chapitres.

Il y a beaucoup de descriptions faite sur les lieux précis, cela ressemble à la vie réelle. Comme la collocation, les trajets pour aller au travail ou les sorties (musées, spectacles....)

Bonne continuation, bonne chance.

Continue à nous faire rêver avec tes écrits.
Je souhaite qu'un jour cela se transforme en roman et pourquoi pas un film (J'imagine bien).

Ta maman qui te soutient
Miss Harmonie
Posté le 13/02/2022
Merci pour ton message, maman.
Je l'espère aussi ^^
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