Contre ses omoplates, une surface froide. Lisse et froide. Il ne la voyait pas. Il ne voyait rien. C’était à peine s’il distinguait les contours de ses mains dans le mince faisceau rouge qui traversait la cellule. Ce petit œil vicieux à travers lequel il se savait observé. Une caméra, pour mieux révéler son impuissance.
Derrière sa tête, la vitre qui le séparait des abysses. Il sentit l’aura qui en émanait. Cette atmosphère néfaste qui l’empêchait d’utiliser correctement sa magie.
L’eau les faisait souffrir à chaque tentative.
L’eau les laissait se tordre de douleur.
L’eau était sans pitié.
Soudain, une forte lumière blanche filtra à travers les interstices de la porte. Elle s’intensifia, l’éblouit. Il mit sa main devant ses yeux, mais il ne parvint pas à se protéger de cette lueur.
Et la porte s’ouvrit.
Et il pensa qu’il allait souffrir.
Et il pensa qu’il n’aurait jamais dû se faire prendre.
Il sentit la magie pulser dans ses veines. Instinct de survie. Mais instantanément, la souffrance augmenta en conséquence. Il avait l’impression que son corps entier se faisait écraser, déchiqueter, que chaque parcelle de sa peau portait un poids infiniment lourd. Il se sentit comme cloué au sol.
Impuissant.
Des hommes entrèrent. Contre-jour. Il ne les distinguait pas.
Non. Non, il ne voulait pas les suivre. Il ne voulait pas répondre à leurs questions. Il ne voulait pas se retrouver dans un laboratoire, assommé de sédatifs, le corps attaché et couvert de capteurs. Il ne voulait plus souffrir. Plus souffrir…
Mais les hommes entrèrent et le saisirent par les bras. Ils le tirèrent dans la lumière. Il ne vit plus rien.
º • · .•. · • º
Il entra dans le labo. Tout avait été rangé. Méticuleusement. Par lui, par le docteur, par d’autres assistants. Il n’y avait plus rien sur la table de travail, et, alignés sagement aux côtés du lit de métal, les instruments chirurgicaux étaient prêts à servir une nouvelle fois, le lendemain.
Il s’approcha d’un meuble. Ouvrit un tiroir.
Des dizaines de dossiers se succédaient. De petites étiquettes indiquaient leur contenu. Il trouva facilement ce qu’il cherchait. Mais alors qu’il s’en saisissait, un bruit violent résonna derrière lui.
La porte était ouverte.
Des hommes entrèrent. Ils crièrent. Ils l’insultèrent.
Il tenta de partir, il voulait partir en courant. Il se prépara à user de sa magie, mais à ce moment précis, l’un des hommes ouvrit une vanne. D’un tuyau jaillit un long jet de gouttelettes argentées. Et il fut plaqué au mur.
Sa magie le faisait souffrir.
Non.
L’eau faisait souffrir sa magie.
Il se sentit faible.
Si faible.
Si faible…
º • · .•. · • º
Alimë tomba au sol, les yeux écarquillés. Il n’arrivait plus à respirer. La sueur coulait de son front.
Durant plusieurs secondes, il tenta de se calmer, de reprendre son souffle. Il put enfin avaler un peu d’air, et l’allure de son cœur ralentit. Il sentait encore l’eau trancher son torse, et les insultes vriller ses oreilles, et la lumière brûler ses yeux. Une larme coula sur sa joue, de douleur. Elle se mêla à sa transpiration chaude. Il l’essuya du revers de la main.
Prudemment, il se redressa en s’aidant du mur. Sa tête tourbillonnait, et il devait encore faire un effort pour ne pas se laisser submerger par le rêve de la jeune femme. Il déglutit. Tout cela avait été si réel…
Le garçon remarqua pour la première fois la douleur qui le traversait de haut en bas. Le poids de sa magie. Son pouvoir l’avait affaibli, l’eau environnante pesait sur son corps et, durant de longues secondes, il eut l’impression que la tour tout entière reposait sur ses épaules. Il respira profondément. Il chassa son pouvoir, chassa le rêve.
Peu à peu, la douleur se dilua. Le cauchemar se dissipa. L’esprit d’Alimë se clarifia. Il alla à nouveau observer l’Aïdenon dans sa cellule. En voyant les vitres entre lesquelles il s’était trouvé quelques secondes auparavant, un sentiment de malaise remonta en lui. Entre lesquelles il AVAIT CRU se trouver, se rectifia-t-il. Tout cela n’était que le fruit de l’imagination ensommeillée de la jeune femme aux cheveux sombres étalés sur le sol. Il n’avait jamais été enfermé dans cette cellule. Il n’avait jamais été emporté par ces hommes.
Et pourtant, à présent ces images étaient imprimées dans ses yeux. C’était la première fois qu’il vivait un rêve aussi imprégné d’émotions. Peur, colère, frustration. Il avait expérimenté les sentiments d’une autre personne, et savait qu’il lui faudrait du temps pour s’en remettre.
L’écran trembla avant de s’éteindre. Ses idées redevenues plus claires, Alimë repensa à ce cauchemar. La jeune femme était traumatisée par sa capture, et par les expériences que l’on lui infligeait, ce qui était normal. Mais il y avait autre chose… Un détail le perturbait dans cette toile de douleur et de souffrance, sans pour autant qu’il parvienne à mettre le doigt dessus. Les hommes qui s’étaient jetés sur lui…
Subitement, tout devint bruit. Les yeux d’Alimë s’écarquillèrent. Il sentit à nouveau l’œil de la petite caméra le scruter. Une alarme.
Il s’immobilisa au milieu du couloir.
Une alarme.
C’était pour lui. Il le savait, c’était pour lui. Ils l’avaient vu.
La sirène résonnait dans son crâne comme l’annonce funèbre de sa fin prochaine. Fini. Tout était donc fini. Est-ce que tout cela pouvait se terminer ainsi ?
Bruits de pas. D’armes. D’ordres criés à travers les couloirs. Les hommes de la sécurité investirent bientôt tout l’espace du secteur C.
º • · .•. · • º
Lorsqu’il se réveilla, Alimë était allongé dans un lit. Un lit blanc. Un lit d’hôpital. Un lit de ceux sur lesquels il allongeait les sujets, durant les examens.
Et il était attaché.
Tentant de ramener vers lui ses membres endoloris, il sentit la résistance des entraves, à ses poignets, à ses chevilles. Il savait bien qu’il ne servait à rien de lutter, et il n’avait aucune envie de réveiller plus encore les courbatures qui traversaient son corps. La douleur laissée par sa magie. La douleur pour laquelle il souffrirait le restant de ses jours.
Alimë ferma les yeux. Qu’avait-il fait ? Il pensa à Yséïs. Elle avait confiance en lui, et il venait de ruiner les efforts de toute une vie. Sa vie réduite en fumée. Une fois encore. Et Seth… Oui, Seth avait confiance en lui. Le premier, il avait cru en son pouvoir, et il lui avait appris à y croire, lui-aussi. S’il était arrivé jusque là, c’était grâce à lui.
Une larme commençait à gonfler au coin de l’œil de l’assistant. Qui n’en était plus un. Soudainement, il pris conscience de l’image qu’il donnait de lui-même. Un petit garçon perdu, un enfant qui avait fait une bêtise et attendait ses parents qui reviendraient le gronder. Il n’aimait pas cette image. Seth lui avait appris à ne pas avoir peur. Alors il ne verserait pas une larme. Il ne céderait pas au désespoir. Pour lui.
À cet instant précis, le bruit d’une clef résonna dans la pièce, suivi de celui d’une porte que l’on déverrouillait.
Un scientifique en chemise blanche, le visage fin, l’air fatigué, fit quelques pas dans le laboratoire, laissant la porte se refermer derrière lui. Et sa question raviva en Alimë toute sa haine.
– Alors mon p’tit gars, on a voulu jouer les héros ?
L’homme s’était assis à côté de lui et l’observait de ses yeux cernés. Le garçon prisonnier lui rendit un regard de pierre. Ou du moins c’est ce qu’il espéra, car, en réalité, c’était sa tristesse, bien plus que sa colère, qui transparaissait à travers ses pupilles. Remarquant ses yeux brillants, le docteur esquissa un sourire.
– Eh, fais pas cette tête, tu savais bien que ça n’amènerait à rien d’essayer seul. Et puis, c’est fini maintenant.
Déboussolé, Alimë tenta de déchiffrer les paroles de cet homme. Pourquoi souriait-il ainsi ? Essayait-il de gagner sa confiance ? Il ne savait pas comment réagir. Paniqué, le garçon se concentra sur la voix de Seth, éclat de mémoire. Il écouta son ton apaisant et répéta ses paroles dans un murmure presque inaudible :
– J’en suis capable.
Alimë attendait avec appréhension la réponse de l’homme à la chemise blanche. Mais il n’y en eut pas. Il n’y eut qu’un rire. Un rire profond et sincère. Et cette sincérité transperça le cœur du petit prisonnier. Alimë sentit ses larmes lui échapper. Il se fit mal aux poignets en contractant les muscles de ses bras. Il sentit sa confiance et ses convictions s’échapper, une fois encore, comme de l’eau dans un poing fermé, qui tentait vainement de la retenir. Mais c’était trop tard. Trop tard…
– Je suis déjà là depuis trois ans ! cria-t-il. J’en… j’en suis capable, je l’ai fait…
Il sentit sa gorge se serrer. Ses yeux rougir. Son corps se fermer au monde. Mais à ce moment-là, la voix le rappela à la réalité. Le docteur posa sa main sur la sienne :
– Eh, calme-toi p’tit gars, faut pas te mettre dans ces états pour un pauvre Aïdenon. T’y es pour rien. Et puis, on a réussi à le bloquer.
La voix mis du temps à atteindre l’esprit embrumé d’Alimë. Pour un pauvre Aïdenon… T’y es pour rien… Réussis à le bloquer… LE bloquer ? Il cligna des yeux, plusieurs fois. Sa colère s’était envolée face à la mine inquiète du scientifique. Ce n’était pas pour lui ? L’alarme, pourtant…
– Voilà, c’est bien mon gars. Attends, je vais t’enlever ces vilains bracelets. C’est que tu gigotais bien, avant…
Il décrocha habilement des entraves du lit de laboratoire de ses doigts fins. En se redressant, Alimë constata à quel point cet homme était grand. Il dépassait le garçon alors même que celui-ci était assis sur le haut matelas d’hôpital. Ravi de son changement d’attitude, le docteur lui offrit un nouveau sourire rayonnant et lui tendit sa main :
– Moi, c’est Cassandre. Enfin, Docteur Mary quand y’a des yeux indiscrets.
Alimë prit sa main dans la sienne. La force du docteur l’étonna.
– Alimë Sohon, assistant du quartier de recherches, se présenta-t-il. Pardon, avant j’étais… fatigué.
Le Docteur Mary, ou plutôt Cassandre, lui sourit plus encore, si tant est que cela fût possible. Il hocha la tête.
– Bien sûr. C’est normal, après une nuit pareille. On est tous à cran. (Il soupira) Bon, je vais te laisser, ça va aller ?
À son tour, le petit assistant hocha la tête.
– Tu peux retourner dans les habitations inférieures, si tu te sens mieux, ajouta le scientifique tout en réajustant un bouton de sa chemise. Tu as besoin de repos, et il te reste quelques heures avant le début de la journée.
Cassandre s’en alla.
La porte se referma.
Le silence reprit ses droits.
Waah, c’est un chapitre où on découvre pleins de trucs ! Il est très palpitant !
Quelques remarques tout au long du texte :
« Ce petit œil vicieux à travers lequel il se savait observé. » —> J’aime bien, c’est mignon, mais on comprends parfaitement pourquoi il dit ça. :)
« L’eau les faisait souffrir à chaque tentative.
L’eau les laissait se tordre de douleur.
L’eau était sans pitié. » —> Très joli rythme ternaire qui met en évidence la présence de l’eau. Et la personnification de la fin accentue encore plus aspect négatif de cet élément !
« Des hommes entrèrent. Contre-jour. Il ne les distinguait pas. » —> Hihi, j’adore comme le mot « contre-jour » suffit à placer l’ambiance. On besoin de rien de plus pour avoir l’image parfaite dans notre esprit !
« Sa tête tourbillonnait, et il devait encore faire un effort pour le pas se laisser submerger par le rêve de la jeune femme. » —> « pour NE pas » ? Je précise qu’avant cette partie, je n’avais pas compris qu’il voyait à travers les souvenirs de l’Aïdenon. Si c’est l’effet voulu, tant mieux, sinon, tu pourrais peut-être glisser un petit indice…
« En voyant les vitres entre lesquelles il s’était trouvé quelques secondes auparavant, un sentiment de malaise remonta en lui. Entre lesquelles il AVAIT CRU se trouver, se rectifia-t-il. » —> Cette phrase est très bien placée, elle confirme ce que l’on a cru comprendre juste avant. Mon esprit a donc été très rassuré d’avoir saisi correctement les informations.^^
« Bruits de pas. D’armes. D’ordres criés à travers les couloirs. » —> De nouveau une jolie description du lieu à travers les sons. Elle est très efficace ! :)
« Le garçon prisonnier lui rendit un regard de pierre. Ou du moins c’est ce qu’il espéra, car, en réalité, c’était sa tristesse, bien plus que sa colère, qui transparaissait à travers ses pupilles. » —> J’aime bien cette partie, on s’est tous rendus compte un jour que notre visage n’arborait pas l’expression que l’on voulait ! Je trouve donc que c’est un passage très réaliste !
« LE bloquer ? » —> Révélatioooon !
« Alimë prit sa main dans la sienne et s’étonna de sa force lorsqu’elle serra la sienne. » —> Je trouve qu’il y a une légère répétition des mots « la sienne »… Mais je n’arrive pas à trouver de bonne formulation…
« Le silence reprit ses droits. » —> Très jolie fin, c’est comme si le silence était un personnage puissant et qu’il décidait de clôturer cet évènement. C’est un peu la vraie nature du silence, en fait, haha.^^
Voilà voilà, j’ai hâte de lire la suite !^^
Merci beaucoup pour ton retour ! Il est très motivant^^
“Très joli rythme ternaire qui met en évidence la présence de l’eau. Et la personnification de la fin accentue encore plus aspect négatif de cet élément !”
>> Oui, j'avoue que j'ai pas mal cherché avant de trouver enfin trois phrases qui sonnaient bien tout en étant de plus en plus courtes... Mais je suis contente du résultat !^^
“Hihi, j’adore comme le mot « contre-jour » suffit à placer l’ambiance. On besoin de rien de plus pour avoir l’image parfaite dans notre esprit !”
>> Ohh trop chouette si ça fonctionne bien ! Oui, c'était le but de cette scène de décrire le décor et les personnes par débris de descriptions... C'est toute l'idée des rêves, en fait, je voulais vraiment marquer une séparation stylistique entre la narration simple et les songes qu'Alimë visite :)) J'espère, du moins, que c'est ce que l'on ressent^^'
“« pour NE pas » ?”
>> Ouiii tu as tout à fait raison, je modifie ça tout de suite^^'
“ Je précise qu’avant cette partie, je n’avais pas compris qu’il voyait à travers les souvenirs de l’Aïdenon. Si c’est l’effet voulu, tant mieux, sinon, tu pourrais peut-être glisser un petit indice…”
>> Oui, c'était l'effet voulu, j'avais envie d'introduire le pouvoir d'Alimë sans explications préalables... Mais tu penses qu'il faudrait clarifier cela plus tôt ?
“Cette phrase est très bien placée, elle confirme ce que l’on a cru comprendre juste avant. Mon esprit a donc été très rassuré d’avoir saisi correctement les informations.^^”
>> Ah, super si c'est clair ! Des fois, j'ai peur que les choses soient très claires pour moi, et très peu pour les lecteurs... Voilà qui me rassure ! :))
“J’aime bien cette partie, on s’est tous rendus compte un jour que notre visage n’arborait pas l’expression que l’on voulait ! Je trouve donc que c’est un passage très réaliste !”
>> Merciii merci beaucoup ! C'est drôle, parce que j'ai vraiment écrit cela comme si je le vivais... J'ai d'abord écrit “Le garçon prisonnier lui rendit un regard de pierre.”, et puis je me suis dit : ah, non, dans cet était il en est pas capable. Du coup j'ai ajouté la suite haha :)
“« LE bloquer ? » —> Révélatioooon !”
>> Héhéhé
“Je trouve qu’il y a une légère répétition des mots « la sienne »… Mais je n’arrive pas à trouver de bonne formulation…”
>> En effet, il y a une répétition dans cette phrase... Je vais réfléchir à une autre formulation...
Merci encore pour ton commentaire très utile !
La suite devrait arriver bientôt...^^
En tous cas, on voit une récurrence du thème des rêves dans tes écrits, et c'est toujours aussi bien maîtrisé.
La fin nous laisse sur une note à la fois mystérieuse et lourde de sens.
>> Oui, encore un sujet qui me tient à cœur !^^ Enfin il faut me dire si j'exagère haha, mais oui j'aime beaucoup l'idée des rêves, l'aspect à la fois foisonnant, émotionnel et parfois très réel du sommeil... Ça donne vie à plein de perspectives ! :))
J'espère que la suite te plaira !^^