Chapitre 7

Notes de l’auteur : Suite à un camp NaNo assez fructueux, je vous livre ce chapitre 7 avec un grand plaisir, et en espérant que l'histoire de Cadell et Loeiza continuera de vous plaire. Merci d'avance pour votre lecture !

Le salon grouillait de nobles endimanchés et de domestiques silencieux. Depuis le mur où il était adossé, Cadell promenait un regard las sur la chorégraphie corsetée qui se déroulait devant lui. Une fois de plus, les excentricités mondaines de ses parents le privaient du calme et de la solitude dont il avait tant besoin. Il soupira. Entre les conversations animées et le piano qui crachotait ses partitions insipides, il ne s'entendait plus penser. Dehors, les cloches sonnèrent huit fois.

« Tu as triste mine, Cadell. »

Il se tourna vers un Aidan au teint pâle. Des cernes creuses projetaient un éclat violacé sous ses grands yeux rieurs. Un contraste saisissant.

« Je peux te retourner le compliment, mon frère. 

— Je n'en doute pas. (Il se racla la gorge.) Cette vilaine toux me tient éveillé depuis plusieurs nuits. Je t'avoue qu'il me tarde d'en guérir, c'est fort regrettable d'être diminué dans un contexte aussi stimulant. »

Il sembla s'abandonner à la mélancolie le temps d'un souffle, avant de renchérir sur un ton jovial :

« Heureusement, je peux compter sur mon jeune frère asocial pour avoir l'air encore plus abattu que moi dans l'une des soirées les plus exaltantes de tout Virence ! »

Il ponctua sa plaisanterie d'un rire crachotant et d'une tape entre les omoplates. Cadell grimaça.

« Cesse donc de me houspiller et va-t-en rejoindre ta promise. Tu sais ce que dit Mère : un homme d'honneur ne badine pas avec les convenances. »

Il désigna d'un mouvement de tête le petit salon où Cyrille De Rossi venait d'apparaître, chaperonnée par son père. Aidan s'illumina. Tout en s'éloignant, il gratifia son frère d'un ultime sarcasme :

« N'aie crainte, Cadell, tu ne seras pas en reste. Nous savons tous les deux que ce n'est qu'une question de temps avant que Mère et ses incomparables talents d'entremetteuse ne scellent ton destin ! Tu devrais d'ores et déjà commencer à prier pour que ta fiancée soit aussi charmante que la mienne ! »

Il se renfrogna, tirant sur son pourpoint avec une incontrôlable nervosité. Penser au mariage lui donnait des frissons d'effroi le long de la colonne vertébrale. Comment Aidan pouvait-il être aussi enthousiaste à l'idée de confier sa vie à une femme qu'il ne connaissait que d'apparence ? C'était certes un homme de tradition qui connaissait ses devoirs, mais fallait-il toujours qu'il les exerçât avec empressement ?

Cadell accorda un regard appuyé à la fiancée de son frère. Elle avait le maintien élégant, des traits fins à l'harmonie toute ordinaire. Il ne put s'empêcher de remarquer que ses cheveux bruns étaient relevés en un chignon raffiné, brodé de perles aux reflets amarante. Touchante attention que d'arborer les couleurs familiales de son futur époux lors d'une soirée comme celle-ci. Une servante s'approcha pour la délester de son manteau. Elle jeta ses épaules en arrière avec une grâce instinctive, digne de la duchesse qu'elle s'apprêtait à devenir. Lorsqu'Aidan lui offrit son bras, ses joues prirent une délicieuse teinte rosée qui rehaussait sa toilette écru. Elle était rayonnante, mais pas assez pour détourner la lumière de son promis. Mère ne s'y était pas trompée : elle avait tout de l'épouse convenable.

Le piano entama une symphonie doucereuse que Cadell reconnut pour être de celles qui clôturaient certaines cérémonies religieuses. C'était incongru qu'elle résonnât entre ces murs, mais Benefattore Fiorelli affichait un ravissement tel que l'intelligence politique de ce geste ne fit plus aucun doute. Il soupira. Un domestique lui offrit un verre de vin, qu'il accepta volontiers. La cave des Di Salvieri abritait quelques merveilles que Père n'ouvrait qu'en de rares occasions – un souper avec les Benefattore comptait parmi celles-ci. Savourant les arômes ronds et fruités du breuvage, il s'éloigna de l'instrument. Autour de lui, les conversations fusaient. Il était incapable de se concentrer sur l'une d'entre elles. Que dire ?

Son esprit divagua, dessinant auprès de lui le sourire audacieux de Loeiza. Il l'imagina pendue à son bras, heureuse comme le soleil des anciens étés. Dans ses rêveries, elle était enveloppée dans une cape de velours pourpre sur laquelle ses cheveux roux tombaient en cascade... Son cœur manqua quelques battements, avant d'être englouti par une vague de lucidité. Il n'y avait pas le moindre espoir que Mère songeât à une D'Altino comme parti potentiel pour l'un de ses fils. Et même si c'était possible, son amie n'était pas de celles qui s'agrippent au bras d'un homme en attendant de lui les clés du monde... Il secoua la tête comme pour chasser ces pensées malheureuses et but une gorgée de vin.

La soirée s'étira au son des rires que le vin libérait chez leurs convives. De vrais chevaux sauvages, qui martelaient son crâne et empiraient sa migraine. Au détour d'un second verre, Cadell consentit bien à échanger quelques futilités avec les nobles que le salon bondé déversait dans les pièces attenantes, mais il n'en garda pas le moindre souvenir. Sa tête était lourde, il rêvait de retrouver ses draps de soie et l'atmosphère chaleureuse de ses appartements. Mais il était trop tôt pour s'éclipser. Mère ne le lui pardonnerait pas.

Il refusa d'un geste sec le troisième verre qu'une domestique lui tendait. Il étouffait. Il poussa la porte du fond pour rejoindre la cour intérieure, où le froid le saisit. Il lui fit le même effet que les gifles de Père : mordant et douloureux, mais instructif. Maudissant le vin et la fatigue, et surtout le désastreux ménage qu'ils formaient, il reprit peu à peu ses esprits.

« Virence a-t-elle jamais connu hôte plus aimable que ce cher Cadell ? »

Un bras s'enroula autour de ses épaules. Cette étreinte surprise lui inspira le même ravissement qu'une piqûre d'insecte. Il se dégagea et toisa le rouquin aux mèches folles qui se trouvait devant lui. Son sourire grinçant et ses yeux mutins lui donnèrent envie de prendre la fuite ; à la place, il se raidit et fronça les sourcils.

« Aerin. Je ne pensais pas que tu nous ferais l'honneur de ta présence. 

— Détrompe-toi, mon ami. Je ne manquerais pour rien au monde un tel pince-fesses. Je me délecte d'avance à l'idée d'attraper au vol les mille petits secrets qui circulent toujours dans une réception digne de ce nom. Et puis, je t'en prie, ton salon grouille de séduisants nobliaux tirés à quatre épingles qui n'attendent que moi pour mettre un peu de fantaisie dans leur nuit. Soyons sérieux, comment pourrais-je y résister ? »

Il éclata d'un rire qui se mêla aux effluves de lavande et de clous de girofle que dégageaient ses frusques dépareillées. Ce désordre sensoriel raviva la migraine de Cadell. Comment le second fils d'une famille respectable pouvait-il afficher des mœurs aussi légères et décomplexées ? Il l'entraîna dans un coin de la cour d'une main ferme et vérifia que personne ne les écoutait. La voix durcie par la gêne qui le tenaillait, il murmura :

« Allons, Aerin. Aurais-tu s'il te plaît la décence de faire preuve d'un peu plus de discrétion, en tout cas entre ces murs ? Ce n'est ni le lieu ni le moment de nourrir un scandale. Les Benefattore ne sont pas hommes à goûter tes plaisanteries ou tes excentricités, et nous avons besoin qu'ils restent dans les meilleures dispositions. Maudit sois-tu, fais au moins semblant de m'écouter ! Les rumeurs qui se chuchotent à ton sujet ne t'importunent donc pas ? »

Aerin rejeta la tête en arrière sans se départir de son sourire espiègle.

« Pourquoi les rumeurs me dérangeraient-elles puisqu'elles sont vraies – enfin, pour la plupart ? Soit dit entre nous, je n'ai jamais séduit la matrone Di Manzo, même si j'apprécie que l'on m'attribue une telle prouesse. Plutôt coriace, la dame. M'est avis que sa couche est plus décourageante que les eaux du canal lorsqu'elles sont gelées. Non... (Il enroula une mèche brasillante autour de son doigt.) Je préfère mille fois savourer des nuits folles auprès de corps et d'esprits plus fringants ! »

Cadell contracta la mâchoire jusqu'à grincer des dents. Aerin le gratifia d'un coup de coude dans les côtes :

« Surtout ne souris pas, Cadell, ou le tout-venant pourrait croire que tu apprécies ma compagnie.

— Tout n'est pas qu'humour, Aerin. Que fais-tu de tes responsabilités ? Ne crains-tu pas que toute cette mascarade entache le respect porté à ton nom ?

— C'est sûr qu'il est infiniment plus plaisant de marmonner du petit jour au crépuscule ! J'avais oublié quel joyeux drille tu faisais. Ne m'en veux pas, mais la seule mascarade que je vois, mon cher Di Salvieri, est celle qui se déroule sous ton toit en ce moment-même. Ne te fourvoie pas. Le respect n'est pas une cape dont on se drape et qu'on ôte à loisir. Je sais qui je suis, et je ne m'embarrasse pas de ce que les autres attendent de moi. Toi, comment te sens-tu lorsque tu délaisses ton masque de devoirs et de convenances ? Je gage que ton arrogance ne te tient pas très chaud la nuit, n'est-ce pas ?

— Ne prétends pas me connaître. 

— Eh bien, Cadell, nous voilà bien d'accord ! Tu vois, aucune cause n'est jamais vraiment perdue ! »

Il s'évapora dans un rire goguenard. Les épaules de Cadell se raidirent. Pourquoi s'évertuait-il à répondre aux provocations de cet inconséquent ? Après tout, ce n'était pas le nom Di Salvieri qu'il couvrait de ridicule. Il se massa les tempes, désemparé. Il savait que ses manières insolentes n'auraient pas dû le heurter à ce point, mais son esprit bouillonnait d'une froide indignation. Un besoin de hurler lui brûlait la gorge. Non, le devoir n'était pas un masque. C'était une ancre dans la tempête, un repère. Pourrait-il seulement se regarder dans un miroir s'il décevait les siens ?

Comme les conversations enflaient autour de lui, il rejoignit le salon à la hâte. Il n'était pas là pour lanterner, et Aerin avait raison sur un point : dans une telle réception, les informations voyageaient entre les lèvres comme des vents du Nord, sans retenue. Après s'être désaltéré à l'eau fraîche, il se glissa parmi les convives exaltés, l'oreille tendue. Son esprit relia les mots qu'il attrapait au vol, combla ceux qui lui échappaient. Des discussions sans intérêt, pour la plupart. Elles oscillaient entre la nouvelle sonate à la mode et l'organisation des prochaines fêtes de la Moisson : des banalités qui n'éveillaient pas la moindre curiosité chez Cadell.

« … que la Reine a fait changer toutes les tapisseries du palais. Elle aurait exigé qu'on y dépeigne des épisodes de l'Histoire lucchane, a-t-on seulement déjà vu une telle audace chez une souveraine respectable ? Bien sûr, son attachement pour la terre de ses origines est honorable, mais il me semble que porter ainsi atteinte à nos traditions relève davantage de la maladresse politique. 

— Ne m'en parlez pas, très chère. Rien que d'imaginer les éblouissantes galeries du Palazzo entachées de leurs contes barbares et fallacieux, je me sens défaillir. »

Des rires contenus tintèrent en même temps que les verres. Une voix masculine que Cadell ne connaissait pas se joignit à la conversation.

« Si seulement Luccha se contentait d'envahir les galeries du Palazzo, nous pourrions mettre cela sur le compte d'une mode douteuse mais passagère. Laissez-moi vous rappeler que Sa Majesté a pris des engagements éloquents envers ce peuple lorsqu'Elle a décidé que ses contestations pesaient davantage que la famine des nôtres. C'est bien plus grave qu'une vulgaire affaire de chiffons, et je peux vous assurer que la Melisia s'en souviendra. »

C'était donc un banneret du Duc De Sesto. Cadell fut envahi par un sentiment de malaise. Aucun gentilhomme n'aurait pris le risque de critiquer aussi ouvertement la famille royale, à moins d'entretenir une rancune dévorante ou de manquer de discernement. Dans ce cas précis, l'imprudence était telle qu'elle révélait un malheureux mélange des deux. Il attrapa deux verres sur le plateau d'une domestique et se glissa aux côtés de l'homme et de sa colère.

« Je ne crois pas que nous ayons été présentés, Monseigneur... ?

— Ciervo, pour vous servir.

— Eh bien, prenez garde, Monseigneur Ciervo, toutes les idées ne siéent pas à une soirée aussi... cérémonieuse », lâcha-t-il en lui tendant un verre, un sourire affecté au coin des lèvres. L'homme sembla pris de court. Il se racla la gorge, ses yeux naviguant entre le vin pourpre et l'insigne brodé sur le doublet de Cadell.

« Mais bien sûr, Monseigneur Di Salvieri ! Pardonnez mon inconvenance, le vin et l'ardeur de ces dames auront troublé mon esprit. Je tâcherai à l'avenir de faire preuve d'une vigilance exemplaire. »

Il s'inclina. Cadell nota néanmoins qu'il s'était saisi du verre et le portait à présent à sa bouche. Si ses excuses étaient enveloppées dans une courtoisie sucrée qui convenait au contexte, elles sonnaient aussi faux que les chœurs dissonants de la cathédrale San Marco. Il l'entraîna à l'écart et lui souffla d'un ton sec :

« Permettez-moi d'insister. Il serait fort dommageable à Monseigneur De Sesto et à toutes les provinces de la Melisia que des oreilles moins... bienveillantes que les miennes aient vent de votre colère. Dois-je vous rappeler que nous sommes des sujets de Sa Majesté et qu'en tant que tels, nous devons préserver la paix et l'union du royaume ?

— Même si cela doit se faire au détriment des honnêtes gens qui bêchent nos terres en déplorant chaque jour leur infertilité ? Même si cela doit jeter la honte sur nos lignées ? Ignorez-vous ce qui se murmure dans les alcôves, à l'abri des regards de la cour ? Nous avons failli, Monseigneur. Continuerons-nous de compter sur ces culs-bénits pour défendre nos intérêts ? »

Il cracha pour ponctuer sa diatribe. Sa voix était menaçante et ses tempes vibraient d'une haine préoccupante, mais Cadell ne cilla pas. Il contempla le vin ambré qui dansait dans son verre, étirant l'instant à dessein. Le silence était l'une de ses armes les plus affûtées ; il asseyait une autorité avec laquelle il n'était pas encore tout à fait à l'aise. Il finit par planter un regard sévère dans celui de son interlocuteur.

« Prétendez-vous détenir les clés de tous les problèmes du royaume, Monseigneur Ciervo ? C'est fantastique. Pourquoi ne profitez-vous pas de la prochaine assemblée de la Chambre des Pairs pour exposer vos doléances ? Ne serait-il pas temps d'avertir vos seigneurs qu'ils réfléchissent et agissent en vain depuis des années ? Bien sûr, je ne puis vous garantir l'accueil que vous réservera mon père... Mais n'oubliez pas de mentionner les innombrables bannières et épées que la Melisia mettra à notre disposition dans la guerre que vous semblez appeler de vos vœux, votre ardeur ne manquera pas de le rassurer. »

Monseigneur Ciervo blêmit.

« La guerre ? Je... Non, ce n'est pas... », bredouilla-t-il.

Cadell but son vin sans le quitter des yeux, les épaules droites et les lèvres pincées dans un sourire suffisant.

« Eh bien, que suggérez-vous ? »

L'homme se renfrogna, tirant sur son doublet avec nervosité.

« C'est bien ce que je pensais. Vous n'avez pas la moindre idée de ce qu'implique la colère que vous distillez au gré de ces conversations mondaines, ni des dégâts qu'elle cause. Je vais vous donner un unique conseil, Monseigneur. Gardez à l'esprit qu'en tant que banneret du Duc De Sesto, il est attendu de vous une rigueur infaillible. Si certains sujets dépassent vos compétences, contentez-vous d'honorer votre serment en accordant à votre seigneur la confiance à laquelle il a droit. Et par tous les dieux, cessez de mêler toute la Melisia à vos discours malencontreux. Me suis-je bien fait comprendre ? »

Monseigneur Ciervo s'inclina dans un silence gêné et disparut dans la masse bruyante des courtisans qui avait envahi le salon de réception. Cadell soupira. Ses épaules se relâchèrent, mais sa mâchoire demeura crispée. Il comprenait mieux que quiconque les peurs et la frustration que les dernières ordonnances royales instillaient dans les esprits. Néanmoins, il sentait ses nerfs se tendre à l'idée que cet imprudent les confiait à l'indiscrétion des premières oreilles venues. La politique exigeait nuance et pondération ; qu'adviendrait-il si le Roi avait vent de la grogne de certains de ses sujets ? Personne ne voulait d'une nouvelle guerre quand l'hiver décimait déjà les terres et les foyers…

Il se débarrassa de son verre sans le terminer. Sa gorge était nouée par le mépris que lui inspirait un tel manque de discernement. Sans compter qu'il faudrait tenir Père informé de l'incident… La tête lourde et embrumée par les parfums capiteux que la mode imposait à ses narines, il chercha des visages familiers dans la foule.

Il ne tarda pas à localiser Mère. Elle naviguait entre ses invités avec une distinction et une coquetterie savamment étudiées. Sa robe en velours pourpre rehaussée d'une dentelle noire aux motifs floraux flottait derrière elle. Un rubis taillé en soleil irradiait à la naissance de son décolleté. Ce joyau unique, tout droit sorti des mines de la Salenza et confié aux meilleurs orfèvres du royaume, était à lui seul un aveu de pouvoir. Lorsqu'il croisa son regard pétillant de détermination, il comprit qu'il n'était pas près de rejoindre le confort de ses appartements.

Elle s'approcha à pas félins, et lui offrit un bras solide qui contrastait avec sa silhouette chétive.

« Tu as l'air songeur, Cadell.

— Je fais ce que vous m'avez appris, Mère. J'observe, et j'écoute.

— Bien. Puis-je donc te demander ton sentiment au sujet de la fiancée de ton frère ? »

Le coin de sa lèvre s'étira en une moue moqueuse qui le piqua au vif. Il n'avait pas le cœur de s'attarder sur le mariage arrangé dans lequel son frère se jetait allègrement, mais il connaissait la ténacité de Mère. Elle ne lui laisserait aucun répit avant d'avoir entendu la réponse qu'elle espérait. Il souffla, balayant l'assemblée du regard jusqu'à repérer le voluptueux Aidan et sa promise. Ils évoluaient parmi les convives avec aisance, distribuant à la ronde des sourires affables.

« Je dois admettre que vous avez fait un choix éminemment judicieux, Mère. Ce mariage nous garantira l'amitié de la Chione, et avec elle les couloirs commerciaux qui mènent à Oran. Pour ne rien gâcher, cette demoiselle semble avoir le cœur tendre et docile. Aidan ne la quitte pas des yeux.

— J'ai le sentiment que ta flatterie dissimule une objection. Parle donc, mon fils », dit-elle sur un ton badin. 

Il pesa ses mots avec une prudence excessive.

« Eh bien, tout le monde s'attendait à ce que vous jetiez votre dévolu sur l'une des filles D'Ello, y compris Père. Je vous concède que l'idée d'offusquer l'orgueil de cette famille ne me déplaît pas, mais… »

Elle le coupa d'un geste sec de la main.

« Allons ! Ferdo n'entend rien aux choses du mariage. Il y a toujours mille sujets qui lui semblent plus dignes de son intérêt. Si cela ne tenait qu'à lui, la lignée des Di Salvieri prendrait fin avec vous. »

L'agacement qui pointait dans sa voix n'appelait aucune répartie. Il se contenta d'incliner la tête pour témoigner son assentiment. Il était vrai que Père montrait davantage d'empressement à leur apprendre les ficelles politiciennes du royaume qu'à les entretenir d'affaires maritales. En cet instant, Cadell mesura le couple redoutable que formaient ses parents. Mère le prit par le bras et l'emmena un peu à l'écart des conversations.

« Écoute. Il est de notoriété publique qu'Orazio a partagé bien d'autres couches que celle de son épouse. Pensais-tu sincèrement que je consentirais à marier mon fils aîné à n'importe laquelle de ses bâtardes ? Et cela au nom de quoi ? Une alliance de papier ? Non… Crois-moi, ton père a vite perçu les bénéfices de l'alternative que je lui proposais. Monseigneur De Rossi est un homme d'honneur. Sa famille est ancienne et respectable. En accordant à Aidan la main de son unique enfant, il nous offre aussi sa terre et son allégeance. Il se peut qu'à l'avenir elles nous soient précieuses. »

Elle héla une domestique qui glissait vers leurs invités, un plateau d'argent à la main, et lui fit signe d'approcher. Les lèvres pincées, elle ajusta le nœud de sa coiffe, replaçant quelques-uns des cheveux qui s'étaient échappés. Elle épousseta ses épaules maculées de farine. Cadell ne put s'empêcher de remarquer qu'une tache de gras s'étalait sur son tablier ; par réflexe, il tira sur son propre doublet pour en lisser les plis. La jeune servante garda la tête basse, mais ne parvint pas à dissimuler le trouble qui rosissait ses joues. Lorsque Mère la chassa d'une main ferme, Cadell crut voir briller une larme au coin de son œil.

« Il sera dit que nous sommes dignes, Cadell. Souviens-toi que c'est le plus important. Ils peuvent nous envier, nous haïr, mais ils doivent nous respecter. »

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Gwenifaere
Posté le 05/08/2020
Ah oui c'est tendu quand même ! Toutes ces histoires de guerre, ça ne me dit rien qui vaille pour la suite...

J'ai bien aimé en apprendre plus sur le milieu de Cadell, et cette discussion avec sa mère était très intéressante. Oh, et le personnage d'Aerin ! Il est trop bien, j'espère qu'on va le revoir ^^
Envoleelo
Posté le 27/08/2020
Merci pour ton commentaire !

J'adore Aerin moi aussi, il est pétillant ! On va évidemment le revoir dans la suite du roman ! <3
Notsil
Posté le 02/08/2020
Coucou !

Un joli chapitre que voilà ! Cadell n'aime peut-être pas son rôle, mais whaouh, il maitrise les codes et les ficelles à la perfection, coincé qu'il est entre son père et sa mère.
Les 2 sont aussi redoutables l'un que l'autre, et il est clair qu'il n'aura pas son mot à dire sur sa future fiancée...

Et au passage on en apprend davantage sur la situation du royaume. Une situation explosive va-t-elle perturber les plans soigneusement préparés de ses parents ?

J'espère que le frère ainé guérira de sa toux, ça serait moche de devoir récupérer la fiancée par défaut ^^

La conversation avec Aerin en révèle aussi sur le caractère de ces deux personnages. Je suis curieuse de leur relation future, là aussi.

Merci le Nano, du coup ;)
Envoleelo
Posté le 27/08/2020
Merci pour ton commentaire et ta fidélité !

Je dois dire que tu m'impressionnes, tu captes très bien les enjeux, les ficelles... Je suis particulièrement contente que tu perçoives les difficultés inhérentes à la position de Cadell, c'est un personnage qui va beaucoup évoluer dans la suite du roman, mais il est par nature très intelligent et a un grand sens du devoir (envers qui ? là sera toute la question !).

Je vais bientôt poster la suite, j'espère qu'elle te plaira !
Vous lisez