Hikaru était reparti de l’hôpital sans un mot. Il avait marché lentement jusqu’à la maison familiale, comme on revient dans un lieu que le temps a déserté.
Son père, Itsuki, était déjà rentré.
L’ambiance dans la maison était lourde. Trop calme. Un silence vaste, étouffant, qui ne laissait plus passer la lumière. Les volets filtraient un soleil absent, étouffé par des nuages gris trop épais pour espérer la moindre percée.
Itsuki était assis sur le lit de la chambre parentale. Il avait déplacé quelques meubles. Rien d’ostentatoire. Juste ce qu’il fallait pour que la pièce ne ressemble plus tout à fait à celle qu’elle était avant. Comme s’il essayait de se réapproprier un futur incertain, maladroitement.
Hikaru, lui, n’avait rien touché dans sa propre chambre. Elle restait figée. Chaque objet, chaque rideau, chaque marque sur les murs semblait encore vibrer de ses émotions d’enfant. Le deuil résonnait là, sans mots. Immobile.
Itsuki l’avait prévenu : les funérailles auraient lieu dans une semaine. Et puis… rien. Hikaru n’aurait su dire ce qui s’était passé entre ce moment-là et celui où il se tenait devant un miroir, ajustant le col de son costume noir.
Il glissa machinalement une rose séchée dans la poche de sa veste. Détail infime. Geste instinctif.
Le tic-tac de la montre à gousset résonnait doucement dans sa poche. Il ne l’écoutait pas. Il l’entendait.
La cérémonie était simple. Sobre. Juste.
Il n’y avait pas foule. Mais chaque visage comptait. Des patients devenus amis. Des collègues fidèles. Des présences vraies, silencieuses mais pleines. Ce genre de gens que l’on peut appeler à trois heures du matin sans justification. Ce genre de gens que Satomi avait su rassembler, non par charisme, mais par vérité.
Itsuki était là. Le dos droit. Le visage contenu. Son corps allait de l’avant, mais son regard, lui, restait en arrière. Il ne trichait pas. Il survivait.
Hikaru, quant à lui, n’écoutait pas vraiment les discours. Il fixait une fenêtre à l’arrière de la salle. Une rose y était posée, dans un petit vase oublié, à contre-jour.
Et soudain…
Une image.
Un souvenir. Ou un rêve.
Satomi, jeune, assise dans le jardin. Le carnet sur les genoux. Hikaru, enfant, l’observait. Il voulait parler. Appeler. Mais aucun son ne sortait. Il se voyait, debout, figé. Sa voix d’enfant était muette.
Satomi écrivait. Lentement. Avec application. Une phrase. Mais ses lèvres ne bougeaient pas.
Puis l’image s’effaça. La rose dans le vase semblait fanée. Le silence revenait.
Quelqu’un effleura l’épaule d’Hikaru. Il se retourna. Personne.
Le moment était venu. Le cercueil allait descendre dans la terre.
Et dans la poche d’Hikaru, le carnet vibra. Une pulsation brève. Comme un battement d’aile.
Il porta la main à sa poitrine. Le carnet était chaud. Mais il ne bougea pas.
Autour de lui, les voix murmuraient. Les mains se tendaient. Les yeux s’humidifiaient.
Hikaru, lui, ne pleura pas. Pas encore.
Il regarda la terre. Puis le ciel. Puis la rose dans sa poche.
Quelque chose venait de commencer.
Mais il ne savait pas encore quoi.
Satomi. En japonais, cela peut signifier : sagesse intérieure. Ou, parfois, simplement : celle qui comprend sans qu’on ait besoin de parler...