C’est déjà un premier pas.
Mon père avait-il des visions ? Est-il toujours vivant, d’ailleurs ? Je me retourne pour la énième fois dans mon lit, incapable de trouver le sommeil.
La réunion parents-professeurs se rapproche d’heure en heure, pourtant ça fait deux nuits où je m’échappe des bras de Morphée. Trop d’émotions me donnent le tournis : la colère, la peur, la déception, l’appréhension, le doute et le soulagement. Je ne sais pas si je vais en apprendre plus, à quel clan appartient (ou appartenait ?) mon géniteur, serais-je tout de même une chasseuse ? Après tout, j’ai hérité de ma mère ses petites oreilles pointues. C’est la seule caractéristique physique que je partage avec les autres Vych, et comme Solange l’a si bien soulignée, ma taille n’est pas « commune ».
Je serre les dents en pensant à cette fille. Puis je me souviens de la façon dont je l’ai bousculée à la sortie du bus, je ne peux pas m’empêcher d’avoir un sourire aux lèvres. Finalement, la rentrée scolaire s’est plutôt bien déroulée. Bon, mis à part ma maladresse avec Lysian, mais si je fais comme si de rien n’était, ça sera vite oublié. Je rougis malgré moi en me remémorant ses regards en classe.
Je me mets une claque mentale.
Il faut me ressaisir. Je devrais dormir.
— On a passé une mauvaise nuit ? me lance maman, cinq heures plus tard.
Devant ma tasse de café noir, je suis hypnotisée par la couleur de ma boisson. On dirait du coca dégazéifié. Non ? Je divague.
— Je n’ai pas fait de cauchemar, admis-je.
— Ça ne t’a jamais empêché de te rendormir.
Elle a raison. Je me demande même comment c’est possible.
— J’ai été assez angoissée pour aujourd’hui, marmonnais-je dans ma barbe. Ces dernières années, tu ne voulais jamais parler de mon père et d’un coup tu acceptes, c’est trop beau pour être vrai !
— Je ne me désisterais pas.
— On verra ça quand mes profs te poseront des questions, disais-je d’un ton acerbe.
La douleur traverse rapidement ses yeux verts, qu’elle détourne. Je suis dure avec elle, je l’admets. Mais si on avait eu cette discussion avant, on n’en serait pas là. Je suis blessée d’apprendre des vérités en même temps que des inconnus, je me sens privée de ma propre vie. Malgré moi, ma colère prend le dessus ce matin, j’en veux à ma mère d’avoir cédé aussi tard.
— Comment tu peux me faire ça, maman ?
— Je…
— Toutes ces réponses, je les attendais depuis toujours, et toi tu décides de cracher le morceau quand on te met au pied du mur !
Sans rien dire, elle me regarde boire rageusement mon café, poser ma vaisselle sale dans l’évier et sortir en trombe de la cuisine.
Finalement, cette réunion me donne une bonne raison d’y aller : voir si la grande Fayë Arkyn est aussi courageuse qu’on le prétend.
Vingt minutes plus tard, nous sommes en voiture en direction de l’Institut des Arts Élémentaires. L’atmosphère est toujours tendue, je ne décolère pas, et maman semble se satisfaire de mon mutisme, car elle comble le silence avec sa playlist.
Chacune de mes prémonitions sont gravées dans ma mémoire, comment les oublier ? Elles vont de mal en pis. Et puis, il y a ces êtres sans visages, et leur essence perfide. Je me rappelle le sentiment d’urgence à les semer pour mieux les épuiser, afin de gagner du temps. J’ai le souvenir de me voir en train de prier en boucle les mêmes protections, celles que tante Gigi et maman m’ont apprises depuis mon enfance. J’ai beau les connaître par cœur, je ne les ai jamais réellement utilisés. Enfin, sauf dans mes visions.
Je repense à ce que m’a raconté Zoé sur la première manifestation de ses pouvoirs, et sur celle de Jelen. À quand remonte la mienne ? Ai-je eu peur ? Ai-je été aussi précoce, comme Lysian ?
Je me remets une claque mentale.
Non, mais regarde-toi Meghan, avec ta tête de déterrée, tu n’as rien à voir avec ce type ! D’ailleurs, quel est son clan d’origine ? Oula, je m’égare ! Mes réflexions en reviennent toujours à lui, j’ai compris, il me plaît !!
Une fois la voiture garée à proximité du lycée – les places sont toutes occupées, sinon ce n’est pas drôle – nous marchons jusqu’au portail. Les bras croisés sur sa poitrine, la femme au chignon strict de l’autre jour – ou devrais-je dire la dragonne – prend le temps de nous saluer et même d’échanger quelques mots avec ma mère.
— Fayë Arkyn, quelle surprise ! dit-elle, avec une expression d’étonnement.
— Mme Chevallier, répond maman en lui tendant la main.
Les yeux perçants de la CPE l’observent avec attention.
— Vous faisiez partie de nos anciens élèves les plus prometteurs, et avec les échos sur vos exploits, c’est agréable de vous revoir après tout ce temps. Votre retour à Chanoble a fait beaucoup parler, je ne suis pas étonnée de compter votre fille parmi nous.
— Je vous remercie, répond ma mère en me jetant un regard contrit.
À vrai dire, mes grands-parents sont à l’origine de notre emménagement.
Chanoble connait des tensions entre les clans ces derniers temps, la mort de six Lycans ont été revendiqués par des démons, les représentants demandent à réunifier les pactes. Je n’ai pas assisté aux réunions, mon grand-père a veillé à me préserver des détails macabres de cette tragédie. Mais il n’a pas pu empêcher les racontars de se répandre, et j’ai compris l’urgence de nos retrouvailles. Les Vych sont en train de disparaître, creusant un déséquilibre énorme dans la protection des Kreathz.
J’écoute à peine la discussion des adultes, je suis focalisée sur l’arrivée de mes camarades de classe. Stanel est accompagné de ses parents et d’une ribambelle de gosses (qui se ressemblent tous), je n’en compte pas moins de cinq, le plus jeune doit encore être en maternelle.
Il m’adresse un geste de la main sans cesser de s’engueuler avec l’une de ses sœurs.
— Mais tu avais fini tes explications ! se plaint-elle en levant les yeux au ciel.
— Tu m’as coupé la parole ! De toute façon, tu te débrouilles toujours pour parler de tes sujets de gonzesses, ce n’est même pas intéressant !
Arrivés à la hauteur de la CPE, leurs éclats de voix ne s’arrêtent pas pour autant. Elle accueille la famille nombreuse en balayant d’un regard sévère les enfants bavards. Ma mère et moi avons à peine le temps de passer le portail que je suis interpellée par ma nouvelle copine.
— Voici Meghan ! s’exclame Zoé.
Elle place son bras autour de mes épaules pour me présenter à sa version plus âgée.
— Ma fille m’a beaucoup parlé de toi, enchantée, je suis Sabrina Orval !
En plus de leur ressemblance frappante, elles possèdent toutes deux le même enthousiasme. Comme nous faisons partie des premiers à être convoqué, Zoé et sa mère nous accompagnent jusqu’à la salle de rendez-vous. Sur le trajet, Mme Orval, nous apprend avoir quitté l’Institut des Arts Élémentaires l’année où maman a entamé la sienne.
— Mais quand es-tu parti de Chanoble au juste ? s’étonne Sabrina.
— Au moment où j’ai été accepté à l’Académie, après le lycée et j’ai ensuite postulé aux Jumeaux.
Sa carrière impressionne (apparemment) ma nouvelle amie et sa famille. Je m’attends à les voir me dévisager comme toutes les autres personnes, et se poser mentalement la même question : va-t-elle accomplir autant d’exploits que Fayë ? Étonnement, Sabrina Orval me demande :
— Ce n’est pas trop difficile pour toi d’avoir une mère aussi sollicitée ?
Je repense à toutes ces fois où elle m’a annoncé :
— Je dois aller secourir un village qui a été attaqué/maudit/encerclé.
Si c’était un contrôle, la consigne serait d’entourer la bonne réponse. Comme chacune d’elles est probable, je les aurais toutes sélectionnées.
— Non pas vraiment.
Comment pourrais-je me confier à une inconnue ?
Maman me sourit tendrement.
Je me sens stupide, mes reproches de tout à l’heure étaient excessifs. Pourtant j’ignore son geste, je détourne les yeux. Mon cœur s’alourdit au fur et à mesure que nous approchons de notre réunion. Je m’attends à la voir déguerpir dès les premières questions, mais j’espère avoir tort.
Nos mères parlent entre elles, Zoé en profite pour me glisser discrètement :
— J’ai juste raconté à quel point j’aime ton humour et toi mon style. Oh d’ailleurs ! J’ai entendu dire que Solange avait fait des siennes.
— Elle est toujours comme ça ?
— Si tu écoutes Stanel, c’est génétique. En même temps, les Germain ne sont pas réputées pour être sympathiques.
J’ai envie de lui dire : au vu de l’extinction de notre peuple, ça pourrait rendre agressif n’importe quel clan. Enfin, les Vych n’ont jamais été considérés comme une espèce cordiale, elles n’ont pas hésité à mettre des bâtons dans les roues de leurs homologues d’antan, à savoir les Daem.
En dépit du monde dans les couloirs, nous arrivons bien trop vite à mon goût devant la salle où se tiennent les convocations. Je sens mon estomac se tordre, j’ai peur de voir mes espoirs s’envoler, et pourtant j’ai envie de fuir le moment le plus important de ma vie. Peut-être serais-je la première à détaler de cette maudite école.
— Ça va aller, me murmure Zoé compatissante, son bras autour de mes épaules.
— Bien sûr que ça va aller. Qui a dit le contraire ? bafouillais-je. Je m’inquiète surtout pour l’autre maigrichon !
Elle me regarde comme si je venais de réitérer mon choix d’inscription pour la religion.
— Tu sais, ton angoisse se voit comme le nez au milieu de la figure ! dit-elle en souriant. Et puis les profs ne vont pas te bouffer… Enfin pour Mr Duval, c’est à voir !
L’idée d’être mangée toute crue par l’adjoint du directeur est une bonne raison de rentrer à la maison.
— On se retrouve dans la cour après si tu veux, me propose Zoé. Je passe dans les derniers, et puis je vais en profiter pour demander à Jelen de ne pas avoir Solange comme quatrième colocataire !
— Je croyais qu’elles étaient en froid.
— On ne sait jamais avec elles.
Je croise les doigts pour ne pas avoir à supporter ma nouvelle rivale. Même si je ne la considère pas comme telle.
— Meghan Arkyn ?
À l’unisson, nous nous tournons vers Mr Brachet.
Ça y est. C’est l’heure. J’ai envie de vomir.
Je tenais tout de même à commenter pour te dire que j'ai hâte de lire la suite de l'histoire et de voir tes progrès !
Bonne soirée !
Haha si jamais tu as aussi des conseils, n'hésite pas, c'est pas grave si ça rejoint Emma !
Alors j'ai hâte de partager la suite :)
Bonne journée à toi !