Chapitre 6.3 - P2

Je n’ai plus le choix. Cette fois-ci, c’est pour de vrai. Finies les séances d’escrime à l’abri du danger. Finies les épées avec une mouche au bout de la lame. Place aux claquements des dagues et aux écorchures de la réalité.

Place au combat.

Au sang.

Il va vraiment falloir que je me batte sur ce sol sableux pour survivre. Ça manque cruellement de stabilité mais je dois trouver comment le tourner à mon avantage. Il est évident que ce monstre a plus d’expérience que moi mais il y a forcément un moyen de le surprendre et de percer ses défenses.

Tel était le fil de pensées de Nathan tandis que l’affrontement entre lui et Hugues s’apprêtait à commencer. Les deux adversaires, concentrés, avaient les yeux fixés l’un sur l’autre. Les spectateurs, quant à eux, retenaient leur souffle.

Plus aucun murmure.

Hors du temps.

Seule une légère rumeur persistait, presque imperceptible. Celle de la caresse des grains de sable chaud sur les pieds des deux combattants dont les yeux ne se quittaient plus.

Le prendre de vitesse. Manoé m’a conseillé la rapidité. Contre une telle armoire à glace, ça me semble juste. Je n’aurais de toute façon aucune chance avec la force. Si seulement je savais comment utiliser cette fichue dague ! Ça avait l’air si facile quand Solitaire s’en est servie l’autre jour…

Il s’agissait dans un premier temps de surprendre Hugues, de ne pas se comporter de manière prévisible. Cela lui donnerait un peu de visibilité et peut-être la possibilité de découvrir ne serait-ce qu’un fragment du potentiel de Crépuscule si le duel avait le malheur de s’éterniser.

« Alors, gamin, on fait moins le malin, hein ! Je te vois pas trop prendre d’initiative… Aurais-tu peur de la mort ? »

Ne pas répondre à la provocation. Surtout, surtout, ne pas y répondre. C’est toujours comme ça que les personnages se font avoir dans les films. Comme des bleus.

Rester calme, contrôler chaque inspiration, chaque expiration...

Et rester silencieux. Pour l’agacer et le pousser à l’erreur.

Pas vers la droite, en harmonie avec le public en cercle. Analyse de la réaction adverse. Répéter.

Il m’imite. Nos mouvements sont symétriques. Il ne me sous-estime pas. Ce n’est pas exactement à mon avantage mais son froncement de sourcils laisse entendre qu’il est perturbé. Il fera peut-être le premier pas si j’attends suffisamment.

Nouveau pas vers la droite. Analyse de la réaction adverse. Arrêt. Fléchissement des genoux.

Là. Il s’attend à ce que j’attaque à présent. Il est temps de finaliser mon coup de bluff.

Bras droit en avant, dague pointée vers l’ennemi.

Et maintenant, le coup de théâtre. Prions pour ça fonctionne…

Nathan respira profondément et ferma les yeux. Qui fermerait les yeux au milieu d’un duel, sérieusement ? Comme si leurs deux cerveaux étaient interconnectés, c’est précisément ce que pensa aussi Hugues.

Qui se propulsa vers l’avant, avalant d’un seul saut la distance qui les séparait… et que Nathan trancha l’air devant lui… disparaissant totalement, à la grand surprise des spectateurs, d’Hugues, mais surtout de lui-même. Ayant vu Solitaire faire la même chose quelques jours auparavant, il avait plus au moins tout misé sur ce coup.

Il se retrouva ainsi derrière sa proie, prêt à lui enfoncer Crépuscule entre les deux omoplates.

Sauf que Hugues n’était déjà plus là.

D’un seul geste, le colosse avait bondi hors de portée et s’était repositionné face à Nathan. De nouveau stables sur ses appuis et prêt à refaire la même manœuvre si ce sale gosse venait à retenter un coup similaire.

Genoux fléchis. Coudes pliés. Dague serrée dans la paume de sa main droite.

Droitier contre droitier.

Ce mioche a bien failli réussir à me déstabiliser. Moi. Il va me payer cet affront. Et pas plus tard que tout de suite.

Hugues ne se permit pas de ressasser trop longtemps sa surprise. La clé d’une victoire ne repose pas tant dans l’esprit que dans la capacité à prendre des décisions rapides et à les mettre en pratique. Le petit ne ferait pas le poids face à lui au corps à corps et il le savait très bien. Il avait d’ailleurs entendu ce satané Manoé, qui aurait plutôt dû le soutenir lui, son ami, glisser à ce Nathan un ou deux conseils. À croire qu’il voulait sa mort…

Fichu Manoé. T’en donnerais moi des conseils pour faire tuer tes amis…

Flexion de jambes. Prise d’impulsion. Bond en avant. Ainsi Hugues se retrouva sur Nathan.

Les lames s’entrechoquèrent. Une fois, deux fois, trois fois.

L’étudiant, pourtant bon escrimeur, peinait à repousser chaque assaut, n’ayant clairement pas la même force que son opposant.

Quatre fois, cinq fois, six fois.

Une échappatoire. Vite !

Maintenant ! Hugues est persuadé qu’il a l’avantage. Il est temps de faire une nouvelle tentative.

Pas vers l’arrière. Esquive vers la gauche.

Tout se déroula en une fraction de seconde. Hugues suivit l’esquive, tenta une feinte vers l’avant afin de planter sa dague au-dessus du diaphragme, mais il rata son coup.

Nathan venait de déchirer l’air.

Disparaissant une seconde fois.

Crépuscule faucha l’air juste au-dessus de la nuque d’Hugues et… rencontra finalement sa main gauche. Il était trop tard pour répliquer avec sa propre dague. Le colosse avait alors pris une décision improbable, avait esquivé vers la droite puis saisi la dague tandis qu’elle était encore en plein mouvement vers l’avant, plongeant vers le sol et déséquilibrant son propriétaire.

« Cela suffit. »

Le combat se termina sur ces deux mots. Hugues en avait assez vu. Il ouvrit sa main ensanglantée et tendit l’arme légendaire au jeune qui avait eu suffisamment de courage pour lui tenir tête.

« Tu te bats pas mal, gamin. On pourra peut-être tirer quelque chose de toi. »

Un sourire se dessina sur les lèvres de Manoé.

Je ne le connais finalement pas si mal. Une vraie brute de fonderie... mais ce n’est décidément pas un meurtrier.

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