J’ouvre douloureusement les yeux, mais les referme très vite. Foutue lumière. Même fermé j’arrive encore à voir le flash lumineux qui vient de me bruler les rétines. Pourquoi est-ce qu’ils sont ouverts déjà? Ah. La soirée d’hier me revient en mémoire. La fausse piste, le bar, les shots, la jolie brune aux yeux verts, le sexe débridé. Bon ça explique pourquoi je n’ai pas trouvé le temps de les fermer. Il n’y a pas un son, pas un mouvement dans la pièce. Je n’ai pourtant pas le sommeil léger, qu’est ce qui m’a réveillé?
Boum boum boum
Quelqu’un tambourine à la porte de l’appartement, et vu les coups secs je pense bien savoir qui s’acharne. Quel jour on est déjà? Je sors du lit et remarque que j’ai toujours mon boxer de la veille. Mon grand-père m’a toujours dit qu’un homme ne dort jamais nu avec une femme tant qu’il n’a pas trouvé celle avec qui il est prêt à partager sa vie, en attendant il garde un dernier bout de tissu comme un dernier rempart pour son coeur. J’en conclus que ce n’était pas la bonne. Non pas qu’elle ou moi attendions autre chose de cette nuit. Peut-être qu’un jour je me réveillerai nu comme au premier jour et avec un peu de chance, mon âme soeur portera des lunettes noires. J’ai un truc pour les femmes à lunettes je l’avoue. Et au cas où vous en doutiez, oui j’ai le grand espoir qu’elle les porte aussi en dormant. Ça leur donne un côté incroyablement sexy. N’allez pas me demander pourquoi, je n’en sais rien, je les aime à lunettes, voilà tout. Pas de chance pour moi, de plus en plus de femmes trouvent l’accessoire gênant et leur préfèrent les lentilles, comme notre amie d’hier soir d’ailleurs. Erreur fatale mesdames.
Je pioche mon téléphone dans la poche de mon pantalon abandonné sur le sol. Putain. On est dimanche et ça fait dix minutes que je devrais être prêt pour aller à la salle de sport. C’est sans surprise que je trouve un Peter boudeur sur le pas de la porte. Il n’a pas l’air d’avoir bu toute la nuit lui.
“Pour une Belle au bois dormant, t’as vraiment une sale gueule mec! AH AH! Je suis HI-LA-RANT. Nuit agitée?”
“Désolé mec. Laisse-moi me changer.”
“Tu veux que je lui fasse un café en attendant?”
Je n’essaye même pas de faire l’innocent, il sait très bien pourquoi j’ai oublié notre rendez-vous le salaud. Heureusement, Peter est l’un des types les plus faciles à vivre que je connaisse. Je le laisse se charger du café pour la demoiselle et file dans la chambre m’habiller. Elle est déjà réveillée et habillée, un sourire amusé flotte sur son visage. Je crois bien qu’on a même pas échangé nos prénoms hier soir. Ce qui ne nous a pas empêchés de profiter pleinement de la nuit.
“Il y a du café dans la cuisine si tu veux. Je suis désolé je dois partir.“
“Non merci je vais y aller. À plus tard. Merci pour la soirée.”
Un clin d’oeil en guise d’au revoir et là voilà partie. Ce genre de relations sans attaches sont parfaites pour mon rythme de vie et moi. Je n’ai pas franchement le temps de m’investir dans quelque chose de sérieux. Mes parents ne cessent de me harceler sur le sujet. À chaque repas c’est la même chose. Ils n’oublient jamais de me demander si je viens seul ou accompagné. Ma mère s’inquiète de plus en plus à ce sujet. Elle n’arrive pas à comprendre comment je peux encore être célibataire à trente-deux ans. Peter me trouve trop difficile. Il n’a peut-être pas tort.
Il est confortablement installé dans le canapé en train de siroter un café lorsque je le rejoins. Il hausse un sourcil les yeux rieurs. Je n’ai pas longtemps à attendre qu’il parle. Il vibre littéralement d’énergie en permanence. Il est incapable d’arrêter de s’occuper, ou de parler.
“Joli brin de fille. Pas vraiment causante.”
“Hum.”
“Lentilles?”
“Ta gueule. On y va où tu veux qu’on parle à coeur ouvert de nos sentiments?”
Son expression dégoutée en dit long. Il termine rapidement sa tasse sans me répondre et me jette ses clés que j’attrape au vol une fois dans le couloir. Peter c’est le genre de type qui aime bien se faire conduire même si on prend sa voiture à chaque fois. Tant qu’il peut participer au choix des musiques. Lui et moi avons relativement les mêmes goûts heureusement. Ce matin il choisit un classique, donc une valeur sure, avec l’album de U2. Je m’engage dans la circulation pendant qu’il vérifie je ne sais quoi sur son téléphone. Il passe un temps interminable dessus. Il faut dire que Peter c’est un vrai génie avec tout ce qui touche à l’informatique, il n’a d’ailleurs pas vraiment la gueule de l’emploi. Ni l’âge. À le voir comme ça ses cheveux courts blonds en bataille dans le style jesorsdulitd’unecharmantedemoiselle, ses yeux bruns et ses longs cils, on ne croirait pas avoir à faire à un geek de pure souche. Un vrai de vrai, toujours en train de tripoter son téléphone et les millions d’ordinateurs qu’il cache dans sa chambre. À vingt-trois ans, il est déjà son propre patron d’une boite en informatique. De ce qu’il m’a expliqué, son job consiste à répondre à des appels d’offres complètement différents les uns des autres. S’il y a besoin de fabriquer quelque chose et de l’associer à un programme informatique, c’est à Peter qu’il faut demander. Il possède un cerveau et une imagination pas croyable.
On s’est rencontré en deuxième année de fac de médecine il y a de ça quatre ans. Après avoir perdu Erin, ma soeur cadette qui avait 22 ans à l’époque, dans un accident de voiture, je m’étais mis en tête d’être médecin urgentiste. J’ai réussi à passer en deuxième année par miracle et me suis retrouvé avec Peter. Toujours, assis au dernier rang le nez plongé dans son ordinateur et les doigts pianotant sans interruption. Toujours en train de parler dans sa barbe et de se féliciter à voix haute, les autres ont eu vite fait de le ranger dans a case des personnes à éviter. Il avait la sale habitude d’interrompre le cours pour donner son avis sur le sujet du jour, le tout avec un ton sarcastique voir carrément moqueur. Il n’était pas franchement dans les petits papiers des professeurs pour tout vous dire.
J’ai rapidement capté qu’il était différent des autres étudiants. Capable de bricoler des sites internet tout en écoutant les cours sans avoir besoin d’e prendre des notes. Les examens, une formalité. J’ai fini par lui demander pourquoi il venait cours alors qu’il n’avait pas l’air de s’intéresser à ce qu’on apprenait. “Je m’ennuie chez moi alors je me suis inscrit ici. J’en profite pour apprendre les bases de la médecine en même temps. Je ne suis pas du genre sociable, le bruit des conversations des étudiants me plait davantage que le silence de ma chambre. Je suis assez intelligent si tu veux savoir, et beau gosse aussi, c’est important! Alors me voilà.” Autant vous dire que je ce n’est pas la réponse que j’attendais, surtout quand il m’a dit qu’il était tout récemment majeur et avait décroché son bac avec trois ans d’avance. Malgré son QI impressionnant et le fait que ça soit un putain de génie, c’est un type en or. Il est juste complètement dingue, mais on finit par ne plus y faire attention avec l’habitude.
C’est grâce à lui que j’ai finalement abandonné la médecine pour partir me former à Montpellier à l’Institut de Formation des Agents de Recherche. Pendant quatre ans j’ai trimé comme un sourd pour emmagasiner le plus de connaissances possible et enfin ouvrir ma propre boite. Peter me file régulièrement des coups de main pendant les enquêtes, surtout lorsque je suis dans une impasse et que ses talents de recherches informatiques sont nécessaires. Comme en ce moment. Ça va faire plusieurs mois que je suis à la recherche de Sophia, une jeune femme de vingt ans portée disparue depuis un an. Ses parents m’ont engagé, mais on dirait qu’elle s’est littéralement volatilisée du jour au lendemain. Les seules informations que j’ai sont ce qu’elle portait le jour de sa disparition et la description de sa bague qui est un bijou ayant appartenu à sa grand-mère paternelle. Personne n’a rien vu, rien entendu.
“GZZ GZZ la terre appelle Elan.GZZ GZZ Houston vous me recevez?!”
“Hum?”
“On est arrivé et ça fait dix minutes que tu fixes la vitre sans bouger mec. À choisir tu pourrais me fixer moi, ça te fera toujours une vue plus intéressante. Même si ça pourrait être carrément flippant, mais entre amis on peut s’entre-aider. Je te propose de faire un programme, genre une fois tous les deux jours au besoin. Mais vraiment parce que je suis cool.”
“T’es grave. T’es pas franchement mon genre en plus.”
Maintenant qu’il a mon attention, Peter hausse les épaules et sort de la voiture. Je le suis et récupère nos sacs de sport à l’arrière. Rien de tel qu’une bonne séance de sport pour me vider l’esprit, j’ai du mal à penser à autre chose que cette enquête en ce moment.
L’heure matinale fait qu’il n’y a presque personne à l’intérieur. On en profite pour faire notre enchainement habituel en commençant par courir sur les tapis. Quand les températures sont plus douces on court plutôt dehors, mais l’hiver approche et le froid avec lui. Dès les premières minutes de course, mon corps me fait payer ma soirée d’hier. Du coin de l’oeil je vois Peter se marrer, mais je n’ai pas assez de souffle pour lui dire le fond de ma pensée alors je l’ignore. Le voilà qui se marre maintenant. Je lui mets un coup dans l’épaule et manque de m’étaler dans mon élan, mais son grognement de douleur fait mon bonheur. Après une demi-heure de course, on enchaine avec des exercices pour le haut du corps. Deux heures plus tard, on est trempés de sueur, mais satisfaits. Une fois douché on se dirige vers le café juste en face de la salle.
Peter commande une quantité ridiculement monstrueuse de viennoiseries avec un café. Il sourit niaisement lorsque sa commande arrive et prend la moitié de la table. Un croissant, une assiette d’oeufs brouillés et un café font largement l’affaire pour moi. Et puis dans ma tête ça tilt enfin. C’est à mon tour de payer le petit-déjeuner. L’enfoiré n’oublie jamais ce genre de trucs. J’ai comme l’impression qu’il me cache un truc important. Hum. Le connaissant, il ne va pas pouvoir se retenir longtemps pour cracher le morceau de lui-même. Comme s’il avait suivi mon débat intérieur il repose brusquement son troisième pain au chocolat et se frotte les mains le sourire jusqu’aux oreilles.
“J’ai du nouveau pour ton enquête. Et oui JE SAIS, je suis génial. Oublions les éloges et la statue de moi pour ton salon pour arriver directement au sujet qui nous intéresse. Je suis tombé par hasard sur un type qui essaye de vendre une bague qui correspond à la description de celle de Sophia.”
Son enthousiasme est contagieux lorsqu’il me tend une copie de l’annonce en question. La bague pourrait bien être celle de Sophia. Il faut absolument que je rencontre le type qui veut la vendre avant qu’elle ne parte dans des mains inconnues. C’est ma seule piste depuis des mois. J’ai presque envie de prendre Peter dans mes bras. Presque.
“Peter, tu es le meilleur.”
“Je sais bien. Mais non, je ne veux pas t’épouser désolé, il faudra te contenter d’une photo cachée sous ton oreiller.”
“Termine ton assiette au lieu de raconter des conneries, je vais l’appeler dès qu’on retourne à l’appart.”
Je note le numéro pendant que Peter reprend son festin très fier de lui. Grâce à lui j’espère pouvoir retrouver la trace de Sophia. J’utilise des cartes sim à usage unique en permanence au cas où on veut retracer mon appel. Ce qui fait que j’en ai des stocks d’avance chez moi et dans ma voiture. Peter est toujours en train de s’empiffrer alors je me concentre sur la feuille de papier qu’il m’a imprimé. Un screenshot d’une page internet d’un site de vente de particuliers à particuliers. L’annonce est datée d’aujourd’hui postée à trois heures du matin. Le type a écrit que la bague lui appartient donc il peut s’agir soit de quelqu’un a qui elle a donné la bague, peut-être pour récupérer du liquide si je pars optimiste. Ou alors c’est un vol si je suis pessimiste. Dans mon métier on apprend vite à toujours être pessimiste et envisager le pire pour réagir le plus efficacement.
“Allons-y. Il faut que j’étudie ton salon pour trouver le meilleur emplacement de ma statue.”
“C’est ça.”
Je paye au comptoir et échange un sourire avec la jolie serveuse qui se penche tellement en avant que je vois la couleur de son soutien-gorge. Son visage est mignon, mais je n’ai pas le temps de m’attarder et rejoins Peter devant sa voiture. Une fois rentré je l’abandonne dans le salon pour m’enfermer dans mon bureau. Je ressors l’annonce, attrape une nouvelle carte sim et appel le type. Il n’a pas mis son nom de famille, mais juste un prénom. Marc. Il décroche dès la deuxième sonnerie.
“Allô?”
“Bonjour, je souhaiterais parler à Marc? C’est au sujet de l’annonce sur internet.”
“Oui bonjour, c’est bien moi.”
“Est-il possible de se rencontrer pour voir la bague?”
“Euh. Oui bien sûr. Quand êtes-vous disponible?”
Son hésitation en dit long. Il ne pensait quand même pas la vendre sans qu’un potentiel acheteur ne demande à la voir avant si? Sa voix est tendue, il parle en saccade comme s’il était nerveux. Le pessimiste en moi espère avoir tort.
“Demain?”
“Si tôt…?”
“Je suis très intéressé Marc. C’est une très jolie bague et je collectionne les beaux objets.”
“Ah bien. Très bien je vois. Mais demain je ne suis pas disponible, mercredi soir?”
Ça ne m’arrange pas franchement d’attendre trois jours, mais je n’ai pas le choix. Il n’est clairement pas à l’aise alors autant aller dans son sens au cas où il changerait d’avis. Il faut que je voie cette bague.
“Mercredi soir c’est parfait.”
“Je vous enverrai l’adresse et l’heure demain. Je préfère qu’on se rencontre dans un lieu neutre.”
“Je comprends tout à fait. J’attends votre message alors Marc.”
“Je note votre numéro de portable. Puis-je avoir votre nom?”
“Etan Leissier.”
“C’est noté. Bonne soirée Etan.”
Il raccroche hâtivement. Je vais devoir garder cette carte sim jusqu’à mercredi maintenant. Je lui ai donné mon nom et prénom de façade, celui que j’utilise lorsque je ne suis pas obligé de donner les vrais. C’est Peter qui m’a suggéré d’inverser deux lettres pour trouver cette fausse identité. Ainsi, au lieu d’être Elan Teissier, ça donne Etan Leissier. Ingénieux n’est-ce pas? Surtout très simple à retenir si jamais je suis sous le coup du stresse ou autre.
Je retrouve Peter affalé dans le salon en train de sourire à quelque chose sur son téléphone. Je me stoppe dans mon élan. En réfléchissant, ce n’est pas la première fois que je le vois sourire comme ça. Je me demande s’il ne s’agirait pas d’une femme, mais avec lui ça pourrait très bien être un nouveau jouet informatique ou un nouveau burger qui vient de sortir. Du moins, c’est ce qu’il voudrait me faire croire. Mais cette étincelle dans son regard, ça ne me trompe pas. Il choisit de ne pas m’en parler pour l’instant, et ça c’est assez parlant en soi. Il me raconte toujours tout ce qui lui passe par la tête. Là, on dirait qu’il se garde un petit secret rien que pour lui. Il lève subitement les yeux et son sourire devient forcé. Raté mec, je t’ai vu.
“Alors c’est bon tu vas le rencontrer?”
“Mercredi soir.”
“Cool. Alors… que penses-tu de devant la fenêtre?”
“Je ne mettrai pas de foutue statue dans mon appartement Peter.”
Il hausse les épaules l’air de dire que je fais le mauvais choix. Le connaissant, il est bien capable de l’avoir déjà commandé, mais il peut toujours rêver s’il croit que je vais la mettre chez moi. Il peut partir trop loin dans ses délires des fois. Complètement dingue je vous dis.
“Bon je dois y aller. J’ai le monde à sauver, un film à réaliser, des vaccins à trouver… la routine quoi!”
“Ouais. Ouais. À plus tard mec.”