Le ciel s’éclaircissait à l’horizon. Les journées étaient longues en cette période, et malgré l’aube naissante, le palais était endormi. À l’exception d’Ottar. Le nouveau roi de Mezdha avait à peine fermé l’œil de la nuit. Ses insomnies restaient fréquentes, bien qu’elles n’aient plus de raison d’être. Il avait définitivement quitté les rues de Sippar, où il n’était pas rare de trouver, au petit matin, les corps égorgés de ceux qui n’avaient pas réussi à trouver d’endroit assez fiable pour se reposer.
Adossé à la fenêtre de sa chambre, Ottar avait une vue imprenable sur les jardins royaux. Ceux-ci s’étendaient sur plusieurs centaines de mètres, jusqu’au niveau des remparts qui séparaient le domaine du palais, des habitations les plus cossues de Sialk. Même de sa hauteur, Ottar sentait la forte odeur des glycines en fleurs. Son regard se porta sur les arches violettes en contrebas. Il surprit alors une ombre se mouvoir entre les troncs. Il la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle glisse dans un interstice où les branches des arbres fleuris étaient clairsemées. Malgré la distance, Ottar identifia sans un doute la silhouette de la reine.
Il entendit un gémissement dans son dos. Sans se retourner, il devina au bruissement du lin que Mammitu se réveillait.
« La vue est-elle à votre goût, Votre Altesse ? dit-elle dans un bâillement à demi étouffé. »
Ottar sourit. Il la connaissait depuis son enfance. Mammitu et lui ne s’étaient pas encore habitués à utiliser leurs titres protocolaires pour s’adresser à l’un et l’autre, sans y mettre une touche d’ironie.
« As-tu une idée de ce qui pourrait amener la reine à se promener seule dans le jardin avant le lever du soleil ?
— Ne devrais-tu pas être le mieux placé pour le savoir ? »
Ottar ne répondit pas. La question était rhétorique. Le fait que depuis son mariage, six mois plus tôt, il n’approchait la reine que lorsque l’occasion l’y obligeait, n’était un secret pour personne.
« Tu ferais mieux d’y aller, Mammitu. Ton bateau part dans moins de deux heures.
— Tu parles comme s’il m’était déjà arrivé un jour de manquer un rendez-vous. » Pour autant, la femme qu’il avait promue au rang de général peu après son couronnement sortit de son lit et se rhabilla. Ottar laissa son regard s’attarder sur sa peau mate, avant que les étoffes de son costume de général ne la recouvrent entièrement. Mammitu finit par saisir ses dernières affaires, sa bourse et son sabre. Elle se retourna vers lui et hésita.
« Tu as quelque chose à me dire ?
— Je suis sûrement la dernière personne qui devrait te dire cela, mais tu ne devrais pas la négliger ainsi… »
Ottar se détourna du jardin.
« Tu as raison, tes propos sont déplacés.
— Ottar, nous avons besoin d’elle…
— Vraiment ? Je suis le roi de Mezdha. Nous y sommes arrivés, Mammitu. Nos anciens tortionnaires ont été jugés. Ceux qui voulaient réduire en esclavage les enfants de Shamash sont désormais soit en exil, soit en train de purger leurs peines en prison. Leurs pouvoirs ne les protègent plus. Plus aucun Mezdhien ne vivra ce que l’on a vécu. Nous ne sommes plus seuls à mener notre combat. L’armée nous soutient. Toi, moi, Enkiku, Marduk, Baü… Nous sommes en train de changer le monde. Que te faut-il de plus ?
— Tu vois parfaitement où je veux en venir. Notre succès est fragile. Rien que la semaine dernière, la garde a déjoué une tentative d’assassinat contre toi ! Il suffit d’un rien pour tout perdre du jour au lendemain. Tu devrais le savoir mieux que personne…
— Je ne l’oublie pas.
— Nous avons besoin du soutien de la reine. Urad avait beau être haï, il ne l’était pas par tous. Les Mezdhiens ne jurent que par la toute-puissance des Akhylis. Ils n’acceptent nos nouvelles lois que parce que tu as épousé la dernière héritière.
— Chaque jour, je gagne leur confiance à travers mes décisions. Je travaille jour et nuit pour cela, et je n’ai aucune intention d’arrêter. Koré Akhylis n’est qu’un nom. La reine passe ses journées à se prélasser au palais ou dans les jardins, et chacun s’en porte fort bien. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de jouer le bon mari pour faire rallier mes opposants.
— Je ne te comprends pas Ottar. Je t’ai déjà vu sacrifier bien plus pour arriver à tes fins…
— Mammitu, la coupa-t-il. Tu as un bateau à prendre, et j’ai un pays à gouverner. Tu ferais mieux d’y aller. »
Son amie lui renvoya un regard peiné. Elle saisit ses dernières affaires et se dirigea vers la porte sans ajouter un mot. Mammitu finirait par lui pardonner, comme toujours, mais Ottar regrettait ses paroles. Elle avait raison de trouver son comportement étrange. Il se sentit coupable de la laisser partir ainsi. Même s’il ne pourrait jamais retourner les sentiments qu’elle avait pour lui, il lui était trop redevable pour la traiter de cette façon. Il prit une inspiration et se retourna vers la fenêtre. Koré Akhylis venait d’entrer dans l’oliveraie. Elle se déplaçait lentement entre les arbres aux feuilles argentés.
« J’ai du mal à seulement la regarder en face. »
Derrière lui, il entendit Mammitu s’arrêter à son aveu.
« Elle a les yeux de son oncle. Les yeux dorés des Akhylis. Tu n’étais pas là lorsqu’Urad a mis Sippar à feu et à sang. Tu comprendrais, sinon. Mon père est mort devant moi. J’avais huit ans, mais je me rappelle chaque détail de cette nuit. Je ne pourrais jamais oublier ses derniers cris. Il n’y avait pas que mon père, ils étaient des centaines à avoir succombé aux flammes. Le pire, c’était l’odeur. Celle des corps calcinés. C’est un miracle que je sois encore en vie. J’étais à moitié inconscient lorsque je l’ai vu. Urad Akhylis. Il riait de voir nos maisons brûler… Il n’a pas participé au massacre. Il s’était déplacé pour seulement jouir du spectacle. Quand elle me regarde, je revois Urad. À chaque fois. Il m’est impossible de faire autrement que de seulement supporter sa présence. »
Plusieurs mètres en contrebas, la silhouette de son épouse se retourna. Ce ne pouvait être qu’une coïncidence, elle était bien trop loin pour avoir pu l’entendre, mais le sang d’Ottar se glaça lorsque leurs regards se croisèrent.
J'ai trouvé intéressant de connaître l'histoire d'Ottar par rapport à Urad. Je pressens un peu un danger pour Koré Akhylis avec ça. Pourtant il ne serait aucunement bénéfique pour lui de la supprimer, mais bon.
Je note, dans le texte, un passage qui m'a semblé un peu explicatif :
"Tu vois parfaitement où je veux en venir. Notre succès est fragile. Rien que la semaine dernière, la garde a déjoué une tentative d’assassinat contre toi ! Il suffit d’un rien pour tout perdre du jour au lendemain. Tu devrais le savoir mieux que personne…"
-> il doit le savoir qu'il a échappé à une tentative d'assassinat la semaine précédente... Aussi cette information est davantage donnée au lecteur qu'à lui. Je me demande si tu ne pourrais pas fournir cette information avec plus de subtilité.
Je viens bientôt lire la suite ! :)
Merci pour ta lecture et pour ton commentaire comme toujours ! :)
C'est toujours difficile de se freiner à ne pas trop en révéler (quand j'ai envie de tout dire !), donc ton commentaire sur ce passage trop descriptif me parle tout à fait haha Je le prendrais en compte pour la réécriture Merci !!
A+