Chapitre 8 - P1

Comme convenu plus tôt, Edgard les attendait à l’orée de la forêt délimitant le début de la Chaîne du Nord, prêt à leur céder Douce Nuit et Cendres Claires. Il n’était malheureusement pas seul.

Une Ombre, assassin redoutable, le retenait fermement. Une dague fraîchement aiguisée appliquée sur sa gorge. La lui trancher ne lui coûterait qu’un mouvement de poignet.

Pour une combattante aguerrie tel que Rose, l'Ombre se reconnaissait à plusieurs caractéristiques qui lui étaient propres. Sa tenue vestimentaire, généralement sombre, mais pas forcément, s'adaptait à son environnement et aux nécessités de l'instant. Sa capacité à se mouvoir avec souplesse et discrétion prévalait en toutes circonstances. C'est pourquoi celle-ci était vêtue d'une combinaison de cuir noir, et ses cheveux couleur crépuscule étaient attachés en une courte queue de cheval. Rose ne put s'empêcher de remarquer que cette Ombre avait choisi de ne pas se couper entièrement les cheveux. Ce détail n'était pas des moindres, indiquant que sa vie entière n'était certainement pas centrée complètement sur l'assassinat. Un individu plus pragmatique aurait coupé tout ce qui aurait pu servir à un adversaire pour la déstabiliser.

Nathan fut alors témoin d'une scène digne des westerns qu'il avait occasionnellement visionné lors de soirées film avec sa mère. L'Ombre se tenait dos à Rose et lui, à une quinzaine de mètres, empêchant Edgard d'effectuer le moindre mouvement en le bloquant contre un arbre. Rose évaluait son adversaire, qui en faisait de même sans leur concéder le moindre regard. Edgard avait fermé ses paupières. Quelques gouttes de transpiration perlaient sur son front tandis que sa vie reposaient entre les mains d'une parfaite inconnue et qu'il vivait peut-être ses derniers instants.

Témoin de tant de batailles et de morts vaines, Rose avait appris le prix d’une vie à ses dépends. Tuer ne lui offrait plus aucune satisfaction, si elle l’avait jamais soulagée de quelque manière durant toutes les péripéties ayant pavées sa route. Joie ou regret n’appuierait pas sa prochaine décision ni ne nourrirait les pensées qu’elle aurait en conséquence.

En ce qui concernait l'Ombre, c'était difficile à dire. Personne n'avait encore ouvert la bouche pour initier un dialogue en plusieurs minutes et elle n'avait pas bougé d'un centimètre, ne laissant aucun indice laissant penser qu'elle s'apprêtait à se retourner.

Malgré les branches feuillues empêchant de voir clairement l'horizon, l'atmosphère se ponctuait également de clignotements. Un groupe d'une centaine de soldats s'approchait toujours davantage, rendant la fuite des Sentinelles plus pressantes à chaque seconde.

Ce n'est pourtant pas Rose qui parla la première.

« D'étranges rumeurs circulent à la capitale. Des rumeurs parfois abracadabrantes, pourtant toutes convergent et s'accordent à raconter quelques faits des plus troublants...

— Ah oui ? Et quels sont-ils, répondit Rose, prudente.

— N'êtes-vous pas du tout au courant ? Puisque vous sortez de Mémorys, on pourrait croire que les bruits de couloir d'une cité telle qu'Isorialys, qui n'est d'ailleurs pas si loin, seraient arrivés jusqu'à vous.

— Il faut croire que non... »

Rose risquait de vite se lasser de ce petit jeu de devinettes. À côté d'elle, Nathan était totalement désarmé face à ce type de situation et se reposait sur son expérience, mais il n'aurait su dire si son visage fermé traduisait de l'impatience ou quelque autre chose.

« Vous n'avez donc pas entendu ce que les murmures ne se lassent plus de chanter. Que les mages les plus proches du pouvoir ont ressenti de la vieille magie sur le Grand Continent. Pour la première fois depuis... vingt ans ? Vous devez le savoir mieux que moi, je suppose. Ne faites pas l'innocente. Vous n'avez pas entendu ces mêmes murmures qui affirment que la Sentinelle Originelle foule à nouveau le sol de Thorneast. C'est pour le moins étonnant, je dois dire... »

Des insinuations. Ce n'étaient que des insinuations. Cette Ombre ne savait rien. Elle guettait seulement la moindre de leurs réactions, en quête d'informations. Enfin, c'était ce que Rose supposait. Elle ne connaissait pas son apparence. Tout au plus, elle aurait entendu parler d'elle ou on lui aurait rapporté certains faits sans tout lui dire.

Un courant d'air glacial passa.

Un courant d’air trop froid pour être naturel.

L'Ombre n'était plus là.

Il ne restait d'elle plus qu'un fin trait de sang sur la gorge d'Edgard.

« Aucune Ombre n'est aussi rapide. Personne à part peut-être... »

« Nathaniel... Attrape ton cheval. En selle, vite, et galope aussi loin d’ici que possible ! Dépêche-toi ! Je te rejoindrai. »

Il s'exécuta. Il courut vers sa jument et se hissa en selle. Une fois sur le dos de l’animal, il aperçut le cadavre d’Edgard gisant dans les hautes herbes. Peu familier des coutumes isoriannes, il pensa qu’offrir une sépulture décente au valet serait en tout cas la moindre des choses.

« Rose ! »

Concentrée sur la menace s’approchant davantage à chaque seconde, elle ne comprit pas immédiatement. Reportant enfin son attention sur un Edgard immobile, elle dit :

« Galope sans te retourner ! Je m’en occuperai ! »

Quand Nathan talonna sa monture, des Cristaux émergèrent des arbres, pénétrant le cercle lumineux émis par Fylynx. Si le tumulte des épées et les éclats de magie l’accompagnèrent quelques foulées, ils se firent promptement remplacer par le fracas des sabots de Cendres Claires. Incité à sauver sa vie, il chemina des heures durant. Tantôt au trot, tantôt au galop, il n’économisa jamais ses forces ni celles de sa généreuse monture, donnant son maximum pour mettre le plus de distance possible entre lui et les assaillants. Il variait régulièrement l’amplitude des foulées de son cheval afin qu’il ne s’épuise pas déraisonnablement.

Des rayons de soleil annonçaient l’aube d’un jour nouveau lorsqu’il appuya respectueusement sur les rênes, signalant à Cendres Claires sa volonté de s’arrêter.

Seul au milieu de nul part, Nathan s’interrogea quant à la conduite à tenir. Attendre Rose ? Mais quand le rejoindrait-elle ? L’affrontement avait-il tourné en sa faveur ou, au contraire, n’y avait-elle pas survécu ? Il ne pouvait se résoudre à penser qu’une telle force de la nature ait pu perdre. Il passa donc sa jambe droite par dessus sa selle, soulageant sa jument de sa masse corporelle. Étirer ses muscles et toucher terre lui firent le plus grand bien. Les longues chevauchées restaient éreintantes, même si elles avaient été exaltantes.

À l’horizon, Nathan pouvait désormais contempler la Chaîne du Nord. Proches de Mémorys, les montagnes délimitant Thorneast de la Nouvelle Orden, l’accueilleraient bientôt.

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Carl
Posté le 15/06/2024
J'aime beaucoup cette histoire ! Je trouve qu'on est bien impliqué dans le récit !
On vit tout avec Nathan ! On se sent proche de lui ou au moins, on le comprend !
Les scènes de tensions sont prenantes aussi ! Notamment grâce au personnages de Rose qui est si sur d'elle que, dès qu'elle s'inquiète, nos inquiète aussi !
L'univers est bien aussi complexe que je m'y attendais !
J'ai un peu de mal à faire le liens entre tout ça et le prologue mais je sens que ça ne tardera pas !
Phil Wayne
Posté le 15/06/2024
C'est vraiment rassurant (et du coup motivant) que tu trouves l'univers suffisamment complexe. J'y travaille beaucoup pour rendre l'histoire aussi intéressante que possible.
Pour avoir des réponses sur le prologue complet, je vais être obligé de te demander d'être patient.

Le prologue est la clé pour comprendre le tome 1 correctement mais, je te le concède, au chapitre 8, le lien n'est pas encore évident.

J'essaye de donner des infos sur Sophie au fur et à mesure mais... disons que les mystères de la création d'Isoria se découvrent au fil de l'histoire. À ce point de l'histoire, tu ne sais que très peu de choses sur Sophie. Mais pas d'inquiétude, cela viendra ;)
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