Chapitre 5 : Les masques orange, vert et rose

Par Rouky

César contempla la femme vêtue d’orange. Depuis deux jours, Calliopée Gamal n’avait eu de cesse de couvrir le Vicaire de cadeaux, de nourriture, de vins, de petites attentions propres à une femme qui souhait obtenir les faveurs de l’homme qu’elle convoite.

Le cœur du Vicaire était déjà pris, mais il se retint d’en informer son hôte.

César n’attendait qu’une chose : que Reinard se manifeste. Qu’il lui amène Bianca, comme convenu.

- Nous avons des invités ! S’exclama alors Calliopée en revenant dans le salon.

Le cœur de César bondit dans sa poitrine. Il se leva du sofa où il s’était affalé, rempli de l’espoir de voir apparaître son amante.

Sa déception fut immense quand Calliopée revint, suivie de deux personnages : un homme costumé en vert, et une femme en robe rose.

- Les jumeaux Avramova, soupira César en se rasseyant dans son siège. J’espère que vous m’apportez de bonnes nouvelles !

- Pardonnez-nous, Vicaire, commença Aelis Avramova. Nous n’avons pas réussi à obtenir les informations que vous désiriez. Nous ignorons où se trouvent les détectives qui vous pourchassent, tout comme nous ignorons où se trouve Madame Moretti.

- Que vous m’êtes inutile, grogna César.

Alkis Avramora, piqué au vif, rétorqua aussitôt :

- Il faut dire que vous avez mis une belle pagaille, cracha l’homme en vert. Sauf votre respect, Vicaire, vous nous avez mis à dos tous nos alliés. Le lieutenant Samaras, le député Saranov, Solomon Chevallier... Nos informateurs ne travaillent plus avec nous, ils sont contre nous. Seul Reinard possède encore quelques espions, mais il est introuvable.

- Oh, quel dommage, minauda Calliopée.

Elle devait être heureuse, car pas de Reinard signifiait pas de Bianca, et donc un Vicaire libre.

César Condé poussa un cri de désespoir qui fit sursauter ses laquais. Il se sentait trahi, humilié. Devoir se terrer comme un rat, avec si peu d’alliés...

- Trouvez-moi un masque, ordonna-t-il. J’ai besoin de prendre l’air. Salvatelli a organisé ce carnaval en mon honneur, non ? Alors je me dois d’y participer.

 

Le train cracha une dernière bouffée de vapeur avant de s’immobiliser dans un grincement métallique. Le quai de la gare de Naples était bourdonnant de vie, entre les porteurs pressés, les voyageurs élégants, et un petit orchestre de rue jouant une tarentelle entraînante sous les derniers rayons d’un soleil pâle.

Gallant, descendu le premier, resserra son manteau contre lui. L’air maritime avait une âpreté étrange, mêlée d’encens et de sucre brûlé.

- Ce n’est pas possible… murmurai-je en descendant à mon tour.

Un peu plus loin, Sharp avait déjà repéré les premières décorations de la ville. Une banderole immense flottait au-dessus de l’avenue : "Gran Carnevale Napoletano – Offerto dal Baron Salvatelli".

- Le Vicaire se moque de nous, dit Sharp, l’air blasé. Ou alors il a un goût certain pour les mauvaises plaisanteries.

- Pas certain que le Vicaire soit dans le coup, avança Gallant. Après tout, il doit faire profil bas, maintenant que nous connaissons son visage. Je le vois mal organiser toutes ces festivités, ça attirerait trop de lumière sur sa personne.

- A moins qu’il ne s’en serve justement pour se cacher, dans cette flopée de gens costumés.

- Peut-être, dit Gallant d’un ton peu convaincu. Mais rappelons-nous qu’à priori, Salvatelli et le Vicaire ne sont plus alliés, dans la mesure où le second a trahi le premier. Peut-être Salvatelli a-t-il déjà mis la main sur son ancien soldat, auquel cas ce carnaval signe la victoire du baron.

Des silhouettes masquées défilaient dans les rues adjacentes. Certaines portaient de longues robes de soie, d’autres des costumes à paillettes ou des capes brodées d’or. Toutes avaient le visage dissimulé sous des masques vénitiens : bauta, moretta, volti blancs figés dans un sourire vide. La ville entière semblait s’être travestie pour une fête grotesque. En route, nous avions expliqué à Sharp comment le Vicaire s’était déguisé lors de l’affaire de l’homme au violon. Il savait donc que ce carnaval impromptu allait nous compliquer la tâche.

- Vous savez quoi ? Dit Sharp. Je propose qu’on se divise. Partez ensemble, moi je vais de mon côté. J’ai une arme, je ne risque pas grand chose.

- Il se fait déjà tard, dis-je. La nuit va bientôt tombée, nous devons faire attention. Que nous ayons recueilli des informations ou non, rejoignons-nous à la villa que mon père a loué. Sharp, tu te souviens de l’adresse ?

L’inspecteur leva les yeux en l’air, mais confirma d’un hochement de tête.

- La chasse au Vicaire est ouverte ! Déclara Gallant.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez