Ses yeux filèrent sur la scène qui se déroulait devant elle, l'emmagasinant dans leur rétine. Kelly observa, calcula, analysa. Chaque membre du groupe s'était figé à l'entrée, comme un seul et même homme aux mille visages. Intriguée, abasourdi, choqué, hargneux, fulminante. Personne ne s'attendait à voir quelqu'un d'autre dans le temple, et encore moins une Cape. La main crispée par précaution sur le pommeau de sa hache, le Rêveur en tête du groupe ne s'approcha pas plus de la jeune Sylvoir. Celle-ci restait tranquille, un livre entre les mains. Son index s'était figé sur ses reliefs et sa tête avait pivoté vers les bruits de pas, légèrement déconcertée.
Une quinzaine de mètres d'écart, distance soulageante et terrifiante à la fois. Interdiction d'être réduite. Kelly s'en assurera personnellement. Si l'un d'entre eux s'approchait, elle le décapitera. Avec l'effet de surprise, elle pourrait aisément se débarrasser des trois premiers. Les deux autres, elle les obligerait à lui soumettre toutes les informations dont ils disposent sur l'Ukilibah, par la torture s'il le fallait. Ce n'était pas une méthode qui lui était inconnue. C'était sûrement le choix le plus simple, la meilleure décision. Et pourtant, l'expression horrifiée qu'aurait sa sœur lorsqu'elle n'entendra plus que deux battements de cœurs au lieu de cinq, elle refusait de la voir. Kelly dû donc réduire les possibilités à une : observer comment San s'en sortait. Après tout, cette dernière avait l'avantage de l'arme : un bel arc résistant conçu par des archers renommés. Ses ennemis, à découverts, ne pourraient pas lui échapper. Malgré son handicap, viser ne lui avait jamais posé de problème. Cependant, ce n'étaient pas ses capacités qui dirigeraient l'issue de cette situation, pas avec un caractère aussi altruiste.
- Puis-je vous aider ? les interrogea-t-elle sereinement, l'écho apportant ses paroles jusqu'à eux.
Dans sa voix, la curiosité était palpable. Aucune trace de provocation, ni d'agressivité, ou encore moins de moquerie. Dans n'importe quelle autre contexte, ses intentions auraient été claires. La Sylvoir cherchait réellement à se rendre utile, ni plus, ni moins. Même si cela l'irritait, Kelly ne pouvait pas le lui en vouloir. Ce n'était pas la bonté de sa sœur le problème, c'étaient eux. Seulement eux.
Comme la Cape Noire l'eut deviné, cette réaction ne plut pas à la majorité du groupe. Le Rêveur fendit l'air en dégainant sa hache et avança d'un pas. Sa position et son avance sur les autres ne révélaient pas plus qu'une volonté à les protéger. Il devait pourtant être le plus jeune, vingt ans tout au plus. Large carrure, de bonne taille, bras forgés, cheveux noirs, longs pour un homme, courts pour une femme. En dépit de son âge, il avait une aura de leader.
- Oui. Mourir, finit-il par répondre froidement.
Ironiquement, cette phrase qui aurait pu être prononcée par Kelly dans une situation similaire lui fit bouillir le sang. Celle-ci se mordilla le bout de la langue pour ne pas céder à ses envies de le décapiter. Les doigts de San, eux, se crispèrent sur le livre qu'ils refermèrent aussitôt dans un clappement.
- Sauf votre respect, je ne pense pas que ma mort puisse…
- Si.
Sa voix, sans issue, concordait avec l'air froid du temple. Devant cette réponse catégorique, les oreilles de la Sylvoir s'affaissèrent. Elle ne trouva rien à redire, à moins qu'elle ne cherchât pas se disputer inutilement.
- Réponds à ma question.
Le Rêveur marqua une pause, comme pour prendre le temps de mesurer ses mots. Ce qu'il ne fit pas, en fin de compte.
- Tu aimes tuer ?
- Je n'ai jamais tué personne ! s'indigna San, horrifiée.
Aberrant. Dans le groupe, chacun était adulte. Majeur, tout du moins. Quel genre de question osait-il poser à une fille de treize ans ? Certes, San semblait plus âgée, que ce soit dans sa manière de parler, son comportement ou même physiquement. Mais même en prenant cela en compte, elle ne faisait pas plus de quinze ans. Ce qu'ils avaient vécu avec l'Ordre des Capes importaient peu. Ce n'était décemment pas quelque chose à demander à une gamine.
- On ne t'a jamais dit que ce n'était pas beau de mentir, chaton ? ironisa non sans un sourire Selona en s'appuyant sur l'épaule de Myias, le Meneur de Temps, qui ne manqua pas de protester à ce contact.
Après sa réplique choquante, le regard de Kelly tiqua sur l'Elfe Solaire. Le doute l'avait déjà bercée pendant qu'elle observait le groupe dans les montagnes, mais maintenant, la certitude la frappa. Elle l'avait déjà vue quelque part. Où, quand, dans quel contexte ? Impossible de le dire. Proche du mètre quatre-vingts, peau caramel, cheveux roux-lave bouclés, yeux d'émeraude. Pourquoi ne lui revenait-elle pas ?
- Elle dit peut-être la vérité, hasarda l'Elfe Lunaire qui restait en retrait, planquée derrière le Technimage qui dû encore une fois répéter pour elle.
Selona lui fit remarquer d'un regard agacé qu'elle était libre de rejoindre l'ennemi. Lyllianne secoua négativement la tête et dans ce mouvement, des mèches lui retombèrent sur le visage, comme un voile sombre parfaitement lisse qui la protégerait de l'agressivité gratuite.
Personne n'intervint pour donner raison à l'Elfe Lunaire qui le leur implorait silencieusement. Pas même le Rêveur qui savait pertinemment que la jeune Sylvoir n'avait pas mentit -une des nombreuses facultés de son espèce. Il garda son calme et son visage de marbre, tout simplement.
Le silence du Maître de Rêves surpris Kelly. Elle pensait que lui et Lyllianne s'entendaient bien, et pourtant il préférait la laisser de côté pour s'acharner sur San. Sa réaction en disait long autant sur la haine qu'il éprouvait pour l'Ordre des Capes que sur l'incorporation de l'Elfe Lunaire au groupe.
- Je vais la faire parler, moi ! finit par éclater Selona en jetant sur le côté son gros sac bien chargé ainsi que sa veste.
Elle roula des épaules, maintenant bien plus à l'aise. Sa tenue ne pouvait pas cacher d'armes, et il ne lui restait qu'une vieille besace en cuir sur laquelle elle posa sa main. Elle n'eut pas le temps de faire un pas de plus que Lyllianne lui attrapa le bras.
- Arrête, je t'en supplie, ce n'est qu'une enfant ! Pourquoi recourir à la violence ? Il y a tellement d'autres solutions !
Pour une fois, l'Elfe Lunaire s'était exprimée d'une voix claire et forte, quoiqu'un peu tremblante et plaintive. Pas assez imposante pour convaincre Selona qui se dégagea facilement de son emprise. Cette dernière lui attrapa fermement le menton, la tenant en place.
- Lyllianne, en trois mots : Rien à battre. On a pas tous eu la chance de vivre comme des bourges protégés par des montagnes pendant toute notre vie. C'est parce que tu as décidé de sortir de ces montagnes que tu t'es mise en danger. Si on n'avait pas été là pour te sauver, tu ne serais peut-être même plus en vie. Donc n'ose même pas t'interposer, capiche ? Au cas où ça t'aurait échappé, vu que l'information ne semble pas avoir atteint ton petit cerveau fermé du monde extérieur, cette "enfant", comme tu dis, c'est une Cape. Et des histoires avec des Capes plus jeunes qu'elle qui kiffent buter des gens, j'en connais, crois-moi. Ne te fie pas aux apparences et réveille-toi, par Onyx ! Peu importe son âge, ce n'est pas une gamine !
Sa voix n'avait fait que croître, s'acharnant sur Lyllianne comme si tous les malheurs n'étaient que d'elle. Selona finit par lui lâcher le menton dans un mouvement brusque. Malgré la distance, Kelly crut voir la trace rouge de ses doigts sur la mâchoire de l'Elfe Lunaire.
Quelle ambiance…
Kelly n'en perdit pas une miette, les muscles tendus. Des liens se fortifiaient dans son esprit, rédigeant une myriade de scénarios à exploiter.
L'Elfe Solaire risqua un pas, puis un deuxième vers la Sylvoir qui recula en même temps pour ne pas réduire la distance. Celle-ci ne sortit pas son arc. C'était une certitude : elle ne se battrait pas.
Assez observé. Kelly ne laissa pas une seconde de plus s'écouler avant de bondir vers la colonne la plus proche. Elle la frôla à peine et glissa le long à toute vitesse. Sans ses gants, elle n'en donnait pas cher de ses doigts. À la moitié du pilier, elle sauta, et atterrit en roulade, deux dagues à la main, devant sa sœur.
- Non. Vous faites erreur. Elle, (Kelly désigna de la tête San) elle n'a jamais tué personne. Moi, par contre… Vous ne serez ni mes premières, ni mes dernières victimes.
- Faites gaffe ! Il y en a sûrement d'autres ! prévint Selona en jetant des regards rapides autour d'elle.
- On est une petite douzaine, vous n'avez aucune chance contre nous, improvisa San. Vous ne connaissez pas nos positions, on vous a dans le viseur. Abandonnez.
Ce n'était pas une mauvaise idée, mais inutile.
- Elle ment, enchaina le Rêveur.
- Et moi ? demanda froidement Kelly. Je mens quand je dis que vous préférerez la mort au sort que je vous réserve ?
La question était rhétorique. Impossible pour lui de donner une réponse sur un fait futur, mais l'effet désiré était atteint.
- Encore faut-il que tu y arrives, répondit-il sur le même ton.
Lyllianne eut un léger soubresaut de surprise qui n'échappa pas à Kelly. Cette dernière lista toutes les hypothèses possibles dans un silence des plus tendus et s'arrêta sur une. Il était probable qu'une liaison télépathique ait été établie dans le groupe. Le Maître des Rêves était encore plus talentueux que ce que la Cape avait imaginé. Restait plus qu'à tester la hauteur de sa limite.
Comme lors de son apprentissage, elle se concentra pour ouvrir la barrière de son esprit. Aujourd'hui, elle n'avait plus besoin de fermer les yeux pour visualiser le vaste grillage barbelé s'ouvrir sur le chemin de ses pensées. Elle laissa fuiter la représentation des cadavres mutilés de ses adversaires avant de clôturer l'accès.
À leur réaction unanime, Kelly pu confirmer qu'ils avaient tous reçu la vision.
- Ordure.
- Très convaincante, comme insulte, j'en tremble de peur, se moqua Kelly sans un sourire.
- Sans vouloir te vexer, Amril, j'allais dire la même chose, commenta Selona.
- Selona ! Ce n'est pas le moment ! Amril, calme-toi, on fait comme on a dit, intervint Myias en saisissant l'épée à sa ceinture.
Le Rêveur opina du chef tandis que l'atmosphère se tendait à chaque seconde dépensée. Éviter la confrontation était désormais impossible, à moins d'un deus ex-machina. Kelly poussa un profond soupir face à cette évidence. Elle aurait dû les tuer immédiatement, si de toute manière le sang devait couler. Au moins, personne ne pourra lui reprocher de ne pas avoir essayé.
Amril fit reculer Lyllianne en la protégeant de son bras. Un peu tard pour se montrer protecteur.
- Lia, reste en arrière, tu ne sais pas de quoi les Capes sont capables.
- Oh, je ne sais pas ce que tu as déjà vu des Capes, mais tu es loin de le savoir, toi non plus, rétorqua Kelly.
Elle n'avait même pas été ironique. Il ne laissait jamais de témoins, tandis que le reste de l'élite créait de sérieux dommages -physiques au mieux, psychologiques au pire, bien que souvent les deux faisaient paire. Définitivement non, il ne pouvait pas s'adresser avec une telle assurance même à la plus faible des Capes s'il avait croisé l'un d'entre eux.
Les mains refermées sur ses poignards, Kelly fusa sans prévenir sur Selona pour lui sectionner les ligaments de l’épaule. La lame traversa sa chair, pas aussi profondément qu’espéré. Elle n’avait pourtant ni négligé la force, ni la trajectoire de son attaque. Le Rêveur la surpris par son flanc gauche et Kelly évita le tranchant de la hache, tout comme le combat. Patience, chacun son tour. Quelques pas gracieux, ses membres joliment élancés, s’écarter de Amril et entamer une danse violente avec Selona.
Engagée dans un échange sans loyauté, couteaux contre mains nues, Kelly avait préjugé son adversaire. La carrure imposante de l’elfe l’avait dupée ; sa force brute était loin d’être sa seule force. De sa besace s’échappait un courant de sable. Il recouvrait ses phalanges, ses coudes, ses genoux, ses semelles, tout ce dont elle se servait pour faire mal. En faible quantité, celui inutilisé par l’attaque vagabondait sur son corps comme un animal affectueux pour la protéger des lames. Kelly regretta d’avoir laissé sa gourde à l’étage ; un peu d’eau sur sa peau, et sa maîtrise si parfaite du sable s’effondrait. Ce serait lui enlever beaucoup, mais pas tout. Selona n’agitait pas ses membres avec force dans l’espoir de toucher sa cible. Ses mouvements, contrôlés, semblaient forgés par un enseignement respectable.
Un enseignement respectable. Rien à voir avec celui de Kelly. Strict, intense, dangereux. Pas étonnant qu’elle garde le dessus. Les coupures se multipliaient, de plus en plus profondes et Selona perdait petit à petit le contrôle du sable. Elle ne chercha pas à le préserver et la rage gagnait dans ses poings.
Kelly esquivait
parait
attaquait
tranchait.
Jusqu’à la présence dans son dos.
Là elle tomba
volontairement
tacla
Selona
se releva
vers l’arrière
enfonça
son poignard en dessous de la clavicule gauche d’Amril.
Dommage, elle espérait le cœur.
- Meurs pas tout de suite, j’ai besoin que tu me donnes des réponses, chuchota Kelly à son oreille en le repoussant brutalement vers une des colonnes.
Sans attendre sa réponse, elle se retourna, et jetta son pied dans le ventre de Selona, qui suffoqua jusqu’à cracher du sang, encore à terre. Celle-ci n’avait apparemment pas réussi à réceptionner sa chute, et étourdie, avait peiné à se relever. Kelly avait d’abord pensé à l’égorger pour en finir au plus vite. Sauf que laisser San assister à cette scène l’avait dissuadé.
- La touche pas ! hurla Myias en se ruant sur elle, les mains cramponnées à son épée.
De front ? Le qualifier de “courageux” était quasiment aussi stupide que sa propre action. Jusque là, il n’avait pas agit, il n’avait pas osé se mêler au combat, pas assez bon en groupe, probablement, il n’aurait fait que gêné avec son épée longue. S’il s’était décidé à enfin entrer en action, c’est que son sang avait fini de bouillir.
Contrairement à sa valse précédente, Kelly trouvait que son cavalier manquait cruellement de technique. Elle aurait aimé clôturer rapidement le bal, mais la longueur de l’arme l’empêchait d’approcher. Alors ses mouvements se calèrent avec grâce sur l’esquive, et elle captiva la scène, intouchable.
Le temps se compta en secondes, puis en minutes, sans que Kelly ne réussisse à trouver la faille. À chaque fois qu’elle arrivait à se glisser dans son dos, il se téléportait dans le sien, il essayait de la blesser, elle esquivait. Et ils repartaient dans cette même danse à quatre temps.
Téléporter. Il ne cessait de la reprendre sur ce mot. Un Meneur de temps ne se téléporte pas, il retourne juste à une ancienne position. Une position où il a posé le pied dans les cinq dernières minutes. Trois s’il est faible. Sept s’il est fort. Peu importe. Plus il avance, plus le temps s’écoule, plus il est dangereux.
Un mouvement, perçu du coin de l'œil, à peine visible, très rapide. Avec un arc comme celui de San, et une flèche de trente grammes, la vitesse moyenne du projectile est de soixante mètres par seconde. Bien à l'écart du champ de vision, la jeune Sylvoir avait tiré. Fluide, précise, elle ne s'était pourtant pas posée très longtemps pour viser. Elle n'avait pas pointé son cœur, ni même sa tête comme sa sœur l'aurait fait. Lorsque la flèche atteindra sa cible, la main blessée lâchera l'épée.
Le Meneur de Temps dû l'apercevoir lui aussi. Même pendant un centième de seconde, son regard en disait long sur sa surprise. Il ne lui restait rien pour faire son choix. Depuis quelque temps déjà, il tournait passivement autour de Kelly, il ne pourrait donc pas se téléporter trop loin, et, un seul endroit stratégique lui était offert. Ni dans l'axe de tir de la Sylvoir, ni dans le rayon d'action de son adversaire, la question ne se posait même pas. C'était un cadeau tombé du ciel.
Myias se faufila dans l'ouverture. Il n'eut ni le temps d'être soulagé, ni de reprendre des repères que la seconde dague de Kelly lui perfora la main, le faisant lâcher son arme dans un fracas métallique. La jeune femme se jetta avec bon sens sur l'épée et la fit sienne, la pointant sur le Meneur de Temps. Il lui suffisait d'un coup dans la gorge pour que sa tête roule sur le sol.
Arrête !
Incapable de savoir si sa soeur avait réellement parlé ou si elle n'avait fait que de l'imaginer, Kelly recula d'un bond en arrière. Un seul coup d'œil vers elle lui suffit pour oublier l'entièreté de la scène qui se déroulait devant elle la seconde d'avant. Elle se rua sans attendre vers San qui venait de baisser son arc et combla rapidement la distance entre elles.
Les ombres dans la salle n'étaient pas très présentes. Visibles comme si le soleil était au zénith, elles se faisaient timides. Timides, pas inexistantes.
Kelly saisit le bras d'une forme invisible et le brisa dans un craquement sinistre. Un cri de douleur glaçant expira des poumons de celle-ci et elle tomba à genoux. Un tissu incolore glissa à son insu sur le sol et découvrit le Technimage. Les dents serrées, il releva la tête vers la Cape, priant sûrement Caleb pour qu'elle le lâche. Quel imbécile. La seule personne à prier pour cela, ce n’était pas Caleb, c’était elle.
Sa prise toujours ferme, Kelly jeta un regard sur la couverture qui gisait désormais sur le sol. Si le tissu ne recouvrait pas le bout de son pied, elle aurait presque pu croire qu'il n'y avait rien. Ce Technimage aurait dû faire partie de l'Ordre des Capes. C'était exactement le type de coéquipier qu'elle avait longtemps recherché. Qu'il dévoue ses talents à ce groupe d'amateurs, ça lui donnait la gerbe. Il avait incontestablement des capacités remarquables. Rares étaient ceux qui arrivaient à intégrer une énergie magique à un objet non-technologique. Imiter les aptitudes d'un Coloreur n'était pas non plus à la portée du premier venu, bien qu'il n'eut aucune influence sur son ombre. Il y avait un si grand potentiel à tirer de ce Technimage qu'une pointe de jalousie traversa Kelly. Malgré ça, il avait tout son respect.
- Mais c'est ce qu'il en coûte pour oser s'approcher de mes compagnons.
Kelly le dévisagea d'un œil las avant de relâcher sa prise pour frapper de son pied le ventre de l'homme. Le coup lui coupa le souffle et le projeta un tiers de mètre plus loin. Il suffoqua en peinant à se relever, pour s'écarter.
- Reste à terre, ordonna la Cape.
Cela tenait plus d'un avertissement, et le Technimage s'y plia. Kelly se serait bien occupé de lui faire payer devant tous ses camarades, histoire que chacun ici comprenne que l'attaquer ne servait à rien. Peut-être pourrait-elle même les épargner s'ils la suppliaient.
- Pffff, tu fais flipper, le cleb, j’ai bien cru que j’allais crever. Ça fait un mal de chien, si tu savais.
Kelly frémit à la voix énergique de l’Elfe Solaire. Énergique. Énergie. Force. Mouvement. Déplacement. Deux mètres. À côté d’elle. Il y a encore quelques minutes, elle gisait, le nez, le crâne, la bouche, la peau en sang. Et là, sur son corps, pas la moindre trace de la brutalité qu’elle avait subie.
Le regard levé, Kelly puisait dans celui de Selona. Ses yeux ne s’étaient pas attardés sur le couteau qui caressait la gorge de San. L’ironie ; c’était le couteau avec lequel elle avait planté Amril. Son propre couteau qui menaçait la vie de sa sœur. Cette dernière était plaquée contre le corps de l’Elfe Solaire. Beaucoup plus petite, elle se serrait contre cette masse de muscles et de chair pour éviter tout contact avec la lame encore ensanglantée de sa dernière victime. Ses yeux étaient vides, comme toujours, mais son visage se sculptait sur l’angoisse.
- Lâche-là.
- Oh que non ! Et n’espère même pas t’approcher, je n’hésiterai pas à la butter.
Elle bluffait. Kelly en avait conscience. Du bluff, juste du bluff. Elle ne tuerait pas aussi facilement. Avec le discours qu’elle a eu avec le Rêveur plus tôt, la tuer maintenant serait si ironique. Et pourtant, son cœur s'affolait, tambourinait pour se libérer de sa cage, pour pouvoir porter secours à San.
Et voilà, c’était ça. Son corps qui réagit tout seul, sans contrôle, à en perdre la raison. Il refusait d’avancer, de reculer, de la mettre en danger. Il voulait plier, supplier, ses lèvres déliées. Il ne comprenait pas, lui, que San n’était pas en danger.
Et voilà, c’était ça. Une promesse. Si Kelly avait su, enfant, elle ne l’aurait jamais faite. Pas besoin d’une promesse pour protéger l’être le plus cher.
Son esprit devenait fou. Fou de lutter contre son corps. Encore un effort.
- C’est la Lunaire qui t’as guérie.
Ce n’était pas une question. Elle tourna l'œil vers Lyllianne. Pas trop non plus ; son corps ne le supportait pas.
- Pouvoir être remise sur pied en quelques minutes, pratique. Pas une cicatrice. Stratégiquement, c’est elle que je devrais éliminer en premier, n’est-ce pas ? Aah, malheureusement, j’ai d’autres projets pour elle. Un simple petit test, rien de bien méchant. Je me demande combien de fois elle pourra guérir ton corps charcuté avant de s’écrouler d’épuisement.
- T’es complètement tarée …
Sous l’abomination de ses propos, Selona avait réduit sa prise sur l’arme. Le corps de Kelly se détendit un peu, pas complètement, juste assez pour ne pas handicaper ses paroles. Ce n’était juste pas suffisant. Sa soeur devait être libre.
- Tarée ? Je vais commencer à te plaindre. Si pour toi, cette simple idée fait de moi une tarée, tu n’es pas prête d’entendre la suite. Tu veux vraiment pas savoir ce que je compte leur faire, à tes amis, quand je t’aurais séparée de tes quatres membres ?
Séparer quelqu’un de ses membres. Seul lui irait jusque là. Quel taré. Cette fois-ci, elle n’allait pas s’en plaindre ; il venait juste de lui fournir l’imagination nécessaire pour les dégoûter, tous les sept, Kelly comprise.
- J’égorgerai la plus proche. Le bras cassé, je lui ouvrirai le ventre à coups de couteau, sans y aller dans la dentelle. Après tout, c’est lui qui s’est approché de ma subordonnée en premier. Ce ne serait que justice rendue, n’est-ce pas ? Après ça, il n’en restera plus que deux. Pas assez puissants pour me battre. Je lacérerai les yeux du plus proche. En savourant ses cris de douleurs, je lui causerais une blessure mortelle, mais lente pour qu’il s’agonise jusqu’à mourir. Mais voyez-vous, je ne suis pas sans cœur. Le dernier je le laisserai en vie, pour qu’il maudisse sa faiblesse et devienne ensuite plus fort pour vous venger, et me tuer… s’il y arrive.
Son regard s’était arrêté sur Amril. Chacun avait suivi le mouvement de ses yeux qui accompagnaient ses paroles. Kelly les avait fixés tour à tour, avec une lenteur significative. Ce n’étaient pas des paroles en l’air. Elle savait exactement comment s’y prendre, comment le faire. Il ne restait plus qu’à savoir s’ils allaient céder sous ses menaces.
Ses yeux firent un tour, pour récupérer ceux de Selona. Ironie ; ce fut son regard, à cause de son regard, son regard d’acier, son regard meurtrier, que l’elfe se crispa. Que l’elfe rapprocha, dans un mouvement incontrôlé, la lame de la gorge de San.
Il ne faut pas l’avoir déjà vécu pour comprendre que son cœur avait failli lâcher. Et c’est à Caleb, à Caleb qu'appartiennent sa bouche, ses lèvres, ses mots.
- Tout ça, c’est seulement dans l’hypothèse où ma subordonnée meurt. Alors laissez-moi vous offrir une autre issue, reprit Caleb à travers elle. Laissez-la partir et faisons un pacte. Sa vie contre la mienne.
Je reviendrais sur tes chapitres précédents pour te donner un retour plus complet sur chacun d'entre eux. J'aime me contenter de lire dans un premier temps. Ce que je retiens de cette première lecture c'est surtout ton style, on sent l'amour que tu as pour l'univers que tu dessines. L'investissement se ressent et si, oui, ce n'est pas parfait, qu'il faudrait repenser certains détails, ton travail est remarquable.
J'espère pouvoir t'aider avec mes futurs retours, à polir ce petit joyau.
à très vite.
A bientôt !
Grunie