En rentrant dans la tente où je loge, je tombe directement sur Madeleine qui cherche frénétiquement quelque chose dans la malle au pied de son lit de camp. Une bonne partie du contenu a été jeté par terre. Le reste est un malström d’objet et de tissu qui je me demande bien à quoi cela peut servir. À chaque expédition, Madeleine ne cesse de ramener des « souvenirs » comme elle les appelle. Personnellement, je trouve cela plus encombrant qu’autre chose. Elle s’arrête en me remarquant.
- Le chef est revenu ! s’exclame-t-elle la mine enjouée.
- Je sais, je viens de le rencontrer, dis-je en m’asseyant sur mon lit. Il m’a demandé si je souhaitais vous rejoindre.
Ma voisine a replongé son nez dans son coffre.
- Tu as accepté, j’espère.
- Bien évidemment.
Son cri de joie me fait sursauter. Toutefois, j’ignore si elle se réjouit plus du carton qu’elle tient entre les mains ou de mon enrôlement. Je me redresse et me place à ses côtés.
- Qu’est-ce que c’est ? m’enquis-je en désignant le papier du menton.
- Lorsque le chef part en expédition, il ramène toujours de nombreuses denrées. Chaque membre du camp a droit à sa part. Ce document régule la distribution. Pas de carte, pas d’échange. Tu devrais demander au chef de t’en faire une.
Une tête blonde apparait dans l’entrée de la tente.
- T’es encore là, Maddy. Dépêche-toi ou tu vas rater le meilleur.
- Je te suis, Millie.
Elle reporte son attention sur moi.
- Viens avec nous, Isis. L’intendante est une perle. Je suis certaine qu’elle fera une exception pour toi.
Sans que je ne puisse dire quoi que ce soit, la rebelle m’empoigne le poignet et me force à lui emboiter le pas. Juste avant de sortir, elle attrape son bonnet au vol et l’enfonce sur son crâne chauve. S’il y a bien quelque chose que j’ai compris en vivant ici, c’est que le virus ne se manifeste pas de la même manière chez tout le monde. Liam avait ses cheveux qui ont repoussé, alors que ma colocataire ou Hans ont tout perdu. Madeleine a beau le cacher, je remarque bien qu’elle a dû mal à supporter les conséquences de la maladie. Sur le chemin qui mène à l’intendance, je note que de nombreuses personnes se dirigent dans la même direction que nous. Quand nous approchons de notre destination, une dizaine d’individus fait déjà la queue. Nous nous mettons au bout et patientons. Madeleine ne tient plus en place et murmure une liste de choses qu’elle espère acquérir. Je la sors de sa torpeur en lui demandant :
- Qu’est-ce que cette distribution a de spéciale ?
- Il y a eu un arrivage de fruit frais. Cela fait tellement longtemps que je n’en ai plus mangé. Il y a bien les fruits sauvages, mais pour tout un camp cela ne fait pas beaucoup et puis ce n’est pas la saison. Et les dernières pommes que j’ai eues avaient un goût de pourri.
- Et aujourd’hui, il y a quoi ?
Son sourire s’élargit.
- Des pommes sans doute. On verra bien.
La file avance relativement vite et c’est bientôt notre tour. Madeleine s’est remise à parler. Je l’écoute d’une oreille distraite, mon regard perdu dans l’agitation du camp. C’est enfin à nous. Nous pénétrons dans la tente qui fait office d’intendance. Celle-ci a été relevée sur pilotis pour éviter que les vivres s’abîment. De l’intendante, seul le dos est visible alors qu’elle ramasse une pomme qui roule sous la table. Je me retiens de pouffer en la voyant essayer de rattraper la fugueuse sans grand succès. Elle finit par s’en emparer puis se redresse vivement.
- Passez-moi votre carte, nous invite-t-elle.
L’aura qui émet de cette femme me met tout de suite à mon aise. Elle donne sa ration à Madeleine puis porte son regard sur moi. Elle tend la main. J’observe sa paume, mais ne réagis pas.
- Ta carte, insiste-t-elle.
Madeleine prend les devants.
- Elle vient d’arriver, Magda. Elle n’a pas encore reçu le papier. Je me disais que tu pourrais peut-être lui accorder sa part malgré tout.
La dénommée Magda soupire et semble presque navrée.
- Malheureusement, sans autorisation je ne peux pas.
- Juste une fois, tente ma colocataire. S’il te plait.
- Tu sais aussi bien que moi qu’en ce qui concerne les vivres, Tim ne plaisante pas. Désolé.
Elle me jette un coup d’œil hésitant.
- Isis, dis-je. Je m’appelle Isis.
- Désolé Isis. Cela aurait été avec joie, mais… »
Son attention se porte soudain au loin et un bref sourire traverse ses lèvres.
- Attends, deux secondes, Isis, s’exclame-t-elle. Il y a peut-être une solution.
À pas précipités, elle sort de la tente. Elle revient tout de suite après avec quelqu’un. Le nouvel arrivant bouge un pan de la toile et lorsque je vois son visage, je crois d’abord à une hallucination. Magda se place à mes côtés et pose ses mains sur mes épaules.
- Voilà, Isis.
L’intendante continue à parler, mais je ne l’écoute pas, mon attention rivée sur la personne en face de moi. Je parviens enfin à articuler la phrase qui était bloquée dans ma gorge.
- C’est vraiment toi, Luna ?