— Je prends le lit du haut, déclare Solange, la porte tout juste ouverte.
Elle jette sa veste en jean sur l’un des matelas de la chambrée, sans daigner demander l’avis de l’une d’entre nous. Je suis loin d’être agacée du comportement de Solange, contrairement à Zoé. Sa discussion avec Logan n’a pas dû aider.
Jelen se tourne vers nous.
— Je me contenterais de celui qui reste, disais-je en haussant les épaules.
Comme Jelen et Zoé prennent les lits du bas, je me coltine celui au-dessus de Zoé.
J’aurai tout le loisir d’échanger avec ma voisine d’à côté. D’ailleurs, elle me lance à peine un coup d’œil. Apparemment, je l’insupporte davantage depuis la réunion parents-profs, Jelen a dû lui faire part de ma « filiation ». Elle peut penser ce qu’elle veut, ça m’est égal. Mes origines me regardent. Mais rien à faire, Solange a été élevée comme la plupart des Vych, c’est-à-dire dans la détestation des hommes. Peu importe leur sang magique ou non, ils sont le synonyme de soumission pour les chasseuses.
On a tout juste le temps de déposer nos affaires, les professeurs nous pressent de les rejoindre dans le salon de l’auberge. Cette ancienne ferme appartient à l’école depuis longtemps, ici se déroulent les rites de passage. Les bois alentour permettent aux apprentis Kreathz de passer leurs épreuves, quel que soit le clan.
La pièce immense est décorée d’une estrade sur le mur du fond, où est disposé un coin bibliothèque, avec des coussins sont éparpillés sur le sol. Sur ma droite, une baie vitrée donne sur une terrasse couverte ; en contre bas, un jardin et son éventail de fleurs colorées, avec des pâquerettes parsemant un chemin de pierres qui se sépare en plusieurs branches. Sur ma gauche, sont accrochés des tableaux ; des peintures semblent représenter des personnes importantes pour l’Institut des Arts Élémentaires. Sur le dernier mur, là où se trouve l’entrée de la pièce, une énorme cheminée avec de vieux fauteuils disposés en cercle. Enfin, au centre du salon, des canapés ont été installés en forme de U, je m’y assieds avec mes camarades.
— Avant toute chose, je tiens à vous informer que pour les plus pénibles d’entre vous, nous avons préparé des tentes à l’extérieur, nous avertit Mr Brachet. Ne me regardez pas comme ça, si le directeur n’était pas intervenu, je vous aurais laissé sans rien. Certains souriront moins quand ils verront où se trouvent les sacs de couchage.
L’expression malicieuse du professeur devrait dissuader Solange de faire des histoires. Quelques-uns de mes camarades émettent des objections, Jelen répète que nous ne sommes pas des animaux. Je m’attends forcément à entendre Stanel lui répondre, mais il semble impatient d’en savoir plus sur les activités de cette semaine. Sans doute pour gagner son pari avec Logan.
— Puisque vous êtes vingt par classe, nous avons décidé de vous mélanger et donc d’établir quatre groupes de quinze personnes, poursuit Mr Brachet en passant deux fiches à ses collègues. On ne vous demande pas d’être les meilleurs amis du monde, mais d’apprendre à vous connaître. Certains y verront là une occasion de s’entretuer, et même si ça promet d’être divertissant, je préfèrerais ne pas avoir vos parents sur le dos.
Je croise les doigts pour Logan. Pourvu qu’il ne se retrouve pas avec Scott Boyd, surtout après les premières altercations depuis la rentrée.
— Les choses sont claires pour tout le monde ? lance l’un des professeurs. Bien. Pour le groupe numéro un…
Et les noms défilent. Pour une fois, ce n’est pas par ordre alphabétique. Je rejoins mes coéquipiers. Non seulement je partage ma chambre avec Solange, mais je dois aussi me la coltiner pendant ces fichues activités ! Et pour couronner le tout, Scott est de la partie, accompagné de ses copains. Je suis tout de même soulagée d’avoir Lysian avec moi, nous échangeons un sourire. Mr Brachet nous installe dans un coin de la pièce.
— Qu’est-ce qu’on est censée faire ? s’impatiente Solange.
— Pourquoi ? Vous avez un rendez-vous urgent ? intervient Mr Brachet avant de poursuivre. Bon, le premier exercice est simple : vous devrez deviner les capacités magiques des uns et des autres.
Ma gorge devient très sèche. Je n’ai aucune idée de la façon de m’y prendre et je me demande si je suis la seule à paniquer. Et si je n’y arrivais pas ? La honte !
— C’est tout ? s’étonne Lysian, les bras croisés sur son torse.
— Pas tout à fait. Une fois votre hypothèse faite, votre camarade vous révèlera si vous avez raison ou tort, répond notre professeur. Peu importe le résultat, il dépendra de la cohésion de votre équipe dans les prochains jours.
Super !
À coup sûr, je vais être le boulet de mon groupe, mon don de clairvoyance n’est déjà pas utile en général, il ne le sera toujours pas pendant cette semaine. J’ose espérer que mon père avait d’autres capacités en réserve et me les a aussi léguées, la question reste : quand se déclencheront-ils ?
Avec mes compagnons, nous nous asseyons près du coin bibliothèque. L’activité débute par un grand silence. Tout le monde se regarde. Qui va avoir le courage de commencer ? Puis une fille énonce une première observation sur un gars à l’iroquoise violette. Le concerné s’amuse de son hypothèse, se lève et tente de faire une démonstration de sa possible « polymorphie ». Finalement, rien ne se produit. Mon tour ne tarde pas à venir, de la part d’une dénommée Carmen :
— Vu tes ascendances de magicienne, je pense que tu peux flotter… Enfin pas comme une fée bien sûr.
Je me mets debout. Je ne peux pas m’empêcher de fermer les yeux et de faire mine de me concentrer. Au fond de moi, j’espère ne pas avoir cette capacité. Ma peur du vide n’y est pas étrangère. Quand je rouvre les paupières, j’ai toujours les pieds sur le parquet et ma camarade semble plus amusée que déçue de s’être trompée. Elle glisse une mèche caramel derrière sa petite oreille pointue, et m’adresse un clin d’œil. Une Vych !
Je me penche vers elle :
— Carmen ? C’est bizarre comme prénom pour une chasseuse.
— Oh, ne m’en parle pas. Ma mère est fan de l’opéra Carmen ! répond-elle avec un sourire. Je pourrais te demander la même chose, Meghan Arkyn.
— Ma grande tante est décédée avant ma naissance, et comme ma maman était proche d’elle, elle m’a appelé ainsi. Mais l’administration l’a mal écrit, ils ont ajouté un « h » et oublié le « e ».
— Ça va, on ne vous dérange pas ? Vous voulez du thé, pendant qu’on y est ? soupire Solange avec exaspération.
— Ouais, à la menthe, rétorquais-je. Si t’as des petits biscuits, ce serait le top.
L’ambiance pourtant détendue change du tout au tout.
— Ne fais pas la maligne avec moi, raille ma rivale.
— Tes tantes doivent être très fières de toi, me moquais-je.
— Encore plus quand je t’aurai remis à ta place.
— Ça suffit Solange, t’es personne pour dire lequel d’entre nous a sa place ici, réplique Lysian d’un ton sans appel.
Notre échange est interrompu par l’arrivée de Mr Brachet.
— Déjà ? J’avais l’espoir de vous voir devenir les meilleures amies du monde, ironise-t-il avant de reprendre son sérieux. Un mot de plus et vos nuits à la belle étoile s’éterniseront.
Il attrape un siège, s’installe à côté d’une élève, et nous enjoint à poursuivre.
Mes alliés de fortune recommencent à deviner les pouvoirs des uns et des autres. Pour ma part, je décide de conserver ma place dans le dortoir et joue le jeu avec ceux qui tentent de me trouver des capacités magiques. Solange semble bouder dans son coin, ses réponses sèches n’incitent pas nos camarades à lui poser des questions. Elle l’est davantage avec Scott quand celui-ci émet une suggestion la concernant. Ah, elle n’aime pas les loups-garous. Ou alors c’est juste son interlocuteur. Nom d’un chien, mais qui apprécie-t-elle ? À part Jelen, bien sûr.
J’en viens inévitablement à chercher un don chez Lysian.
— Étonne-moi, me lance-t-il.
Face à face, il se penche assez vers moi pour que nos visages soient à quelques centimètres l’un de l’autre. Mes joues s’échauffent, mes mains deviennent moites et mon cœur entame une embardée. Je commence à perdre mes moyens, ce n’est pas bon signe. Pour me donner un semblant de contenance, je me tiens le menton et l’observe avec attention.
Reprenons depuis le début : c’est un elfe. Il est donc évident qu’il ne fasse qu’un avec son environnement, surtout avec la nature. Sans oublier sa facilité à manier une arme. Mais laquelle ? Il peut s’agir d’un couteau comme d’un arc. Faut-il encore qu’il en ait touché un, un jour. Soudain, une idée me vient en tête.
— Tu te déplaces sans faire le moindre bruit, suggérais-je.
Son impassibilité me perturbe. Je suis incapable de savoir si j’ai vu juste ou non.
— Intéressant, murmure Lysian.
Son souffle glisse sur ma peau, des frissons me parcourent la colonne vertébrale.
— Tu trouves ? parvins-je à articuler.
Il recule, ses lèvres s’étirent en un sourire. J’entends un claquement de doigt. Mr Brachet doit y être pour quelque chose, car les voix de mes camarades s’évanouissent. Mais trop curieuse, je ne détourne pas le regard de mon interlocuteur. Je veux voir si j’ai raison.
L’instant d’après, Lysian se déplace devant moi. Le parquet ne craque pas sous ses pieds. Je songe au tapis, pourtant il n’y en a pas, ça aurait pu étouffer ses pas ! Le son de sa respiration est inaudible, tout comme le froissement de ses vêtements. L’attitude de Lysian a changé, elle ne ressemble plus à celle d’un adolescent mais bien à celle d’un félin. L’atmosphère autour de moi devient pesante, comment a-t-il fait ça ? Maître de lui-même, un éclat traverse ses prunelles bleues.
Mes émotions sont contradictoires : je me sens à la fois prise au piège et fascinée. Ma respiration me paraît bruyante, je n’entends qu’elle. Puis tout s’estompe, le temps se suspend, illusion ou réalité ? Peut-être suis-je trop intimidée par le don de Lysian ? Je ne saurais le dire. Est-il devenu le vent, ou bien est-ce sa magie tournoyante ? Mais plus rien ne compte, le monde s’efface autour de nous. Quand il s’arrête à ma hauteur, il se penche vers moi et chuchote :
— Bien vu.
Prise de frissons, je soutiens son regard. Que vient-il de se passer ?
Mr Brachet interrompt notre échange silencieux d’un claquement de doigt. Le murmure des conversations s’élève de nouveau dans le salon de l’auberge. La déception m’étreint la poitrine, j’ai encore envie de me perdre dans les yeux de Lysian, mais il a déjà regagné sa place. Je ne tarde pas à l’imiter sauf que le professeur me sollicite.
— Mlle Arkyn, vous n’avez pas une seule fois interpellé Mr Boyd, me fait remarquer Mr Brachet.
Je me tourne avec réticence vers mon camarade. Les cheveux noir coupé courts, une pierre d’obsidienne à son oreille gauche et un air taquin sur le visage, Scott me fixe. J’ignore pourquoi ça l’amuse, je suis à la fois curieuse de le savoir, et en même temps je m’en fiche. Il déplie ses jambes et se redresse pour venir me rejoindre au centre du cercle.
Pitié, dites-moi que l’activité est bientôt finie !!
— Avez-vous une suggestion ? m’interroge le prof.
— J’ai hâte de l’entendre, plaisante Scott, encouragé par les ricanements de ses copains.
Il ne va pas être déçu.
— Comme rattraper la baballe ? déclarais-je, les mains dans les poches de mon short.
Scott se renfrogne lorsqu’un fou rire balaie nos coéquipiers.
Alors, alors, que dire, excepté que j'ai adoré ? Ton style d'écriture est agréable, on ressent bien les sentiments de Meghan ! Si je devais donner un conseil, ça serait peut-être d'un peu plus décrire l'environnement dans lequel elle se trouve et la position des personnages. À ce propos, quand tu parles de Mr Brachet qui revient en interrompant de la conversation, je pensais qu'il était encore là. Je pense que tu peux davantage expliciter le fait qu'il se soit décroché du groupe, même si en même temps, comme il y a plusieurs groupes, c'est logique qu'il ne reste pas que avec eux. C'est toi qui voit !
Je reviens au début du chapitre :
"— Je me contenterais de celui qui reste, disais-je en haussant les épaules.
Comme Jelen et Zoé prennent les lits du bas, je me coltine celui qui reste."
Ici, il y a la répétition du "celui qui reste", et au final, il y a l'hésitation si elle a pris un autre lit en bas, ou un du haut ? Voilà pourquoi je propose l’alternative "celui au-dessus de Jelen/Zoé" au choix ;)
Encore une fois, c'est toi qui voit, je ne fais que proposer, l'importance c'est que tu aimes, toi !
À part ces quelques critiques, tu as fait un super chapitre ! Personnages développés, bien écrit, tu gères !
Je sais pas pourquoi, mais j'adore Scott. Oui oui, Scott. Peut-être parce qu'il a le même prénom que le chien d'un pote à moi, je sais pas !
Merci beaucoup pour ton commentaire et tes remarques, je vais corriger ça de suite !
En ce qui concerne Mr Brachet, maintenant que tu le dis, en effet je dois l'expliciter ! Je vais voir ce que je peux faire concernant l'emplacement des personnages et aussi l'environnement, sans en faire trop bien sûr, le but n'est de noyer le lecteur de trop d'infos d'un coup :)
Haha pauvre Scott, d'abord la baballe et maintenat le chien de ton pote 😂