Ayant perdu la notion du temps, Nathan n'aurait su estimer combien de jours s'écoulèrent avant que ses hôtes ne l'autorisent à quitter leur cabane. Il comprenait leur inquiétude, mais puisqu'il était en pleine forme depuis son réveil, il ne saisissait pas totalement pourquoi ils refusaient de le laisser sortir.
Découvrir l'extérieur ne lui fit pas seulement du bien. Non, le grand air lui redonna l'énergie dont l'intérieur de son actuel foyer manquait cruellement. Balbutier ses premiers pas dans le village avec la solitude pour seule compagne lui permit de respirer comme il n'avait plus pu le faire depuis son agression.
Il serait éternellement reconnaissant aux Pidoques de lui avoir sauvé la vie, évidemment, mais l'atmosphère des trois jours précédents s'était avérée terriblement étouffante. Les heures passaient lentement, s'étirant infiniment comme si elles jubilaient de le voir souffrir de la sorte. L’atmosphère était encore plus monotone que sur la Tapéinótita. L'ennui est un plus grand mal que nombre de blessures, pensa-t-il, mais il n'existe qu'un unique traitement pour l'éliminer : l'activité.
Être dehors le remotivait, lui conférant cette sensation d'aventure qui le poussait vers l'avant depuis... Combien de temps cela faisait-il qu'il était en Isoria ? Deux, trois mois ? À force, il perdait le compte. Reverrait-il un jour l'Autre Monde ?
Tout s'était passé si vite : la mort de sa mère, les révélations sur sa lignée, son arrivée dans le Bois du Passé... Il ne s'était pas posé un instant pour réfléchir à tout cela et n'avait pas une seconde considéré le fait que sa mère lui manquait cruellement et qu'il aurait aimé la serrer dans ses bras à l'instant même. Non, l’enchaînement des événements ne lui avait pas permis de proprement faire son deuil, mais peut-être était-ce mieux ainsi. Se morfondre ne l'aurait aucunement consolé, et cette aventure lui donnait un objectif. Sans doute cela valait-il mieux.D'autres pensées envahirent son esprit, effaçant ses préoccupations temporelles et sa nostalgie passagère. Son champ de vision se réjouissait de toutes les merveilles qui l'occupaient.
Les constructions se ressemblaient toutes, de près ou de loin, mais possédaient un charme qui lui évoqua les chalets d'altitude. La plupart n'avaient pas une allure aussi artistique que ces résidences de vacances que l'on trouvait sur terre , bien sûr, mais leurs toits de chaume – ou de taule pour certaines – n'avaient rien à envier aux tuiles de cet autre type de construction que des experts jugeraient plus perfectionnée. Chaque Pidoque que Nathan croisait portait un large et franc sourire sur son visage, prouvant sa théorie que leur style de vie leur suffisait amplement, en dépit de sa simplicité apparente.
Après tout, pourquoi vivraient-ils ainsi si cela ne leur convenait pas, se dit-il. Ils ont forcément une raison valable d'écarter l'architecture plus sophistiquée du Grand Continent.
Il marcha longtemps dans Oasys, sans que personne ne lui prête une grande attention. Il perçut quelques regards désapprobateurs, d'autres curieux, mais on le laissa toujours en paix, comme s'il n'existait pas vraiment. Cela lui permit de découvrir un peuple qui, à prime abord, ne lui inspirait pas la plus petite once de crainte. Si les Pidoques étaient féroces, ils le cachaient bien. S'ils étaient cruels, ils n'en montraient rien.
Alors qu'il avait l'impression d'avoir marché durant des heures, sentiment confirmé par ses jambes lourdes, il entendit du bruit. Cette analyse rapide fut rapidement détrompée, puisque ce qu'il avait identifié comme du bruit était en fait un chant, et il provenait d'une cabane plus volumineuse que ses voisines. Les paroles lui étaient étrangères mais l'air entraînant lui donna envie de danser comme il ne l'avait jamais désiré. Sans cesse plongé dans ses livres, l'idée même de festoyer ne lui avait que rarement traversé l'esprit. Les rares fois où cette idée insensée avait percé ses défenses, il l'avait rejetée, arguant qu'il ne s'identifiait pas à ce type d'activité.
Type d'activité qui excitait ses sens à ce moment précis, pour une raison qui lui échappait tout à fait.
Soudain le chant cessa. Un air différent mais tout aussi exaltant prit sa place, montant en puissance telle une clameur endiablée. Clameur qui lui rappela ce moment glorieux où les supporters d'une équipe de football se levaient pour acclamer l'heureux joueur venant de transpercer les buts adverses, enflammant magistralement le terrain.
Nathan pénétra dans la demeure, possédé par la curiosité. Une foule comprenant une trentaine d'hommes et une poignée de femmes était rassemblée autour d'une table. À cette table, deux adversaires se faisaient face, composant une scène n'allant pas sans rappeler une époque pas si lointaine. Une époque où des individus avec un revolver à la ceinture se faisaient face dans des duels à l'issue inéluctable. Une époque encore bien présente...
Une bavure dégradait toutefois ce tableau du Grand Ouest américain, puisque l'un des deux hommes assis à cette table semblait déjà ivre mort, sa tête reposant lourdement sur le plateau de bois, au milieu des milliers de fins éclats de verre brisé qui s'étaient formés comme résultat de sa chute.
Le second buvait encore, s'apprêtant à empiler un ultime verre à shot sur une pyramide plus qu’impressionnante. Le fait qu'il ne soit pas encore tombé relevait de l'exploit, mais qu'il ait encore soif...
De l'impossible, probablement.
Nathan n'ayant jamais rencontré une personne avec des cheveux courts couleur platine, cela l'interpella immédiatement lorsqu'il étudia plus attentivement les traits tirés de celui qu'il aurait qualifié de cinquantenaire à première vue. Il se méfiait désormais, car Rose lui avait démontré par sa seule existence que les apparences sont parfois trompeuses en termes d’âge.
L'homme victorieux martela son triomphe sur la boiserie, abattant son verre avec la force, la précision, et la satisfaction du duelliste expérimenté. La pyramide trembla, l'assistance vibra, ainsi le spectacle se termina.
Nathan ne s’attarda pas pour découvrir ce qu’il se passait après que le vainqueur avait étendu le perdant. Il préférait ne pas savoir et poursuivre son petit tour tranquille des environs, appliquant ainsi les conseils de prudence de ses hôtes. Ne connaissant pas le peuple HoLii, sa langue et ses coutumes, mieux valait ne pas traîner. Torlysse avait été claire à ce sujet. Après le long somme qu’il avait fait et avec les blessures qu’il s’était faites, mieux valait rester discret et ne pas s’attirer d’ennuis.
Pas tant qu’il n’aurait pas récupéré toutes ses forces.