Nous pénétrâmes dans une vaste demeure de marbre blanc, d’un style gréco-romain à couper le souffle.
Les deux hommes armés nous amenèrent jusqu’à une salle de réception exagérément grande. Un salon immense avec plusieurs cheminés, des bibliothèques aussi longues que les murs, des tableaux qui pourraient se revendre à prix d’or...
Ils avaient libéré le Vicaire de ses menottes. On nous força à nous asseoir tous les quatre sur un grand canapé blanc. Il ne serait bientôt plus blanc, avec les blessures de Gallant et du Vicaire.
Les deux soldats se postèrent à gauche et à droite du sofa.
Alors, la porte du salon s’ouvrit, et un homme poussa une femme devant lui. L’homme, que je supposais être Bakar Salvatelli, nous rejoint en quelques enjambées. Vêtu d’un onéreux costume de soie et de cachemire, il poussait devant lui une femme au visage tuméfié. Cette dernière semblait sur le point de s’évanouir.
- Bianca ! Hurla le Vicaire.
Il voulut se relever, mais sa blessure à la jambe l’en empêcha.
- Qu’est-ce que tu lui as fait, espèce d’enfoiré ?!
Bakar Salvatelli poussa la fameuse Bianca sur le sofa en face du nôtre. La femme s’écroula, jetant un regard suppliant au Vicaire.
- Benvenuto ! S’écria le baron. Comment allez-vous ? Vous souhaitez une boisson rafraîchissante ? Le voyage jusqu’à Naples n’a pas été trop pénible ? Que pensez-vous du carnaval que j’ai organisé ?
- Nous ne voulons ni de votre accueil, ni de vos boissons, répondit Gallant d’un ton ferme. Nous sommes ici pour vous arrêter.
Je me retins de réprimander Gallant. Il nous fallait jouer le jeu de la diplomatie, plutôt que d’attaquer de front ! Entouré d’hommes armés, il était hors de question de jouer les courageux.
- M’arrêter, hein ? Sourit Salvatelli. Je vous souhaite bon courage, même si vous ne ressortirez pas d’ici vivants.
L’angoisse noua mon estomac. Non, ce n’était pas possible. Je ne voulais pas mourir, et encore moins ici, si loin de chez moi.
- Vous êtes donc le détective... Gallant, c’est bien ça ? Demanda le baron. Qu’est-il arrivé, à votre dos ?
- Vous n’avez qu’à demander à votre Vicaire, grogna Gallant.
Salvatelli jeta un regard furieux au Vicaire. Mais celui-ci n’avait de yeux que pour Bianca.
- Il ne s’agit plus de mon Vicaire, désormais, annonça Salvatelli. C’est un traître, rien de plus.
Les yeux de Salvatelli se tournèrent vers Sharp, et un sourire mauvais étira ses lèvres.
- Toi, murmura le baron. C’est toi, le laquais de Saint-Cyr ?
- Je m’appelle Red Sharp, s’empourpra l’inspecteur. Je ne suis pas un laquais.
- Allons, ragazzo, Saint-Cyr a déjà propagé l’information à tous ses alliés : son toutou n’est plus notre ami. Je m’étonne que tu sois encore en vie, d’ailleurs.
Sharp ne répondit pas. Je suis sûr qu’il bouillonnait de rage, et devait se retenir pour ne pas sauter à la gorge du baron.
- Dîtes-moi, reprit Salvatelli, qu’espérez-vous, au juste ? Vous pensez qu’en me tuant, vous allez détruire toute l’organisation ? Êtes-vous aussi naïf ?
- Nous ne voulons tuer personne, intervins-je.
Il n’était peut-être pas trop tard. Si nous montrions patte blanche au baron, peut-être nous épargnerait-il.
Salvatelli éclata d’un rire mauvais.
- Alors quoi, vous voulez m’arrêter ? C’est encore plus naïf ! La police m’appartient, ragazzo, qu’est-ce que tu crois ?
- Qu’avez-vous fait à Bianca ? Demanda le Vicaire d’une voix tremblante.
Salvatelli se tourna vers lui, et écarta les bras en un geste théatrâl.
- Messieurs, je vous présente César Condé, mon plus infidèle allié ! Je l’ai sauvé de la rue, nourri, blanchi, je lui ai tout appris ! Et en échange, à quoi est-ce que j’ai droit ? A un homme qui ébranle notre organisation, qui trahi mes alliés, et qui folâtre avec ma femme ! Alors, tu me demandes ce qui est arrivé à Bianca, petit ? Eh bien, Bianca n’a eu que ce qu’elle méritait, voilà tout ! Et toi aussi, César, tu vas avoir tout ce que tu mérites.
- César, murmura Bianca. César, je t’ai-
Elle ne put finir sa phrase. Salvatelli sortit un revolver de son veston, et tira dans la jambe de la pauvre femme. Celle-ci hurla de douleur.
Horrifié, je fus pris de hauts-le-cœur. César Condé, maculé du sang de sa bien-aimée, hurla de rage et de douleur.
Le désespoir le fit se jeter sur Salvatelli malgré sa blessure à la jambe. Le baron, qui ne voulait visiblement pas en finir trop vite avec le Vicaire, ne lui tira pas dessus. Il se contenta d’esquiver les coups de Condé en riant.
Du coin de l’oeil, j’aperçu Gallant et Sharp échanger un signe de tête discret. Avant que je ne pu comprendre, chacun d’eux se jete sur un homme armé.
Le chaos prit place, et j’en étais le spectateur horrifié. Sharp, qui avait toujours été fort au combat, maîtrisa rapidement son adversaire, se saisit de son arme et lui tira dans la tête.
Alors que Gallant perdait l’avantage, Sharp tira une balle dans la tête du deuxième homme armé et, tout aussi rapidement, tira sur la main du baron qui tenait l’arme.
Tout s’était déroulé en moins de dix secondes. J’avais beau détesté Sharp, je ne pouvais que m’incliner devant son sauvetage.
Je me levais, abasourdi par la scène, tandis que Salvatelli hurlait de douleur. Voyant son ennemi maîtrisé, le Vicaire s’effondra au sol, sa jambe l’ayant terrassé. Il rampa vers le corps meurtri de son amante, murmurant des prières en italien.
Gallant prit l’arme du deuxième soldat, puis s’enquérit de celle de Salvatelli.
- Vous avez intérêt à parler, baron, dit Sharp.
- Att... attendez ! Bafouilla le baron. Si vous me tuez, mes hommes vont vous tomber dessus !
- Alors où sont-ils ? Demanda Gallant. Quoi, vous ne possédiez que deux hommes armés ? Où est passé le reste ?
Etonnamment, Salvatelli semblait tout aussi stupéfait par l’absence de ses autres soldats. La chance était-elle vraiment de notre côté ?
La porte s’ouvrit alors, et j’eu peur de voir débouler la milice de Salvatelli. Au lieu de quoi, j’eu le soulagement de voir apparaître Alva Blom, un pistolet fumant à chaque main.
- Pardonnez mon retard, dit la Suédoise. Je m’occupais des hommes qui me bloquaient le passage.
- Alva ! S’enjoua Gallant. Mais que faites-vous donc ici ?
- Je vous suis depuis que vous êtes partis de Paris. Je vous rappelle que Falk m’a chargé de votre protection. Je n’allais pas vous laisser vous jeter dans la gueule du loup.
- Le duc ? S’écria Salvatelli. Ce maudit duc, le traître !
Alva s’approcha de nous, et pointa son arme sur Bianca Moretti.
- Non ! Supplia le Vicaire. Ne faites pas ça, pitié !
Salvatelli, lui, éclata de rire, partagé entre la nervosité et le désespoir. Alva Blom regarda le baron, puis le Vicaire. Alors, à mon grand effroi, elle tira en plein dans la tête du baron italien. L’homme s’écroula au sol.