Chapitre 4 - P1

Lorsque les paupières de Nathan lui révélèrent son environnement, il réalisa qu’il était à présent dans un tout nouvel endroit.

Il se trouvait assis, en pleine nuit, au milieu d’une vaste étendue d’herbe si verte qu’il en déduit qu’il pleuvait régulièrement pour que la terre soit si fertile. L’humidité ambiante confirma cette intuition, ainsi que les diverses traces d'animaux qu’il remarqua dans la boue non loin de lui lorsqu’il se leva. Tout autour de lui, à une distance raisonnable, il remarqua rapidement des sapins. Tous mesuraient plusieurs mètres de hauteur et avaient un large tronc, témoignant de leur âge déjà avancé.

Une forêt de résineux...

Comment avait-il atterri dans une telle forêt alors qu'il se trouvait dans son salon il n'y a pas cinq minutes ?

Les questions s’accumulaient dans la tête de Nathan et il se sentait de plus en plus submergé par la nouveauté. Les événements s’enchaînaient trop vite sans qu’il n’ait le temps de les assimiler. Pendant un court instant, il fut tenté de céder à la panique. Il en vint cependant à la conclusion que cela ne l’aiderait aucunement. Il ferma alors les yeux et se força à respirer profondément afin de reprendre contenance et considérer calmement ses options.

Lorsque sa brève séance de méditation fut achevée, il distingua une forme se démarquant des arbres et du reste de la verdure. Curieux, il entreprit de découvrir de quoi il s’agissait. Après avoir fait quelques pas, il constata que son corps était tout endolori, comme s’il venait de faire une sérieuse chute de cheval. Il ne pouvait pas se permettre de s’attarder sur sa douleur, car il ne survivrait pas longtemps en pleine nature par ses propres moyens, mais il ne s’en interrogea pas moins sur la provenance de cette souffrance musculaire. Ne se souvenant pas d’avoir fait une chute en équitation récemment ni d’avoir cédé à la pulsion de sauter du haut d’une falaise, sa question demeura sans réponse.

Il marcha comme il put jusqu’au buisson puis la forme s’avança également vers lui. Le petit chat gris tigré se posa devant lui avec désinvolture, se lécha une patte et se mit à parler :

« Bonjour Nathaniel. Nous t’attendions. Si tu veux bien me suivre.

— Euh… Je ne suis pas convaincu que suivre un chat m’aide à comprendre la situation ou améliore ma santé mentale, qui est clairement endommagée.

— Détrompe-toi, jeune Autre-Mondien. Tu étais perdu de l’autre côté du Mur-Portail. Maintenant que tu es de retour, tu peux enfin goûter la réalité de ton monde d’origine. Respire à plein poumon et apprécie chaque instant Nathaniel. Tu es ici chez toi. »

Le chat bondit vers la forêt. Nathan emboîta le pas du petit animal à contre-coeur. Il délirait sans doute. Tout n’était qu’une illusion un peu trop convaincante que son esprit imaginait. Il devait être dans le coma, couché sur le canapé du salon, un lit d’hôpital ou quelque chose de cet ordre là. Il fallait pourtant bien qu'il fasse quelque chose et, comme Alice lorsqu'elle était descendue dans le terrier en poursuivant le lapin blanc, il était relativement dépourvu d'option. Soit il suivait ce chat gris qui, de toute évidence, s'exprimait en très bon français, soit il était perdu au milieu de nulle part. En termes de priorité, Nathan relativisa donc et choisit de reléguer sa santé mentale au second plan. Elle pouvait attendre alors que le chat était peut-être déjà en train de regarder sa montre et de se plaindre qu'il était en retard...

Il ne pouvait pas estimer quelle distance ils parcoururent, les conifères se ressemblant tous. Ils ne tardèrent cependant pas à atteindre leur objectif. Devant eux se tenait une femme se réchauffant près d’un feu. À sa taille pendait une épée ressemblant en tout point à celles qu’utilisaient les mousquetaires en France à l’époque de Louis XIII, sauf que celle-ci était finement décorée de micro-gravures de roses.

Les flammes crépitaient, dévorant les bûches qui se craquelaient face à la puissance de cette force de la nature. Nathan devina qu’elle avait une trentaine d’année, peut-être moins, mais il n’avait jamais excellé pour interpréter l’âge des gens selon leur physique. Incapable de distinguer les traits de son visage, puisque l’inconnue ne lui faisait pas face, cette estimation était condamnée à rester approximative.

L’étrangère détourna l’attention de son repas et son regard se posa sur lui. Sa longue chevelure, lisse et rouge, se baladait au gré de la légère brise ambiante, détonnant discrètement avec sa peau subtilement plus pâle que celle de Nathan. Ceci suggérant qu’elle avait passé un temps non négligeable à des endroits manquant de luminosité solaire. Elle abandonna sa nourriture et éclata d’un rire franc, sans la moindre retenue :

« HA HA HA HA HA ! Sophie, tu as vraiment le pire sens de l’humour ! HA HA ! »

Elle riait si fort que quiconque dans un rayon de cent mètres aurait pu l’entendre. Elle n’essayait même pas d’être discrète, se croyant probablement seule au monde.

« Rose, voici Nathaniel. Apparemment la plaisanterie de Sophie te travaille encore.

— OUI HA HA HA ! Tu imagines Fylynx, qu’elle l’a fait tombé du ciel !? Il doit avoir tellement mal partout ! Et puis regarde-le le pauvre, il est tout humide ! Elle ne t'a quand même pas fait atterir dans une flaque d'eau, en plus ?»

La vérité frappa Nathan comme un poing en travers du visage. Il avait littéralement atterri dans un monde différent de celui dans lequel il avait évolué jusqu'à peu. Cette Sophie... Qui pouvait-elle bien être pour avoir le pouvoir de l’invoquer ainsi ? Pour qui se prenait-elle pour lui voler sa vie, ses projets, ses rêves... et le faire tomber du ciel ?!

Comment cela pouvait d’ailleurs amuser cette impolie ? Une telle chute aurait pu le tuer...

Elle aurait le tuer.

La femme s’adressa à Nathan :

« Pardonne-moi Nathaniel. Sérieusement. Excuse mes mauvaises manières, je suis vraiment enchantée de te voir. Plus que tu ne peux imaginer. Permets-moi de me présenter : Je suis Rose, une Sentinelle. Voici Fylynx, mon compagnon. Nous avons fait une longue route pour te rencontrer. Tu n’imagines pas la distance car ton transfert est encore trop récent mais, crois-moi, il faut un certain temps pour venir depuis Estcereel. Il n’y a rien que la Mer Froide des Glaces et deux royaumes à traverser... Les royaumes sont vastes, par Sophie, on a trop tendance à l’oublier avec la magie ! Viens t’asseoir avec moi, et causons un peu. Tu dois être complètement perdu !

— Royalement, rétorqua sèchement Nathan.

— Hmm... Bon jeu de mots, petit. Viens, approche du feu ! Tu dois avoir froid si tu as pris le temps de te baigner dans une rivière en cours de route.

— HUM...

— Je lis sur ton visage que tu as un paquet de questions.

— J’en ai beaucoup qui s'accumulent pour être tout à fait franc. L’une d’entre elles nécessite une réponse plus que les autres, en revanche : Qui diable est Sophie et pourquoi vient-elle de tenter de me tuer ?

— Ah Nathaniel... Sophie est une fille compliquée. Comme toutes les filles d'ailleurs, mais tu t'en es probablement déjà rendue compte. On doit avoir à peu près les mêmes problèmes dans ton monde à ce sujet. Bref... Je pourrais te dire que c’est notre déesse, qu’elle a créé tout ce qui t’entoure et bien plus. Je pourrais te dire que c’est elle qui m’a envoyé te chercher mais, la vérité, c’est qu’il faudra que tu apprennes à la connaître. De plus, il en faudrait vraiment beaucoup plus pour que tu meures, crois-moi. Sophie t’expliquera tout ça, j’en suis sûr.

— Mais vous êtes venue me chercher ? Vous saviez que j’arriverais ici ?

— Mais bien sûr que je le savais ! Je ne m’appelle pas Rose pour rien ! Enfin... Ça n’a pas d’importance, tu dois avoir d’autres questions plus importantes, je suppose ?

Couché en boule sur les genoux de Rose, Fylynx profitait des caresses de cette dernière et commença à ronronner. À ce moment, il ne troquerait pas la vie la plus palpitante contre l’affection de sa maîtresse. Ses mains expertes connaissaient depuis des années les zones qui l’envoyaient au paradis des félins lorsqu’elle les massait. Son petit moteur s’agita de lui-même, sans qu’il n’ait besoin d’y penser, exprimant son contentement.

— Où sommes-nous ?

— Notre campement de fortune se situe au sein du Bois du Passé, dans le royaume de Thorneast et à quelques lieux de Mémorys. C’est là que nous nous rendons. Ce n'est pas très parlant pour toi mais ne t'inquiète pas. Sarah saura t’expliquer ce qu’il se passe mieux que moi. C’est notre historienne. Tu verras, elle est extraordinaire. Et puis, avec une carte sous les yeux, ce sera bien plus aisé pour te faire une idée claire de la géographie isorianne.

— Attendez un peu ! Je crois que j’ai encore mon mot à dire ! Et si je refuse de vous suivre jusqu’à Mémorys ? »

Rose soupira.

« Je ne vois pas pourquoi tu n’accepterais pas Nathaniel. Tu n’as nulle part ailleurs où aller. Sans moi, tu ne survivrais pas longtemps en Isoria. Tu ne peux évidemment pas retourner d’où tu viens et affronter les dangers isorians par toi-même alors que tu n’as aucune idée de tes capacités serait une excellente façon de te faire tuer. Ou pire, capturé par l’ennemi. »

Nathan ne trouva rien de mieux à lui répondre que des yeux pensifs et soupira à son tour. Après quelques minutes d’un silence interminable, Rose eut un élan d’empathie et reprit la parole :

— Je vais essayer de te raconter l’essentiel. Ou au moins de te donner un peu plus de contexte. En Isoria, nous comptons les années en DS.

Cela signifie ‘Depuis Sophie’. En 1701 DS, peu avant ta naissance, ton père a été empoisonné par son frère, Aaron. Seuls quelques élus sont au courant bien sûr. Officiellement, il a accédé au trône légalement et légitimement après que son frère a tragiquement succombé à une maladie mystérieuse. Maladie qui l'a bien sûr frappé très soudainement.

C’est Aaron II qui règne aujourd’hui sur les Isorians, même si les Sophians préfèrent l’appeler l’Usurpateur. À mes yeux et celui de mes autres sœurs Sentinelles, son refus de croire en Sophie condamne sa crédibilité. Pour en revenir à toi, Nathaniel, tu n’es pas simplement l’héritier de la couronne. Tu représentes l’espoir d’unifier Isoria. Pas juste les quatre royaumes mais aussi les Îles Brumeuses et le Continent Libre. Si ton père régnait sur le Grand Continent et le Carré, Sophie a des projets plus ambitieux te concernant.

— Pourquoi moi ? Pourquoi pas Aaron II ? C’est lui le roi, pas moi.

— Aaron n’a pas ta particularité Nathaniel. Ni ton potentiel. Ta mère ne t’a-t-elle donc rien dit concernant son passé ? Aurore n’était pas une femme anodine. Ce que tu ignores, c’est qu’elle était également la dix-septième Sentinelle. Ça fait de toi le fils d’une Sentinelle. Du jamais vu auparavant.

Les Sentinelles ne se marient pas et ne s’impliquent normalement pas aussi directement dans la vie politique de ce monde, sauf sur ordre de la déesse elle-même. Se marier à un roi par amour en dépit de son statut était sans précédent. Elle restait cependant une Sentinelle dévouée, et ça fait de toi l’un des nôtres.

— Une Sentinelle ? J'ai encore du mal à comprendre ce que c’est.

— Nous sommes les gardiens et gardiennes de ce monde Nathaniel. Les apôtres de Sophie. Le reste, tu le sauras lorsque le moment sera venu. Il nous faut à présent prendre la route. Mange un peu de Soreur. Ça te fera du bien. C'est de la bonne viande, d'autant plus que je l'ai chassé moi-même. Enfin, pour être honnête, c'est Fylynx qui s'en ai chargé. Mais je l'ai préparé avec amour, donc mange ! Je vais seller les chevaux pendant ce temps. Si tout se passe comme prévu, nous serons à Mémorys d'ici quelques heures. »

Les mots de Rose résonnèrent dans l’esprit de Nathan. Il commençait à saisir l’ampleur de la situation. Perdu dans ses pensées, il mangea rapidement le morceau de Soreur grillé que Rose lui tendit. Le goût ressemblait étrangement à celui du sanglier mais il n'avait pas la moindre idée de ce que c'était réellement. Il ne dit donc rien puis rejoignit mécaniquement Rose lorsqu'il eut terminé. La voix de cette dernière l’extirpa de ses rêveries :

« Je te présente Douce Nuit, ma jument. Je ne l’ai pas depuis longtemps. Seulement quelques années. L’espérance de vie des équidés est autrement plus courte que la nôtre, malheureusement. J’évite de m’attacher à mes montures, en règle général, mais celle-ci a fait exception. Sa robe noire parsemée de tâches blanches m’a séduite, et son tempérament toujours généreux m’a convaincu. Pour toi, j’ai eu légèrement plus de difficultés mais je crois que tu aimeras voyager avec cette jument. Je l’ai nommé Cendres Claires, parce qu’elle a un caractère bien trempé mais surtout car sa robe alezan-brûlée particulièrement sombre contient des balzanes bordées juste au-dessus des sabots et une liste en travers du visage qui lui donne une demi belle-face. Elle a fait le voyage avec moi depuis Estcereel et c'est moi qui l'ai dressée. Je suis sûr que tu l’aimeras ! Sophie m'a soufflé que tu savais monter, je me permets donc de te parler avec un peu de jargon d'équitation...

— Vous voyez souvent juste me concernant. Elle me conviendra parfaitement. Elle est tellement belle...

— Je n’ai pas vraiment de mérite, tu sais. Je suis plus vieille que bien des Isorians. Il est donc tout à fait normal que j’en sache davantage que tout le monde. Et puis, en l'occurrence, c'est Sophie qui m'a tout dit. Ce n'est pas comme si j'avais utilisé des facultés d'observation surhumaines. Je ne m'appelle pas encore Sherlock, aux dernières nouvelles.

— Quel âge avez-v... »

Nathan commença à formuler une question mais Rose l’interrompit aussitôt, apposant délicatement un doigt sur ses lèvres :

« On ne demande pas son âge à une dame, Nathaniel. »

Le large sourire de Rose signifiait clairement que la question l'avait plus amusé qu'autre chose, et le clin d'oeil qui suivit lui confirma sa déduction. Elle aimait beaucoup le taquiner. Il faudrait qu’il se méfie à l'avenir...

« Oh, et tutoye-moi plutôt. S'il te plaît. Je vais vite me sentir vieille si tu continues à me vouvoyer. »

Le voyage s’effectua sans nouvelle péripétie. Ils traversèrent d’abord au pas le paisible Bois du Passé, puis s’aventurèrent à l’ouest à petites foulées de galop, en direction de la Cité de la Mémoire.

Du fait qu'ils étaient à l'extrémité ouest du Bois du Passé, Rose lui expliqua qu'ils n'en auraient en tout et pour tout que pour trente ou quarante kilomètres de chevauchée. Ils n'en auraient donc que pour quelques heures, tout au plus.

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Carl
Posté le 15/06/2024
L'univers se révèle de plus en plus complexe et complet ! Ca donne envie d'en découvrir plus ! Comme s'il y avait tout un monde caché derrière ces chapitres !
J'espère que Nathan va s'y acclimater !
Phil Wayne
Posté le 15/06/2024
Si tu commences à trouver l'univers plus complexe, je crois que tu ne seras pas déçu par la suite. J'ai encore beaucoup de travail (tellement que ça me semble parfois sans fin) de construction de l'Isoria (de sa géographie, de son histoire, des fiches personnage, etc...) mais ce que j'ai déjà créé me donne déjà un certain confort pour gérer la complexité. Ce que j'aime beaucoup en tant qu'écrivain, c'est que je découvre souvent des choses comme si j'étais le lecteur de l'histoire que j'écris.
Tu vas voir, au cours des chapitres suivants, le voyage de Nathan va continuer et ça nous permet à nous aussi de visiter ce nouveau monde.
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