Après l’école, Aube avait l’autorisation maternelle de jouer une heure dans le jardin avant de rentrer pour ses devoirs. Elle aurait voulu en profiter pour apprendre à rouler à vélo avec Max, mais celui-ci avait refusé.
— Tu n’as qu’à essayer avec les petites roues !
— C’est nul avec les petites roues ! répliqua-t-elle. Puis papa ne les a pas mises.
— Alors, je ne sais pas, essaie de rouler seule dans le jardin.
— Dans le jardin ? Dans les bosses et dans les herbes ? En slalomant entre les fleurs ?
Elle fusilla son frère du regard.
— Arrête de dire n’importe quoi pour te débarrasser de moi ! continua-t-elle. J’ai bien entendu que tu n’as pas envie. Pourquoi tu n’as pas envie ? Ce n’est pas sympa.
— Je ne sais pas t’apprendre à rouler, dit-il. Je ne pourrais pas te tenir.
— Allez ! Essaie ! Je ferai des efforts ! Fais-moi confiance ! Puis, je suis toute légère !
Elle insista en vain. Son frère était rentré dans la maison, monté dans sa chambre pour lire un livre ou écouter de la musique. Elle se retrouvait toute seule à s’ennuyer au jardin.
— Mistigri ! appela-t-elle.
Son petit chat noir dévala la colline et vint se frotter aux jambes de Aube.
— Où est-ce que tu étais, ma belle ?
« Sur la colline. Avec les autres. Tous les animaux sont inquiets » pensa la chatte en cherchant la main de la petite fille pour obtenir des caresses.
Aube la gratta entre les oreilles. Mistigri aimait ça. Pour n’importe quel observateur extérieur, Aube ressemblait à toutes les petites filles qui jouent à parler à leur chat. Pourtant, entre elles, la conversation continuait.
— Qu’est-ce qui vous inquiète ? demanda Aube.
« Personne ne sait encore. Les autres écoutent les arbres. Leurs racines sont profondes. Peut-être ont-ils la réponse » suggéra l’animal en se dirigeant vers la maison et la fenêtre du salon.
— Pourquoi est-ce que tu rentres déjà ? s’indigna la fillette. Reste encore près de moi !
« Pourquoi s’agiter ? Il est temps de se reposer. »
Et sur cette dernière parole silencieuse, Mistigri disparut à l’intérieur. Direction le coussin chaud et confortable de son fauteuil.
Aube se retrouva à nouveau seule. Elle scruta la colline dans l’espoir d’apercevoir ses deux autres chats, Chaussette Noire et Chaussette Blanche. À en croire Mistigri, ils étaient à la recherche du mystère qui agitait la colline. Tout était lié aux pancartes plantées derrière la maison de Jeanne. À cette antenne. Quel danger représentait-elle ? Aube tenta d'observer le terrain depuis son jardin, mais c’était trop loin pour elle. Elle ne distinguait rien parmi la végétation. Aucune tache noire et blanche. Où étaient-ils ? Avaient-ils réussi à interroger les arbres ? Aube n’avait jamais essayé d’écouter les pensées des plantes. Peut-être y parviendrait-elle aussi. Comment s’y prendre ? Par où commencer ? Et ses chats qui restaient toujours invisibles.
C’est alors qu’elle sentit un mouvement entre les troncs derrière chez Jeanne. Aube ne voyait rien. Les voix, d’habitude si claires dans sa tête, étaient embrouillées. Un sentiment inconnu la surprit. L’impression qu’un être traversait les bois. Une forme de vie que la fillette ne connaissait pas. Une sensation qu’elle n’avait jamais ressentie. Cela ressemblait à un chant. Une douce mélodie aux paroles incompréhensibles s’élevait entre les arbres. Elle s’accompagnait d’un déplacement d’énergie. Un souffle, comme si au loin, l’air dansait. Un mouvement aussi imperceptible qu’un esprit, aussi insaisissable que le vent.
Aube hésita un court instant. Elle jeta un coup d’œil vers la maison, calme et rassurante. Pas le temps de demander l’autorisation à sa maman. Aube se glissa hors du jardin. Il y avait quelque chose de mystérieux derrière chez Jeanne. Elle voulait en avoir le cœur net. Puis, elle reviendrait vite, avant que sa mère puisse s’inquiéter. Aube se faufila le long des haies. Ce qu’elle découvrit alors la laissa stupéfaite.
Entre les ronces et les arbres, un petit être sautillait. Il ressemblait tantôt à un gros chat, tantôt à un petit garçon. Il était couvert d’un pelage brun et vert qui aurait pu être une manteau de terre, d’herbes et de feuilles mortes. L’étrange créature dansait et chantait. Sa voix claire était presque inaudible. Comme un murmure. Sa chanson, dans une langue étonnante, évoquait le bruit d’une rivière, de l’eau qui coule contre la pierre. Aube, subjuguée, écoutait sans comprendre. Elle se laissa porter par la beauté et le plaisir du chant.
« Quand tu es perdu dans le noir,
N’attends pas de réponse d’hier,
Demain s’appelle espoir.
Cherche dans la lumière. »
Aube sursauta. Au moment où elle prenait conscience de saisir le sens des paroles, le petit être se tourna vers elle. Leurs regards se croisèrent.
« Comment est-ce possible ? » pensa-t-elle.
« Tu as écouté avec l’intention de comprendre, alors tu as compris » répondit une voix dans sa tête.
Les yeux de la créature la fixaient. Ils avaient la forme de ceux d’un chat dans un visage presque humain. L’étrange animal s’était redressé, debout comme un enfant. Plus grand qu’un chat, il avait des pieds et des mains d’humains. Des pieds et des mains recouverts de poils. Aube hésita. Lui, tranquille, avança vers elle.
— Qui es-tu ? demanda la fillette un peu tremblante.
— Je m’appelle Éfflam, répondit le petit être de sa voix douce. Approche-toi. N’aie pas peur.
Aube ne bougeait pas. Éfflam lui tendit la patte. Ou plutôt le bras. Elle ne savait pas.
— Mais qu’est-ce que...
— Qu’est-ce que je suis ? continua-t-il à sa place. Je suis un enfant-chat.
« Un être-esprit » précisa la voix dans sa tête.
« Est-ce que je rêve ? Est-ce qu’il existe vraiment ? » se demanda-t-elle.
« Est-ce que j’existe ? Comment te le prouver ? » poursuivit-il en pensée.
— Essaie de me toucher, reprit-il en parlant.
Aube se ressaisit. Elle fit un pas en avant et tendit la main vers le petit être.
— Raté !
Au moment où elle allait l'atteindre, il disparut pour réapparaître aussitôt derrière elle.
— Tu es comme un rêve ! s’exclama-t-elle.
— Essaie de me toucher encore et soulève-moi maintenant, dit-il avec douceur.
Aube se pencha pour glisser ses mains sous les bras d’Éfflam. Celui-ci se laissa faire. Elle fut ravie de lui trouver la peau douce et soyeuse. Cependant, lorsqu’elle tenta de le soulever, elle n’y parvint pas. Il était lourd et immobile comme la pierre.
— Tu n’y crois pas ? rit-il.
— Comment fais-tu ? répondit-elle.
— Je suis un être-esprit. Laisse-moi te montrer.
Éfflam ronronnait. Il avait posé ses mains sur les bras de la fillette. Aube percevait la chaleur de son corps et cela la rassura.
— Ferme les yeux, continua-t-il.
« Et imagine-moi à l’endroit que tu veux autour de toi » proposa-t-il en pensée.
Aube obéit à l’enfant-chat. Elle sentait la légère caresse de sa peau sur ses bras. Elle sourit intérieurement en rêvant de le voir emporté par une rafale jusqu’à la plus haute branche du bouleau en face d’eux. Elle frissonna.
— Ouvre les yeux !
Aube releva la tête. La voix d’Éfflam venait d’en haut. Elle applaudit de joie. Il était exactement là où elle l’avait imaginé.
Max n'est pas très sympa, ah les frères!
Efflam me fait penser à un petit farfadet malicieux.
Je suis d'accord, animage sonne très bien.
A très vite pour la suite :)
Et oui, Animage, c'est une super trouvaille de Claire ! J'ai vérifié en ligne pour voir si ça n'existait pas déjà, si ce n'était pas déjà le nom de personnages de fantasy, mais non c'est bon ! Je termine la publication des chapitres, puis je refais un tour de corrections en introduisant ce genre de modifs ! J'adore ce principe d'avoir des retours de lecture au moment même du travail sur une histoire ! Merci les Plumes !!!
Petit bémol : "enfant-chat" ça sonne bien, mais je trouve le double frottement dans "être-esprit" un peu cacophonique.
A bientôt !
Merci pour ton message ! Je suis heureux que le personnage d'Efflam te plaise !
Je comprends ce que tu veux dire pour le nom. J'avoue : j'ai une phobie de me répéter alors j'ai cherché à inventer plusieurs appellations pour mes enfants-chats (ou homme-chat), dont les mages-animaux et les êtres-esprits (que je vais dès lors envisager d'un peut moins utiliser que les autres ou de remplacer par une autre idée). Est-ce que tu avais des suggestions d'autres noms ?