Chapitre 7 - P1

De retour dans ses quartiers, Nathan se préparait psychologiquement au départ. Pour la première fois depuis sa naissance, des épreuves telles qu’il n’en avait jamais connues se dressaient sur son chemin. Durant les jours suivant, il dormirait à la belle étoile, à mille lieux du confort d’un lit douillet. Il devrait oublier la douce caresse des draps chauds sur sa peau tandis que son seul oreiller serait certainement un vulgaire caillou sélectionné après d’interminables heures de marche ou de chevauchée.

Il ne craignait pas l’aventure. Bien au contraire, ce serait fort excitant. C’était simplement étrange de visualiser ses nuits prochaines sans l’entourage de murs et d’un toit lui conférant ce sentiment de sécurité. À l’extérieur, il ne pourrait jamais complètement baisser sa garde, au risque de ne pas se réveiller le lendemain.

Il repensa encore à sa conversation avec Ophélie. Elle l’avait propulsé dans une dimension dont l’existence défiait les lois du réel. Rêvait-il tout cela ? Isoria n’était-elle qu’une invention de son subconscient ? Étonnamment, il ne pensait pas cette hypothèse probable. Il était effectivement là, comme sa mère l’avait été avant lui, ainsi que son père, s’il avait visité Mémorys de son vivant.

Il n’aurait pas su définir cette sensation, mais une sorte de vide se forma en lui au souvenir de cet homme qu’il n’avait pas connu. Serait-il fier de son fils ou, à l’inverse, serait-il déçu par la lâcheté dont il avait fait preuve quelques heures auparavant ? Son incapacité à visualiser les traits physiques de son géniteur le frustra intensément.

Il abandonna son matelas moelleux pour contempler une dernière fois la prairie s’étendant à perte de vue derrière sa fenêtre. La nuit tombée, il vit des myriades de points lumineux à l’horizon, ainsi que de la fumée montant si haut que l’on aurait pu croire qu’elle essayait de percer l’obscurité du ciel. La petite armée ne craignait certainement aucun ennemi. Confiante, elle n’hésitait pas à déclarer sa présence. Peut-être disposait-elle d’un atout que l’imagination de Nathaniel ne concevait pas ?

« Boum, boum, boum, boum »

Quatre coups franches résonnèrent dans le couloir lorsque l’on toqua à sa porte. Reconnaissant le signal, il ouvrit à Rose et Sarah, toutes deux suivies de près par un félin dont la démarche ne trahissait aucune anxiété.

Les deux Sentinelles entrèrent puis se dirigèrent sans détour vers la luxueuse salle de bain. L’actuel locataire n’aurait jamais conçu qu’un passage secret puisse être dissimulé sous le carrelage. Ses yeux ne lui mentaient pourtant pas quand Sarah souleva les carreaux blancs.

Une trappe apparut alors devant Nathan, dévoilant un large tunnel une fois ouverte.

Rose dit :

« Traverser le pont-levis n’est pas une option, je le crains. Je ne veux pas que les espions adverses sachent combien nous sommes. Edgard, le valet responsable de ta chambre, a déjà passé les portes de la ville avec Cendres Claires et Douce Nuit. Toi et moi Nathaniel, nous le rejoindrons par ce tunnel qui nous conduira à plusieurs lieux à l’ouest de la forteresse. Sarah, tu sortiras également par la grande porte. Ils doivent tout de même apprendre que nous sommes partis si l’on souhaite préserver Mémorys intacte. Je ne pense pas qu'Aaron commettrait l'abomination de détruire une telle cité, mais on n'est jamais trop prudent. Selle le meilleur cheval que tu connaisses, car il te faudra les prendre de vitesse. Ne les affronte surtout pas. Je sens une présence puissante avec eux. Si elle est à tes trousses, cache-toi. Ne prends pas de risques inconsidérés. Nous avons déjà perdus suffisamment des nôtres.

— Que ressens-tu, Rose ? Quelle est cette chose qui puisse impressionner une guerrière telle que toi ?

— C’est l’aura d’un Maître que je perçois. Je sais que c’est impossible car ils ont été éradiqués lors de la chute de Versaillys en 71, mais je me fie à mon instinct. Si j’ai raison, la fuite est ta seule possibilité. Tu ne serais pas de taille... »

Les consignes transmises, les Sentinelles partagèrent une étreinte et se dirent adieu, chacune souhaitant bonne fortune à l’autre. Sarah se tourna ensuite vers Nathan :

« Nous nous retrouverons très bientôt. Si Sophie le veut bien, notre fuite se déroulement sans trop d'imprévu. J’ai foi en vous. Votre insatiable soif de connaissances vous permettra d’arpenter des sentiers que nul autre n’a encore découvert, j’en suis persuadée. Avec Rose à vos côtés, vous ne pouvez échouer. Sophie vous accompagne…

— Que Sophie soit avec vous également, Sarah. Je croise les doigts pour que tous se passe pour le mieux de votre côté aussi.

— Vous croisez les doigts ?

— Euh, oui c'est un truc que l'on dit dans l'Autre Monde. Ça n'a pas vraiment de sens et c'est un peu superstitieux mais... »

Elle allait répondre mais Rose mit fin à la conversation, leur rappelant les circonstances pressantes, pointant du doigt les nombreux points lumineux à l'horizon qui s'approchaient de plus en plus. Sarah sortit donc de la pièce, partant de son côté tandis qu’ils descendaient dans le sous-terrain, posant prudemment leurs pieds sur les marches concaves, usées sur leur partie centrale et creusées dans la roche.

L’étroite grotte dans laquelle ils évoluèrent au cours des heures qui suivirent avait peut-être été aménagée en prévision d’une telle situation. Le Moyen-Âge de l’Autre Monde comportait le même caractère imprévisible que l’époque où Nathaniel vivait en Isoria. Les fréquents conflits entre les divers seigneurs imposaient de telles mesures de protection. Ce tunnel offrirait à quiconque ayant connaissance de sa présence une échappatoire inestimable.

Ils n’avancèrent pas dans un labyrinthe mais plutôt une ligne droite se courbant par instant, d’un côté comme de l’autre. De rares torches guidèrent leur cheminement, faibles lueurs au sein d’une noirceur pesante et oppressante du fait de la proximité des parois froides et humides. Fylynx, plus discret qu’une ombre, trottinait près de sa maîtresse. Celle-ci laissa le silence dominer. Elle n’ignorait pas le garçon mais refusa de briser le calme ambiant, savourant sa saveur délicate. Elle aurait pu saisir l’occasion pour l’interroger sur cet Autre Monde dont il provenait mais, en vue des récents bouleversements, quelques heures de rétrospection intérieure paraissaient plus appropriées.

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Carl
Posté le 15/06/2024
J'aime bien le décalage entre Nathan qui découvre tout et ne sait pas où donner de la tête et la tension qui habite Rose ! Quand il commence à expliquer l'expression "croiser les doigts" je trouve ça marrant !
On sent qu'il est perdu il ne sait pas trop comment réagir, si les choses sont graves, quelles sont les priorités...
Ca le rend plus crédible !
Phil Wayne
Posté le 15/06/2024
J'ai beaucoup hésité, et j'admets avoir encore certaines difficultés pour décrire ce que peut ressentir Nathan dans ce nouveau monde. Je crois que l'on serait tous perdu si quelque chose de similaire nous arrivait. Par conséquent, je me concentre principalement sur cet aspect là de sa personnalité pour l'instant, mais il va falloir progressivement que d'autres de ses traits prennent le dessus.

J'ai rajouté la réplique avec "croiser les doigts" en révisant ce chapitre il y a quelques semaines. J'ai très envie de souligner les différences (notamment linguistique) entre les deux mondes, mais aussi les similitudes... (but again, pas de spoil)
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