Chapitre 8

Le froid alourdissait ses poumons, l'obligeant à inhaler des bouffées d'air glacé. Vraiment, les montages ne lui avaient pas manquées. Si Lyllianne ne se sentait pas redevable auprès de ses sauveurs, elle ne serait jamais revenue ici. Jusqu'à il y a quelques mois encore, elle aurait cru qu'elle continuerait à les fuir. Imaginer y revenir de son plein gré n'avait aucun sens. Et pourtant, elle y était, accompagnée de quatre presque inconnus. La neige trop blanche agressait passivement sa rétine tandis que le soleil refusait d'être témoin, caché derrière les épais nuages d'automne.

L'Elfe Lunaire s'arrêta un instant pour calmer sa respiration et reprendre de la contenance. Elle ne devait pas se presser, ça ne lui attirerait que des ennuis. Sa tête lui tournait, ses tempes lui faisaient mal. Partout où elle posait son regard, des souvenirs se faufilaient jusqu'à son esprit. Ses grands yeux se plongèrent dans le paysage si douloureusement familier. Au loin, le Mont Saphir, appelé ainsi pour son éclat bleu glacier. Même petite, Lyllianne ne l'avait jamais apprécié. Il lui faisait peur. Certes, sa beauté était sans égale, mais il semblait vouloir engloutir le monde sous la glace. À cette pensée, un frisson désagréable lui parcourut l'échine. Elle ferma machinalement ses paupières pour éviter le flux d'informations qui se déchaînaient dans son cerveau.

Éviter, esquiver, se détourner, ignorer.

C'était tout ce qu'elle pouvait faire. Lyllianne aurait adoré être comme Selona. Sa force de combattre, se confronter à ses problèmes. Ou alors, être aussi courageux qu'Amril. Ou avoir la même persévérance que Myias. Ou au moins être aussi utile, loyal que Karmel. Ce n'était pas trop demander, si ? Elle ne demandait pas à être parfaite, juste à être un peu moins ... elle ?

- C'est donc ça que tu voyais chaque jour, Lia ?

La femme sursauta à la question de Amril. Elle ne l'avait pas vu arriver, ni même entendu le crissement de la neige sous ses pas. Elle acquiesça finalement quand il tourna la tête vers l'horizon glacé.

Il était beau, Amril. Ses cheveux de jais chatouillaient sa nuque. Rebelles, ils encadraient son visage sans oser entrer trop imprudemment dans son champ de vision. Si Lyllianne avait pu partager ne serait-ce qu'un quart de sa beauté, elle l'aurait fait. Elle était bien trop mince, abîmée. Ses joues rougies, enfoncées. Peut-être aurait-elle pu être plus présentable si elle avait mangé un peu plus ... au dépend des autres ? Non, elle ne pouvait pas. Ils lui avaient déjà tellement offert qu'elle refusait poliment et qu'elle grignotait telle une petite souris affamée ce que personne ne prendrait.

Se faire discrète. Ne pas déranger. Être oubliée.

Elle ne pouvait pas se permettre de prendre de trop sur leurs vivres. Elle n'avait pas un ptochos pour les rembourser, alors elle n'aurait pas de repas copieux à dévorer.

- Je n'aime pas cet endroit, lui avoua Lyllianne au bout d'un moment alors qu'il était plongé dans le paysage.

Amril finit par la regarder de ses yeux verts aquatiques. Lyllianne adorait ses yeux. On aurait dit des billes. Ou des morceaux de bouteilles de verre. Ou des yeux de chats. Il paraissait que tous les autres Rêveurs avaient des iris similaires : immenses. Elle en avait vu quelques images dans les rares livres illustrés qu'elle avait trouvé dans la bibliothèque de Mlle Yetima. Petite, elle croyait que ce n'étaient que des légendes. Elle n'avait vu dans l'estomac des montagnes que des Elfes Lunaires jusqu'à ses quinze ans, épargnant ses yeux des autres curiosités qui peuplaient Adama. Peut-être que si elle avait pu sortir plus tôt, elle ne serait pas autant troublée par les différences physiques. Peut-être qu'elle aurait pu dévisager son ami sans sourciller. Peut-être même qu'il serait plus à l'aise avec elle.

- Je comprends, répondit-il d'une voix scarifiée par le vent.

Ce n'était pas la réponse que Lyllianne espérait. Non, il ne comprenait pas. Il pouvait l'imaginer, lui donner des formes, mais jamais plus qu'une silhouette floue dénuée de tous vrais sentiments. Il ne comprenait pas. Il pouvait le savoir. Pas le comprendre.

Ce qu'elle aurait vraiment voulu, c'est qu'Amril lui demande pourquoi. Personne ne savait rien d'elle, excepté ceux qu'elle ne voulait plus jamais revoir. Personne ne lui avait demandé. Personne ne voulait la déranger avec leur curiosité. Ou personne ne s'y intéressait. Malgré tout, elle voulait s'ouvrir à eux. Ils étaient la plus belle chose qu'il lui soit arrivé. Cependant, ces deux petits mots-là la firent se recroqueviller, comme une enfant terrifiée. Elle chercha à la commissure de ses lèvres ce qui aurait pu s'apparenter à un sourire et l'offrit à Amril. Pour ne pas qu'il s'inquiète. Pour qu'il ne voit pas ce qu'elle pense. Pour qu'il ne croit pas qu'elle soit faible.

Après un dernier regard, le Rêveur reporta ses yeux de verres sur ses trois autres compagnons, bien trop loin d'eux. Il était convenu que Myias prenne la tête du groupe pendant que Selona s'occupe des arrières. Un guide et un tank qui s'entendaient malheureusement très mal et qui rompaient souvent leur formation pour se disputer à l'arrière. C'était dommage qu'ils s'entendent peu. Lyllianne était persuadée qu'ils avanceraient bien plus vite s'ils mettaient leur différend de côté pour le moment. À ses yeux, ils auraient bien pu gagner plusieurs jours depuis le nord de Ednete. Mais ils savaient sûrement ce qu'ils faisaient et elle n'était personne pour les dépêcher. Après tout, elle était là pour les aider, pas pour prendre les rênes. En plus, serait-elle seulement capable de les guider ? Elle n'avait rien de spécial, aucune capacité de leader, même pas l'intelligence innée d'un Technimage. Elle n'avait pas son mot à dire sur leur manière de fonctionner.

Cette fois-ci encore, Lyllianne et Amril avançaient les premiers lorsque les paroles chauffaient. Du chaud ... Entourée de toute cette neige, l'Elfe Lunaire ne demandait que ça. Avec un grand regret, son appartenance à sa race ne lui conférait aucune résistance supplémentaire au froid. Caleb aurait bien pu leur offrir cette force, non ? Après tout, son peuple vivait principalement à l'intérieur des montagnes.

- Attendons-les un peu, proposa Amril en s'asseyant sur un rocher duquel il avait dégagé la neige. Dès qu'ils seront là, nous devrons probablement faire une pause, histoire de calmer les esprits.

Oui. C'était une bonne idée. Lyllianne approuva d'un hochement de tête hâtif. Elle aussi avait besoin d'une pause. Ses jambes lui faisaient mal. S'ils ne s'arrêtaient pas un instant, elle avait l'impression qu'elles allaient se déchirer avec la marche.

Pour ne pas entièrement geler sur place, elle chercha dans son sac l'invention que Karmel lui avait confiée. Comme elle n'avait pas beaucoup à porter, elle s'était proposée pour soulager d'un poids les épaules de ses sauveurs. Ses mains déplacèrent le peu d'affaires personnelles qu'elle avait réussi à garder et attrapèrent une sphère d'une matière similaire au métal. Elle ne s'y connaissait pas assez et ne s'exprimait pas aussi bien que le Technimage pour pouvoir expliquer clairement ce qu'elle tenait. Mais les simples informations dont elle disposait suffirent pour que ses doigts chaudement gantés trouvent le bouton on/off. Une fois activé, la boule tripla de volume en chauffant, pour atteindre le demi-mètre de diamètre. Sa température augmentait progressivement à une vitesse surprenante.

Un fin sourire se glissa sur les lèvres de Lyllianne. Futile, ridicule, sans importance, appelez ça comme vous le voulez. Malgré tout, cette simple source de chaleur suffit à redorer sa journée. Ses muscles se détendirent, ses jambes se relaxèrent, son esprit se reposa. Mérité ou non, elle s'en fichait et profitait de ce moment de répis. Jusqu'à ce picotement qui écartèrent ses vertèbres. Intense.

Brutalement, elle fit volte-face, les sens balbutiants.
Quelqu'un était là.
Elle le sentait.

- Qui est là ?

Aucune réponse. Elle aurait dû s'en douter. Peut-être qu'à Selona, on se serait montré. Mais Lyllianne n'avait rien de contraignant. Elle était frêle, peu sûre d'elle. Sa voix tremblait en alignant deux mots.

- Lia, tout va bien ? demanda Amril en posant sa main sur son épaule.

- Il y a quelqu'un, répondit-elle en jetant des regards précipités autour d'elle.

- Qui ça ? Comment tu sais ? Tu l'as vu ?

- N-non, je l'ai senti. Il y a quelqu'un.

- Nous sommes au milieu de nulle part, c'est vrai que ça grouille de monde, ironisa l'Elfe Solaire en arrivant.

- Selona ! Retiens un peu ta langue ! Tu ne sais pas ce qu'elle a vécu ici ! intervint Myias qui la suivait de près.

- Roh, c'est bon, grommela-t-elle. Elle devient folle, je vous dis. Déjà que je dois te supporter à longueur de journée, Myias, je vais pas pouvoir tenir plus longtemps avec une autre qui se met à délirer !

- Répète un peu ça pour voir !

Lyllianne cala sa langue sous son palais. Elle avait beau fréquenter Selona depuis deux mois maintenant, jamais elle ne s'habituerait à son franc parler. L'Elfe Solaire était tout le temps chauffée à bloc, et pour cela, elle l'admirait. Elle l'admirait pour beaucoup de chose. Cependant, elle n'était pas folle. Elle avait senti quelqu'un.

- Tout va bien, Lia ? l'interrogea une deuxième fois Amril.

Elle n'était pas folle.

Il lui suffisait de souffler un bon coup, et de prendre sur elle. Ce n'était pas plus compliqué que ça. Elle se tourna pour répondre à l'affirmative à son ami. Un sourire préparé, un "oui" contrôlé, une voix convaincante. Mais il n'y avait personne à qui les adresser. Quelques mètres plus loin, plongé dans une conversation avec Karmel, Amril lui jetait à peine un regard.

- Je ne suis pas folle ...

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- Myias, il nous reste combien de temps de marche ? l'interrogea Karmel.

- Une heure après la pause.

Depuis qu'ils s'étaient arrêtés, le Meneur de Temps n'avait pas levé les yeux de sa carte, assis sur le rocher que lui avait cédé Amril. Les autres s'étaient arrêtés à ses côtés, soit à terre près de la boule chauffante -comme Lyllianne et Amril- soit adossé à la falaise d'une montagne -Karmel cette fois-ci- ou installée dans une faille de cette même falaise, à au moins cinq mètres de hauteur -sans surprise, une idée de Selona.

- Une heure si les informations de Lyllianne sont justes, prévint-il quand même la tête plongée dans sa carte de tissu.

Étrangement, si chacun s'accommodait aux inventions technologiques, Myias lui s'inventait d'autres techniques. Les machines dysfonctionnaient trop souvent à son goût et il n'avait aucune connaissance pour les réparer. Il dessinait lui-même ses cartes et les imprimaient sur un tissu pour que celles-ci ne s'effacent pas avec la pluie ou ne se déchirent pas dans l'eau. Et pour avoir tout de même un support, il tendait le tissu dans un cadre de bois repliable. Au vu de sa créativité, Lyllianne se demandait parfois quel inventeur de talent aurait-il pu être s'il était né Technimage.

Les regards tournés vers elle la sortirent de sa contemplation.
                Tout le monde.
                Sauf le cartographe.
                Figé sur elle. 
                Oppressant.
      Ils attendaient quelque chose. Une certification. Sauf que cette certification, elle la leur avait déjà donnée. Et ce, à plusieurs reprises.

- J'en suis sûre. M-mais c'est comme la montagne, sans un Elfe Lunaire, ce n'est pas possible d'entrer dans un temple, murmura-t-elle en baissant des yeux, si bien que Amril dû répéter pour elle.

Myias passa une main dans ses cheveux grisâtres coupés à ras. Ce geste, Lyllianne le connaissait. Évidemment, il l'avait déjà répété des dizaines de fois, à des moments bien différents.

Quand il n'était pas certain du chemin.
Quand il devait choisir entre un sorbet ou une glace.
Quand il ne savait pas si Selona était sincère ou se jouait de lui.
Quand il hésitait.

Le cœur de l'Elfe Lunaire se serra. Il ne lui faisait pas confiance. C'était ça, ce que ce geste signifiait. Ça faisait mal. Mais ce n'était pas si grave, au fond, alors elle tenta un sourire.

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Les roches avaient d'abord grincé de mécontentement pour s'ouvrir. Puis petit à petit, elles se recroquevillaient comme un tas de plume compressé pour s'écarter de leur chemin. Elles tinrent ainsi pendant quelques secondes, avant de claquer derrière Leo.

Les lions astrals, tout comme les Elfes lunaires, pouvaient façonner des brèches dans la montagne. Que ce soit pour l'un ou pour l'autre, Kelly l'ignorait jusqu'à ce jour. Ça signifiait en vérité beaucoup plus qu'imaginé. Pour les créatures considérées comme les égales de Caleb, ça ne l'étonnait ni plus ni moins. Cependant, pour les Elfes Lunaires, c'était bien plus conséquent. Si ceux-ci avaient également développé une caractéristique propre à leur environnement, peut-être que d'autres races cachaient eux aussi une évolution.

... Ce qui n'aurait pas vraiment de sens, en soi.

Les Elfes Lunaires étaient renfermés et ne parlaient pas beaucoup de leur vie. Que personne ne soit au courant en dehors d'eux n'était pas bien surprenant. Au contraire, pour les Elfes Solaires, tout le monde l'avait su assez rapidement. À l'avis de Kelly, si une autre race, excepté les Cryopagos dont on ignorait tout, développait de nouvelles compétences, ça se saurait.

Une longue allée s'étendait devant Kelly, d'abord dans un petit tunnel, puis pénétrant dans une salle spacieuse. Ça n'avait plus rien à voir avec la grotte défoncée dans laquelle ils avaient dormi, elle et Leo. Le sol était lisse. La pierre, bien choisie et régulière. Que ce soit à droite ou à gauche, des bibliothèques couvraient les hauts murs de la pièce. Si la Cape Noire était venue ici petite, elle aurait sûrement été émerveillée devant autant de bouquins. Et pourtant, malgré la quantité imposante de manuscrits regroupés en ces lieux, elle restait de marbre, indifférente. Presque indifférente. Dans la disposition de ces livres se cachait un élément important. Une confirmation. Cet endroit ne servait pas principalement de bibliothèque, sinon la place aurait été utilisée différemment. Il n'y avait plus de doutes à avoir, elle était bien dans un temple.

À l'intérieur de celui-ci, il y faisait clair comme à l'extérieur. Aucune lampe, aucune vitre. Kelly en déduit rapidement que la lumière s'échappait des pierres, probablement de celles du plafond, compte tenu des faibles ombres. Pour vérifier son hypothèse, elle leva les yeux sans s'attendre à tomber sur un faux ciel étoilé. L'obscurité avait été modelée de manière esthétique pour se rassembler en hauteur, épargnant ainsi le sol de la pénombre. Cette fois-ci, Kelly ne pouvait pas nier que c'était impressionnant.

Des hauts piliers de marbres disparaissaient dans la voûte céleste factice, soutenant probablement le plafond bien réel. Parallèles à ceux-ci, deux longues mezzanines se faufilaient pour faciliter l'accès aux livres les plus hauts. Des escaliers en colimaçon tournaient à ne plus en finir dans une cage de pierre pour finalement atteindre l'étage.

L'allée principale, bordée par des pierres plus claires, finissait son chemin sur la mosaïque du mur du fond. Dans le paysage de hauts pics montagnards, une jeune fille rousse présentait ses mains ouvertes avec délicatesse et prudence à un dragon aux écailles de saphirs. L'ombre de l'enfant n'avait rien d'humanoïde : un renard aux yeux de jade. L'animal sacré, enfant de Caleb, reniflait quant à lui les paumes avec un grand respect. Sous ses pattes, une silhouette à forme humaine, agenouillée, jouait gaiement avec le petit animal.

Un kitsune et un enfant de Caleb, quelle joie.

Dans plusieurs légendes que Kelly avait lu pour s'instruire sur l'Ukilibah, les dragons et les kitsunes étaient très proches. Un lien les unissait, bien qu'il n'ait été explicité dans aucun document. Ce temple était peut-être dédié à leur rencontre, au vu de la fresque.

- Tu es sûr que c'est ce temple ? demanda Kelly après avoir retiré le tissu élastique qui lui couvrait la bouche.

Normalement, tous les temples étaient recensés. Au troisième siècle de leur ère, les Technimages avaient exploré en masse tous les recoins d'Adama pour les trouver. Ceux-ci avaient fait l'objet de nombreuses fascinations. Il n'y avait que des fous pour s'intéresser à ce point à ces créations de Caleb. Quoi qu'il en soit, ce temple-là, jamais Kelly n'en avait entendu parler, et pourtant, à cause de ses nombreuses recherches sur l'Ukilibah, elle avait fait le tour de la question.

||Sûr, répondit Leo. Il n'y a pas d'autre temple dans la région, sais-tu ? Elle n'aurait pas pu parler d'un autre.||

Si c'était vraiment le bon temple, alors c'était le dénommé Myias qui avait mal estimé le temps. En un quart d'heure seulement, elle avait la destination, soit quatre fois moins que convenu.

||Nous sommes juste plus bien plus rapides qu'eux, t'étonnes-tu ? C'était la dernière ligne droite, je me suis permis d'être rapide et non endurant. C'est mieux comme ça, penses-tu ?||

Kelly ne le contredit pas. Elle le remercia presque silencieusement de cette initiative. Plus elle aurait de temps ici, mieux ça serait pour elle. Être ici était forcément une super avancée, cependant elle ignorait quoi chercher. Une information ? Un objet ? Une carte ? Et quand bien même elle le trouvait, comment savoir que ce soit ça ? Elle doutait fortement qu'il soit écrit "grâce à moi tu auras l'Ukilibah" dessus.

Pénible.

Les minutes s'éclipsèrent à mesure que Kelly fouillait la salle. À première vue, il ne semblait pas y avoir de mécanisme particulier, que ce soit dans les bibliothèques ou dans l'allée en damier. Les vieux livres n'avaient pas l'air d'avoir bougé depuis des siècles et Kelly se permit de les faire patienter un peu plus longtemps. Si elle devait feuilleter chaque ouvrage un à un, autant s'y prendre en dernier. De toute manière, elle n'aurait sûrement pas à s'en charger. Le groupe n'allait pas tarder à arriver et il était plus disposé qu'elle dans la recherche d'informations.

La seule nécessité actuelle de la Cape consistait à trouver un endroit où elle pourrait les observer discrètement. La mezzanine était probablement le lieu idéal pour ça. Autant ne pas traîner.

//Kelly, baisse toi et enlève ton capuchon, veux-tu ?//

La concernée fronça les sourcils. Contrairement à Leo qui lisait en elle comme dans un livre ouvert, Kelly peinait à saisir les intentions du lion astral. Cependant, jusqu'à maintenant, il s'était montré utile et de bonne volonté, alors elle se plia à sa demande sans protester.

À peine eut-elle le genoux posé à terre qu'elle sentit les petites pattes de l'animal sur son épaule, puis un poids dans sa capuche.

Sérieusement ?

Leo répondit à son agacement par son petit rugissement timide. Le lion astral avait expliqué la veille à Kelly que sous sa forme miniature, il perdait beaucoup de ses capacités, notamment celle qui leur permettait de communiquer. C'était un inconvénient tout comme un avantage. L'animal avait tendance à toujours trouver des sujets qui pouvaient être intéressants tout comme ennuyants.

Passant rapidement à autre chose, Kelly se redressa. La créature ne pesait pratiquement rien, à la légère surprise de sa porteuse. Elle grimpa les marches en colimaçon en oubliant presque sa présence. Les longs escaliers tournoyaient, pris au piège dans la tour de pierre de droite. Des vitraux colorés donnaient sur l'intérieur de la salle, assez clairs pour laisser passer la lumière, trop sombres pour voir quelque chose à travers.

Ils ne suffirent pas, cependant, pour masquer la présence qui s'infiltrait dans le temple. La roche s'était ouverte de la même manière que grâce à Leo, un peu plus tôt. Cette même plainte, ce même compressement. Même si Kelly ne les voyaient pas, en suspens dans la cage de pierre, elle le savait : ils étaient là. Silencieux, peut-être par respect pour le lieu sacré. Des pas s'avancèrent dans la longue allée, et ses pensées imaginèrent leur chef, probablement le Rêveur, prendre la tête pour remettre ses hommages au kistune et au dragon du temple. Les autres attendaient, en retrait, retenant leur langue. C'était sûrement l'Elfe Solaire, la prénommée Selona qui avait le plus du mal à respecter cette règle. Règle dont Kelly ne voyait pas du tout l'utilité.

Au bout d'une petite minute d'attente, la Cape grimpa les marches restantes. Elle ne jeta pas immédiatement un regard à la scène qui se déroulait plus bas, occupée à trouver le meilleur angle pour observer. En douceur et discrétion, Kelly déposa son sac contre le mur, veillant bien à ne pas cogner la cage.

Quelque chose clochait. Le temps qui s'écoulait était trop long. Les pas trop légers. La présence trop petite.

Kelly se permit une dérive pour jeter un œil à l'étage inférieur. Ce n'était pas un groupe. Encore moins le groupe concerné. C'était une seule et unique personne. Sa cape blanche marquée d'un sceau retombait lassement sur ses épaules. Ses oreilles piquaient vers l'extérieur tandis que ses yeux se vidaient sur les pages vierges d'un livre. 

C'est vrai que Yrsa l'avait prévenue. Elle n'était plus à Dren. Elle effectuait une mission. Jamais Kelly n'aurait imaginé la voir ici. Pas si rapidement. Pas au milieu de tout ça.

Kelly voulait
                           crier son prénom.
                           l'appeler depuis le balcon.
                           lui ordonner de partir.
                           lui dire de se cacher.

Elle aurait pu. Avec quelques secondes de plus. Mais plus maintenant.

Pour la troisième fois de la journée, les roches subirent une transformation. Une brèche, ouverte. Comme un portail à cauchemars. Cinq êtres en sortirent, tous différents. Et pourtant, s'ils touchaient à sa sœur, Kelly les tuerait tous de la même manière, sans distinction.

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