Chapitre VII - Où on assiste à l'attaque d'une cheminée (1/3)

Notes de l’auteur : [Version mise à jour le 26/04/2025.

Attention, gros remaniement du texte qui suit !
Nous avons décidé d'inscrire notre récit dans le genre du réalisme magique en forçant bien davantage le trait du gothique, par exemple en faisant de l'Hôpital un être vivant à part entière et en laissant planer le surnaturel sur la nature d'Hyriel.
D'où le reclassement du texte en fantasy (à défaut de catégorie réalisme magique).

Merci pour vos lectures et nous vous souhaitons, à vous qui arrivez, bon chemin du repentir ~]

Vendredi 9 janvier 1665. Ce n’est pas encore aujourd’hui, Bon Dieu, que tu recevras mon âme damnée à juger. Sur ces pieuses pensées, Hyriel assistait à la fin de la messe. Il se réjouissait d’avance – paradoxalement – du retour aux corvées, mentalement moins éprouvantes que d’écouter en boucle ces pénitences, quand il s’entendit appeler au confessionnal. Les enfermés y passaient à tour de rôle et il se doutait que le jour viendrait pour lui, mais souhaitait à chaque fois y échapper.

Au moins savoura-t-il le privilège de ne pas avoir été désigné par son numéro. Cette bribe d’humanité inattendue lui fit chaud au cœur. Il se dirigea vers le vieux confessionnal en bois tout en s’efforçant d’étirer ses lèvres en un pudique sourire de bienheureux. Malgré le calvaire de ses nuits au sol, soumis aux appétits de la pierre et aux succions du mur, il n’oubliait pas l’effet qu’avait eu sa magnifique prière sur une partie non négligeable de l’auditoire : le repentir payait !

Le plus ardu fut de conserver ledit sourire quand il dût faire rentrer ses jambes attelées dans l’espace exigu de cette maudite cage à lapins qu’affectionnaient les prêtres. Lui n’était pas grand, mais comment diable faisaient ceux, comme Estienne, qui avaient des quilles plus longues ? Ces niches étaient prévues pour des enfants, il ne voyait pas comment il aurait pu en être autrement – après tout, le Seigneur avait dit : « Laissez venir à moi les petits enfants ! » Au prix de quelques grimaces, il put s’installer convenablement. Ses inflammations des jambes et du dos redoublèrent cependant. Une semaine à dormir par terre… Il se croyait de retour dans son cachot à La Barthe. Le lendemain soir – enfin ! – ils lui restitueraient son lit. Hyriel chérirait ce matelas médiocre : au moins, il l’isolait du froid et du dur carrelage. Soudain, le bruit d’un loquet l’arracha à ses pensées.

La fenêtre à croisées grinça, pour lui révéler le regard de parchemin du vieil aumônier, sa tonsure fripée et ce qui lui restait de boucles autour de ses grandes oreilles – il les fallait de cette taille pour recevoir tant de confessions ! Son sourire craquelé accueillit le pénitent avec bienveillance. Il haussa un sourcil devant ses yeux intégralement bleus, qu’il apercevait pour la première fois d’aussi près, derrière les travées de bois. Sa main droite traça le signe de croix.

In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, entama sa voix gutturale, usée par l’âge.

— Amen.

Jusque là, tout allait bien.

— À quand remonte ta dernière confession, mon fils ?

Son timbre était lisse comme un lac gelé. Un blanc traversa le non Saint-Esprit d’Hyriel. Sa dernière confession ? Il devait avoir… quinze ans ? Il en avait aujourd’hui une trentaine. Pouvait-il vraiment être honnête sur ce point ? Pas très pieux…

— J’ai reçu l’absolution juste avant mon procès, souffla-t-il, yeux baissés et mains jointes, plus docile que les chérubins qui ornaient le plafond du confessionnal.

L’aumônier marqua un temps d’arrêt, refroidi : on l’avait informé des motifs de son enfermement. Mais puisqu’il était là pour se purifier, il l’invita à poursuivre d’un regard conciliant.

Hyriel inspira. Les prières de la Réconciliation. En quinze ans, il avait eu le loisir de les oublier – et ne s’était pas efforcé de les garder en mémoire. Il avait d’autres chats à fouetter. Un souvenir lui revint et il ouvrit la bouche pour se lancer quand un éclair de lucidité le coupa. Il ne les connaissait – et encore – qu’en catalan… Compadiu-vos de mi, que sóc un pecador.

— Ayez… pitié de moi, Seigneur, parce que je suis un pécheur.

Il espéra que ses traductions fissent illusion.

— Ouvre ton cœur à notre Seigneur Jésus Christ.

Els meus pecats són…

— Mes péchés sont… que… j’ai eu un regard envieux – plusieurs, même – pour la table de nos recteurs. Leur nourriture est si riche, comparée à la nôtre ! Je sais que c’est vile gourmandise et je la jalouse, je l’avoue. Leurs vêtements, également, chauds et confortables, et leur prestance… mais j’ai conscience d’en être indigne, Mon Père, moi qui suis si misérable…

L’aumônier hocha la tête : aveux classiques, mais rarement dits avec tant de force – cette même force que 251 avait montrée à la prière. Il croisa ses doigts noueux. Hyriel, lui, n’était pas peu fier de son enrobage, il devait le reconnaître – péché d’orgueil ? Il continua sur sa lancée :

— Je… dois aussi confesser… et j’en suis bien contrit… que j’ai eu de mauvaises pensées à l’égard des officiers. Ils nous réprimandent alors que nous trimons de notre mieux… et je les ai déjà maudits intérieurement en les voyant taper un frère ou une sœur de corvée. Pourtant, je sais que nous ne sommes que des pécheurs oisifs, contrairement à eux, et que le Malin m’a tenté.

Satisfait de sa prestation, il baissa ses yeux désolés. Le prêtre ourla un charitable sourire. Il était incapable de parier sur le sauvetage possible et l’absolue sincérité de cette âme souillée. Néanmoins, le vieil homme préférait espérer et manœuvrait toujours dans la mesure de ses moyens afin d’atténuer la rigueur des lieux. La souffrance ramenait-elle vraiment les pensionnaires à Dieu ? Il se convainquit, du reste, que le 251 n’avait rien pu faire de trop grave ou autrement il ne serait pas là aujourd’hui, devant lui, mais réduit en cendres dispersées.

— Prendre conscience de son état pécheur est le plus dur. Aussi sembles-tu déjà bien sur la voie de la réconciliation. Je ne peux que t’encourager à poursuivre ce travail sur ton âme et ton corps pour t’amender. Peut-être l’institution finira-t-elle par t’estimer digne de davantage de confiance et de confort.

Hyriel fut partagé entre deux eaux : d’un côté, il était ravi de voir son chapelet de belles paroles porter ses fruits mais de l’autre, il craignait qu’en suivant cette voie, il ne dût trop courber l’échine devant les recteurs et ça, il n’en était pas question. Il lui fallait trouver des astuces pour que sa piété prévalût sans devoir l’allier à de la soumission. Religieusement, il souffla un « Merci ».

— Je ne fais que mon office et t’espère un prompt retour dans le giron de Notre Seigneur, ainsi soit-il. Maintenant, prions ensemble.

Il joignit les mains, invitant Hyriel à faire de même, et l’engagea à répéter :

— Mon Dieu, je regrette de vous avoir offensé, car vous êtes infiniment bon et que le péché vous déplaît. Je prends la ferme résolution, avec le secours de votre Sainte Grâce, de ne plus vous offenser et de faire pénitence.

Hyriel suivit comme il put en murmurant, yeux fermés, avec autant d’apparente ferveur que si cela lui venait du cœur. Afin que fleurît à ses lèvres un sourire de douce piété, il pensa à des choses joyeuses : Théa, Estienne. Son expression fut ainsi beaucoup plus sincère qu’escompté.

— Et moi, je te pardonne tes péchés. In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti.

— Amen.

Ii in pace Christi.

Ce n’était pas trop tôt ! Après une dévote révérence, Hyriel prit ses béquilles et se hissa. Les fourmis dans ses jambes ne lui rendaient pas la tâche aisée et il faillit perdre l’équilibre. Ce pieux clapier était heureusement si étroit qu’une chute y serait quasi impossible. Il sortit donc, le visage béat, et adressa un signe fraternel à l’enfermé suivant. Que le repentir le guide, lui aussi !

oOo

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XavBlier
Posté le 22/11/2024
Bonjour,
Encore une scène bien marrante. Hyriel a décidément beaucoup d'habileté avec les mots quand il s'agit de duper, de faire de l'ironie, de se mettre des adversaires dans la poche (même si dans le chapitre d'avant il se sentait mal à l'aise pour exprimer ses émotions, mais on ne peut pas tout avoir !).
La confession était drôle à suivre. Votre style est toujours aussi beau, émouvant quand il faut, joueur quand il faut. J'aime bien aussi la petite astuce qu'Hyriel s'est trouvé pour compter les jours d'enfermement (utile aussi pour le lecteur, pour se faire une idée du temps qui passe).
JeannieC.
Posté le 29/11/2024
Hello !
Ahah merci <3 Encore une scène dont l'écriture nous a bien amusées - Hyriel a très peu de limite et beaucoup de tours dans son sac xD
ClementNobrad
Posté le 01/03/2023
Coucou,

J'adore la tournure que prend les événements. Hyriel arrive à "jouer" avec ce qu'il a à sa disposition pour ébranler comme il le peut l'autorité de l'hospice. Cette critique ouverte de la tablée des privilégiés sous couvert de pénitence est très bien pensé. Dans ce jeu de dupe, les manipulés ne sont pas ceux qu'on croit ! J'entrevois une échappatoire- si l'on peu dire - dans cette stratégie cocasse !

"Ces niches étaient prévues pour des enfants, il ne voyait pas comment il aurait pu en être autrement – après tout, le Seigneur avait dit : « Laissez venir à moi les petits enfants ! " > Cet humour toujours juste et bien placé ^^ parfait !

A tres vite
JeannieC.
Posté le 02/03/2023
Re !
Ouiiiii, Hyriel décide de commencer en se battant avec les armes de ses adversaires. Comment se comporter avec des Tartuffes ? Être lui aussi Tartuffe xD
Très contentes que tu apprécies cette tournure d'intrigue :3
Louison-
Posté le 26/02/2023
Coucou !
Me revoilou ^^ Super aimé cette scène, comme d'habitude j'aime Hyriel et son ironie à toute épreuve x) Et c'est quand il fait face au religieux qu'il est le plus caustique bhaha. Décidément, c'est chouette qu'il essaie de convaincre le prêtre de sa dévotion, la suite nous réserve sûrement d'autres moments similaires, j'ai d'ores et déjà hâte ^^
Et vlop que je file lire la suite :D
JeannieC.
Posté le 01/03/2023
Helloooow !
Ahah, la verve d'Hyriel devant les représentants de l'autorité xD Ravies qu'il ait su t'amuser en même temps qu'il commence à tisser sa petite toile de fausse dévotion :3
ZeGoldKat
Posté le 25/10/2022
Salut,
Aaaah revoici le prêtre ! Et un Hyriel toujours aussi bon comédien, à la hauteur de ce que j’attendais de lui. C’est de nouveau une vraie petite scène de théâtre que nous nous offrez là. La description du vieux curé est savoureuse, tout autant que les petites blagues qu’Hyriel se fait dans sa tête au fur et à mesure de sa confession. La cage à lapins haha, les petits anges au plafond et le "non saint esprit" d’Hyriel xD
Une petite scène très fraîche et qui laisse enfin entrevoir une amélioration de situation pour Hyriel. Rien à dire, je poursuis !
JeannieC.
Posté le 25/10/2022
Hellow !
Encore une scène sur laquelle nous nous sommes lâchées il faut dire - enfin, Élisabeth surtout puisque c'est elle qui écrit le personnage d'Hyriel.
Très heureuses qu'elle t'ait plu.
Yannick
Posté le 22/02/2022
J’adore la description du prêtre! Marrante et originale.

Et plus encore la confession d’Hyriel, tout en ironie. Un passage où l’on se prend à sourire en lisant, ça vaut le meilleur prix littéraire !

Deux chipotages :
- « Il avait vu que les enfermés y passaient à tour de rôle et se doutait que ce serait un jour le moment pour lui, mais espérait à chaque fois y échapper ». La phrase m’a paru un peu lourde, je déplacerais le sujet « il » sur la 2e partie : « Les enfermés y passaient à tour de rôle et il se doutait que ce serait un jour le moment pour lui, mais espérait à chaque fois y échapper ».
- « ses genoux attelés, » : la virgule ne me parait pas nécessaire, elle casse la phrase.
JeannieC.
Posté le 22/02/2022
Salut Yannick,
Eh bien, merci beaucoup ! =D Quant au prix littéraire pour la confession d'Hyriel, il en reste tout flatté et sans voix - et Helasabeth son autrice aussi ~
Très bien vu pour la virgule, et pour la phrase qui sonne beaucoup plus naturelle telle que tu las proposes. On a retouché ça -
Hortense
Posté le 10/02/2022
Bonjour !
En voilà un chapitre intéressant, drôle et caustique ! Bien amené cet interlude de confession qui nous permet d'entre-deviner le projet d'Hyriel sans nous en donner pour autant toutes les clefs. On se doute que le chemin sera long !
Pour avoir fréquenté le confessionnal, contrainte et forcée dans ma prime jeunesse, je retrouve avec amusement les subterfuges imaginés pour combler d’aise le pauvre curé.
Rien à redire sur le fond, pour la forme, il me semble que certaines phrases un peu longues pourraient être écourtées ou coupées, ce qui donnerait encore plus de force au récit (paragraphe 1 et 4)
A très bientôt.
JeannieC.
Posté le 12/02/2022
Re !
Oh, tu as connu les séances en confessionnal ? Héhé, d'autant plus contentes alors que la scène te semble crédible et que tu t'y retrouves quelque peu ! Pour ma part, lors de mes années catéchisme je suis passée aussi aux "sacrements de la réconciliation", mais jamais dans un confessionnal.
Ravies que l'humour de la scène t'ait emballée ! Et en effet, Hyriel construit peu à peu son petit projet-échappatoire =)

On prend note pour les deux paragraphes que tu pointes,
Encore merci ! :)
Edouard PArle
Posté le 02/02/2022
Coucou !
Ahah c'est une bonne idée cette scène de confession, très amusante. Hyriel fait preuve d'une fausse contrition remarquable^^ C'est très bien amené et pourtant je n'avais pas spécialement vu cette scène venir.
C'est intéressant le fait qu'il se rappelle des paroles de la confession en catalan, ça permet de subtilement rappeler ses origines espagnoles.
Est-ce que l'abbé qui vient de le confesser va témoigner en sa faveur ? Hyriel pourrait sortir de prison plus vite que prévu. Mais j'imagine que ça ne va pas être aussi facile. Curieux de voir comment il va se débrouiller.
Bon pas grand chose d'autre à signaler, un chapitre assez court que j'ai bien apprécié...
A très vite !
JeannieC.
Posté le 04/02/2022
Hellow !
Haha oui, nous nous sommes dit qu'il y avait de quoi s'amuser niveau hypocrisie, une scène comme ça - pas loin de Tartufferies à la Molière xD
Contentes que ce début de plan "à la Hyriel" t'ait plu !
A une prochaine =)
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