Je salue mon amie et sa mère avant de suivre à contre-cœur mon professeur. Je remarque l’attitude inhabituelle de maman : elle est d’abord étonnée, puis elle se ressaisit et se met à marcher d’un pas déterminé, comme si elle partait pour une mission.
La porte se referme derrière nous, et je découvre les lieux. C’est une petite salle avec une rangée de fenêtres sur un seul pan de mur. Une table en bois a été installé au milieu de la pièce, derrière laquelle se trouvent des chaises occupées. Je reconnais le directeur, Mr Sylvestre, et son bras-droit, l’impassible Mr Duval. En revanche, je n’ignore qui sont les autres adultes, sont-ils mes futurs professeurs ?
— Ravi de te revoir Fayë, lance Mr Brachet.
Ma mère et lui échange un sourire bienveillant.
Ils se connaissent ?! Je lève les sourcils, et regarde ma mère.
— C’est un ami de longue date, me murmure maman en voyant mon expression de surprise.
— Super, marmonnai-je.
Elle ouvre la bouche pour ajouter quelque chose tandis que nous nous asseyons sur les deux sièges disposés à notre attention, mais elle est rapidement devancée par le principal :
— Bien le bonjour, Mesdemoiselles Arkyn. Comme vous pouvez vous en douter, votre présence à toutes les deux est primordiale pour en savoir davantage sur notre nouvelle élève.
Le directeur ajuste ses lunettes sur son nez, afin de lire le dossier ouvert où son adjoint désigne une ligne.
— Et nous allons commencer par évoquer ses capacités magiques. Parlez-nous de vos visions, Meghan, poursuit Mr Sylvestre. Depuis combien de temps en avez-vous ?
— Pardon ? disais-je, la gorge soudainement très sèche.
— Vous avez très bien entendu, réplique Mr Duval.
Un point pour lui.
— Je ne sais pas vraiment...
Je jette un coup d’œil à maman.
— Elle en a toujours eu, dit-elle. Au début, je pensais qu’il s'agissait des cauchemars, mais ils ont commencé à prendre vie.
Elle raconte plusieurs épisodes de mon enfance, dont je n’ai aucun souvenir. Heureusement, on en a discuté entre nous avant de venir, sinon je serais choquée. Certains sont plutôt sordides, d’autres évoquent des brefs instants inévitables. Comme aujourd’hui, j’ai parfois de courtes prédictions banales où il ne se passe rien d’horrible. D’ailleurs, j’en viens à leur parler des morts entassés sur les côtes maritimes, des vagues destructrices sous lesquelles les paysages disparaissent, et aussi des cadavres ensevelis sous la terre. Je n’omets aucun détail, de toute façon, je n’en ai oublié aucun, ils sont gravés à jamais dans ma mémoire.
Les professeurs commencent à s’agiter sur leur siège.
Sauf Mr Brachet. Il m’observe sans ciller, les yeux plissés.
— Ses visions se réalisent-elles forcément ? demande l’un d’eux, celui avec la cravate rouge et les cheveux poivre et sel.
— Je ne pense pas avoir eu des échos de catastrophes naturelles, les actualités humaines ne manquent jamais d’en faire étalage, soupire Mr Duval.
— Ou alors sont-elles des métaphores, ajoute le proviseur. Le don de prémonition est plutôt complexe, le peu de Kreathz ayant eu cette capacité se sont fourvoyés sur leurs présages.
Maman tapote mon genou pour attirer mon attention. Je hausse un sourcil interrogateur, puis elle désigne ma tête.
— J’ai souvent des migraines avant mes prédictions, déclarais-je.
— Les céphalées sont des signes avant-coureurs de ce pouvoir, dit Mr Brachet.
Ses collègues le dévisagent.
Je ne sais pas où il veut en venir.
Il explique avoir lu des témoignages du peu de personnes qui ont eu cette capacité, elles avaient toutes un point commun : des maux de tête. Selon lui, la cause serait l’utilisation de l’énergie physique, la clairvoyance fatigue trop vite. Je le savais déjà, je suis épuisée après chaque vision, j’ai l’impression d’avoir le crâne au bord de l’explosion.
— J’ai lu votre dossier d’inscription, précise Mr Brachet après avoir jeté un coup d’œil aux feuilles étalées devant lui. Vous descendez d’une lignée de Vych et de Lycans du côté de votre mère, et ça n’explique pas votre pouvoir. Le manque d’information sur votre famille paternelle risque de nous poser problème.
La tête baissée, je serre les poings.
La colère en moi se ravive.
— Et si ça n’avait rien à voir avec mon père ?
— Ça ne sert à rien de vous convaincre du contraire, renchérit-il. Chaque espèce a ses spécificités, parfois des métissages peuvent provoquer des capacités hors normes.
Là, j’ai envie d’exploser de rire. Parce que le surnaturel est banal peut-être ?
— Fayë, tu lui dois bien la vérité, enchaîne mon professeur, son attention tournée vers ma mère. Ta fille ne trouvera pas toutes les réponses ici.
— Je sais.
— Elle ne veut jamais parler de lui, arguai-je.
Le silence me pousse à relever le visage et à affronter maman :
— Pourquoi ça changerait aujourd’hui ?
— Parce que j’ai eu tort, admet-elle. J’aurais voulu te parler de lui, je te l’assure ma chérie, mais le faire me confronte un peu plus à sa disparition.
Ses yeux verts s’embuent.
Il est rare de la voir pleurer, je l’ai déjà entendu sangloter quand elle pensait que je dormais, même si ça m’a fait mal, aujourd’hui j’en ai marre de la voir tourner autour du pot.
— Quand vous parlez de disparition, êtes-vous en train de dire que le père de Meghan est mort ? demande Mr Duval. Ou n’avez-vous jamais eu de ses nouvelles ?
Ma mère se plonge dans ses souvenirs, son regard perdu dans le vide.
— La dernière fois que je l’ai vu, nous avons été surpris par des démons. J’ai appris ma grossesse plusieurs semaines plus tard… Nous nous sommes toujours tenus au courant, quoi qu’il puisse arriver, de notre retard ou d’un imprévu.
Elle plante son regard brillant de larmes dans le mien.
—Mais pas cette fois-là.
Elle pousse un long soupir avant de se lancer dans son monologue :
— J’ai rencontré ton père lors d’une mission donnée par les Jumeaux. J’ai été envoyé dans un coven. Il avait été pris à parti par des monstres, mais les sorcières avaient été suffisamment affaiblies pour ne compter que sur leurs runes.
Je visualise la scène sans difficultés.
— Quand j’ai effectué mes premières rondes de surveillance, je suis tombée sur l’un de leurs prisonniers, le seul encore conscient. Elias était blessé, et même si je ne pouvais pas compter sur lui pour assurer mes arrières, il m’a donné suffisamment d’indications pour mettre à mal le plan des ennemis.
Son nom.
Mon cœur se tord en l’entendant pour la première fois, j’ai enfin une partie de son identité. Et si j’en crois son récit, c’était un...
— Donc, vous êtes en train de nous dire que Meghan a pour parent un magicien ? s’impatiente l’homme à la cravate rouge.
— Oui.
— Avait-il des visions ? s’enquiert Mr Duval.
— Il appelait ça des crises, rectifie maman. Il ne m’en a pas parlé toute de suite, il craignait de m’effrayer. Je dois vous préciser : il n’a jamais évoqué de migraines.
La façon dont elle nous explique le déroulement de ses prémonitions, ça ressemble plus à des cauchemars. D’ailleurs il semblait se préparer aux évènements quand ils se réalisaient, sauf le dernier jour où ils se sont vus : ils ont été pris par surprise.
Leur relation a duré plusieurs mois, ils arrivaient toujours à se retrouver après leurs missions communes. À la manière dont ma mère parle de lui, c’était loin d’être une simple amourette, ils avaient même évoqué une union officielle. Mais la mort a frappé plus vite.
— A-t-il fait usage de la magie devant vous ?
Maman hoche de nouveau la tête, les lèvres pincées :
— Au début, je trouvais ses sortilèges plutôt étranges pour un jeune sorcier, mais il a fini par m’avouer qu’il s’était spécialisé dans les contre-sorts.
Mr Brachet opine du chef, expliquant que c’est un rare choix d’apprentissage.
Conjurer la magie noire n’est pas une pratique facile pour les sorciers, lui-même reconnaît le manque de volontaires à cause des métiers proposés par la suite… qui rejoignent en partie le travail de ma mère.
— Autant de mélange de gênes magiques peuvent expliquer vos visions, Meghan, conclut Mr Sylvestre. Même si vous possédez les facultés prémonitoires de votre père, il est aussi possible de développer des facilités à la pratique des potions, et d’établir en lien avec certains animaux comme les chats ou les reptiles. Je ne pense pas que vous puissiez avoir droit à l’utilisation du balai.
Ma peur du vide me soulage de cet « handicap ».
Pour le reste, je préfère ne pas y penser toute suite. Ou alors, je pourrais jeter un sort à Solange si jamais elle me provoque de nouveau. Les règles Kreathz émergent dans ma tête : je n’ai pas le droit d’attaquer un autre Kreath sous peine d’être sévèrement punie, ou d’être bannie.
L’image de Lysian me vient en tête, et je l’écarte aussitôt. Ce n’est pas le moment de penser à lui ! Des questions plus tard, on me demande de sortir de la salle car il y a certaines choses dont je ne suis pas censée entendre – comme d’habitude ! – mais ma mère oui.
Mon soupir n’échappe pas à Mr Duval, celui-ci me rappelle à l’ordre d’une voix froide :
— Nous ne comptons pas vous gâcher la surprise en ce qui concerne votre année scolaire, Mlle Arkyn. Sauf si le programme de mathématiques vous intéresse ?
Je me précipite vers la sortie, et veille bien à fermer la porte derrière moi avant de rejoindre Zoé.
J’ai à peine fait quelques pas dans le couloir que des éclats de voix me parviennent : le maigrichon de l’autre jour est en train de se disputer avec un homme plus âgé, beaucoup plus imposant. Leur discussion n’est pas discrète, les familles autour ne se gênent pas pour prêter une oreille attentive.
— Tu devrais prendre exemple sur le fils du Bêta, raille le père de mon camarade. Lui au moins réussit ses transformations, il a aussi trouvé sa meute !
— Je ne suis pas ce crétin !
— Prends-en de la graine mon garçon ! Si tu t’obstines à être vulnérable, ne compte pas sur moi pour te protéger de ta solitude. Les démons auront raison de ton entêtement à rester faible.
Malgré sa posture défensive, un éclat de douleur traverse les prunelles marrons du garçon. Son géniteur jette un regard noir aux curieux avant de poursuivre son chemin, il n’attend même pas que son fils le suive.
— Vous voulez ma photo ? s’écrie l’adolescent à l’encontre des indiscrets.
Il finit par s’asseoir rageusement sur l’une des chaises, près de la porte par laquelle je suis sortie.
— Pourquoi il en attend autant de toi ? lui lançais-je en m’adossant au mur, face à lui.
— En quoi ça te regarde ?
— Peut-être parce que mon grand-père est Anselme Arkyn.
Il écarquille les yeux, surpris de ma réponse.
— D-Désolé, bafouille-t-il.
Il observe les alentours, s’attend sûrement à voir débarquer son paternel mais ne le voyant nulle part, il soupire.
— Je le déçois parce que j’réponds pas à ses foutues attentes. « Tu n’as aucune masse musculaire ! », « Regarde les autres loups-garous de ton âge, eux au moins ont toute leur chance d’être le futur Alpha ! », raille-t-il en prenant une voix rauque. Tu comprends, je viens d’une très looooongue lignée de Lycans, je dois honorer ma famille et mon nom.
— C’est stupide.
Il me dévisage comme si j’avais perdu la tête.
— T’es pas censé dire des choses pareilles ! Et puis, t’es pas la mieux placée pour dire ça vu que tu n’es pas…
— Une loup garou ? Tu m’apprends quelque chose ! Et puis bon, tout le monde sait à quel point les Vych sont l’exemple à suivre sur l’équité et la solidarité, ironisais-je en levant les yeux au ciel.
Un sourire amusé s’étend sur son visage pâle.
— Ce n’est pas tous les jours qu’on entend une apprentie chasseuse dire ça.
Je hausse les épaules.
— Au fait, moi c’est…
— Meghan, je sais, m’interrompt-il. C’est difficile de ne pas le savoir, je l’ai entendu plusieurs fois pendant une réunion avec les autres loups.
— Laisse-moi deviner : ils se demandent si j’ai une légitimité à participer à vos rassemblements ?
— Ouais, ils pensent que ton père est l’un des leurs.
Ça ne me surprend pas.
Maman a eu une relation amoureuse avec le Bêta quand ils étaient encore au lycée. Je le sais de ma tante, elle me l’a confié car je me demandais – jusqu’aux révélations d’aujourd’hui – pourquoi une femme comme ma mère était encore célibataire.
— Heureusement, ce n’est pas le cas.
— T’aurais eu des tas d’avantages, me fait remarquer mon camarade.
— Ça ne m’intéresse pas.
De toute façon, même si j’avais été une louve, j’aurais fui les protocoles. L’attention générale me met suffisamment mal à l’aise, peu importe à quel clan je finirai par « appartenir ». Finalement, je suis plutôt soulagée de faire partie des Vych, elles qui se déchirent pour pas grand-chose : je ne leur devrais rien.
Il se penche vers moi, une main tendue :
— Moi c’est Logan.
J’en apprends plus sur lui. Comme moi, il a emménagé à Chanoble cet été. À la différence que seul son père est originaire du coin, Logan s’est senti complètement dépaysé. Il a été présenté aux autres loups de notre âge lors d’une réunion de pleine lune, et ça s’est très mal passé.
— Scott est un abruti, soupire Logan.
— Qui ça ?
— Le fils du Bêta. Son père est un homme juste, par contre, Scott est un crétin fini !
Cette journée tourne décidemment autour de l’héritage génétique.
— Au fait, lundi c’est lasagnes, annonçais-je pour détendre l’atmosphère.
— Pitié, pas des végétariennes !
Tous les deux dégoûtés, on s’exclame aussitôt :
— Quelle horreur !
"— Bien le bonjour, Mesdemoiselles Arkyn. Comme vous pouvez vous en douter, votre présence à toute les deux est primordiale pour en savoir davantage sur notre nouvelle élève."
-> toutes les deux
"Heureusement, on en discuté entre nous avant de venir, sinon je serais choquée" -> on en a
En tous cas, super chapitre ! Hâte de lire la suite !
Bonne soirée !
Merci pour ton retour !
Ah oui en effet, j'ai oublié des mots 😂 Je corrige ça de suite !
Et bien sûr, le genou se trouve au niveau de la tête 😬 Non bon, j'ai mal écrit ce que je voulais dire, merci de l'avoir souligné !
Merci encore et à bientôt !