Chapitre 7 - Anna : Cible, droit devant

Mes pieds refusent de bouger. Le garçon trop craquant que j’ai entraperçu l’autre jour vient de traverser la salle. Il est encore plus mignon de près et s’il ressemble à Justin Bieber, ses traits sont bien plus beaux. Comme je l’avais pressenti, ses yeux sont bleu cobalt. J’aimerais déjà l’avoir rencontré, ainsi, j’irais le voir, et lui dirais…

— Anna… Anna ? Tout va bien ?

Inquiet, Mike me dévisage.

— Si tu es fatiguée, je peux te raccompagner chez toi. Tu as bien progressé aujourd’hui, tu apprends vite. Ce sport exige beaucoup de discipline et tu t’en sors très bien. Va te changer, je t’attends.

Je lui souris bêtement, encore dans les nuages.

Quand je rentre chez moi, ma mère finit de préparer le repas. Elle chantonne tout en remuant le plat qui mijote.

— Alors, as-tu revu ce garçon ? me chuchote-t-elle, pour éviter que mon père n’entende.

Je m’empresse de hocher la tête, et lui raconte tout à voix basse.

— Si beau que ça ? Eh bien, je suis impatiente de l’accueillir à la maison.

À ce moment-là, le maître des lieux entre dans la cuisine.

— Qui es-tu si désireuse de rencontrer ? Je te préviens, je suis très possessif, dit-il en enlaçant ma mère.

— Un ami de ta fille.

— Vraiment ? Et comment s’appelle-t-il ?

— Justin Bieber.

Il nous regarde d’un air surpris puis éclate de rire.

— Elle est bien bonne, celle-là.

S’il savait !

**

Je n’ai pas très bien dormi, ce garçon m’a trotté dans la tête toute la nuit. Je suis si impatiente de le revoir que je tourne en rond toute la matinée. Agacés, mes parents me suggèrent, très gentiment, de prendre mon iPod et d’aller me défouler. Comme si j’avais le choix !

Deux heures, un footing et une douche plus tard, mon père m’invite à faire le plein de courses. Je l’accompagne, en espérant qu’il fasse un détour à la salle de sport. En fin d’après-midi, je suis découragée au point de le supplier de m’y déposer. J’ai beau avoir mon permis, conduire ne m’attire pas, même si la voiture rangée dans le garage est à ma disposition. Mais, à la minute où j’ai l’intention de m’y rendre par mes propres moyens, il me demande si je serais d’accord pour y aller. Si je suis d’accord ? Il n’a pas le temps de sortir que je lui prends les clés du véhicule.

— Alors, tu viens ?

Tout le long du trajet, nous parlons de technique de boxe, de l’espoir qu’il place dans certains jeunes. Je suis très impressionnée, il a déjà retenu presque tous les noms des inscrits. Mike et mon père doivent établir un planning de travail. Même si les pugilistes sont nombreux, depuis son embauche, la recrudescence de nouveaux adhérents est phénoménale. Ils redoutent de ne pas pouvoir faire face et veulent s’organiser pour satisfaire la clientèle.

**

Mickael Wallace nous attend devant le ring.

— Taylor, Anna, je vous présente Elijah Smith. Il est notre agent de service pour les deux semaines à venir. Mais il est aussi et surtout le meilleur de mes boxeurs.

Elijah vient serrer la main à mon paternel avant de me saluer de la tête.

— C’est un honneur, monsieur Jackson. Je serai très fier d’être coaché par un champion.

Mon père, ravi, entame une conversation avec lui. Je décide de faire le tour de la salle et me dirige vers le fameux bouton rouge. Je m’arrête et pivote pour repérer le bureau de l’entraîneur, dans lequel se trouve justement mon fantasme. Sans réfléchir, je longe le complexe et me faufile à l’intérieur.

Me tournant le dos, muni d’un casque, il bouge au rythme de la musique, nettoyant les meubles avec un chiffon. Toute témérité envolée, je me demande quelle idée m’a traversé l’esprit pour vouloir le surprendre. Appuyée contre la porte, j’essaie de localiser discrètement la poignée afin de ressortir. Je jette un coup d’œil à la salle, mais les stores à moitié baissés ne me permettent pas de voir le ring. Mes doigts rencontrent enfin le bouton de porte, mais il se retourne d’un bloc. Zut, grillée ! Il retire ses écouteurs qu’il met autour de son cou, surpris de me trouver là.

— Oh ! Je pensais être seul… Euh, tu n’es pas censée être ici, on est fermés. Tu pourrais même te retrouver au poste, si on te découvrait avec moi et je n’y tiens pas, j’ai assez de problèmes comme ça. Mais attends un peu, on s’est déjà vus, non ?

Il fait un pas vers moi, me dévisage.

— T’es la fille à la tenue super-sexy. Le casque en moins.

Il s’avance, prend appui contre le bureau, pose le chiffon à côté de lui et croise les bras sur son torse, contractant ses biceps que je lorgne sans vergogne.

— Alors, comment t’as fait pour entrer ? Je connais Elijah, il ne t’aurait jamais laissé passer… OK, qu’est-ce que tu veux ? Du fric, une poussée d’adrénaline ? Un mec pour t’éclater ?

Il se redresse et se rapproche encore, sa carrure réduisant mon espace, sa paume se plaque contre le mur à côté de ma tête. Il se penche plus près et murmure dans un souffle :

— Vas-y, mon ange. Dis-moi ce qui te ferait plaisir.

Son nez effleure mon oreille, un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale. Je déglutis, perdant le contrôle de mon cerveau. Ses lèvres descendent dans mon cou, sa main se pose au creux de ma taille. Les battements de mon cœur accélèrent leur course, envoyant des signaux à mon corps ; se fondre contre lui est son seul désir. Mon regard se pose sur les stores, mon père est juste de l’autre côté. Qu’est-ce qui me prend d’agir ainsi ? À cette pensée, je me redresse, il faut que je sorte d’ici, mais avant, ce tombeur a besoin d’une leçon. Je lui chuchote à mon tour :

— Je me demande ce que penseraient les autres, s’ils apprenaient que tu es responsable de l’affolement général et de l’arrivée des pompiers. Je t’ai vu appuyer sur le bouton.

Il se tend, recule, mais pas assez pour me permettre de partir. Je sens la panique monter en lui. Même si j’ai exagéré en lui affirmant l’avoir vu appuyer sur le poussoir, mes doutes se confirment, c’était bien lui ! mais cela ne change rien, je garderai cette info pour moi, mais ça, il ne le sait pas.

— Je répète : qu’est-ce que tu veux ? Et t’es qui d’abord ?

Son visage s’est fermé. Il me scrute comme s’il pouvait lire en moi. Je n’ai jamais menacé quelqu’un de toute ma vie et cela me répugne. Mais au lieu de faire marche arrière, je m’entends lui répondre d’une voix incertaine :

— Je me disais… tu pourrais m’inviter à sortir dans un endroit sympa, on apprendrait à se connaître.

Hypnotisée par son physique de rêve, je ne peux pas m’empêcher de loucher sur son tee-shirt qui moule son torse à la perfection. Comme je relève la tête, je le surprends à me fixer d’un air à la fois étonné et moqueur.

— Et c’est tout ? Tu veux juste qu’on se fasse une virée ? Et apparemment mater mes tablettes, on dirait. T’es pas difficile, dis donc. Les mecs devaient t’adorer là d’où tu viens. Tu vois, je ferais bien ça tout de suite, mais là j’ai pas l’temps. Sauf si tu rappliques après la fermeture, promis, je te montrerai bien plus que mon torse.

Je rougis de honte. D’un seul coup, je le trouve bien trop près de moi. Mon cœur cogne fort et mon souffle peine à suivre. Je place mes paumes contre lui et le pousse violemment. Je suis sidérée de le voir à peine bouger. Il me regarde avec un sourire à tomber puis ajoute :

— Hep, hep, hep, où crois-tu aller comme ça ? T’imagines pouvoir me menacer et décamper juste après ? J’ai très envie de signaler ta présence. Qu’est-ce que tu en dis ?

Ma réponse fuse.

— Ne me touche pas. Recule ou je crie.

Il lève les mains, fait quelques pas en arrière, sourcils froncés.

— OK, on se calme. Pense ce que tu veux, je m’en fous, mais maintenant barre-toi avant de faire une connerie qu’on regrettera tous les deux.

Passé la porte, je m’élance vers la sortie. Je salue les hommes de loin, je n’ai aucune envie de leur montrer à quel point je me sens mal.

— Je t’attends dans la voiture, dis-je précipitamment.

Mon paternel me fait un signe pour m’arrêter.

— Attrape !

Il me jette les clés, puis se dirige avec Mike vers le bureau que je viens de quitter. Elijah me fixe un moment et reprend son travail.

Je fonce dans le 4x4 et boucle ma ceinture. Comme si ce geste pouvait faire arriver mon père plus vite ! Je ferme les yeux, mortifiée, honteuse, blessée dans mon ego. Je ne pourrai plus jamais croiser ce type sans penser à cette scène. Je viens de griller toutes mes chances. Bravo, Anna ! Tu décroches le trophée de la fille la plus stupide de la ville !