Chapitre 7 - P2

« Comment vas-tu Petit Ange ? T’as passé une bonne journée à te promener et à te rouler partout dans la carrière ? Tu le sais pourtant… normalement seuls les ch’vaux ont le droit d’aller dans la carrière. Mais tu n’en fais toujours qu’à ta tête, hein ! Ah là là, et en plus je te corrige à coups de caresses ! C’est pas comme ça que tu vas apprendre, clairement. Si c’est pas un chien malheureux, ça… »

Chiara adorait ce joli petit chien. Âgé de plus de dix ans, il avait encore l’allure d’un louveteau. D’un louveteau, oui. Même si c’était plutôt un chiot, son pelage gris et les poils blancs sous son cou lui conféraient davantage l’apparence d’un jeune loup que celle d’un chien.

Petit Ange était arrivé à Oasys en même temps qu’elle. Enfin, pour être tout à fait exact, il était même arrivé avec elle. Elle ne se rappelait plus vraiment si c’était son chien ou celui de quelqu’un d’autre. Elle ne gardait plus aucun souvenir de son ancienne vie. Elle ressentait un attachement très particulier avec cette adorable bestiole mais, dix ans plus tard, elle n’aurait toujours pas su dire à qui il appartenait autrefois.

Elle savait seulement que sa petite taille et son adorable frimousse la faisaient craquer.

Elle savait seulement qu’elle l’aimait. Rien d’autre n’avait d’importance.

« Allez, laisse-moi travailler encore un peu. Va te mettre sur le bord. Allez ! Dépêche-toi ! »

Impossible de vraiment s’énerver à répéter les mêmes choses lorsque l’on s’adresse à une créature aussi mignonne mais Chiara s’efforça de lui faire comprendre qu’il fallait qu’il s’écarte avec un ton un peu plus ferme qu’à l’accoutumé. Elle s’apprêtait à longer Sabot’Heure, un de ses poneys favoris. Un de ces poneys dont l’étincelle d’intelligence brillant dans ses yeux rappelait à qui daignait l’apercevoir que le genre équin ne doit pas être sous-estimé. Un bai d’un mètre quarante-huit avec une liste blanche traversant l’intégralité de sa face. Hugues et Manoé ne devraient pas tarder à revenir de la soirée à laquelle elle avait gracieusement refusé de les accompagner. Elle n’avait jamais trop aimé ce genre d’événement et le fait que celui-ci ait une signification particulière ne remettait aucunement en question cette préférence.

Elle se passait aussi volontiers de devoir surveiller Hugues. Pour une ancienne Sentinelle, il avait de réelles difficultés à se tenir convenablement et cela pouvait rapidement devenir pénible d’être autour de lui. Enfin, tant que Manoé ne le lâchait pas d’une semelle, il ne devrait pas se produire grand-chose de notable.

Les deux hommes seraient probablement surpris de la voir travailler Sabot’Heure à une heure pareille, une heure peu sophianne comme certains disaient, mais elle n’en avait que faire. Elle ne ressentait pas le besoin de dormir tandis qu’Oasys était ainsi en ébullition. Il fallait plutôt qu’elle s’agite elle aussi.

Sans aller jusqu’à danser comme les autres mais travailler en longe ne lui ferait pas de mal.

La jeune femme repoussa une mèche de sa chevelure rousse lui arrivant environ jusqu’aux omoplates. Cela l’agaçait toujours un peu lorsque des mèches lui retombaient sur le visage, même si avec le temps elle ne pouvait pas dire qu’elle n’y était pas habituée. Aussi loin qu’elle se souvenait, elle avait toujours eu des cheveux longs, généralement rassemblés en une queue de cheval lissée. Cela restait plus pratique, notamment pour les activités de la ferme.

« Auuu trot ! On reprend mon beau, la pause est finie. Voiiilà ! C’est bien. »

Sabot’Heure, globalement réceptif et facile à travailler en longe, se montra obéissant et reprit l’allure demandée sur un cercle autour de Chiara. Avec lui, il n’y avait que rarement besoin d’utiliser le stick pour le guider. À quinze ans, il connaissait son métier.

« Galop ! »

Un seul mot prononcé fermement pour demander l’allure supérieure. Chiara le ferait bosser encore un peu à main gauche, puis passerait à main droite pour la symétrie des exercices.

« Voilà, c’est bien. Continue, mon grand. »

Puis au bout de quelques minutes, repassage au trot, puis au pas, pour vérifier la réactivité de l’animale. Changement de main puis on recommence le même exercice.

C’est en demandant le galop à droite au poney que Chiara les aperçut.

Trois hommes s’approchaient de la carrière en discutant. Elle n’en connaissait que deux d’entre eux. Quant au troisième, auquel elle aurait donné une vingtaine d’années, elle ne l’avait jamais vu. Il était rarissime qu’Hugues ramène des gens à la maison. Elle ne se rappelait pas la dernière fois que cela s’était produit, pour être tout à fait honnête. À l’exception de Manoé, qui venait pratiquement tous les jours et habitait pratiquement avec eux, il ne voyait jamais grand monde.

Son colocataire n’appréciait pas particulièrement la compagnie d’invités. S’il devait voir quelqu’un, il préférait se déplacer plutôt que de laisser qui que ce soit rentrer dans sa tanière. Il devait avoir une sacrément bonne raison pour déroger à cette règle.

* * * * *

« Il y a une explication tout à fait rationnelle à ce que tu as vu, commença Hugues. »

Tandis qu’il marchait sur le sentier en direction de sa propriété, il fit référence au moment où les yeux ébahis de Nathan s’étaient posés sur la paume du colosse. Si elle était ensanglantée lorsqu’il l’avait tendue vers lui pour lui rendre Crépuscule, la plaie s’était prestement refermée pour ne laisser derrière que de vilaines traces rouges.

Seules traces indiquant qu’il y avait une blessure encore fraiche, même si elle n’était étrangement plus apparente.

Aucun spectateur n’avait prêté attention à cette incohérence de la nature, semble-t-il. Si Manoé l’avait vu, il ne s’en était pas étonnée.

« Je te dirai tout lorsque nous serons chez moi. On ne voudrait pas que des oreilles indiscrètes ne nous dérangent ou rapportent ce que j’ai à te dire à des Isorians mal intentionnés. »

Sur ces quelques mots, ils passèrent devant une carrière où une jolie rousse travaillait un petit cheval bai. À moins que ce ne soit un poney, s’interrogea Nathan. Il se demanda aussi ce qu’il y avait réellement de plus bizarre : longer après minuit, une main qui guérit quasi instantanément, une dague qui permet de disparaître et réapparaître plusieurs mètres plus loin, se battre contre une force de la nature et ne pas en sortir en miettes ? Il fallait reconnaître que chacun de ces événements sortait de l’ordinaire et il se livrait une féroce compétition pour déterminer lequel d’entre eux serait le plus hors du commun.

Même s’il n’eut que peu de temps pour observer le poney travailler en longe avec sa maîtresse, cela suffit pour lui faire ressentir un nouveau serrement de coeur. Cela faisait déjà plusieurs fois qu’il sentait une douleur dans la poitrine depuis qu’il était arrivé en Isoria. Cela avait justement commencé, tout doucement, le jour de son atterrissage forcé dans le Bois du Passé. Rien d’alarmant, à première vue. Pluie d’Étoiles lui manquait de plus en plus et cela s’aggravait, semblait-il.

Bref, Nathan passait une soirée pour le moins mouvementée… et il n’était pas encore au bout de ses peines !

L’heure des révélations venait de sonner !

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